19970000-CJS-Vol 22, n° 3-Sociotypes des surendettés

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Sociotypes des surendettés Author(s): Gérard Duhaime Source: The Canadian Journal of Sociology / Cahiers canadiens de sociologie, Vol. 22, No. 3 (Summer, 1997), pp. 319-344 Published by: Canadian Journal of Sociology Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3341625 . Accessed: 06/06/2011 06:49 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=cjs. . Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. Canadian Journal of Sociology is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to The Canadian Journal of Sociology / Cahiers canadiens de sociologie. http://www.jstor.org

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Sociotypes des surendettésAuthor(s): Gérard DuhaimeSource: The Canadian Journal of Sociology / Cahiers canadiens de sociologie, Vol. 22, No. 3(Summer, 1997), pp. 319-344Published by: Canadian Journal of SociologyStable URL: http://www.jstor.org/stable/3341625 .Accessed: 06/06/2011 06:49

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Sociotypes des surendettes

Gerard Duhaime'

Resume. Fondee sur une analyse de contenu d'entrevues realisees en 1994 aupres de menages surendettKs du Quebec, cette recherche qualitative propose quatre sociotypes: le Vulne'rable, dont l'endettement est lie a une probl6matique de pauvrete, le Malchanceux, victime d'ev6nements traumatisants, le Parvenu, cherchant a se conformer a l'image exigeante qu'il se fait de la reussite sociale, le Compulsif, ayant un rapport pathologique a la consommation. Les r6sultats, qui concordent generalement avec les connaissances accumulees, mettent en 6vidence des types de surendettement peu documentes jusqu'ici, et propose une elucidation des rapports entre les comportements de consommation et les repr6sentations sociales des sujets.

Abstract. Based on an analysis of in-depth interviews with a sample of overindebted households in Quebec in 1994, this research develops four sociotypes: the Vulnerable whose debts are a function of poverty, the Unlucky who suffer from unfortunate events, the Upstart who tries to conform to the image of social success, and the Compulsive whose consumption patterns are pathological. Comparable to findings of previous research, these findings offer a synthesis, revealing typical pathways toward overindebtedness, misunderstood thus far, and propose an elucidation of the complex relationships between consumption behaviour and social meaings given to comsumption.

Charles se demanda plusieurs fois par quel moyen (...) pouvoir rembourser tant d'argent; et il cherchait, imaginait des exp6dients, comme de recourir a son pere ou de vendre quelque chose. Mais son pOre serait sourd, et il n'avait, lui, rien a vendre. Alors il decouvrait de tels embarras, qu'il 6cartait vite de sa conscience un sujet de meditation aussi desagreable.

Gustave Flaubert, Madame Bovary (1857).

1. Sciences de la consommation, Edifice Paul-Comtois, Universit6 Laval, Quebec (Canada), G 1K 7P4. Cette recherche a ete financee par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

Canadian Journal of Sociology/Cahiers canadiens de sociologie 22(3) 1997 319

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320 Canadian Journal of Sociology

Introduction

Dans le quotidien d' un grand nombre de familles canadiennes, le surendettement est une lourde realite. Dans les chiffres officiels, il n'existe pas.2 I1 faut se rabattre sur les donnees concernant la pointe de l'iceberg, c'est-'a-dire le nombre de faillites de consommateurs, ou sur les rares statistiques corporatives disponibles pour en avoir une faible mesure. En dix ans, de 1983 'a 1992, le credit a la consommation accorde par tous les preteurs s'est accru en moyenne de 9% par annee, tandis que le revenu personnel disponible s'est accru au rythme annuel moyen de 6%. En 1992, le credit 'a la consommation atteignait 98 milliards $, et le credit hypothecaire 314 milliards $ (Statistique Canada, 1994a: 13, 1986: 55). Durant la meme periode, le nombre annuel de faillites de con- sommateurs canadiens a plus que double, passant de 26 822 'a 61 822 (Statistique Canada, 1994b), comme le nombre des comptes en souffrance des cartes de credit Visa et Mastercard, passant de 6,4 millions 'a 12,4 millions (ABC, 1994). Si l'on appliquait au Canada les estimes de Faber et O'Guinn (1989: 742) concernant l'incidence de la compulsivite d'achat, il faudrait conclure qu'il existe quelque 1,5 millions de Canadiens aux prises avec des problemes lies a l'achat incontrolable. Quelque part entre ces chiffres, entre 61,822 et 12,4 millions, des Canadiens se debattent avec le surendettement.

