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SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ

INTERNATIONALE ARTHURIENNE, 22nd CONGRESS OF THE

INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY

Rennes 2008

Actes Proceedings Réunis et publiés en ligne par

Denis Hüe, Anne Delamaire et Christine Ferlampin-Acher

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SUIVIE DE LA RÉFÉRENCE (JOUR, SESSION)

Les représentations du Christ dans les enluminures des manuscrits de la B.n.F. contenant

l’Estoire del saint Graal1

Certains romans arthuriens transmettent des messages religieux qui visent à convertir l’auditoire2. Pourtant, si la tendance existe, nous ne savons rien de la réception de ces messages à travers la société chevaleresque et aristocratique du Moyen Age. L’une des méthodes pour observer le phénomène de la réception reste l’étude des enluminures, puisqu’elles rendent compte des interprétations des artistes, ateliers ou commanditaires, et nous donnent une image de ce que le public arthurien comprenait de ces messages3. Les enluminures d’un manuscrit témoignent parfois des messages que les commanditaires tentent de transmettre, des intentions de l’artiste, du goût de l’époque4. Certaines enluminures vont même jusqu’à livrer des messages de propagande très élaborés5. D’autres

1 Nous remercions Martin Aurell pour ses remarques au sujet de cet article. Michelle Szkilnik, Esther Dehoux et Jean-Paul Deremble nous ont également apporté des suggestions intéressantes. 2 C. Girbea, « Discours persuasifs et conscience religieuse à travers les romans arthuriens (XIIe-XIIIe siècles) », dans Convaincre et persuader. Communication et propagande aux XIIe-XIIIe siècles, dir. M. Aurell, Poitiers, CESCM, 2007, p. 151-189. Sur le problème de la conversion par l’écriture en général, voir M. Zink, Poésie et conversion au Moyen Age, Paris, Presses Universitaires de France, 2003. 3 Nous avons tenté d’ébaucher un aperçu de cette problématique de la réception à travers quelques études de cas dans « Quelques hypothèses sur la réception du message religieux arthurien », dans Comunicazione e propaganda nei secoli XII e XIII, éd. R. Castano, F. Latella, T. Sorrenti, Messine, 2007, p. 305-331. 4 Voir aussi M. Aurell, « Rapport introductif », Convaincre et persuader…, op. cit., p. 46 sq. L’auteur souligne le rôle limité des enluminures dans la propagande et diffusion des messages politiques et religieux, à la différence des sculptures ou fresques, accessibles à un public plus large. Les enluminures nous intéressent ici en tant que preuves de la réception et non pas en tant qu’instruments clairs d’une propagande quelconque. 5 C. de Mérindol, « Nouvelles réflexions sur les rôles de l’image dans les manuscrits des XIVe-XVe siècles », dans L’iconographie. Etudes sur les rapports entre textes et images dans l’Occident médiéval, Paris, Le Léopard d’or, 2001, p. 277-307.

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ACTES DU 22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008 PROCEEDINGS OF THE 22nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008

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investissent des scènes laïques de connotations religieuses, en figurant un combat chevaleresque à la manière de combat biblique6.

Dans cette communication nous nous concentrerons sur la façon dont le Christ est représenté dans quelques manuscrits enluminés de l’Estoire del saint Graal (vers 1225), précisément les manuscrits qui se trouvent à la B.n.F7. L’iconographie du Christ au Moyen Age est tellement vaste, que toute tentative de classification serait vouée à l’échec et le chercheur se retrouve perdu à travers un nombre infini de représentations et postures. Nous tenterons donc de restreindre notre recherche aux traits du Christ tel qu’il apparaît dans ces manuscrits arthuriens, sans les comparer aux autres représentations qu’il a pu avoir ailleurs.

Nous avons choisi deux scènes centrales de l’Estoire : la réception du livre par le prêtre-auteur et la rencontre entre le roi Mordrain et le Christ. Autant dire, des épisodes qui donnent lieu à une rencontre entre Dieu et l’écriture ou bien la royauté. Presque tous les manuscrits reprennent ces deux épisodes et nous examinerons les différences de représentation d’un manuscrit à un autre, en fonction de l’époque.

La vision du prêtre-auteur La façon dont l’Estoire prend naissance, de même que le motif du

livre révélé et sa prétention d’être un nouvel évangile du Graal sont des aspects déjà étudiés et nous ne reviendrons pas dessus8. Nous nous pencherons en revanche sur la manière dont la scène initiale, capitale pour la compréhension du texte et pour le statut de l’auteur au Moyen Age, est représentée dans les enluminures.

