226962146 Jean Lorrain Histoires de Masques

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  • JEAN LORRAIN

    HISTOIRESDE

    nnsQUESM.

    U dVot OTTAWA

    LIBRAIRIE\

    Socit d'Editions Lii,

    50. CHAUSSE DANTINPARIS

    39003002'1530'10

  • X/y.y^f^ f

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    University of Ottawa

    littp://www.arcli ive.org/details/liistoiredemasqueOOIorr

  • HISTOIRES

    DE MASQUES

  • DU MEME AUTEUR

    La Petite Classe i vol.

    Histoires de Masques i vol.Monsieur de Bougrelon i vol.Propos d'Ames simples i vol.Fards et Poisons i vol.

    Monsieur de Phocas i vol.Poussire de Paris i vol.Princesses d'Ivoire et d'Ivresse i vol.

    Le Vice errant i vol.

    L'Ecole des Vieilles Filles i vol.

    Madame Monpalou i vol.L'Aryenne i vol.

    Maison pour Dames i vol.Hlie, garon d'htel i vol.

    THTREThtre, i volume in-i8 jsus i vol.

    En collaboration avec G. COOUIOT

    Deux heures du matin au quartier Marbeuf.. . . i vol.Htel de l'Ouest i vol.

    Une nuit de Grenelle i vol.

    Sainte Roulette i vol

    .

    Tous droits de reproduction et de traduction rservs pourtous les pays, y compris la Sude, la Norvge, la Hollandeet le Danemark.

    S'adresser, pour traiter, la librairie Paul Ollendorff,Chausse d'Antin, 5o, Paris.

    *.

  • JEAN LORRAIN

    Histoires

    de MasquesPrface de GUSTAVE COQUIOT

    Septime dition

    PARISSocit d'Editions Littraires et Artistiques

    LIBRAIRIE PAUL OLLENDORFF5o, CHAUSSE d'antin, 5o

    Tous droits rserv

    BLIOTHECA

  • IL A ETE TIRE A PART

    CINQ EXEMPLAIRES SUR PA1MI:R DE HOLLANDE

    NUMROTS A LA PRESSE

    Cr

  • PREFACE

    Le masque ? Un cartonnage drle ou gaide la figure, de la toile mtallique dispose

    en trompe-l'il ou de la soie peinte et ma-

    quille en visage, oui, c'est tout cela, mais

    c'est surtout et presque toujours de Thor-reup et de l'quivoque, de l'effroi et de la

    perversit. Ah ! certes, ils sont nombreuxceux qui ne s'gayent plus des chienlits des-

    cendus dans la rue, le jour du Mardi Gras;

    l'aspect de ces jupes larges ou serres, deces bonnets coniques ou plats, des nez gros

    ou petits et des yeux guetteurs derrire le

    masque proprement dit, qui fleure la gommerance et le vernis, oui, toutes ces dfroques de

    visages et d'habits cartent plutt et glacent.

  • 1! PRFACE

    Mme, qu'ils vaguent, ces masques, parles rues, au plein soleil, la rpulsion n'est

    pas moindre. On les voit, en eflet, sousleurs loques, grles et hideux ou puissants

    et rouges ; ils ont des jambes torses, des tho-rax djets, de pires misres peut-tre ; ils

    vont par deux, par quatre, marchant vite,

    harponns par l'ennui qui les tenaille et les

    mord ; ils guettent du plus loin qu'ils peuventles dguiss comme eux, ils s'interpellent,

    et ils vont toujours de leur pas alerte, pour-chass, battant les rues, les yeux aux vitres

    des cafs, les masques extnus et mlan-

    coliques.

    Les tristes masques ! Qui dira l'amer plai-sir qu'ils ont galoper ainsi tout le jour,

    sous la dfroque d'un Pierrot ou d'une Rosa-

    linde? Les lazzis les fouailient, ils n'ont pas

    le cur rpondre ; le bruit de la rue les

    tourdit ; il leur semble qu'ils sont des lou-

    foques, des ballotts et des gars de la vie.

    Ils n'ont mme plus l'ide, aprs tout cela,

  • PRFACE m

    do se gter, de gagner un coin. Ils vont,

    ils galopent et ils attendent la nuit.

    A ce moment, on les voit aller brusquement

    aux lumires et se prcipiter en tas aux

    sous-sols o l'on danse. A peine entrs,furieux de vie et l'me toute rchauffe, ils

    clodochent et virent alors sans s'arrter. Ils

    pilent de leurs pieds las le dgot de l'inter-

    minable journe, de la morne promenade parles rues ; et bientt les voici qui deviennent

    luxurieux et obscnes, ces grands singes ex-

    cits, aux mains enveloppantes et fureteuses.

    Qui donc voudrait en vrit de cette con-

    dition des masques? et pourtant le Mardi

    Gras en enfante toujours ; ils viennent on nesait d'oia, au reste, de la loge ou des combles,

    des choppes ou des beuglants C'est l'arme

    des mabouls qui montre ce jour-l toutela milice et toutes ses rserves; mais c'est

    aussi, travers les rues, le laisser-dourre des

    sadiques, des atyrisiques et des riympho-

    mens*

  • IV PRFACE

    Ils errent, ceux-l, ayant abrit leur mede boue sous la dfroque quelconque d'un

    costume pas cher, et leurs yeux bougeurs

    cavalcadent sous le masque, dbusquent

    frntiquement la proie qu'ils pincent et

    serrent en claquant des dents ; et, le soir, ce

    sont ces mmes masques que vous rencon-trez tapis sous les rampes d'escaliers ou

    dans les angles des loges, attendant patiem-

    ment, guettant l'heure du matin o tous les

    vices sont librs, oii l'orchestre, dans un

    furieux branle, donne enfin le signal de

    toutes les hontes.

    Fins de bals et fins de masques ! C'est

    alors le retour, par le- blme des aubes, des

    inquitants chienlits, des arsouilles cos-

    tums en revenants, des Pierrettes et desGlodoches, des Gendarmes et des Nour-rices; et, sous le sel de l'air matinal qui

    pique et pince, ils vont, les masques,

    honteux et presss; ils se htent, longent

    d'un bon pas les boulevards ou tournent au

  • PREFACE

    coin des mes et, prestes, ils disparaissent.

    O vont les masques? Vers quel grabatou vers quel labeur ? Celui-ci va-t-il grim-

    per sur le sige d'une voiture de mara-

    cher ou de laitier, celle-l ira-t-elle la

    prostitution, la face encore caille et strie

    par le fard de sa nuit? On ne sait, ils sontmalandrins ou commis, bonnes sorties au

    del de la permission de onze heures ou

    filles secourables aux dsirs. Celui-ci, ce chi-

    card aux grands gestes de moulin vent, se

    dispose, peut-tre, saigner, comme il en

    a l'habitude, un pante attard; celle-l,

    passez vite pour ne point la voir, en tyro-

    henne, exaucer, au coin d'une borne, le

    mauvais dsir !

    Les masques, oui, ils sont les passants de

    la nuit, les geindres et les grinches du noir;ils pouvantent quand ils dbusquent brus-quement sur vous, sous le clignotement dugaz, et vous fuyez leurs bonnets pointus,

    leurs chignons hauts, leurs yeux surtout,

  • VI pri':facr

    ces yeux qui vous dvisagent et qui flam-

    bent derrire la trame du carton ! Histoires

    de masques^ histoires donc logiquement d'effroi, de perversit et de macabre.

    Et, la vrit, en effet, ne vous attendez

    pas lirij une transposition des fantaisies

    spirituelles et drolatiques d'un Gallot ; car

    vous ne rencontrerez ici ni FrancaTrippa, ni

    l^'ritellino, ni ce Pulcinello qui fait rv-

    rence, en se cabrant, la signora Lucretia.

    Pas davantage, vous ne pourrez songer aux

    mascarades fleuries des Pater et des Lancret,

    pas plus qu' cet lgant et corrompu

    Gavarni, dessinateur pour costumes de

    thtres, qui excutait, sans se lasser, des

    chevilles si minces et des mains si longues,

    si louablement diaphanes ! Mais l'ide de

    Goya vous peignera, je pense, et telles de

    ces histoires vous paratront le texte idoine

    a ces planches illustres, o le terrible Ara-

    gonais mit en scne les majas, les dugnesvt les vieux beaux d'Espagne, en un mot

  • PREFACE TU

    toute la formidable mnagerie des grands

    vices, qu'il griffa jamais de sa rageuse etredoutable pointe.

    Mais encore, unjour, rappelez-vous, rcri-vain de ces histoires dclara qu'il admirait

    James Ensor, le jeune matre d'Ostende,qui a excut lui aussi, l-bas, une srie

    merveilleuse de masques aux mufles d'hip-

    pocampes ou aux faces de batraciens. Et,

    en effet, en lisant Histoires de masques^

    vous retrouverez le frntique amant de

    toute bizarrerie, le glorieux Ensor, embus-qu derrire toutes les pages. Il vous sem-blera mme que l'crivain a eu cur demnager l'artiste des illustrations parfaites,des ressources dans l'pouvante et dans

    l'horrible. En tout cas, ces Histoires de

    masques^ ce sera, pour Ensor, nous en

    sommes assurs, un texte d'inspiration

    fconde. Il frmira comme nous la lec-

    ture d VHomme au bracelet et celle dela temme aux masques^ et cette active et

  • VIII PREFACE

    splendide goule nomme la Pompe funbre^quel merveilleux Rops pour lui reprendre,

    triturer, pousser en pouvante et en

    cruaut. Sur les pages du livre, soyons cer-

    tains qu'il crira des marginalia funbres,

    et, comme il dit quelque part, ce sera alors

    cet tonnant exemplaire : peste dessus^

    peste dessous^ peste partout.

    Ensor, Lorrain, ces deux amoureux des

    masques ! Vous allez lire les contes du se-

    cond ; vous souvenez-vous des planches en

    couleurs qu'exposa le premier, il y a des

    mois, la galerie de la Plume ?Ahl l'amer contempteur de l'effigie hu-

    maine ! ce qu'il la ravale, celui-l, l'orgueil-

    leuse face 1 C'est partout de l'horreur, de

    l'atmosphre de peste, des somptuosits de

    descentes de Gourtille, de magnifiques et

    loquentes processions de chienlits.

    Son Entre du Christ Bruxelles^ eni889, le mardi gras^ et son Hop-Frog^ sur-tout.