La couverture statistique de ce probleme est defaillante; sa comprehension a cependant fait l'objet d'etudes dont les acquis sont considerables. Generale- ment quantitatives, les recherches concernant ces problemes mettent en evidence des associations statistiques significatives positives entre la pauvrete economi- que, le surendettement (Lee, Webley et Levine, 1993: 114-115; Yu, 1993: 359; Livingstone etLunt, 1992: 124; MilliaretMoran, 1991: 272; Parker, 1987: 253) et l'incidence d' evenements traumatisants de la vie, comme la perte d'un emploi, la maladie, le divorce, la perte du conjoint (Finnie, 1993: 217-228; Bohmker, 1992: 239; Conaty, 1992: 76; Ford, 1992a: 224-225; Hira, 1990, Warren, 1990: 20; Parker, 1987: 243; Hira, 1982: 30; Katona, 1975: 276-277). Dans cette foulee, des chercheurs ont tente de degager des profils socio-economiques des endettes et surendettes (Lea, Weably et Levine, 1993: 114; Antel et Berry, 1992: 67; Mitchell, 1992:100; Canner, Luckettetal., 1991:225; Hira, 1990: 166-68); profils par ailleurs contestes (Caplovitz, 1992b: 280; Freytag, 1992: 233; Warren 1990: 18, 20; Sullivan, Warren et Westbrook, 1989). En outre, les recherches en psychologie economique ont montre des relations significatives entre l'utilisa- tion du credit et les variables attitudinales (Liao, 1994: 167; Lea Webley et

2. La constatation est d'autant plus navrante pour le Canada que les pays europeens ont realise des efforts importants pour produire des mesures adequates d'un phenomene ici ignore (INC 1995, Huls 1995, Birmingham Settlement 1993, ICBSRTC 1993, Reifner et Ford 1992, Berthoud et Kempson 1992, Leron 1991).

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Sociotypes des surendettes 321

Levine, 1993: 117; Norton, 1993: 20; Tukunga, 1993: 298-299,310; Caplovitz, 1992b: 281; Conaty, 1992: 72; Livingstone et Lunt, 1992: 125; Lunt et Livingstone, 1991: 318; Cameron et Golby, 1990a: 245; 1990b: 471-472; Caplovitz, 1987: 119; Danes et Hira, 1986:257-258; Jannoff-Bulman et Hanson Frieze, 1983: 5-6; Katona, 1975: 276) et l'achat compulsif (Elliot, 1994; Fabien et Jolicoeur, 1993; Friese, 1992; Hirschmann, 1992; D'Astous, 1990; D'Astous, Maltais et Roberge, 1990; Scherhorn, 1990; D'Astous, Valence et Fortier, 1989; Faber et O'Guinn, 1989; Faber et O'Guinn, 1988; Faber, O'Guinn et Krych, 1987; Reed, 1985: 35-39). Enfin, quelques syntheses ont egalement tente de dresser la liste des facteurs personnels, psychosociaux et economiques lies au surendettement (Conaty, 1992: 76; Ford et al., 1992; Kaatz et al., 1992; Reifner et Ford, 1992).

Ces etudes laissent dans l'ombre certains aspects importants du probleme du surendettement, auxquels cette recherche est consacree. Elles ne rendent pas compte des situations de surendettement affectant les menages oiu la pauvrete 6conomique et les evenements traumatisants ne peuvent servir de determinant principal; elles ne rendent gen6ralement pas compte de la genese du surendette- ment vecu par le sujet, puisqu'il est le plus couramment consid6re comme le resultat de traumatismes ponctuels, ou de determinants sociaux herites. Cette recherche a pour objectif d'examiner, 'a l'aide de donnees qualitatives, les diverses trajectoires menant au surendettement de maniere 'a en faire ressortir des modeles tenant compte de toutes les situations rencontrees. En ce sens, elle vise aussi 'a permettre d'assister le diagnostic en situation d'intervention, d'envisager des interventions adaptees 'a la diversite des situations et, 'a terme, d' inspirer des modifications au cadre legal regissant l'industrie du credit.