Rappelons les faits : un ermite est en train de dormir après avoir chanté la messe. Pendant son sommeil il entend une voix qui l’appelle et lui parle en énigme de la Trinité. Lorsqu’il s’éveille, il voit le Christ. Après un échange de répliques, le Christ se penche vers l’auteur et lui souffle au visage afin d’éclairer sa vue. En troisième lieu, il le prend par la main. La

6 M. Whitaker, Legends of King Arthur in Art, Cambridge, Brewer, 1990, p. 33. 7 Les images que nous commenterons sont presque toutes accessibles dans la base de données Mandragore, http://mandragore.bnf.fr/html/accueil.html. 8 Voir M. Szkilnik, L’archipel du Graal, Genève, Droz, 1991. Sur la question plus large du texte original, voir M. Stanesco, « Le texte primitif », dans D’armes et d’amours, Orléans, Paradigme, p. 15-27.

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LES REPRÉSENTATIONS DU CHRIST DANS LES ENLUMINURES DE L’ESTOIRE DEL SAINT GRAAL CATALINA GIRBEA

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description du Christ ne comporte pas de détail précis, à part qu’il est très beau et resplendissant :

« Ore avint chose que je m’esveillai atant, et vi si grant clarté entour moi que je oncques mais autresi grant ne vi ; et puis si vi devant moi le plus bel home qui oncques fust. »9

Cette absence de précisions permet aux enlumineurs de saisir n’importe lequel des épisodes évoqués, et d’en donner, par leurs représentations, une interprétation. Un bref aperçu suivant l’ordre chronologique des apparitions pourrait s’avérer particulièrement éclairant.

Dans le manuscrit Français 749 de la B.n.F. (XIIIe siècle), au folio 1 l’on peut voir une enluminure triple ; la première image de ce triptyque représente la Trinité, ce qui met l’histoire sous le signe d’un problème théologique capital, en respectant l’esprit du roman. Dans l’image suivante on voit le prêtre-auteur en train de cacher le livre et enfin dans la dernière, qui nous intéresse le plus, il y a la rencontre du Christ et de l’écrivain.

Jésus est vêtu de blanc, il porte un nimbe rouge crucifère et il se penche sur l’auteur qui dort. Le moment surpris par l’artiste est celui de l’illumination, pourtant l’auteur ne fait aucun geste comme s’il était paralysé, et il semble continuer à dormir, le visage retourné, ou bien en signe qu’il est aveuglé par la clarté du Seigneur. Il est difficile de tranche en faveur d’une hypothèse, mais sur l’ensemble l’enluminure renvoie plutôt à un rêve.

Le manuscrit Français 344 de la B.n.F. (XIIIe siècle) présente, au folio 1 une image très abîmée où l’on ne distingue pas les visages des personnages ; l’auteur est allongé, habillé en moine, en soutane blanche et il ne fait aucun geste ; la Christ est debout, en train de pencher la tête, il est nimbé de bleu, vêtu de rouge et porte un manteau bleu ; il tient le livre (rouge) dans sa main gauche et lève le doigt de la main droite en signe d’enseignement ; comme on ne voit pas les visages, on ne peut pas savoir si l’artiste a choisi de montrer une avision ou bien un rêve. En tout cas on observe une distance assez claire entre l’auteur et le Christ, où l’auteur semble se contenter de subir l’enseignement divin. Cependant le geste du Christ, le doigt levé, semble indiquer un début de dialogue. Toute la scène

9 Joseph d’Arimathie, Le Livre du Graal, éd. D. Poirion et P. Walter, Paris, Gallimard, 2000, p. 5. Nous appellerons plus simplement ce roman l’Estoire.

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ACTES DU 22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008 PROCEEDINGS OF THE 22nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008

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se déroule dans la lettrine C comme dans le Rennes 22510, indiquant le tout début du texte : « Cil qui se tient et juge au plus petit… ».

Dans le manuscrit Français 19162 de la B.n.F. (XIIIe siècle), au folio 1 l’artiste a repris deux séquences de la rencontre ; dans la première, l’auteur ne dort pas, il est assis, habillé en tunique noire-verte, drapée ; le Christ est debout, en manteau vert, et porte une tunique violette, les pans bleus, et le nimbe orange. On voit une aile du Saint Esprit sur son épaule. C’est le moment de l’apparition et une amorce de dialogue.