  • PREFACE IX

    UEntre du Christ ! Ah ! que ceux quin'ont pas vu cette merveilleuse eau-forte,

    rehausse d'aquarelle, imaginent une grande

    descente de masques du fond d'un faubourg,

    qu'claire un ciel jaune ; qu'ils imaginent laplus folle et la plus hilarante varit qui soit

    de hideuses ttes, juches sur des dfroqueslamentables d'arsouilles ; qu'ils imaginent

    une dbandade de bonnes, de juges, decochers, de portefaix et le Christ sur un

    ne, derrire les rigides rangs de miliciens

    grotesques et empanachs de bonnets poils

    ;qu'ils se disent que tous ces masques

    n'ont eu garde d'oublier leurs bannires aux

    inscriptions comiques; qu'ils conoivent,

    s'ils le peuvent, ce qu'une relle verve peut

    donner en tonnement et en admiration ;qu'ils croient une gravure chafaude de

    faon un peu nave et lave de tons trans-

    parents trs clairs, comme il s'en ft quel-

    ques-unes autrefois dans la maison Pellerin,

    Epinal ; et ils auront, en marche, une

  • X PRFACE

    foule qu'allogrent de fracassantes musiques,

    une foule qui se gonfle et qui rougeoie, qui

    beugle et qui exulte, dans la joie du pos-

    tulat enfin ralis des dimanches de liesse

    et des jours fous IMais la planche intitule Hop-Frog n'est

    pas moins admirable. La foule est, cette

    fois, au repos. C'est une superbe sympho-

    nie en jaune, en rouge et en bleu, qui sedploie sous une nef qui monte jusqu'auxastres. Il est vain par exemple de rver plus

    splendide et plus folle reprsentation du

    drame de Po. La foule bariole regarde,les yeux bats, brleries orangs. L'un d'eux

    est dj tomb terre, et ses pieds se recro-juevillent et amusent le rang de face des

    spectateurs costums en Turcs, en magis-

    trats, en princes de l'Orient; tandis que le

    leste et subtil Hop-Frog, grimp sur le lustrehumain qui arde, songe Tripetta vengeet s'jouit. Du parquet au fate charg defoule de la haute nef, les masques consi-

  • PREFACE XI

    drent frntiquement le spectacle. Il est,

    en vrit, jovial et funbre, tragique et co-

    mique, d'une varit amusante de pifs et de

    trognes, de gras et de maigres, de gants

    et de courtes bottes ! Mais ce qu'il faut voir

    et retenir, c'est l'intense vie dispense

    tous ces personnages, c'est la bouffonnerie

    aigu qui tord toutes les bouches panouies

    en croissants de lune ! Et combien Ensor

    est l'aise dans le gro^ipement, dans les

    hirarchies ! Il connat, ce clairvoyant, toutes

    les ressources des masques, ce qu'ils

    ajoutent de hideux ou de grotesque la facehumaine, et il figure, sans chopper, les ma-

    jests de lions tombs dans la dbine et lesimple groin.

    Et c'tait comme cela, en cette galerie

    intime de l'autre ct de l'eau, toute une

    srie prestigieuse de planches, telles que les

    Masques scandaliss^ \q^ Masques intrigus, le

    Christ aux Enfers^ les bons Juges ^ la Multi-

    plication des poissons et encore une terrible

  • XII PRFACE

    Luxure^ qui fit, rcemment, hennir M. dePhocas.

    Ah ! vous pouvez bien, mon cher Lor-rain, rechercher cetEnsor commeVillustra-

    teur-n de vos plus hallucinantes mdita-

    tions ; car, dans l'uvre du matre d'Ostende

    ils et elles abondent, les M. de Gondre-

    court et les M Gorgibus, dont vous nous

    faites connatre les funbres aspects. Puis

    il y a dans votre livre tant de cai ctres

    encore de petites villes mortes, des dolents

    et blmes paysages, un vieux Pronne entre

    autres, d'une vie si close, si claquemure

    entre ses remparts^ que je songe descampagnes pareilles prs de Mariakerke,

    et que James Ensor reprsenta maintes fois.

    Il me semble donc bien que lui, le peintre,

    et vous, l'homme de lettres, vous avez

    exploit vous deux et sans vous connatre,

    si je ne m'abuse, un domaine singulier

    et magnifique, sur lequel vous avez mis

    paralllement votre empan.

  • PRFACE XHJ

    Mais en particulier pour vous, mon ami,

    je ne sache pas qu'il y ait dans les Lettres

    contemporaines une Imagination capable de

    crer de plus quivoques personnages et

    de les faire vivre dans des dcors, int-

    rieurs ou paysages, plus appropris; et,

    quand vous les prsentez, qui ne gote enfin

    votre style descriptif, color, vivant, alerte

    et rythm, spirituel, fantaisiste, ce style de

    charme et de ressources qui a d'imprvus

    retours d'images et comme de perptuels

    enchantements par tant d'pithtes heu-

    reuses 1

    Gustave Goquiot.

  • HISTOIRES DE MASQUES

  • L'UN D'EUX

    Le mystre attirant et rpulsif au nia. que,

    qui pourra jamais en donner la technique,en expliquer les motifs et dmontrer logique-ment l'imprieux besoin auquel cdent, des

    jours dtermins, certains tres, de se grimer,de se dguiser, de changer leur identit, de

    cesser d'tre ce qu'ils sont ; en un mot, de

    s'vader d'eux-mmes ?Quels instincts, quels apptits, quelles esp-

    rances, quelles convoitises, quelles maladies

    d'me sous le cartonnage grossirement colo-

    ri des faux mentons et des faux nez, sous le

    crin des fausses barbes, le satin miroitant des

    loups ou le drap blanc des cagoules ? Aquelle ivresse de haschisch ou de morphine,

    quel oubli d'eux-mmes, quelle quivoque

  • 4 HISTOIUES DE MASUL'KS

    et mauvaise aventure se prcipitent, les joursde bals masqus, ces lamentables et grotesques

    dfils de dominos et de pnitents ?

    Ils sont bruyants, dbordants de mouve-

    ments et de gestes, ces masques, et pourtant

    leur gaiet est triste ; ce sont moins des vi-

    vants que des spectres. Comme les fantmes,ils marchent pour la plupart envelopps dans

    des toffes longs plis, et, comme les fan-

    tmes, on ne voit pas leur visage. Pourquoi

    pas des stryges sous ces larges camails, enca-

    drant des faces figes de velours et de soie ?

    Pourquoi pas du vide et du nant sous ces

    vastes blouses de pierrot drapes la faon

    de suaires sur des angles aigus de tibias et

    dhumrus? Cette humanit, qui se cache pourse mler la foule, n'est-elle pas dj hors lanature et hors la loi ? Elle est videmmentmalfaisante puisqu'elle veut garder l'inco-

    gnito, mal intentionne et coupable puis-

    qu'elle cherche tromper l'hypothse et

    l'iostinct ; sardonique et macabre, elle emplit

    de bousculades, de lazzis et de hues la stu-

    peur hsitante des rues, fait frissonner dli-

  • L UN D EUX i

    cieusement les femmes, tomber en convul-

    sions les enfants, et songer vilainement le^

    hommes, tout coup inquiets devant le sexeambigu des dguisements.Le masque, c'est la face trouble et trou-

    blante de l'inconnu, c'est le sourire du men-

    songe, c'est l'me mme de la perversit quisait corrompre en terrifiant; c'est la luxure

    pimente de la peur, l'angoissant et dli-cieux ala de ce dfi jet la curiosit des

    sens : Est-elle laide ? est-il beau ? est-il

    jeune ? est-elle vieille ? C'est la galanterieassaisonne de macabre et releve, qui sait ?

    d'une pointe d'ignoble et d'un got de sang;

    car o finira l'aventure ? dans un garni oudans l'htel d'une grande demi-mondaine,

    la Prfecture peut-tre, car les voleurs se

    cachent aussi pour commettre leurs coups, et,

    avec leurs sollicitants et terribles faux

    visages , les masques sont aussi bien de

    coupe-gorge que de cimetire : il y a en eux

    iu tire-laine, de la fille de joie et du reve-nalit.

    Voil, pour ma ort, l'impression un peu

  • 6 HISTOIRES DE MASQUES

    opprimante et dprimante aussi que me

    laissent les masques; or, cela est tout person-

    nel, mais l'me d'un de ces masques, le pass

    ou mme la minute prsente d'un de cestres mystrieux de soie et de carton, d'un

    de ces masques isols, surtout de ceux que

    l'on voit, les nuits de bals masqus, errer

    grelottants et piteux, d'un trottoir l'autre,

    sous les quolibels des passants, voil ce qu'il

    serait curieux de connatre ; la raison du

    costume et de l'incognito d'un de ces dsem-pars, inquitantes paves de la joie populaire

    choues, par les nuits de gele, travers

    les grandes villes, fantoches nocturnes ns

    peut-tre la lueur blme des becs Auer et

    des lampes lectriques, au jour naissantvanouis.

    Il y a une dizaine d'annes, il me fut donnde rencontrer un de ces masques, un de ces

    mystrieux anonymes des nuits de bals, et

    dans des circonstances qui, resonges depuis,

    ont donn l'tre coudoy, cette nuit-l, lagrandeur tragique d'une figure. Ce dguis,

    pour moi, est demeur le masque, le masque-

  • L UN D EUX

    type, symbole vivant d'un mystre innom et(l'une nigme pressentie.

    Je m'tais terr cet hiver-l aux environs

    de Paris; j'avais un long et minutieux tra-

    vail terminer; et des raisons de sant, d'co-

    nomie aussi, m'avaient dcid m'loigner

    momentanment. Mes affaires m'appelant sou-vent rues de Richelieu et Saint-Lazare, j'avais

    choisi un coin parmi la grande banlieue, celle

    que dessert la ligne de l'Ouest, et j'hivernais

    alors assez tristement dans un petit village,

    entre Triel et Poissy.

    Le samedi gras tombait, cette anne-l, le

    vingt-cinq fvrier; la concidencie d'une af-

    faire conclure avec un journal et d'une in-vitation dner m'avait amen Paris. Il yavait bal l'Opra, et, sous la neige flocon-

    nante, je m'tais attard regarder les masques

    et les dominos s'chelonner sur les marches

    du monument Garnier : des fiacres, des coups

    de matre en versaient chaque minute tant

    sous le pristyle du thtre que devant les

    brasseries et les cafs ; puis c'taient des tr-

    les de pierrots et de moines s'engageant sur

  • 8 HISTOIRES DR MASQURS

    la place garde par des municipaux cheval

    et, en dpit des sergents de ville, gambadant et

    formant des rondes dans le grand espace vide

    rserv la circulation des voitures ; comme

    un vent de folie soufflait cette nuit-l sur la

    ville, tant et si bien qu'amus, intress moi-

    mme, j'oubliais l'heure du dernier train pos-sible, et qu' minuit et demi j'tais encore

    assis dehors, une table de caf. Plus de

    train maintenant avant deux heures du matin;

    je prenais mon parti assez gaiement, car il yavait encore foule de curieux sur le Boulevard

    et des cris et des lazzis dans les brasseries bon-

    des de costumes ; mais, vers une heure, les

    rues et les tablissements de nuit se vid-

    rent, les dguiss rentraient au bal et les

    flneurs au logis ; la vie et le mouvement ne

    reprendraient plus maintenant qu' l'heure

    des soupers; pas mal d'tablissements fer-

    maient et, sous la neige toujours plus dense,je me levai assez tristement et me dirigeai vers

    la gare.

    Il y avait aussi bal l'Eden cette nuit-l,

    et de la faade illumine de la rue Boudreau un

  • L UN D EUX i

    hruit de bacchanale monstrueuse montait, ron-

    flait, assourdissait; au loin, en cho^ c'taient

    les valses distinctes venant de l'Opra. Dans la

    rue Auber, dj noire, un masque marchaitdevant moi ; envelopp d'un grand burnousd'Arabe, la tte encapuchonne de sombre, ilallait videmment l'Eden.

    Il ne s'tait pas mis en frais, ce masque, car

    ce burnous, ce capuchon, l'incohrence mmede ce costume de bric et de broc rvlaient

    assez le dguisement improvis, machin audernier moment au hasard des tiroirs. Je lesuivais quand mme, instinctivement, desyeux; mais, une fois dans la projection lumi-neuse de l'Eden, le masque s'arrtait et, au lieu

    d'entrer, hsitait, pitinait dans la neige fon-

    due, arpentait le trottoir, et finalement rega-

    gnait la rue Auber dans la direction de l'Opra.Mais je l'avais vu ; ce que j'avais pris pour

    un capuchon noir tait un camail de velours

    vert, un camail de moine, et dans l'ovale du

    capuchon une toffe mtallique et brillante

    perce la place des yeux, une cagoule de

    drap d'argent luisait d'une faon bizarre.I

  • ^^ HISTOIRES DE MASQUES

    Encore un qui parat manquer de dci-sion , pensai-jc en moi-mme.Et je poursuivis mon chemin.Arriv cour de Rome, le temps de prendre

    un dernier grog dans une des brasseries voi-sines, je montais l'escalier et pntrais dansla salle d'altenle. Je tressautai de surprise : cegrand manteau d'une blancheur soyeuse, cetteface de craie clans ce capuchon verdtre!...mon masque tait l; l, dans cette grandesalle banale et solitaire oii il n'y avait quelui et moi. Le gaz (lambait haut entre les murslambrisss de chne, et, affal dans un desfauteuils de velours vert, l'trange voyageurse tenait, le menton appuy dans une main,dans l'vidente attente du train que j'allaisprendre.