Cadre conceptuel

Le surendettement est ici considere dans ses manifestations comme une situation d'endettement (comprenant toutes les dettes a la consommation et les dettes hy- pothecaires) telle que le sujet eprouve des difficultes 'a rencontrer ses obligations financieres, et qui, 'a un moment ou l'autre, fait defaut de les rencontrer (Ford, 1992a: 224; Reis, 1992: 55). Typiquement, le surendette est donc celui qui se voit oblige de ne payer que des portions de ses charges ou de ses dettes, parce qu' il ne peut les payer entierement. Cette definition empirique est deliberement large, de maniere 'a considerer la plus grande diversite possible de situations. Elle n'est pas comptable, et cela aussi est fait a dessein. Le surendettement n'est pas ici considere comme une situation exclusivement 6conomique. Dans notre perspective, il est postule que le surendettement n'est pas reductible ni 'a une cause unique ni 'a une serie, meme complexe, de causes 6v6nementielles, dont on pourrait en quelque sorte suivre la trace par l'evolution des ratios d'analyse, ni 'a des dispositions du sujet quant 'a ses responsabilit6s financieres.

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322 Canadian Journal of Sociology

Le surendettement est un cycle (Duhaime, 1996). La p6riode de surendette- ment proprement dite est precedee de la socialisation du sujet, au cours de laquelle, par l'education et l'experience notamment, il forme peu a peu ses habitudes et ses attitudes, les unes repondant aux autres, 'a l'egard de la vie 6conomique. Il est autonome dans sa vie adulte lorsqu'il entre dans la periode d'accumulation de dettes, la phase descendante du cycle, au cours de laquelle se multiplient les difficultes jusqu'au un moment oju, epuise de tenter de regler 'a la petite semaine un probleme devenu trop vaste, il se resout 'a changer de comportement. Il entre alors en pe'riode de re'mission, la phase ascendante du cycle, marquee par des mouvements d'ampleur plus ou moins grande, censes retablir sa sante financiere. Au gre d'une conjoncture qui favorise les effets de sa resolution, le sujet brise le cycle et en sort. Mais il s'agit bien d'un cycle, et il n'attend pas necessairement sa phase descendante pour entreprendre sa remission; il se butte aux obstacles de l'ascension, qui le reconduisent en accumulation, et ainsi de suite.

Une caracteristique essentielle de cette perspective est que, dans le mouve- ment cyclique du surendettement, les pratiques et les representations se nourrissent et se modifient mutuellement: le sujet explique toujours ses actions par des rationalisations jusqu'a ce que la dissonance devienne insupportable; alors ou les unes ou les autres, ou les deux plus ou moins a la fois. Ces ajustements determinent largement, mais non uniquement, la suite ascendante ou descendante de la trajectoire. En eux-memes, les faits comptables et les evenements derriere eux peuvent permettre de suivre la marche du sujet dans le cycle. Mais seule l'6tude du processus de rationalisation permet de comprendre les divers comportements qu'adoptent les sujets surendettes. C'est ce cadre, empruntant la vision sociologique classique selon laquelle l'univers materiel et l'univers symbolique sont dialectiquement lies, que nous utiliserons ici.

Methode et limites

En 1994, des entrevues en profondeur ont ete menees aupres de membres de menages surendettes de diverses regions du Quebec. L'echantillon des vol- ontaires a ete constitue avec le concours des associations locales d'aide aux consommateurs de maniere a rendre compte de 1'eventail des cas rencontres suivant des directives precises. Il s'agit d'un echantillon dit typique non probabiliste; s'il ne permet pas la mesure des phenomenes ni l'inference statistique, il demeure toutefois indique dans le cadre d'une recherche explora- toire dont l'objet est d'identifier des phenomenes (Beaud, 1992: 209; Gravitz, 1986: 593-594). La technique echantillonnale employee apu introduire quelques biais: au-dela des directives transmises aux associations participantes et comprises dans un protocole de recherche detaille, des criteres de selection non explicites ont pu etre utilises pour choisir les sujets; de meme, des sujets

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Sociotypes des surendettes 323

sollicites ont pu refuser de collaborer. Ces biais sont imparfaitement controlables et conduiront 'a limiter la port6e des resultats. Toutefois, pour en attenuer les effets potentiels, le nombre d'entrevues effectuees a ete rehausse au-del'a du minimum generalement convenu (n = 30), et bien au-dela du nombre auquel nous aurions pu nous limiter si nous avions utilise la regle de la saturation, courante dans ce type de recherche qualitative (Morse, 1994: 230).