Dans la deuxième image, le Christ est habillé de même, sauf qu’il est penché; avec l’auteur, ils sont en train regarder dans le livre qu’ils touchent tous les deux comme si cet objet les unissait. L’auteur a changé de vêtements, il est représenté en violet ; ce changement n’est pas innocent: il peut suggérer la transformation du personnage à la suite de la rencontre, transfiguration qui passe par l’apparence, puisque l’être humain acquiert la couleur du Seigneur. Par ailleurs, l’on sait que les teinturiers avaient choisi le Christ comme leur patron en mémoire de la transfiguration sur la montagne, affirmant ainsi leur similitude avec lui, puisque eux aussi, ils transfiguraient la matière11. Ce n’est donc pas étonnant que l’artiste passe par un changement de couleurs pour symboliser la transformation de l’auteur au contact du Christ, son passage du stade de simple prêtre à celui de messager de Dieu. Par ailleurs, la couleur du manteau de l’auteur aussi bien que celui du Christ, le vert, est le signe de la résurrection, de l’espoir et il figure à la fois tout ce qui est instable, changeant12.

Ce changement s’accomplit par le biais d’une discussion qui domine la scène. Ici le phénomène est d’autant plus évident, que dans le texte le Christ éclaire l’auteur en lui soufflant au visage et en l’empreignant ainsi du Saint Esprit, dont on a vu la présence discrète dans la première image.

Dans le manuscrit Français 24394 (XIIIe siècle), au folio 1 le Christ est habillé comme dans le Français 19162, de vert, nimbé d’orange, et il porte une tunique rose-violet. L’auteur est de nouveau représenté assis, et il est en train de toucher le livre en même temps que le Christ, l’écrit étant,

10 Au sujet de la lettrine C, voir aussi les commentaires de M. Whitaker, Legends…, op. cit., p. 28. 11 M. Pastoureau, Jésus chez le teinturier, Paris, Le Léopard d’Or, 1997, p. 90. 12 Ibid., p. 72 sq.

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LES REPRÉSENTATIONS DU CHRIST DANS LES ENLUMINURES DE L’ESTOIRE DEL SAINT GRAAL CATALINA GIRBEA

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comme dans le manuscrit pris en compte plus haut, un lien entre les deux. Toute allusion au rêve semble gommée volontairement pour laisser la place à un dialogue aux frontières du sacré.

Dans le manuscrit Français 747 (XIIIe siècle), le Christ est debout, il est habillé de bleu, porte un manteau rouge et il a un nimbe bleu crucifère. L’auteur est à genoux, courbé, en train de toucher le livre que le Christ lui tend; dans cette représentation aussi le codex semble les unir et l’artiste a volontairement fait basculer la séquence dans le domaine de la discussion. La scène se déroule dans la lettrine C, au tout début du manuscrit.

Dans le manuscrit Français 12582 (XIIIe siècle) il n’y a pas de Christ avec l’auteur, l’artiste a choisi de faire remettre le livre par un ange. En revanche le Christ apparaît au folio 10 pour Josephé prosterné devant l’arche du Graal : il sort d’un nuage, on ne voit que sa tête nimbée de bleu, et tend les bras en les joignant. Nous sommes encore devant une représentation où le Christ semble engager une conversation avec un être humain.

L’on peut donc observer pour le XIIIe siècle que le Christ est à chaque fois nimbé, en dépit de la diversité de couleurs qui se retrouvent dans ses vêtements, afin de lever toute confusion possible. Il établit avec l’auteur une communication directe, puisque la plupart du temps il entre en dialogue avec lui. Qu’il soit en position de compassion, d’enseignement ou qu’il se retrouve relié à l’auteur par le livre, la proximité est très grande. Pourtant, même si dans le texte il y a la mention du fait que le Christ le prend par la main, les artistes évitent de figurer ce trop grand rapprochement et aucune enluminure ne montre autre chose que le codex qui fait le pont entre les deux. Cet écart peut être dû à deux raisons: d’une part, la plus évidente est que l’homme ne peut pas toucher Dieu et que cette idée est trop forte pour être représentée ; d’autre part, pour mettre en avant le rôle de l’écrit, ce nouvel évangile, seule manière dont l’homme peut approcher le Seigneur, seul vase communicant. Médiateur privilégié de la théophanie, le livre acquiert des dimensions sacrés13. Quoi qu’il en soit, nous pouvons constater sur cet échantillon d’enluminures, qu’au XIIIe siècle

13 Voir aussi C. Galderisi, qui remarque sur le statut du livre au Moyen Age, que « l’assimilation du livre à la parole de Dieu transforme également l’objet en médiateur mythique »: « Ouverture », dans Espaces et mondes au Moyen Age, Actes du congrès tenu à Bucarest les 17-18 octobre 2008, dirs. M. Cioba, M. Voicu, C. Girbea, I. Gogeanu, sous presse aux Editions de l’Université de Bucarest.

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le dialogue occupe une place importante, voire essentielle, dans la rencontre entre l’écrivain et le Seigneur14.