    Je le croyais au bal, et l'inexpliqu de saprsence me donnait un peu froid

    ; m'avait-il suivi? Non, puisque je le trouvais l; il nebougeait pas, et en suivant la direction de sesyeux je vis qu'il tait absorb dans la contem-plation de ses jambes. Elles taient moulesdans un maillot de soie noire qui l'enserrait

  • L UN D EUX 1

    tout entier, car son burnous s'tait un peu

    ouvert ; mais, chose bizarre, tandis que sa

    jambe droite tait haut gante d'un bas defemme, un bas de soie vert glauque, serr

    au-dessus du genou d'une jarretire de moire,

    l'autre pied avait une chaussette d'homme,

    une chaussette de soire semis de fleurettes,

    si bien qu'il tait double, ce masque, et joi-

    gnait au charme terrifiant de sa face de

    goule le trouble quivoque d'un sexe incer-tain.

    Son costume, que j'examinais, rvlaitmaintenant des prciosits voulues : une

    norme grenouille de soie verte s'talaitbrode la place du cur et, autour de son

    capuchon de velours glauque, une couronne,

    que je n'avais pas d'abord remarque, se tres-

    sait, compose de grenouilles et de lzards.

    Le burnous arabe l'enveloppait comme d'un

    suaire, et sa cagoule de drap d'argent voquait

    des ides de lpre et de peste, de maladies

    maudites comme en connut le moyen ge.Un damn devait grimacer sous ce masque

    ;

    il tait la fois oriental, monastique et dmo-

  • ** HISTOIRES DE MASQUES

    niaque;

    il sentait le lazaret, le marcage etle cimetire; il tait aphrodisiaque aussi danssa souple et ferme nudit souligne par lemaillot noir. Homme ou femme, moine ousorcire? Et, quand il se leva au : Messieursles voyageurs, en voiture! de l'employ dela Compagnie, je crus voir se dresser devantmoi le spectre de l'ternelle Luxure, laLuxure d'Orient et la Luxure des clotres, laLuxure au visage dvor par des chancres,la Luxure au cur flasque et froid comme ubcorps de reptile, la Luxure androgyne nimle ni femelle, la Luxure impuissante, car,suprme dtail, le masque tenait la mainune large fleur de nnuphar.

    L'tre au burnous montait dans un wagonde premire; j'attendis qu'il y fut install pourmoiter mon tour dans mon compartiment.Je serais plutt demeur coucher Paris quede voyager en tte tte avec cette faced'ombre; mais une curiosit m'obsdait, uneangoisse aussi, et je ne respirai un peii quelorsque le train se mit en marche.Le premier quart d'heure fut lugubre. Si 1

  • l'un d'eux 13

    masque allait pntrer dans mon comparti-

    ment, de quel ct allait-il apparatre? Je

    surveillais les deux portires, prt tout v-

    nement; mais mon voisin ne bougeait pas, il

    ne faisait mme aucun bruit; la tentation taittrop forte : je me levai et m'approchai de la

    petite vitre de communication.

    Sous la clart diffuse de la lampe, le masque

    tait l accoud, presque couch dans lesgrands plis de son burnous, ses deux jambestonnamment fines allonges sur la banquette

    ;

    il tenait la main un petit miroir de poche et

    s'y regardait longuement ; il se regardait et la

    cagoule argente luicouvraittoujoursle visage.Etrange voyageur ! Je ne pouvais quitter

    mon poste d'observation. Le train, un inter-

    minable omnibus de nuit, roulait avec lenteur

    travers la banlieue neigeuse. Le masque des-

    cendit la quatrime station, il tait prs de

    trois heures du matin ; ni diligence, ni voiture

    l'arrive en gare, personne. Il remettait son

    ticket l'employ, franchissait la barrire et

    s'engouffrait en rase campagne, dans le noir,

    dans le froid, dans de l'inconnu.

  • CHEZ L'UNE D'ELLES

    Nous avions djeun chez Alice; on s'taitmis table une heure, car le moyen d'ar-

    river exactement, par ce froid terrible? et l'at-

    mosphre dj plus obscure marquait quatreheures et demie, que nous iions encore

    traner dans le salon autour des tasses caf et

    des verres liqueur, poss, au hasard, un peu

    sur tous les meubles.

    Alice, alanguie de cette lassitude qui la fait

    toujours comme brise, s'tait jete au traversd'un divan mme un croulement de cous-sins, oi sa longue robe de dentelles blanches

    s'vasait et flottait avec des pleurs de linceul;

    ses deux petits pieds gants de soie rose avaient

    laiss choir leurs mules; Jacques de Tracy,

    assis l'extrmit du divan, les avait pris entre

    ses mains, tandis que Maxime Danfre, install,lui, sur un pouff auprs de la belle fille tendue,

  • 16 HISTOIRES DE MASQUES

    attardait ses doigts dans les mches soyeuses

    et parfumes d'une brune chevelure parse.

    Les longs bandeaux onduls d'Alice que tout

    Paris applaudit chaque soir, toiles et piqus

    de diamants opimes, avaient coul en ruis-

    seaux d'ombre sur ses paules et ses bras nus;

    et Maxime, ce dilettante de sensations, s'y

    caressait lentement les doigts, tout en humant

    l'odeur d'encens de la nuque et des chairs

    nues. Alice, elle, d'une pleur de morte avec

    ses grands yeux de curieuse dvorants et

    dvors d'une flamme sourde, s'abandonnait

    la double caresse et de ses orteils ptris et de

    ses cheveux manis, silencieuse, passive; son

    immobilit la faisait redoutable, trange et

    redoutable la manire d'une idole dans la

    clair-obscur de la pice assombrie; et sans

    l'clat de ses yeux gars, agrandis de mor-

    phine, on et cru quelque lugubre veille,

    quelque moderne Juliette dj tombe auxmains des embaumeurs. Des relents de Chypre,

    de tabac turc et d'ther flottaient aux plis des

    tentures; au piano, Georges Zemiusko, le

    compositeur hongrois, martelait lourdement

  • CHEZ L UNE D ELLES 17

    la marche funbre de Chopin : c'tait dli-cieux, macabre et charmant.

    Alice se soulevait sur un coude : Assez

    de musique comme a, mon petit ! faisait-elle Zemiusko, tu joueras le reste mon enter-rement. Et vous autres, ajoutait-elle en enve-

    loppant d'un regard ddaigneux l'assistance,amusez-moi, trouvez-moi quelque chose qui

    me fasse attendre six heures, six heures,

    l'heure du rendez-vous des affaires srieuses.

    A quoi Jacques de Tracy : Tu vas chez toncouturier? Mon couturier, non; pis que a,

    je vais au bar retrouver mon amant. Etbrusquement redresse, soudain debout avecun ondulemeiit irrit de vipre, la jolie cra-

    ture s'tirait les bras et, aprs quelques glis-

    sades sur le parquet dans un mol envolement

    de toutes ses dentelles blanches, boulait tout

    coup des paules et d'une voix tranarde :

    Je fis connaissance au mois d' dcembre,Prs d' Billancourt,

    D'un marinier rouquin comme TambreUn vrai brin d'amour.

    Mais elle s'tait dj jete au travers du

  • 18 HISTOIRES DE MASQUES

    divan et celte fois, couche plat ventre, elle

    venait d'arracher Maxime sa cigarette, en

    tirait trois bouffes et, la lui rendant avec un

    geste gamin : J'aime assez le got de tes

    lvres, quand tu voudras, oui, tu m'auras.

    Raconte-moi une histoire, mais bien ignoble,

    qui donne la chair de poule et en mmetemps mal au cur, une histoire comme en

    invente Marcel Schwob, ou bien une qui te

    soit arrive. A quoi Maxime : Trop flatt !En vrit, merci. Mais puisque la dame le veut,

    on va essayer de plaire la dame. Et comme

    Zemiusko rest au piano le taquinait douce-

    ment en cherchant un accord : Oh ! un peude silence, vous autres ! Je commence. Tu

    ne veux pas d'accompagnement en sourdine

    aujourd'hui? Non, ce sera pour demain soirchez la duchesse. Les femmes du monde n'ava-

    lent la littrature qu'en musique. A quoiAlice, tout coup redresse et assise : Les

    femmes du monde, espce d'insolent ! Mais

    j'ai eu plus de ducs dans mon lit qu'une ban-

    quire juive en mal de rceptions. Je veux de

    la musique votre histoire, mon petit Maxime.

  • CHEZ l'UNR D elles *9

    Soit, mais en sourdine; tu entends, Ze-

    miusko'!* Oui, en sourdine; et qu'est-ce qu'il

    faut jouer Monsieur ? Et Danfre, aprs unehsitation : Mais VInvitation la valse irait

    assez pour ce que je vais dire la dame.

    Va pour VInvitation! Du chevalier Karl-

    Maria de Weber? Du chevalier Karl-Mariade Weber. Oui, bravo pour VInvitation!

    Mais attendez que je commande des sodas. Alice venait de se lever et de frapper sur un

    gong : Au whisky, n'est-ce pas? Et pourvous? (Elle s'adressait de Tracy.) Votre co-

    chonnerie ordinaire, du lait, de la glace pile

    et du jus de cilron? et une paille, n'oublionspas une paille ! Quel camembert dans l'estomac, mes enfants ! Et quand elle eut donnTordre au domestique apparu entre deux por-

    tires, et qu'elle se fut recouche au milieu

    des coussins de velours persan et mousseline

    Liberty, Zemiusko attaqua doucement, oh ! sidoucement! VInvitation de Weber, et MaximeDanfre commena : Vous voulez de l'ignoble, en voil,

    C'tait il y a quatre ou cinq ans, mettons

  • 20 HISTOIRES DE MASQUES

    six ans, cette poque de Tanne, en plei^carnaval. Il faut vous dire que j'habitais alors

    l'autre ct de l'eau, car il n'y a pas que les

    filles qui passent les ponts; la littrature a ses

    phases comme la galanterie. Du quartier Latin

    elle migr Montmartre et avec le succs des-

    cend au Boulevard, moins qu'elle ne s'ins-

    talle dans la plaine Monceau ou les avenues du

    Trocadro-Passy, ce qui est alors l'apothose,

    la conscration de la fortune faite, le petit htel

    avec curie et remise des Alice, des Liane et G'.

    J'habitais donc de l'autre ct de l'eau et

    j'avais t ce soir-l au bal de l'Opra. Fichue

    ide, car ils taient, cette anne, mortellement

    tristes. Sont-ils plus gais maintenant? J'en

    doute, et je n'irai pas y voir. Vers les trois

    heures du matin, aprs avoir offert bon nombrede sherry-cocktails des premires de chez

    Worth et de chez Virot, dguises pour la cir-constance en femmes du monde, je me trou-

    vais assez penaud sous le pristyle de l'Opra,

    devant un Paris transform en Saint-Pters-

    bourg. Tout tait blanc, les toits des rues

    Auber et Halvy, ceux de l'avenue de l'Opra,

  • CHEZ l'une D'elles 21

    les trottoirs aussi, et la place, o des nacresdevenus rares faisaient une tache d'encre,

    s'talait avec des pleurs de steppes entre les

    vitres enflammes du caf de la Paix et ladevanture hermtiquement close de Ferrari.

    D'ailleurs la temprature tait presque

    douce, la neige en tombant avait comme ouat

    l'atmosphre; molle et craquante sous les pas,

    elle invitait la marche avec ses hauts tapis

    de cygne drouls le long des rues et des bou-

    levards, et je me dcidai rentrer pied tra-

    vers la ferie de givre et d'eau gele de la ville

    endormie.