L'unite d'analyse de cette recherche est le menage (n = 49) (Tableau 1). Les entrevues (n = 61) etaient realisees par un membre de l'equipe de recherche avec le chef du menage (n = 37) ou avec le chef du menage et son conjoint (n = 12, soit la moitie des menages 'a deux conjoints). En plus d'un questionnaire concernant les variables socio-economiques usuelles et les dettes, les volontaires devaient completer un test de depistage de compulsivite d'achat (D'Astous, Valence et Fortier, 1989: 10-11) et livrer leur histoire de vie 'a l'aide d'une entrevue semi-dirigee combinant l'approche biographique (Smith, 1994) et celle du cycle de vie familial (Duhaime et al., 1991: 479-486). La participation du conjoint aux entrevues a pu introduire des biais d'un autre genre, notamment: la discretion de l'un ou l'autre des repondants par rapport 'a certains aspects biographiques, l'embellissement ou l'attenuation de la realite, l'attribution des torts 'a l'un ou l'autre des conjoints, la victimisation. Il y a d'ailleurs tout lieu de croire que des biais pareils puissent avoir ete presents, a un degre moindre peut- etre, dans le discours des sujets interroges seuls, a cause de la connotation negative attribuee 'a la situation de surendettement. Une analyse psychologique des rapports entre conjoints reveles par les entrevues de couple, et des strategies de defense presentes dans le discours des sujets interroges seuls, auraient pu permettre de contextualiser le discours. Nous ne l'avons pas fait. A cette phase exploratoire de nos travaux, nous avons choisi de considerer les evenements et les perceptions rapportes comme vrais pour le locuteur. Ce choix imposera lui aussi des limites 'a la portee des resultats.

Les entrevues etaient enregistrees sur bande magnetique puis soumises 'a une analyse de contenu (Bardin, 1983), d'abord par retranscription sur fiches manuscrites des elements semantiques (evenementiels et perceptifs), puis par saisie informatique des elements fondamentaux, et par une serie de vagues classificatoires ulterieures. Au total un peu plus de 3 000 fiches manuscrites ont ete confectionnees, et quelque 2 500 unites semantiques fondamentales ont ete saisies par ordinateur; une centaine d'entre elles ont ete rejet6es soit parce qu'elles etaient ambigues ou incomprehensibles apres une audition de verifica- tion des bandes, soit parce qu'elles etaient redondantes.

La classification des unites semantiques a permis, 'a partir des evenements et representations relates par les sujets, d'identifier les facteurs en cause dans les trajectoires du surendettement. Certaines variables usuelles n'ont pas ete considerees a cette etape-ci de l'analyse. L'age des repondants et le stade du cycle de vie familiale, de meme que le sexe des repondants, ont ete analyses

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324 Canadian Journal of Sociology

Tableau 1.

Indicateurs

quantitatifs

concernant les

menages

surendettes de

l'echantillon.

Indicateurs

Unites de

mesure

Sociotypes

Total

Vulnerable

Malchanceux

Parvenu

Compulsif

Repondants

principaux

Nombre

total

16

8

12

13

49

Repondants

Nombre

total

21

11

20

9

61

% de

femmes

43

75

50

78

53

Age,

repondants

principaux

Moyen

36.9

42.0

37.5

32.6

37.1

Ecart-type

9.1

10.1

9.9

9.0

9.6

Scolarite,

repondants

principaux

Moyenne

des

annees

completees

12.2

12.6

15.6

14.8

13.7

Ecart-type

3.6

2.6

3.1

3.0

3.5

Repondants

avec

conjoint

%

des

repondants

principaux

37

37

66

44

42.8

Enfants

Age

moyen

7.4

13.4

9.3

10.6

9.0

Nombre

moyen

par

menage

1.4

0.6

1.3

0.6

0.9

Repondants

locataires

%

des

repondants

principaux

81

62

42

60

58

Score de

compulsivite

Moyen

45.1

47.1

45.3

23.3

41.2

Ecart-type

7.4

7.8

8.3

7.3

11.6

Repondants

ayant

faillis

%

des

repondants

principaux

31

37

25

44

30.6

Revenu

annuel du

menage'

Moyenen $

15

612

13

785

32

046

23

173

20

205

Ecart-type en $

8

286

6

211

11

704

6

468

10

484

Dette du

menage

Dette

totale en $

17

601

15

003

52

358

48

156

30

809

Dette

hypothecaire en $

7

769

6

600

31

167

24

571

15

903

Dette a la

consommation en $

9

832

8

403

21

192

23

584

14906

Ratio

d'endettement du

menage

Dette

totale/revenu

annuel

1. 13

1.09

1.63

2.08

1.52

Dette

hypothecaire/revenu

annuel

0.50

0.48

0.97

1.06

0.79

Dette a la

consommationlrevenu

annuel

0.63

0.61

0.66

1.02

0.74

1.