Le manuscrit Français 769 (XIVe siècle) représente deux épisodes de la rencontre, au folio 1. Le premier nous montre l’auteur retourné, en train de dormir ; le Christ est debout, lève la main en signe d’enseignement et montre le livre ouvert ; il porte un manteau bleu, drapé, sur une tunique rouge, et il est nimbé de vert. Dans la deuxième image l’auteur s’est tourné vers le Christ dont la représentation présente quelques changements : le manteau est ouvert et le nimbe est devenu rouge. Les gestes en revanche sont les mêmes. Si le vert renvoie à ce qui change, ce passage du vert au rouge est là pour signifier que l’auteur peut percevoir le Christ différemment lors de ce deuxième stade d’initiation et après avoir reçu l’enseignement. N’oublions pas que le Seigneur demande par deux fois à l’auteur : « Pués tu encore entendre ne connoistre qui je sui ? »15 En tout cas, dans cette représentation, l’auteur ne fait plus aucun signe indiquant une conversation quelconque, il se borne à entendre et à voir, et la scène ressemble plus à une vision qu’à une discussion.

Dans le manuscrit Français 105 (XIVe siècle), au folio 1, le prêtre est couché mais il a les yeux ouverts ; le Christ est en tunique blanche et ouvre les bras comme s’il s’apprêtait à accueillir l’auteur. Il est entouré d’anges alors que dans les manuscrits discutés plus haut on le voyait seul. Cette scène retient moins les aspects doctrinaux et met l’accent sur le côté chaleureux, humain du Christ; on verra par la suite que même pour l’épisode de la rencontre de Mordrain avec le Seigneur l’artiste a représenté les deux comme s’ils se tenaient par la taille. En tout cas, là encore l’auteur semble avoir une vision sur Dieu plutôt qu’un contact direct avec lui.

Le manuscrit Français 9123 (XIVe siècle) présente, toujours au folio 1, l’auteur couché mais encore une fois ayant les yeux ouverts ; il tend la main et touche le livre que le Christ est en train de lui tendre. Cette enluminure aussi, tout comme celles que nous venons de commenter, met en scène l’être humain au stade de paralysie, mais l’on constatera qu’il rejoint cette voie de communication avec le Seigneur qui est l’écriture.

14 Le dialogue est aussi une constante pour les enluminures du XIIIe siècle figurant la rencontre entre un chevalier et un ermite, voir C. Girbea, « Quelques éléments… », art. cité. 15 Estoire…, éd. citée, p. 6.

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LES REPRÉSENTATIONS DU CHRIST DANS LES ENLUMINURES DE L’ESTOIRE DEL SAINT GRAAL CATALINA GIRBEA

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A la suite de ce bref aperçu sur les représentations du Christ au début de l’Estoire dans les manuscrits du XIVe siècle, une conclusion s’impose: on renonce à toute tentative de figurer un dialogue entre l’auteur et le Seigneur; l’homme est d’ailleurs à chaque fois couché. Il subit plus qu’il n’agit. Le Christ reste en revanche proche de lui. L’on constate que la combinaison bleu-rouge dans les vêtements du Christ, qui dominait au XIIIe

siècle , a été remplacée par le violet, couleur épiscopale. Par ailleurs, à partir du XIVe siècle, le violet intervient dans la plupart des représentations de saints16.

Le manuscrit Français 113 (XVe siècle) présente au folio 1 une étrange et originale mouture de la scène. On rappelle que ce manuscrit, de même que tous ceux de la série Français 113-116 a été commandité par Jacques d’Armagnac, qui a souhaité copier et modifier la série Français 117-120, commanditée par Jean de Berry17. Le manuscrit Français 113 met l’estoire sous le signe de l’histoire de Lancelot, détail assez original et qui fait penser non pas à une laïcisation de la littérature arthurienne, puisque le manuscrit présente pas mal de scènes religieuses, mais plutôt à une tentative de subordonner la sainteté et l’écriture révélée à l’aristocratie18. La première enluminure qui ouvre ce manuscrit montre un auteur en train d’offrir le livre à un roi en position majestueuse. Nous sommes loin des lettrines du XIIIe siècle qui faisaient commencer l’Estoire par une image du Christ. Le seul personnage en majesté ici est le souverain. La manière dont a été représentée la rencontre du prêtre-auteur avec le Christ ne nous étonnera donc guère.