    A moi mon stnographe! s'esclaffait deTracy, la voil bien, la bonne copie! Si l'on m'interrompt, je coupe la com-

    munication : Je n'aime pas qu'on pitine dans

    ma neige.

    C'est bon, c'est bon, nous sommes tous

    l'appareil.

    Et Danfre reprenait :

    J'enfile l'avenue de l'Opra, la place duCarrousel, et sur le pont des Saints-Pres,

    tout en velours blanc au-dessus de la Seine;

  • 22 HlSTOIlUvS DE MASQUES

    Bgo, la fois boueuse et brillante comme da

    la cassonade, j'avise une trange silhouetta

    accoude au parapet. Envelopp d'une pelissa

    de petit-gris, un chle de laine blanche rabattu

    sur les yeux, c'tait, les jambes nues grelot-tant dans un maillot chair et les pieds chausss

    de cothurnes, un masque, un petit masque de

    samedi gras, attard comme moi, par cette

    nuit de fvrier, et qui regardait mlancolique-

    ment la Seine charrier ses glaons. La Seine...

    J'eus l'immdiate pense d'un suicide; toute la

    misre, toute la dche pre et noire de certaines

    lgendes de Forain me revinrent en tte, et

    j'eus la vision soudaine et nette d'un intrieur

    sans feu, sans literie mme, tout ayant tengag au Mont-de-Pit en vue du costume, et

    qui sait ? peut-tre un berceau avec un pauvre

    gosse demi mort de froid, attendant ce retour

    de bal.

    Je m'approchai du travesti, il ne sursauta

    pas; ni recul ni frayeur : Mon enfant, il ne faut pas rester l. Je vais vous reconduire,

    si vous tes souffrante. Le masque prit sim-

    plement mon bras et se mit sautiller genti-

  • CHEZ LUNE D ELLES 23

    ment dans la neige, essayant de rgler son pas

    sur le mien,

    trange rencontre et plus trange crature !Un loup de satin noir drobait son visage, et

    les boucles de sa perruque blonde me venaient

    peine l'paule, mais ses jambes taientfines et muscles, d'un dessin trs pur; ses

    hanches me frlaient en marchant, prcisant

    peu peu leur caresse ; son bras maintenant

    appuyait sur le mien et, sous le satin du loup, les

    yeux sollicitaient avec une insistance bizarre.

    C'tait une fille. Au bout de dix minutes, je

    n'avais plus un doute et, chatouill par un

    demi-dsir, tent par l'occasion, je l'avais prise

    mon tour par la taille, et nous marchions

    serrs l'un contre l'autre, moi bien dcid

    pourtant ne pas emmener cette crature de

    rencontre chez moi. Oii aller? Cette fille devait

    connatre des endroits; j'abordai franchement

    la question : Oh ! je connais justement unpetit htel tout prs d'ici, et bien commode, va ! tout prs d'ici

    ,

    presque sur le quai, rue Gt-

    le-Cur. Rue Gt-le-Cur, je ne voyais pas

    bien a. Cette ruelle noire et puante prs de la

  • 24 HISTOIRES DE MASQUES

    rue Sguier. ..un hlel par l. . . Et puis la voix

    enroue de ma conqute venait de me jeterun froid. Mais bah ! me disais-je, les Espa-

    gnles ont encore la voix plus rauque, et la

    crature parat avoir un joli corps. Va pour la rue Gt-le-Cur !

    Mais arrivs devant le garni, une ignoble

    porte claire-voie une fois ouverte au coup

    de sonnette de ma compagne, c'tait une alle

    si puante et si noire, une si quivoque lan-terne allume au pied de l'escalier, que je me

    cabrai au seuil du coupe-gorge : Non, faisais-

    je la crature, je n'entrerai jamais l. Alors elle, caressante, d'une voix innarrable :

    Entre donc, va ! il n'y a pas de danger, c'est

    moi le garon de l'htel!...

    On demande Madame au tlphone, ve-nait annoncer la femme de chambre. Oui, c'est assez ignoble, faisait Alice en

    se levant.

    On n'en dit pas plus long chez elle, ce jour-l.

  • RCIT DE L'TUDIANT

    Dans l'htel garni que j'habitais alors rue

    du Faubourg-Saint-IIonor, j'avais fini par

    remarquer une cliente aux allures assez

    louches. Je n'tais alors qu'un pauvre tu-

    diant en droit, peu proccup de l'extriorit

    des choses et il fallait, pour que cette femme

    et attir mon attention, qu'elle trancht en

    effet violemment sur la grise uniformit des

    autres pensionnaires de l'htel.

    C'tait une locataire... comment dirai-je ?...

    intermittente... et, bien qu'elle et sa chambre

    au mois, elle n'y couchait que rarement;

    mais en revanche il ne se passait de semaine

    qu'elle ne vnt s'y enfermer des couples

    d'heures, dans la journe et jamais seule. Elleamenait tantt un homme, tantt une femme,

  • 26 IIISTOiaiiS DE MASQUES

    plusieurs femmes parfois, des amies. L'hiver,

    on faisait des grands feux et l'on montait du

    punch ; l't, des limonades et des sodas.

    A riilel, on avait pour elle les plus grandsgards; le tenancier et sa femme en avaientplein la bouche, quand ils parlaient de M* de

    Prack : elle devait solder gnreusement les

    notes.

    Ce n'tait pas une fille comme je l'avais cru

    d'abord. A la voir rentrer toujours accompa-gne, dans les premiers temps, je l'avais prise

    pour une vulgaire racoleuse et de la pire

    espce, puisqu'elle s'adressait toutes et tous.

    Il n'en tait rien et, toute rflexion faite, ce

    devait tre une affilie quelque socit

    secrte, quelque crature traque par la police,

    se cachant dans Paris travers des domiciles

    et sous des noms divers : femme d'anarchiste,

    me d'un complot, ou peut-tre tout simple-ment quelque voleuse faisant partie d'une

    bande, une de ces aventurires qui oprent

    dans les grands magasins, renseignent la basse

    tourbe des pgres sur les bons coups faire,

    et pratiquent la fois la qute domicile, le

  • RCIT DE l'tudiant 87

    volet le recel. Et puis d'autres considrations

    me requraient : cette femme n'tait peut-treaprs tout qu'une vicieuse, quelque anonyme

    de la dbauche venant se dlasser, dans declandestines orgies, des ennuis journaliers d'unmari, d'un mnage et d'un intrieur bourgeois.

    Bourgeoisie en tout cas cossue, car M"'' de

    Prack faisait relativement de grosses dpenses

    dans ce petit htel d'employs et d'tudiants

    pauvres : elle y arrivait toujours en fiacre, enrepartait de mme, et les hommes qu'elleamenait taient en gnral mal vtus, sem-

    blaient appartenir la classe infrieure : petits

    chapeaux melon, longs pardessus fatigus,

    foulards dfrachis, mais taient pour la plu-

    part singulirement lestes et dsinvoltes, tour-

    nures de gymnasiarques et d'acrobates, si bien

    que je m'tais arrt, en fin de compte,

    l'hypothse d'une agence thtrale , d'une

    entreprise d'engagements pour des music-halls

    et des cirques de province, dont M" de Prack

    tait le reprsentant.

    Les femmes qu'elle amenait taient pluslgantes et, avec leurs cheveux rougis au

  • 28 HISTOIRES DE MASQUES

    henn, leurs yeux faits et leur bouche touche

    de fard, avaient entre elles un mme air defamille, acteuses de petits thtres ou filles de

    restaurants de nuit; leur verbe haut, leurs

    toilettes voyantes, leur gesticulation hyst-

    rique tranchaient sur le ton et les allures

    excessivement sobres de leur amie.iy[me (jg Prack avait une tenue parfaite. Tou-

    jours vtue de noir, engonce l'hiver dans demolles fourrures, gaine Tt dans des tulles

    et des mousselines de soie qui l'amincissaient

    encore, elle dissimulait sous d'paisses voilettes

    un visage singulirement ple, aux yeux comme

    gouaches de kohl entre leurs paupires meur-

    tries, et qui n'aurait pas t sans charme sans

    l'importance qu'y prenait le nez un peu long.

    La bouche trop grande aussi dparait le visage,

    mais elle s'ouvrait trs rouge sur de petites

    dents cartes et brillantes ; un peu ombre,

    la bouche, la commissure des lvres, et ce

    large sourire ponctu d'imperceptibles mous-

    taches ne manquait pas d'un certain piment.

    Avec sa face troite, son menton pointu et son

    profil chevalin, elle ressemblait un peu une

  • RCIT DE L'TUDIANT 29

    ong-uo sauterelle, elle en avait les mouve-

    ments la fois saccads et lents. M"" de

    Prack tait trs brune, et de longs cils friss

    veloutaient d'une langueur obscne l'onde obs-cure de deux yeux dolents.

    ]y|me (jg Prack devait avoir un rude temp-rament (les apparences le plaidaient toutefois),

    car, si elle n'tait ni la voleuse ni l'agent dra-

    matique qu'on pouvait supposer, elle demeu-rait alors un fin limier de luxure ; et, en jugerau gibier qu'elle rabattait, plume et poil, toutlui tait bon.

    Il m'tait arriv plus d'une fois de la cou-

    doyer dans l'escalier de l'htel ; elle montait,

    je descendais ou vice versa, et chaque fois aavait t de ma part des frlements et des

    hardiesses de main tranant sur la rampe ettchant d'y rencontrer la sienne, car cet

    nigmatique sourire ombr et ces yeux pro-metteurs me lancinaient; mais j'en avais t

    chaque fois pour mes frais. Je n'tais pas son

    type, il fallait le croire, et ses yeux d'une

    insistance si trange ne s'taient jamaisappuys sur les miens. Je lui en gardais pen-

    8.

  • 30 HISTOIRES DE MASQUES

    dant quelque temps rancune; cette longue

    femme aux yeux mouills et t une ma-tresse exquise et commode; c'et t l'aven-ture et le mystre porte de la main. Les

    gens de l'htel taient d'un mutisme absolu

    sur leur locataire ; impossible d'en rien

    tirer. Comme je l'ai dj dit, M"" de Prackdevait tre trs gnreuse. Dpit dans ma

    vanit, j'eus la vilenie de mdiler pendant

    quelque temps le bon tour que je pourrais

    jouer ma voisine, et puis je n'y songeai plus.Le hasard, ce grand matre des dnouements,

    devait m'aider dchiffrer une partie de

    l'nigme. C'tait la fin de l'hiver; je me

    trouvais un soir aux Franais, tout modeste-

    ment au parterre, dans les derniers rangs.

    On jouait le rpertoire, et ces chers socitairessomnolaient; ils somnolaient mme si pro-fondment, que je n'coutais plus du tout leur

    dbit monotone, tout entier la conversation

    chuchote derrire moi par deux femmes, deuxfemmes invisibles derrire la grille remonted'une baignoire, et voici les bribes d'entretien

    que je recueillais :

  • RCIT DE L TUDIANT 31

    Non, je n'oserai jamais ! faisait unevoix. Et puis, comment quitter mon htel en

    domino? II y a la livre. Je suis bien sre de

    ma femme de chambre, mais le valet de piedet le concierge sont tout la dvotion du

    marquis. Je suis surveille, espionne, vois-tu.

    Toi, il te supporte tout. Et comme il a tort !

    pouffait l'autre femme. Le fait est que sa

    confiance l'honore. Non, vois-tu Lucie, il n'y

    faut pas penser, et Dieu sait pourtant que

    j'aurais aim aller ce bal ! Oh ! errer, touteune nuit, libre sous le masque, coudoyer,

    frler, avec la certitude de n'tre jamais recon-nue, toutes les luxures, tous les vices qu'on

    souponne et tous ceux qu'on ne souponne

    pas. Oh! a ne manque pas de saveur, etencore tu ne peux pas te douter des aventures

    qu'on peut rencontrer ces nuits-l. Ici une

    confidence s'touffait dans des rires, et la voix

    de celle qui hsitait, reprenait plus distincte :

    Mais toi-mme, comment fais-tu avec tes

    gens? Ton seigneur est jaloux? Mais, cessoirs-l, je dne en ville ou bien je couche

    chez ma mre ; et puis vraiment, tu es trop

  • 52 HISTOIRES DE MASQUES

    innocente, ma petite Suzanne. Moi, vois-tu,

    je me passe toutes mes fantaisies. La vie est

    courte et je veux la vivre. Ce n'est pas bien

    malin pourtant, le truc de l'htel meubl ol'on a une chambre au mois sous un faux nom

    ;

    ainsi moi qui te parle ... L'acte tait fini,les spectateurs se levaient dans un bruit de

    souliers remus et de fauteuils ressort qui serelvent; je n'en entendis pas plus, ce soir-l.

    Dix jours aprs, le matre de l'htel vint mourir. L'influenza l'emportait en moins d'une

    semaine, et, dans le petit salon du meubl

    converti en chapelle ardente, c'tait auprs

    du cadavre la veille morne de la tenancire

    atterre de la perte du mari et de l'associ. On

    avait ferm les volets et, clans la pice obscure,

    la pauvre femme, assiste de deux parentes,,

    essayait de s'isoler au milieu du dsarroi des

    gens de service et d'un dpart de voyageurs,

    professionnellement attentive, en dpit de son

    chagrin, aux incessantes rumeurs de la rue et

    de l'hteL Nous tions entrs, un pensionnaire

    et moi, prsenter noseondolancesla veuve;

    les banalits d'usage avaient t dites et, un

  • RCIT DE L TUDIANT 33

    peu gns, nous nous taisions maintenant, ne

    sachant comment partir. Tout coup, devant

    la porte, c'tait l'arrt d'un tiacre, une monte

    de pas prcipits dans l'escalier, et, dans un

    bouriffement d'astrakan noir, M* de Prack

    s'irruait dans la pice. M" de Prack n'tait

    pas seule ; une autre femme, jeune, lganteet trs voile, l'accompagnait.

    C'tait chez les nouvelles venues un mou-

    vement de recul; elles ignoraient l'vnement

    et s'effaraient devant cet appareil funbre ;mais M de Prack se remettait vite. Aprs

    quelques mots et un serrement de main

    la veuve : Dsole, navre, pauvre chre

    Madame! Mais pourtant un service. Oii avez-vous mis mes dominos, mes perruques, tout

    mon attirail de dguisement? Et, comme

    riitelire interdite avait un geste de stupeur,

    C'est que Madame (et elle dsignait l'incon-nue), c'est que Madame m'accompagne demainau bal, et je lui prte un de mes costumes et

    nous voudrions l'essayer. Je vous drange?

    La veuve, les yeux soudain remplis de larmes,

    montrait d'un air navr une armoire , de

  • 34 HISTOIHRS DR MASQUES

    l'autre ct mme du cadavre; le mort taitplac devant.

    C'est trs ennuyeux en effet, mais que

    voulez-vous? ce n'est pas de ma faute, et

    mon amie est trs presse. La veuve, tout

    coup redresse, tait retombe sur sa chaise ;elle sanglotait maintenant en silence, les

    mains plat sur ses genoux, tout le visage

    suppliant, mais la de Prack demeurait tou-

    jours l, sa longue figure ple imprieuse etmauvaise. L'htelire faisait un effort et, pre-

    nant son trousseau de cls sa ceinture,

    enjambait le cercueil, et, les jambes cartes,achevai au-dessus du mort, ouvrait l'armoire

    et passait sa cliente impassible tout un amon-

    cellement de satins, de velours et de dentelles.

    Une perruque qui pendait en dehors d'un

    paquet faillit s'allumer la flamme d'un cierge ;une angoisse nous trei3^nait. Merci, faisait^me

    ^Q Prack en aplatissant d'un revers de

    main les camails et les robes ; puis se tournant

    vers sa compagne : Allons, Suzanne, tu

    viens?

  • LE MASQUE

    < Dans vos Sensations et Sohienirs^ vou

    avez racont une petite msaventure d'colier,

    pas bien mchante en elle-mme, mais dont

    l'atTreuse impression n'a pas laiss que de

    me troubler. Yous savez ? l'histoire du cra-

    paud, la soudaine apparition dans une source,

    oi vous veniez de boire, d'un flasque et mons-

    trueux batracien ! Circonstance aggravante,

    ^'ignoble bte avait les yeux crevs, et l'eau,

    que vous veniez de puiser, en prit dans votre

    bouche un effroyable got de sang. C'a t,

    dites-vous, une des plus angoissantes im-

    pressions de votre enfance. A vous en croire,c'en est mme rest le plus tenace souvenir;et cette rencontre faite il y a plus de vingt-

    cinq ans, vous ne pouvez encore en voquer

  • 3 HISTOIHKS DE MASQUES

    la minirte sans sentir votre cur chavirer sous

    vos ctes, et remonter vos lvres une indi-

    cible nause de dgot. Eh bien, moi aussij'ai un crapaud dans ma vie, et ce crapaud

    est une histoire de masques; et, puisque vous

    les aimez et semblez en faire collection, la

    voil, mon aventure de bal masqu. Je ne

    prtends pas qu'elle vaille les vtres, mais

    elle m'a laiss, moi aussi, une singulire

    impression de malaise, et rien qu' rassembler

    mes souvenirs pour vous la raconter, je sens

    le froid de la petite mort me courir sous la

    peau.

    Mes compliments ! vous ne manquez

    pas de sensualit, faisais-je mon interlocu-.

    teur.

    Penh ! vous vous moquez. Je ne suis

    certainement pas un grand clerc, mais j'ai

    mon systme nerveux tout comme un autre,

    et sans l'avoir dvelopp par l'ther.

    C'est dprav que vous voulez dire?

    Dprav, si vous y tenez. J'ai la prten-

    tion d'avoir des sensations et des ides bien

    moi et, tout comme un psychologue, ces sen-

  • LE MASQUE 37

    sations et ces ides, il m'intresse parfois de

    les comparer celles d'autrui; cela me r.on-

    firme mme leur existence... Et leur valeur. C'est la mthode dite de

    contrle. Elle a du bon. Vous en tes meilleur juge que moi

    puisque c'est l votre mtier, cher monsieur,

    mais revenons mon histoire de masques. Je

    vous l'ai annonce, la voici.

    Dcidment il n'y avait aucun moyen del'viter, cette histoire. Ce dialtle d'hommen'en voulait pas dmordre

    ;je me mis donc en

    posture de l'couter.

    Je ne vous dirai pas que les masques m'ob-

    sdent. Ils ne me jettent pas comme vous

    dxins un tat voisin de l'hallucination, et je

    n'ai jamais rencontr, la nuit, dans les gares,des cagoules de pnitents et des camails de

    moines enguirlands de grenouilles. Vous bu-

    vez de l'absinthe?

    Et sur mon affirmation que je ne prenais

    jamais une goutte d'alcool, mon interlocu-teur, l'air plutt incrdule, continuait :

    a Les masques nanmoins me causent une3

  • 38 HISTOIRES DE MASQUES

    certaine angoisse, plutt un malaise qu'une

    frayeur, malaise que j'attribue, moi aussi, une petite msaventure d'enfant et que vous

    me permettrez de vous narrer.

    Mais comment donc, cher monsieur J'ai, comme vous, t lev en pro-

    vince, mais la maison de mes parents donnait

    tout bonnement sur la rue. Pas de profondsombrages autour de la demeure ; rien, comme

    vous le voyez, du jardin mystrieux o votrenervosit prcoce s'exasprait couter gmir

    les grands arbres bruissants.

    On ne saurait tout avoir, faisais-je unpeu impatient.

    Je n'en tais pas moins un gamin,

    curieux, flneur et paresseux avec dlices.

    J'avais un professeur, un vieil agrg des

    lettres remerci par l'Universit pour ivro-

    gnerie, qui venait, tous les matins, de dix

    onze heures, m'ingurgiter quelques notions

    de latin et de grec ( dix heures, M. Tru-

    melin tait encore jeun), et une matresse

    de piano, une demoiselle mre, couperose

    et aigrie, que trois mariages successive-

  • LE MASQUE 39

    ment rompus avaient arme d'une terriblerancune contre le sexe! Dans la ville, on

    n'avait connu qu'un fianc M" de M-hande ; car ma matresse de piano tait

    noble et sans fortune, naturellement; mais

    M" de Mhande s'en attribuait trois. Cetriple abandon l'autorisait une haine corse

    contre les hommes, qui la lui rendaient

    bien. M"^ de Mhande, elle, arrivait cheznous onze heures ; mes matines trs rem-

    plies se partageaient donc entre les explica-

    tions somnolentes de mon professeur mleet les rprimandes ton bref et les chique-

    naudes doigts pointus de mon professeur

    femelle. Ainsi l'avait dcrt ma famille.

    Mais, si mes matines taient prises, mes

    journes taient bien moi. Je les passais,tapi l'angle d'une croise de la salle man-

    ger, le rideau de vitrage demi relev, lesyeux ouverts sur la rue, une rue de province

    o il ne passait pas grand monde; et pourtantc'tait tout un univers mes yeux que cette

    ruelle troite et froide et comme toujoursbaigne d'ombre, entre ces grands murs d'an-

  • 40 HISTOIRES DE MASQUES

    ciens htels. Le moindre passant y devenait

    pour moi un vnement ; c'tait quelque ser-vante du voisinage, un charretier et son tom-

    bereau comme gars dans ce vieux quartier

    noble, et, plus rarement encore, quelque damede paroisse crmonieuse et menue, en toi-

    lette de visite, robe de soie craquante, mi-

    taines et mantelet; et c'tait tout, tout l'hori-

    zon de mon enfance quasi clotre; et les

    heures se tranaient lourdes en dolentes et

    vagues songeries rythmes par les sonneriesd'une chapelle voisine, la chapelle d'un vieux

    couvent d'Annonciades oubli dans ce quartier

    d'antiques demeures et d'immenses jardins. Hum ! a sera long ! pensai-je en moi-

    mme. C'est dans cette rue morne que j'eus

    ma premire impression de masques. Un sontranard d'orgue de Barbarie m'avait averti.

    C'taient, suivis d'une trle de gamins, deux

    bohmiens montreurs d'ours, accompagnsd'une femme et de deux enfants, toute une fa-mille loqueteuse et sordide : les hommes, laface cuivre, presque noire, sous des cheveux

  • LE MASQUE 41

    crpus et luisants; la femme, coilTe d'une

    marmotte d'indienne clatante, avec un visage

    d'oiseau de proie comme jamais je n'en ai vudepuis.

    Tous les trois avaient de grosses lvres

    tumfies et violettes, des anneaux d'argent

    aux oreilles et de grands yeux d'un mail si

    blanc, dans leurs faces hles, qu'ils avaient

    l'air, ces terribles yeux, de briller aux fentes

    d'un masque.

    Les hommes tenaient en laisse deux grosours bruns de montagne qui se dandinaient

    lourdement; la femme, une courroie de cuir

    aux paules, tournailla manivelle de l'orgue,

    tandis que les deux enfants, haut perchs sur

    des chasses, pirouettaient et valsaient avec

    des grces de jeunes singes, la petite fille in-quitante dans une misrable jupe de tullerose, le torse engonc de lainages et les che-

    villes emprisonnes dans deux jambes de pan-talon

    C'tait hideux et grotesque. Les gamins du

    quartier avaient fait cercle et, un peu effars,

    se reculaient chaque pas des ours dansant;

  • 42 HISTOIRES DE MASQUES

    la petite fille les pourcliassait en valsant sur

    elle-mme, activant leiu' i'uiie de l'oITre de sa

    sbille; il n'y pleuvait pas grands sous;per-

    sonne ne se montrait aux fentres et, las de

    leur parade inutile, un des hommes dispersaitles gamins en lanant sur eux un des lourds

    animaux musels. Mais, entre temps, la femmeau masque de chouette s'tait approche de la

    croise o j'observais, et, collant son atTreuseface noire la vitre, baragouinait je ne sais

    quoi d'une voix rauque, qui me fit soudain

    l'apercevoir.