L’auteur est couché, mais non pas par terre, au milieu de la nature, comme dans les images des siècles précédents; il ne porte plus un habit monacal ou érémitique. Il est couché dans un lit somptueux, il est coiffé d’un bonnet et il n’y a plus rien dans ses vêtements qui rappelle son statut religieux. Il fait plutôt figure d’écrivain de cour que de religieux éclairé par le Saint Esprit. Ceci sans parler du fait qu’il dort profondément, et qu’il n’est plus question, au moins à première vue, de vision, ni de dialogue, ni d’illumination. Certes, affirmer que la scène bascule entièrement dans le

16 C. de Mérindol, « Nouvelles réflexions… » art. cité., p. 304 sq. 17 S. A. Blackman, « A pictorial Synopsis of Arthurian Episodes for Jacques d’Armagnac, Duke of Nemours », dans Word and Image in Arthurian Literature, éd. K. Busby, New-York-Londres, 1996, p. 3-58. 18 C. Girbea, « Quelques hypothèses… », art. cité.

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domaine de l’onirique, du rêve, serait quelque peu forcé. Le Français 113 transforme la vision et l’intériorise totalement.

Le Christ est vêtu très sobrement en marron, à la manière des Franciscains, ce qui n’est pas étonnant si l’on se rappelle les liens étroits que Jacques d’Armagnac avait entretenus avec les Mendiants19; parmi les détails livrés dans le texte, l’artiste a surtout retenu la grande clarté. On voit donc un Christ flottant littéralement dans l’embrasure de la fenêtre; au lieu d’être nimbé, il se place dans une espèce d’auréole dorée. Il n’est ni à côté de l’auteur, ni de son lit, il n’est même pas dans le même espace que lui. Ce que l’artiste a retenu de la scène de l’Estoire est l’idée de rêve ou de vision intériorisée et une grande distance entre le Christ et l’auteur qui, de toute évidence, a tout perdu de sa représentation spiritualisée. C’est un écrivain ayant la vision d’un livre et non pas un prêtre en train de recevoir la lumière du Christ que nous présente somptueusement le Français 113.

Mordrain et le Christ Le roi Evalac, converti au christianisme par les soins de Joseph

d’Arimathie et de son fils Josephé, parvient à vaincre, grâce au signe de la croix, le roi Tholomé qui lui faisait la guerre depuis longtemps. Cependant, sa formation de chrétien n’est pas accomplie en profondeur. D’abord converti en tant que souverain, Evalac, devenu Mordrain après le baptême20, doit toucher la métanoïa et se convertir en tant qu’individu. C’est pourquoi il est enlevé par le Saint Esprit de son palais21, et porté sur une île déserte, espace où il doit affronter diverses tentations et où il reçoit un enseignement de la part du Christ lui-même. Le Rédempteur arrive incongnito, d’ailleurs il se sert de la nef comme d’un moyen de locomotion normal22, et seuls quelques signes précurseurs annoncent au lecteur sa véritable identité. Examinons le passage, avant de voir comment les artistes l’ont interprété dans leurs enluminures :

« Et lieve la teste, et voit une nef qui amenoit un home. Cele nef estoit mout petite, mais ele estoit merveilles bele : car li mas estoit aussi blans come flour de lis, et desus en haut avoit

19 S. A. Blackman, Observations sur les manuscrits religieux de Jacques d’Armagnac, Cahiers de Fangeux, 36, 1996, p. 371-386. 20 Son nom signifie « tardif en croyance », Estoire…, éd. citée, p. 148. 21 Estoire…, éd. citée, p. 171. 22 Comme le remarque aussi M. Szkilnik, L’archipel…, op. cit., p. 46.

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LES REPRÉSENTATIONS DU CHRIST DANS LES ENLUMINURES DE L’ESTOIRE DEL SAINT GRAAL CATALINA GIRBEA

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une crois vermeille. Quant cele nés fu arrivee a la roce, si fu avis au roi que toutes les bones odours del monde fuissent amassees en cele nef : et quant il voit ou voile le signe de la crois, si en fu plus asseür. Lors issi uns mout biaus hom hors de la nef. Et saciés que ce estoit li plus blans hom qui oncques fust veüs. Et quant li rois le vit, si l’enclina. (…) Lors li demanda li rois au bel home, s’il li pleüst, qu’il li deïst la verité qui il est et que il set faire : et il dist qu’il savoit faire un lait home et une laide feme venir a si grant biauté conme nule biautés puet estre. Et si saciés que nus autres hom ne le puet faire se je ne li aprens. Et si sai faire d’un povre riche et d’un fol sage, et de bas haut. (…) Certes, dist il : je suis apelés par mon droit non : Tout en tout. »23

Ensuite, l’homme arrivé par mer explique longuement l’importance du signe de la croix, sans lequel rien ne peut être fait :

« Diva, pour ce porte je cel signe avoec moi. Car on ne fera ja bone œuvre sans lui. Et saces que tant que tu aies cel signe avoec toi et en ta compagnie, tu n’as garde que nule chose soit en ta nuisance, mais que tu aies parfaite creance en toi. »24

Par ailleurs, plus loin dans le roman le Christ est appelé le Grans Crucefis25.