  • LE masque: 43

    qu'une impression, elle sera courte. J'iiabitais

    alors au quartier Latin, et comme tous les tu-

    diants, pendant le carnaval, nous suivions les

    bals de Bullier, BuUier qui va disparatre et

    qui n'tait pas encore devenu, pendant les

    jours g^ras, le rendez-vous de je ne sais quelletourbe infme. Nous tions toute une bande

    d'amis, d'tudiants en droit et en mdecine

    et nous avions arrt le projet de faire une

    entre en costumes Bullier, entre une heure

    et deux, aprs avoir couru les cafs. On devait

    amener sa matresse, en tout cas en avoir

    une, sinon attitre, tout au moins pour la

    nuit. Le caf de la Source, sur le boulevard

    Saint-Michel, avait t pris comme lieu de

    rendez-vous gnral ; on devait s'y retrouver

    tous minuit.

    Tout fier dans un pierrot de satin noir flam-

    bant neuf, les boutons remplacs par des bou-

    quets de violettes de Parme, une invention

    de mon amie, dlicieuse en arlequine mauve

    et jaune, je me trouvais, cette nuit de mardigras, la Source, dans la salle du fond, djbonde de masques, de costumes, des dgui-

  • 44 HISTOIRF.S DE MASQUES

    Bements les plus oss, les plus extravagants. . . ;

    il y avait ce soir-l des piles de soucoupes sur

    toutes les tables, et des cris, et des boni-

    ments, et, chaque entre d'un nouveau cos-

    tume, des bans et des lazzis. II y avait aussi

    l des gorges blanches, des nuques ambres,

    des bras poudrerizs et charnus, mais tous

    nous avions gard nos masques; le plaisant

    tait justement de se reconnatre, de s'intri-guer.

    J'tais assez nerv, gris de bruit, de folie

    et aussi de liqueurs : tout coup, au milieu

    des loups de satin, des faux-nez, des fausses

    barbes et des cagoules de moines, un masque,

    un masque de carton imitant s'y mprendre levisage humain, mais quel visage ! Yeux jam-borii:4s sans cils, lvres en bourrelets paisses

    et saignantes, joues d'un rose de cicatrice et,chose hideuse, pas de nez : une tte camuse et

    ricaneuse, au sourire fig dcouvrant les gen-

    cives, mais surtout l'horreur de ce nez absent

    dans cette face rostre, donnant l'impression

    d'une tte d'corch...

    C'tait si hideux et si russi que je ne pus

  • LE MASQUE 45

    retenir un cri d'admiration. Le masque s'tait

    assis presque vis--vis de nous ; l'horreur

    qu'il m'inspirait tait telle que je ne pouvais

    en dtacher mes yeux; ma matresse tait

    comme moi : je sentais tout son corps fr-

    mir. Cette horreur tournait bientt l'ner-

    vement, l'angoisse. Le rose honteux de ce

    masque m'obsdait, si bien que, n'y pouvant

    tenir : Assez ! te ton masque ! criai-je

    la face de carton. Et comme l'homme uen

    faisait rien, d'une main horripile, devenuehardie, je fis le geste de le dmasquer.

    Mes doigts touchaient de la chair... Ce fut

    un malaise atroce, une minute d'affreuse d-

    faillance; le masque n'tait pas un masque,

    c'tait le vrai visage de ce malheureux ; il

    sortait de l'hpital.

    C'est en effet, concluais-je, une assezcurieuse impression de masque.

  • LANTERNE MAGIQUE

    Pour iW" Marguerite Morno.

    Enlr'acte. L'orchestre Colonne venait

    d'excuter en sourdine, du fin bout de l'archet,

    toute cette dlicieuse partie du Sommeil deFaust, le Chur des Esprits et la Danse desSylphes. Encore tout entier sous le charme

    de cette hallucinante musique, et peut-tre

    un peu cruellement tomb du haut de mesrveries esthtiques dans le prosasme et le

    brouhaha d'un entr'acte, je prenais partie

    mon voisin de fauteuil, l'lectricien Forsller,

    et croyais me soulager dans cette facile bou-

    tade :

    Avouez, cher monsieur, que Berlioz a

    bien fait de natre en 1803. N hier, il etindubitablement mis en symphonie Flectro-

    phore, le cble sous-marin ou quelque autre

  • 48 HISTOTnrS T)F. MASQUES

    phonographe ; et sans ce ridicule et nauseuxromantisme, dont il est visiblement imprgn

    et pourri, nous n'applaudirions pas aujour-d'hui la trois cent quatre-vingtime et quel-

    que audition de sa Damnnlion. La science

    moderne a tu le Fantastique et avec le Fan-

    tastique la Posie, monsieur, qui est aussi la

    Fantaisie : la dernire Fe est bel et bien

    enterre et sche, comme un brin d'herbe

    rare, entre deux feuillets de M. de Balzac;

    Michelet a dissqu la Sorcire et, les romans

    de M. Verne aidant, dans vingt ans d'ici, pas

    un de nos neveux, pas un, en entendant la

    Danse des Sylphes, n'aura le petit accs de

    nostalgie lgendaire qui me fait divaguer.

    Mais d'une faon charmante, monsieur,

    et trs aimablement.

    Eh ! je vous crois, Monsieur, je suis dela vieille cole. La fonte des balles m'impres-

    sionne encore dans le Freijschutz, ipoi. Oui,ceci tuera cela. Hlas ! cela a tu ceci. Nous

    n'avons plus un brin d'illusion dans la tte,

    mon cher monsieur. Un trait de mathma-tiques spciales la place du cur, des besoir^s

  • LANTERNE MAGIQUE 49

    de goret Tenlour du ventre, des martingales

    et des tuyaux de courses dans l'imagination

    avec un mouvement d'horlogerie dans le cer-

    veau, voil l'homme que nous ont fait lesprogrs de la science ! Si nous souffrons

    encore un peu, nous autres, c'est que le vieil

    imbcile emball et gobeur, le troubadour,

    l'article 1830, comme ricanent les modernes,

    se dfend et se dbat en nous ; mais patience,

    il agonise. Dans dix ans d'ici, on n'en enten-

    dra plus parler : tous btis sur le mme modle,utilitaires, sceptiques et ingnieurs. Ah ! legrand Pan est mort, et vous tes du nombre

    de ceux qui Font tu, oui, vous, monsieur

    l'lectricien, vous tes un des assassins de la

    Fantaisie avec votre horrible manie d'expli-

    quer tout, de tout prouver, et auprs de vous

    le savant Coppelius, oui, l'affreux Coppelius

    lui-mme, l'homme aux poupes de cire, est

    presque un honnte homme, ou du moins jel'estime relativement pour tel.

    Et ledit Coppelius, si j'ai bonne mmoire,

    avait quelque peu escamot la raison de l'tu-

    diant Hoffmann ; or je vous ferai observer

  • 50 HISTOIRES DE MASQUES

    que jusqu'ici du moins je n'ai pas le moindre

    petit cas d'alination mentale sur la con-

    science.

    Je crois bien ! Vous la supprimez, vous,

    la Folie, la Folie, cette dernire citadelle o

    un homme d'esprit, terme de patience, pour-rait encore se retrancher !

    Je supprime la Folie?.. Enchant de l'ap-prendre, encore un rare et nouveau mrite..

    Vous la supprimez, oui et non. Mais

    enfin vous l'analysez, vous l'expliquez, la

    dterminez, la localisez... vous la gurissez

    au besoin, et par quels moyens I par l'lectri-

    cit et la thrapeutique. Vous avez tu le

    Fantastique, monsieur.

    Ah , faisait M. Andr Forlster enchangeant subitement de ton., demi tourn

    vers moi, est-ce srieusement que vous parlez?

    Oii avez-vous pris que nous ayons tu le Fan-

    tastique, et que ce cher seigneur ait disparu

    de nos murs !.. Mais jamais, jamais aucunepoque, mme au moyen ge, o la mandra-gore chantait tous les minuits sous l'affreuse

    rose dgouttant des gibets, jamais le Fantas-

  • LANTERNE MAGIQUE M

    tique n'a fleuri, sinistre et terrifiant, comme

    dans la vie moderne ! Mais nous marchonsen pleine sorcellerie, le Fantastique nous en-

    toure;

    pis, il nous envahit, nous touffe et

    nous obsde, et il faut tre aveugle ou bien de

    parti pris pour ne pas consentir le voir.

    Oui, je sais, l'hypnotisme, le magn-tisme, la' suggestion et l'hystrie, les exp-

    riences de Charcot la Salptrire, les demoi-

    selles cheveles, qui s'arc-houtent sur les

    mains et font aimablement cerceau sous le

    fallacieux prtexte qu'on leur a pass dans

    l'il un reflet de cuiller, les actes de som-

    nambulisme tant l'heure, et les grands cartsde M"'^ Donato. Moi, j'aime mieux les pos-sdes, les religieuses de Loudun et les con-Yulsionnaires de Saint-Mdard ; du moins le

    dcor y tait.

    Et vous tes pour le dcor? Absolument. Ces tombes au clair de

    lune, ce ciel brumeux d'hiver, et, au-dessusde ces torsions et de ces pleurs. de damnes,la bataille ternelle des nuages et les cnes

    noirs des cyprs agits par le vent... cela vous

  • 53 HISTOIRES DE MASQUES

    prenait au moins les neifs, et l'imagination ytrouvait son compte. Et le moindre petit

    exorcisme, quelle mise en scne ! Au lieu

    qu'aujourd'hui, quoi! une pauvre petite salled'hpital crpie la chaux, bien nette et bien

    froide, une fentre sans rideaux et, jete au

    travers d'une table moderne, une malheureuse

    de Saint-Lazare, pralablement abrutie de mor-

    phine, nue jusqu' la ceinture, et tout autourde cette viande de femme, des messieurs dco-

    rs, professeurs la Facult, et des messieurs

    non dcors, internes et curieux. Manquent

    absolument de tenue, les possdes modernes;

    aucune autorit.

    Manquent surtout de clair-obscur d'-

    glise, de reflet de vitrail et de musique d'orgue.

    Avouez que vous regrettez les Tony Johannot ! Certes, je les regrette. Trs pittoresques, en effet, et parfois

    mouvants : mais quel obstin vous faites !Si vous vouliez vous en donner quelque peu

    la peine, savez-vous qu' part les gibets, les

    herbes onduleuses et les croix de cimetire,

    vous vous convaincriez, et trs facilement,

  • LANTERNE MAGIQUE 53

    que nous marchons en pleine vie moderne aumilieu de damns, spectres tte humaine etautres pouvantements, que nous frlons tousles jours des goules et des vampires ; maisvous qui je parle, vous comptez, je tiendrais

    le pari, trois ou quatre sorcires parmi vos

    connaissances. Je connais, moi, deux gr-

    gores et je pourrais ici, dans cette salle du

    Chtelet, vous dsigner et vous nommer plus

    de quinze personnes absolument dfuntes,

    dont les cadavres ont l'aspect, trs vivant

    Vous vous moquez. Monsieur.

    Pas plus que vous,' je pense. Donnez-

    vous seulement la peine de regarder autour

    de vous; nous sommes ici en pleine assemble

    de sabbat sabbatant, et je mets en fait que,

    tous les soirs, chaque salle de spectacle pari-

    sienne, celle de l'Opra et des Franais en

    tte, est un rendez-vous des mages ncro-

    mans.

    Monsieur, il est un terme certaines

    plaisanteries.

    Et j'y mets un terme, en efTet. Faites-

    moi donc le plaisir de prendre cette jumelle

  • S4 HISTOIRES DE MASQUES

    et de suivre la direction que je vais lui donner.

    L-bas^ au balcon, ces trois femmes lg-antesen veste de peluche, en chapeau Directoire,

    trois demoiselles videmment. Regardez-moices pleurs de craie, ces yeux noircis de kohl,

    et comme une plaie vive ouverte en pleine

    chair, dans ces faces de trpasses, la tache

    carlate des lvres archi-peintes. Ne sont-ce pas

    de vritables goules, de damnables cadavres

    chapps du cimetire et vomis par la tombe

    travers les vivants, fleurs de charnier jaillies

    pour sduire, envoter et perdre les jeuneshommes ? Quel sortilge mane-t-il donc de cescratures, car elles ne sont mme pas jolies,ces fripeuses de moelles, plutt effrayantes

    avec leur teint mortuaire et leur sourire

    sanguinolent. H bien, vous voyez la plusmince : un de mes amis s'est tu pour elle ; elle

    a dj mang trois curies de courses et leurspropritaires, et met en ce moment malBompard, le gros banquier de la rue des Petits-

    Champs; les autres sont l'avenant. Le comte

    de Santiego, mari d'une dlicieuse jeunefemme, la plus jolie peut-tre de la colonie

  • LANTERNE MAGIQUE f

    espagnole et, de plus, pre de deux adorables

    Murillo blonds, est en train de se ruiner pour

    Irma, la plus vieille. Par quel borrible secret

    de luxure cette femme le tient-elle ? Tenez,elle m'a reconnu et nous sourit de son sou-

    rire de goule, tout humide de sang.Voulez-vous maintenant lire un conte

    d'Hoffmann? Regardez-moi l-bas, dansl'avant-scne de droite ; voyez-vous la belle

    M'"'' G... : dtaillez-moi ces yeux prunelle

    de cristal et ce teint luisant de porcelaine ! Les

    cheveux sont en soie et les dents en vraie

    nacre, comme celles des poupes. Elle est

    maille, dit-on, jusqu'au nombril, causedes robes de bal, et dit : Papa, maman, et

    bonjour, Excellence , grce des corsages ressorts articuls. Produit d'exportation, elle

    vient d'Amrique, sait manier l'ventail,plonger la rvrence, battre de la paupire et

    semble respirer comme une personne natu-

    relle : Vaucanson est dpass. N'est-ce pas

    l'Olympia du docteur Goppelius? Et si un

    mcanisme n'anime pas, en effet, ce manne-quin de parade, quelle sorte d'me interm-

  • se HisToinRS de masques

    diaire et vague peut bien habiter ce corsage?

    Tenir entre ses bras cetle Sidonie tournante,

    heurter ses Jvres au froid de ces lvres

    de cire, cette ide-l ne vous fait pas frmir?

    Fouillez un peu du bout de la lorgnette le

    clair- obscur de ces baignoires : ces narines

    vibrantes, ces pleurs de linge, ces prunelles

    hallucines, ces mains exsangues poses au

    rebord de velours rouge et tourmentant, ner-

    veuses et fbriles, le flacon de sels ou l'ven-

    tail, ce sont les grandes dames mlomanes dumonde,., de la haute Banque et de la Sucre-

    rie : toutes morphines, cautrises, doses,

    drogues de romans psychothrapiques et

    d'ther : mdicamentes, anmies, andro-

    gynes, hystriques et poitrinaires; ce sont

    les possdes de la nouvelle et jeune aristo-cratie 1

    Je vois l-haut, dans une seconde loge, une

    petite femme honnte et frache comme unerose, qui ne manque pas une excution capi-tale. Je la connais et je la reconnais : elle tait

    Marchandon, elle tait Gamahut; l't ducrime de la rue Montaigne, on l'a vue venir

  • LANTERNE MAfiTOUE 57

    huit jours de suite place de la Roquette, pourne pas manquer celle de Pranzini : une vri-

    table fte. C'est d'ailleurs une petite femmeexquise, mais voil vingt ans qu'elle adore les

    assassins, et tressaille d'une volupt profonde

    en voyant choir une tte coupe. Toujoursjeune d'ailleurs et comme garde frache parla vue du sang ! Jusqu'o peut conduire

    la soif de frissons nouveaux ! Les sorcires

    aussi passaient au moyen ge pour tre trs

    friandes du sang des supplicis.

    L-bas, trois rangs de fauteuil derrire

    nous, ce grand gaillard fortes moustaches

    rousses, torse d'cuyer, a une spcialit : il

    n'aime que les femmes phtisiques; toutes ses

    matresses meurent dans l'anne. L'amant des

    condamnes, nous lui devons la meilleurecomdie de M. Jules Lematre ; ce cas d'amour

    bizarre a son classement part dans la dmo-nialit.

    Enfin, je vois quelque part, une trs jolie

    brune, que je ne vous dsignerai pas, car elle

    est mon amie, que la Sainte Inquisition, en 45

    et 1600, et bel et bien roue vive et brle...

  • iS HlSTOir.ES I)K MASQUES

    En l'an de grce 1891, elle va et vient, opre

    en pleine liberl. Cette jolie femme en est sa quatrime exprience; trois maris sont dj

    dcds la peine, et trois gaillards : un lieu-

    tenant de louveterie et deux capitaines de

    l'arme trs active, dont un de cuirassiers; en

    deux ans de mnage, n i, ni, fini : vids, frips

    jusqu'aux moelles, la poitrine rentre, lesjambes flageolantes : des pantins casss... Elle,toujours grasse, rose et bien portante, hritede leurs rentes et, je suppose, de leur sant :

    ils fondent comme cire dans son alcve... Le

    quatrime se dfend encore, mais il est dj

    bien entam. Avez-vous lu dans les Contfs

    drolatiques de Balzac un fabliau appel le

    Succube? Sous les Valois, il n'en fallait pas

    moins une femme de bien pour tre conduiteen chemise place de Grve.

    Mais pardon, cher monsieur, la musique

    commence. Monsieur, bien oblig.

  • RCIT D'UN BUVEUR D'THER

    UN CRIME INCONiNU

    Pour Antonio de La Gandarek

    Prservez-nous, Seigneur, de la choseeffrayante qui se promne la nuit.

    1,E ROI David.

    Ce qui peut se passer dans une chambre

    d'htel ineubl une nuit de mardi g^ras, non,

    cela dpasse tout ce que l'imagination peut

    inventer d'horrible ! Et, s'tant vers de la

    chartreuse plein son verre, un grand verre

    soda, de Romer vidait ce verre d'un trait et

    commenait : C'tait il y a deux ans, au plus fort de mes

    troubles nerveux. J'tais g-uri de l'ther,

    mais non des phnomnes morbides qu'il en-g-endre, troubles de l'oue, troubles de la vue,

    angoisses nocturnes et cauchemars : le solfa-

  • 60 HISTOiai
  • RECIT D UN BUVEUll D liTHER 61

    passer sur mon visage, et presque mes cts

    l'innomable frlement. C'tait une sensaUon

    affreuse, messieurs, et s'il me faillait revivre

    dans ce cauchemar, je crois que j'aimevais

    mieux... mais passons...

    Donc j'en tais arriv ne plus pouvoir

    dormir dans mon appartement, ne plus pou-

    voir mme l'habiter et, en ayant encore pourune anne de bail, j'avais pris le parti d'aller

    loger l'htel. Je ne pouvais toutefois m'y

    tenir en place, quittant le Continental pour

    l'htel du Louvre, et l'htel du Louvre pour

    d'autres plus infimes, dvor d'une tracas-

    sante manie de locomotion et de changement.

    Comment, aprs huit jours passs au Ter-minus, dans tout le confort dsirable, avais-je

    t amen descendre dans ce mdiocre htelde la^rue d'Amsterdam, htel de Normandie,

    de Brest ou de Rouen, comme ils s'intitulent

    tous aux abords de la gare Saint-Lazare!

    Etait-ce le mouvement incessant des

    arrives et des dparts qui m'avait sduit,

    fix l plutt qu'ailleurs?... Je ne saurais le

    dire,.. Machambre, une vaste chambre clairei

  • d2 HISTOHir.S DR MASQUES

    de deux fentres et situe au second, donnait

    justement sur la cour d'arrive de la placedr Havre. J'y tais install depuis trois jours,depuis le samedi gras, et m'y trouvais fort

    bien.

    C'tait, je le rpte, un htel de troisime

    ordre, mais de fort honnte apparence, htel

    de voyageurs et de provinciaux, moins d-payss dans le voisinage de leur gare que dans

    le centre de la ville, un htel bourgeois, d'un

    soir l'autre vide et pourtant toujours plein. D'ailleurs, peu m'importaient les visages

    rencontrs par l'escalier et les couloirs, c'tait

    l le moindre de mes soucis ; et cependant, en

    rentrant ce soir-l vers les six heures dans le

    bureau de l'htel pour y prendre ma clef (je

    dnais en ville et rentrais me changer), je ne

    pouvais m'empcher de regarder plus curieu-sement qu'il n'et fallu les deux voyageurs

    qui s'y trouvaient.

    Ils venaient d'arriver ; un ncessaire de

    voyage en cuir noir tait pos leurs pieds,

    et, debout devant le bureau du grant, ils dis-

    cutaient le prix des chambres.

  • RCIT D UN BUVEUR D THER 63

    C'est pour mie nuit, insistait le plus

    grand des deux, qui paraissait aussi le plus

    g ; nous repartons demain, -la premire

    chambre venue fera l'affaire. A un litou deux lits ? demandait le grant.

    Oh ! pour ce que nous dormirons, nous nouscoucherons peine, nous venons pour un bal

    costum. Donnez deux lits , inter-

    venait le plus jeune. Bon ! Une chambre deux lits, vous avez cela, Eugne ? et legrant interpellait un des garons qui venait

    d'entrer, et aprs quelques pourparlers :

    Mettez ces messieurs au 13, au second ;

    vous serez trs bien l, la chambre est grande ;ces messieurs montent? Et sur un signe que

    non des deux trangers : Ces messieurs

    dnent? nous avons la table d'hte. Non,

    nous dnons dehors, rpondait le plus grand,

    nous rentrerons vers onze heures nous costu-

    mer, qu'on monte la valise. Et du feu

    dans la chambre ? demandait le garon.

    Oui, du feu pour onze heures. Ils avaient

    dj les talons tourns. Je m'aperus alors que j'tais rest l

  • 64 HISTOIRES DE MASQUES

    bant, mon bougeoir allum la main, les

    examiner;je rougissais comme un enfant pris

    en faute et montais vite ma chambre; le

    garon tait en train de faire les lits de la

    chambre ct, on avait donn le 13 aux nou-veaux arrivs et j'occupais le 12 ; nos cham-bres taient donc contigus, cela ne laissait

    pas de m'intriguer.

    En redescendant par le bureau, je ne

    pouvais m'empcher de demander au grantquels taient les voisins qu'il m'avait donns.

    Les deux hommes au ncessaire? m'tait-ilrpondu, ils ont rempli leurs bulletins,

    voyez ! et d'un coup d'il rapide je lisais :

    Henri Desnoyels, trente-deux ans, et EdmondChalegrin, vingt-six ans, rsidence Versailles,

    et tous les deux bouchers.