Le Christ fait plusieurs apparitions devant Mordrain qui se trouvait sur le rocher. Il vient pratiquement tous les jours, et se rapproche de lui de plus en plus, lui dispensant enseignement et consolation. Le terrain est propice pour que les artistes ou les commanditaires choisissent une séquence ou une autre de ce dialogue quotidien entre le roi et le Seigneur, et ces choix sont déjà en eux-mêmes des indices sur la réception de cet épisode. Comme on pourra le voir, ce n’est pas juste une rencontre entre le Christ et un roi arthurien, la scène acquiert par moments des connotations politisées, et l’on peut observer la manière dont est envisagé le rapport entre le Christ et la royauté26.

23 Estoire…, éd. citée, p. 185. 24 Ibid., p. 186. 25 Ibid., p. 198. 26 Certains manuscrits choisissent de ne pas représenter Mordrain avec le Christ, ni avec le diable, mais ils sont rares. Ainsi, le Français 344, au folio 29v (XIIIe

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ACTES DU 22e CONGRÈS DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE ARTHURIENNE, RENNES, 2008 PROCEEDINGS OF THE 22nd CONGRESS OF THE INTERNATIONAL ARTHURIAN SOCIETY, 2008

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Le texte nous présente le Christ comme un homme beau et blanc. Le sens du terme blanc est probablement resplendissant27, mais l’on constate que pour deux manuscrits le mot est pris au pied de la lettre et le Christ est vêtu de blanc. Dans le Français 110 (XIIIe siècle), au folio 6, les indications du rubricateur disent : « …un hom vestus de robe blanche issi d’une nef… ». Il est vêtu modestement, non nimbé. Il est figuré en vieil homme alors que le texte nous le présente comme un très bel homme. Ce changement est peut-être le résultat d’une confusion entre cette séquence et une autre où Nascien, lui aussi exilé sur l’île Tournoyante, voit venir un homme d’une « très grand âge »28. La seule marque discrète de l’identité du visiteur est le fait qu’il marche sur l’eau. Ce détail peut, en revanche, venir d’une autre confusion entre le Christ qui vient réconforter Mordrain et l’apparition de l’esprit de l’ermite Saluste en pleine mer, puisque ce dernier vient en marchant sur l’eau, preuve de sa sainteté29. Dans notre image, le Christ ne semble pas consoler le roi, mais plutôt se mettre à son service dans un geste d’humilité. Son attitude montre un souci de compassion pour l’homme. Par ailleurs, cette posture du fils de Dieu se retrouvait déjà dans quelques représentations du XIe siècle30. Erwin Panofsky a montré comment à la fin du XIIIe siècle, surtout dans l’Europe du Nord, commence à s’introduire l’image du Christ de Pitié comme image de dévotion. Les représentations du Christ en majesté, en basileus, restent de plus en plus confinées au Byzance31.

De son côté, Mordrain, placé presque plus haut que le Seigneur, fait des gestes comme s’il était en train de livrer un enseignement32. Il est muni de ses attributs royaux, il porte une couronne et un manteau bleu foncé. Au-dessus de sa tête on peut observer une espèce de nimbe qui peut venir soit de la décoloration accidentelle de l’encadrement ou bien d’une

siècle) montre le roi tout seul, couronné, les mains jointes en geste de prière. Pour cet artiste, l’homme est seul et doit avant tout se découvrir tout seul. 27 C’est également le choix de P. Walter pour la traduction du texte. 28 Estoire…, éd. citée, p. 278. 29 Ibid., p. 211. 30 Voir par exemple le Christ et le démon dans le Sacramentaire de Echternach de la Bibliothèque royale de Bruxelles, dans Christi Passion, éd. F. Oslender, Hambourg, 1965, fig. I, ou bien dans Das Antlitz Christi, éd. F. Oslender, Hambourg, 1965, fig. 9. Au XIIe siècle on lui retrouve la même position dans la Bible de l’abbé Gebhard de Admont, Vienne, Bibliothèque Nationale, fig. 12 dans Antlitz Christi…, op. cit.. 31 E. Panofsky, Peinture et dévotion à la fin du Moyen Age, Paris, Flammarion, 1997, p. 13-28. 32 F. Garnier, Le langage de l’image au Moyen Age, Paris, 1989, Le Léopard ‘Or, p. 170.