    Bien lgairts d'allures et de vtements,

    malgr leurs chapeaux melon et leurs par-

    dessus de voyage, mes deux voisins de cham-bre, pour des garons bouchers ; le plus

    grand m'avait paru soigneusement gant avec,

    dans toute sa personne, un certain air de hau-

    teur et d'aristocratie. Il y avait d'ailleurs

  • RCIT D UN BUVRl'R D THER 65

    comme une certaine ressemblance entre eux :

    mmes yeux bleus d'un bleu profond efpresque noir, long fendus et long cilis, et

    mmes longues moustaches rousstres souli-gnant le profil heurt; mais le plus grand,

    beaucoup plus ple que l'autre, avec quelque

    chose de las et d'ennuy,

    Au bout d'une heure je n'y songeais djplus, c'tait soir de mardi gras et les rues

    braillaient, pleines de masques. Je rentrai vers

    les minuit, montai dans ma chambre; dj moiti dvtu j'allais me mettre au lit quand

    un bruit de voix s'levait dans la pice

    ct ; c'taient mes bouchers qui rentraient.

    u Pourquoi la curiosit, qui m'avait dj

    mordu dans le bureau de l'htel, mereprenait-elle, irraisonne, imprieuse ? Malgr moi

    je prtai l'oreille. Alors tu ne veux pas te

    costumer, tu ne viens pas au bal, stridait la

    voix du plus grand ; c'tait bien la peine de

    nous dranger;

    qu'est-ce que ^ ^ ? es-tu

    malade ? Et l'autre gardant le silence. Tu

    es saoul, tu as encore bu ? reprenait le plus

    g. Alors la voix de l'autre rpondait, emp-4.

  • 66 HISTOIRES DE MASQUES

    te etdolenle *. C'est ta faute, pourquoi m'aS'

    tu laiss boire ? je suis toujours malade quandje bois de ce vin-l. Allons, c'est bon,couche-toi, brusquait la voix stridente

    ,

    attrape ta chemise. J'entendis crier la ser-

    rure du ncessaire qu'on ouvrait. Alors, toi,

    tu ne vas pas au bal ? tranait la voix de

    l'ivrogne. Beau plaisir d'aller courir seul

    les rues en costume ; moi aussi, je vais me cou-cher. Je l'entendais bourrer rageusement de

    coups de poing son matelas et son oreiller,

    puis c'taient des chutes de vtements tra-

    vers la chambre; les deux hommes se dsha-billaient; j'coutais haletant, venu pieds nus

    ct de la porte de communication ; la voix du

    plus grand reprenait dans le silence : Et de

    si beaux costumes, si c'est pas malheureux!

    Et c'tait un bruissement d'toffes et de satins

    froisss.

    J'avais approch un il du trou de la ser-

    rure ; ma bougie allume m'empchait de faire

    chambre noire et de rien distinguer dans la

    pice voisine, je la soufflai : le lit du plus

    jeune se trouvait juste en face ma porte. Tom-

  • RCIT d'un buveur D THER 67

    b sur une chaise adosse au lit, il se tenait

    l sans mouvement, extraordinairement ple

    et les yeux vagues, la tte glisse du dossier

    de la chaise et ballant sur l'oreiller ; son cha-

    peau tait terre, et, le gilet dboutonn, le

    col de sa chemise entr'ouvert, sans cravate, il

    avait l'air d'un asphyxi. L'autre, que je

    n'aperus qu'aprs un effort, rdait en caleon

    et en chaussettes autour de la table encom-

    bre d'tofes claires et de satins paillets.

    Zut ! faut que je l'essaie ! clatait-il sans

    se proccuper de son compagnon ; et, se cam-

    pant droit devant l'armoire glace dans sa

    sveltesse lgante et muscle, il enfihiit un long

    domino vert camail de velours noir, dontl'effet tait la fois si horrible et si bizarre que

    je dus retenir un cri, tant je fus motionn.

    Je ne reconnaissais plus mon homme,comme grandi dans cette gaine de soie vert

    ple, qui l'amincissait encore, et le visage

    recul derrire un masque mtallique, sous

    ce capuchon de velours sombre. Ce n'tait

    plus un tre humain, qui ondulait, mais lachose horrible et sans nom; la chose d'pou-

  • 68 , HISTOIRES DE MASQUES

    vante, dojil la prsence invisible empoisonnait

    mes nuits de la rue Saint-Guillaume, avait pris

    forme et vivait dans la ralit.

    L'ivrogne, du coin de son lit, avait suivi lamtamorphose d'un regard gar; un trem-blement l'avait saisi et, les genoux entre-cho-

    qus de terreur, les dents serres, il avait

    joint les mains d'un geste de prire et frisson-nait de la tte aux pieds. La forme verte,

    spectrale et lente, tournait, elle, en silence,

    au milieu de la chambre, la clart de deux

    bougies allumes ,et, sous son masque, je sen-

    tais ses deux yeux effroyablement attentifs;

    elle finissait par aller se camper droit devant

    l'autre, et les bras croiss sur sa poitrine,

    elle changeait avec lui sous le masque un

    indicible et complice regard ; et voil que

    l'autre, comme pris de folie, s'croulait sur sa

    chaise, se couchait plat ventre sur le par-

    quet et, cherchant treindre la robe entre ses

    bras, il roulait sa tte dans les plis, balbutiant

    d'inintelligibles paroles, l'cume aux dents et

    les yeux rvulss,

    Quel mystre pouvait-il exister entre ces

  • RCIT d'un buveur d'THER C9

    deux hommes, quel irrparable pass venaitd'voquer aux yeux de ce fou cette robe de

    spectre et ce masque glac ? Oh ! cette pleuret ces mains tendues de supplici, se tra-

    nant en extase dans les plis drouls d'une

    robe de larve; oh! cette scne du sabbat dans

    le dcor. banal d'une chambre meuble! Ettandis qu'il rlait, lui, avec le trou noir d'un

    long cri trangl dans sa bouche grandeouverte, la forme, elle, se drobait, reculait

    sur elle-mme, entranant sur ses pas l'hyp-

    nose du malheureux vautr ses pieds.

    Combien d'heures, de minutes duraitcette scne?La Goule maintenant s'est arrte,elle a pos sa main sur le front et le cur del'homme vanoui ses pieds, puis, le prenantentre ses bras, elle vient de le rasseoir prs du

    lit sur la chaise. L'homme est l sans mouve-ment, bouche bante, les yeux clos, la tterenverse : la forme verte est maintenant pen-che sur le ncessaire. Qu'y cherche-t-elleavec cette ardeur fbrile, la clart d'un des

    flambeaux de la chemine? Elle a trouv, carje ne la vois plus, mais je l'entends remuer

  • 70 HISTOIRES DE MASQUES

    des flacons au-dessus de la cuvette, et une

    odeur bien connue, une odeur qui me prend

    au cerveau et me grise et m'nerve, se rpanddans la chambre : une odeur d'ther. La formeverte reparat, se dirige pas lents, toujoursmuette, vers l'homme vanoui. Que porte-t-elle avec tant de prcautions dans ses

    mains?... Horreur! c'est un masque de verre,

    un masque hermtique sans yeux et sansbouche, et ce masque est rempli jusqu'auxbords d'ther, de liquide-poison : la voici qui

    se penche sur l'tre, l, sans dfense, offert,

    inanim, lui applique le masque sur la face,

    l'y noue solidement avec un foulard rouge, et

    comme un rire lui secoue les paules sous son

    capuchon de velours sombre : Tu ne parle-

    ras plus, toi , m'a-t-il sembl l'entendre mur-

    murer.

    Le garon-boucher maintenant e dsha-

    bille, vague en caleon travers la chambre,

    son affreuse robe le ; il reprend ses vte-

    ments de ville, enfile son pardessus, ses gants

    de peau de chien de clubman et, le chapeau

    sur la tte, il range en silence, un peu flvreu-

  • RECIT D UN BUVEUR D THER 71

    sment peut-tre, les deux costumes de mas-

    carade et ses flacons dans le ncessaire aux

    fermoirs nickels, il allume un londrs^ prend

    la valise, son parapluie, ouvre la porte et

    sort... Et je n'ai pas pouss un cri, je n'ai pas

    sonn, je n'ai pas appel. Ef tu avals rv comme toujours,

    disait de Jacquels de Romer. Oui ! j'a-

    vais si bien rv, qu'il y a aujourd'hui Vil-lejuif, l'asile des fous, un thromane incu-rable, dont on n'a jamais pu tablir l'identit.Consultez plutt son livre d'entre : trouv le

    mercredi 10 mars, l'htel de... rue d'Ams-

    terdam, nationalit franaise, ge prsumvingt-six ans, Edmond Ghalegrin, nom pr-sum.

  • MANUSCRITS D'UN NEURASTHNIQUE

    A Henry Bataille.

    JOURS DE PLUIE

    HEURES DE VILLES D'EAUX

    En province, la pluifest une distraction.

    (Eduond de Goncoubt.)

    Ce fut un terrible dimanche. La sortie de

    la messe avait t lugubre, toute de mackin-

    toches et de capuchons rabattus sous la pluie ;par la rafale et par l'onde Old England avait

    triomph une fois de plus dans le faste attris-

    tant des pardessus caoutchouts et des tartans

    cossais oh! combien pour jeunes riflemende Toulouse et misses sentimentales de Figeac :

    le djeuner avait t maussade, et, au mono-tone refrain de l'averse, le bifteck quotidien

    fut trouv plus coriace sur son canap de

    cpes du pays, gonfls et mous comme desft

  • 74 HISTOIRES DE MASQUES

    ponges. La matresse de l'hlel de Londres

    souffrait encore plus cruellement de sa fluxion

    hebdomadaire, la famille brsilienne qui occu-

    pait le premier ayant p

  • HEURES DE VILLES D EAUX 7

    faction : M Peyroulet reoit tous les matirva

    son poisson frais de Toulouse et l'annonce

    sur des pancartes prsomption nave quiachaland peu sa boutique auprs des bai-

    gneurs ; mais sa devanture arbore, hiver comme

    t, deux si rubescentes langoustes en carton

    peint ct d'un si miroitant turbot de fer-

    blanc, qu'il n'en faut pas j)lus pour sduire la

    montagne et la valle et dcider Tme ingnuedes Bigourdans. M"" Peyroulet, celte plu-

    vieuse aprs-midi frie, talait l'angle de

    sa porte, au-dessus de deux morues sches et

    d'un rgime de harengs saurs et d'un cha-

    pelet de courges et de tonales, urie imprvuedenre, et cette denre nous alla au cur.jjme Peyroulet oiruit aux yeux des passants,

    plutt rares, l'occasio plus rare encore d'une

    cigogne... Oui, une sUi;erbe cigogne, toute

    frache tue, bombait l son estomac en forme

    de proue, entre 1 envergure de deux ailes

    immenses, un royal ploiement de deux ailes

    d'ibis, ou presque, tant elles taient de ligne

    harmonieuse; le bec, il est vrai, pendait plu-

    tt lamentable, mais les |jaltes fines et dlies

  • 76 HISTOIRES DE MASQUES

    taient d'un rose de corail rose charmant. Telle

    qu'elle, toute tide encore et le plumage liss

    par la pluie, cette cigogne vendre tait pique

    et grotesque, rappelant la fois la veulerie

    de nos souvenirs et les grues d'Ibycus et le

    cygne de Parsifal, avec, en plus, quelque chose

    de japonais. Tant de paravents de laquedroulent par le monde de longs cols decigognes sur ciel noir incrust de glycines

    d'mail et mont Fusyama..., en trois traits

    d'or changeant.

    Eh quoi ! une cigogne chez une marchandede mare ! Et je vois d'ici maint et maint lec-teur se rebiffer : Monsieur le conteur, en

    vrit, vous abusez! A quoi j'objecterai,que M""" Peyroulet tenait plutt les objetsd'art, tant donn son talage de crustacs decartons peints et de poissons de tle historie.

    Et puis, tout arrive dans ces bourgs innocents

    des Pyrnes, le commerce y aborde les genres

    les plus divers et en apparence l