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LES REPRÉSENTATIONS DU CHRIST DANS LES ENLUMINURES DE L’ESTOIRE DEL SAINT GRAAL CATALINA GIRBEA

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intention de l’artiste de le figurer comme presque sanctifié. La croix dépasse en hauteur aussi bien le Christ que le roi. Dans le manuscrit Français 749 (XIIIe siècle), au folio 39, le Christ est toujours vêtu de blanc, en revanche là il est nimbé. Il est assis dans la nef, à un niveau beaucoup plus bas que Mordrain, les bras croisés comme s’il ne souhaitait par parler. Seule la croix du bateau dépasse le tout et rééquilibre la perspective. C’est de nouveau le roi, assis en position de majesté, qui semble s’exprimer et gesticuler, hissé sur une roche, couronné, et vêtu d’un manteau violet.

Dans le manuscrit Français 24394 (XIIIe siècle), au folio 35v, les images se compliquent. Le Christ n’est plus du tout représenté conformément au texte. Il est couronné, d’une couronne complète, il porte un manteau rouge et il fait des gestes symétriques à ceux de Mordrain. La couronne peut, certes, renvoyer à la royauté céleste, mais elle aussi signe d’une dignité temporelle ou d’une charge ecclésiastique. On n’exclut pas totalement l’hypothèse qu’elle puisse figurer une tiare. Le souverain pontife porte une couronne sur sa toque depuis 1130, et c’est seulement en 1303 que Boniface VIII rajoute la deuxième couronne, ce qui veut dire qu’à l’époque où notre enluminure a été réalisée, l’objet qui coiffe le Christ peut très bien être une tiare. Par ailleurs, le manteau rouge ne fait pas beaucoup de doute, puisqu’il est, selon la tradition, légué par Constantin à Rome. De son côté le roi est assis, couronné et il porte un manteau bleu. Le violet peut être vu comme un signe d’investiture religieuse, comme si le roi avait tous les pouvoirs cumulés. La rencontre avec le Christ perd donc de son innocence intemporelle et acquiert des significations politiques profondes. Mordrain n’est plus juste le roi supposé mener son peuple vers le salut mais aussi celui qui doit répandre la bonne nouvelle et évangéliser son pays. La croix du bateau encore présente dépasse le tout. A l’arrière de la nef on peut observer une espèce de barreur.

Dans le manuscrit Français 19162 (XIIIe siècle), folio 45v, la scène reprend les mêmes éléments. Il se peut que les deux manuscrits proviennent du même atelier. Mordrain est couronné et vêtu exactement de la même manière que dans le Français 24394. En revanche, le Christ porte lui aussi un manteau bleu et non pas rouge et il est coiffé d’une toque au lieu d’une couronne. Leurs gestes sont symétriques, et le barreur apparaît dans la nef comme témoin. Le roi est assis au point le plus haut de l’image et même la croix du bateau est cette fois à un niveau inférieur.

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Ces deux images sont singulières dans le sens où elles mettent en scène une rencontre entre deux types de pouvoirs. Cette interprétation est corroborée par le fait que la nef est souvent dans l’exégèse une figuration de l’Eglise33. La présence du barreur, qui, sur le plan littéral, transforme le bateau en moyen de locomotion normal, évacue le merveilleux. Nous sommes juste après le règne de saint Louis, qui dans la Sainte Chapelle avait inspiré tout un programme iconographique renvoyant à la royauté de Salomon et de la nouvelle Jérusalem transposée à Paris34. De surcroît, comme Martin Aurell l’a montré, Philippe III le Hardi, le successeur de saint Louis, dirige en 1285 à la croisade contre la Catalogne, dans l’intérêt du Saint Siège et en tant que main droite du pape35. Les deux enluminures présentent un message clair de propagande royale, conformément auquel le devenir de l’individu qui discute avec le Christ et celui du roi s’entretenant avec un représentant du pouvoir spirituel, qu’il soit pape ou pas, apparaissent comme inséparables.

L’on peut conclure à la suite de cette série d’images du XIIIe siècle que la royauté semble avoir une place fondamentale face au Christ. Le souverain reste dans la position d’intronisation, représenté avec tous ses attributs. Il est systématiquement vêtu de bleu, couleur qui avait frayé son chemin en Occident après la fin du XIIe siècle36. Par ailleurs, le roi porte la couleur de prédilection des Capétiens et surtout de saint Louis qui à partir de 1260, selon Joinville, choisit de se vêtir de bleu et de bannir le rouge et le vair en signe de tempérance37. Dans toutes les images il converse avec le Seigneur, il lui parle de manière directe et sans détours. Il ne semble pas être son serviteur, mais plutôt son allié. Les manuscrits proviennent tous de la France ou de la Belgique, et ce n’est pas étonnant de voir ce genre de représentation là où la royauté française commençait à se manifester de plus en plus comme une royauté de droit divin, et où le souverain s’arroge un pouvoir absolu et inaliénable. Quant au Christ, lorsqu’il n’est pas blanc,

33 M. Szkilnik, Archipel…, op. cit., p. 53. 34 Daniel Weiss, Art and Crusade in the Age of Saint Louis, Cambridge, Calmbridge University Press, 1998, p. 53-75.

35 M. Aurell, « Conclusions », dans La noblesse dans les territoires angevins à la fin du Moyen Age. Actes du colloque d’Angers (3-6 juin 1998), dir. N. Coulet, J.-M. Matz, Rome, 2001, p. 749-770. 36 M. Pastoureau, Jésus…, op. cit., p. 43 sq. 37 J. Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 136-139.

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couleur qui le caractérise souvent aux yeux des artistes, il est vêtu de bleu en association avec le rouge, combinaison très fréquente en Occident à partir de la fin du XIIe siècle38. Il porte juste une fois un nimbe, alors que le reste du temps il est transfiguré au gré des artistes, en ermite ou en pape. Le seul détail qui semble tenir compte du texte est la croix, essentielle dans toutes les enluminures, seul élément fixe à travers cette série de métamorphoses et déguisements.

Dans le manuscrit Français 105 (XIVe siècle), nous observons un changement de taille. Au folio 47v, le bateau reste derrière, et le Christ vient à côté du roi. Ils sont tous les deux debout et discutent. Le Christ n’est pas nimbé, il est vêtu de bleu, et ses gestes indiquent un enseignement dispensé au roi. Mordrain, couronné, est placé en position très familière avec le Seigneur, il l’embrasse presque. L’artiste a probablement choisi volontairement le passage du roman où le Christ vient sur le rocher à côté du roi et le prend par la main39. Le roi est vêtu de rouge, signe du pouvoir temporel dans ce cas.

Dans le manuscrit Français 9123 (XIVe siècle, fol. 38), l’on voit deux représentations de la rencontre entre les deux. La première place le Christ, toujours non nimbé et vêtu de rouge, sur un bateau où la croix n’est plus un élément du navire, elle est dorée et se trouve entre les mains du Seigneur qui la montre au roi. De son côté Mordrain, assis à genoux, en position de prière et dévotion devant le signe qui l’avait aidé à vaincre son adversaire, porte un manteau bleu. Le pouvoir royal s’incline devant la croix. Le geste du Christ, sans paroles, renvoie à une révélation immédiate, essentielle, qui passe par la vue et non par le discours. Le seul enseignement que semble recevoir le souverain est que son pouvoir n’est rien sans le signe tout puissant de la croix, tout comme il est dit dans le texte de l’histoire. Le folio suivant intervertit les couleurs dans les vêtements des personnages. Cette scène est probablement une tentative de l’artiste de montrer le résultat de la rencontre, ou se déroule tout simplement un autre jour, puisque le souverain et le Seigneur se voient tous les jours. Le Christ semble en train de partir, toujours en montrant la croix. Le roi a acquis non seulement le manteau du Christ, mais aussi une couronne complète. La rencontre a comme résultat l’amélioration du souverain comme chrétien, mais aussi son

38 Comme les recherches de M. Pastoureau l’ont montré. 39 Estoire…, éd. citée, p. 196 : « Lors vint avant li sires de la nef et le prist par la main. »

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investiture. Il reprend la posture qu’on a déjà observée dans les autres images, plus haut placé que le Seigneur, à qui il parle en égal. L’inversion des couleurs rappelle aussi la transfiguration de Jésus devant les apôtres. Rappelons d’ailleurs que dans le texte, le bel homme se fait connaître et se définit par son habilité à changer et renverser les choses, à l’aide de la croix. Cette double capacité à se transfigurer et à transfigurer semble dominer le choix de l’artiste du manuscrit Français 9123.

Sur l’ensemble, l’on peut observer qu’au XIVe siècle la couleur du Christ devient le bleu lorsqu’il est en contact avec un monarque. Il n’est vêtu de rouge qu’au folio 38, uniquement pour changer cette couleur avec le roi qui, de son côté, est vêtu de rouge le plus souvent, en reprenant des attributs de pouvoir plus somptueux. La relation se fait plus étroite et plus intense. Le Christ n’est plus jamais nimbé, il apparaît dans toute sa dimension humaine. S’ils ne s’embrassent pas, ils changent leurs vêtements. Aucun des deux n’est assis, ils semblent être dans une position active et moins majestueuse. La rencontre a lieu entre des individus reliés par la croix et par la foi. Selon une grille de lecture politique, le souverain ne semble pourtant pas pouvoir exister en dehors d’une investiture par le Christ.

CATALINA GIRBEA

UNIVERSITÉ DE BUCAREST – CESCM POITIERS