Les

donn6es

econom:iques

rendent

compte de la

situation

des 30

menages

pour

lesquels

elles

etaient

completes.

Les

autres

donnees

sont

basees

sur les

dossiers

des 49

m6nages.

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Sociotypes des surendett6s 325

systematiquement a posteriori. En effet, il existe des correlations entre 1' age des repondants, le stade du cycle de vie familiale et l'endettement (par exemple: Berthoud et Kempson, 1992), de sorte que l'utilisation de ces variables comme criteres classificatoires de base aurait masque l'influence des autres variables 'a 1' etude. Le sexe n' a pas ete utilise comme variable classificatoire a priori parce que l' unite d' analyse de la recherche est le menage. Il est possible de realiser une analyse par categorie de sexe des faits reveles; il s'agit cependant d'une analyse trop complexe pour etre discutee adequatement ici, et nous avons choisi de limiter le present examen de la question 'a l'analyse a posteriori. Six groupes d'indicateurs principaux ont ainsi ete identifies, 'a l'interieur desquels tout le corpus discursif pouvait etre ramene. Ces groupes d'indicateurs sont:

1) la socialisation a la vie economique (SOC): presence ou absence d'education parentale au credit en particulier, experience positive ou negative personnelle ou dans l'entourage significatif face a la consommation, 'a 1'epargne et au credit, de l'enfance 'a la vie adulte jusqu'au debut de la periode d'accumu- lation de dettes.

2) l'occurrence d'6evenements traumatisants (TRA): chomage, maladie grave, violence subie, separation ou divorce, durant la vie adulte.

3) la diversite des moyens financiers connus et utilises (MOY): argent comptant, cheques, cartes ou emprunts de diverses especes, isolement ou combines.

4) la situation socio-economique du menage (SSE): education, occupation, duree d'emploi, revenus globaux, durant la vie adulte ou au moment de 1'entrevue.

5) les habitudes de consommation (HAB): pratiques de budgetisation, comportements de depense, emprunt et epargne, incluant la planification, l'impulsivite, et les multiples variantes, durant la periode d'accumulation de dettes.

6) 1'attribution de la responsabilite de la situation de surendettement (RES): attribution de la responsabilite 'a soi ou 'a d'autres, perception correlative des causes et des consequences de la situation, durant la periode d' accumulation.

Pour chacun des sujets, tous les groupes d'indicateurs ont ete codifies selon qu'ils pouvaient etre compris comme un attribut positif ou negatif, ulterieure- ment situe par jugements comparatifs sur une echelle 'a 5 categories (++, +,

-, -). Par exemple, le groupe d'indicateurs concernant la situation socio- economique etait code positivement chez un sujet possedant une forte education scolaire, exercant une profession, occupant un emploi stable et obtenant des revenus eleves (Tableau 2). Sur la base de ces resultats, chacun des sujets a ete compare systematiquement avec tous les autres. Cette operation a conduit a une classification des sujets en quatre categories distinctes, deter-

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326 Canadian Journal of Sociology

Tableau 2. Table de base pour la codification comparative des groupes d'indicateurs.

Groupe d'indicateurs Codification comparative

Positive Negative

Soc Education parentale posi- Education parentale nega- Socialisation a la vie eco- tive; experience positive tive; experience negative nomique de consommation, epargne de consommation, epargne

ou credit dans la periode ou credit dans la periode precedant le surendette- precedant le surendette- ment. ment.

TRA Stabilite evenementielle; Occurrence d'evenements Evenements traumatisants non occurrence d'evene- tel ch6mage abrupt, mala-

ments tel ch6mage abrupt, die grave, violence subie, maladie grave, violence su- separation ou divorce du- bie, separation ou divorce rant la vie adulte. durant la vie adulte.

MOY Forte diversite des moyens Faible diversite des moy- Moyens financiers connus financiers utilises et con- ens financiers utilises et et utilises naissance adequate en connaissance incomplete

periode d'accumulation. ou inadequate en periode d'accumulation.

SSE Education scolaire forte; Education scolaire faible, Situation socio-economi- metiers qualifies ou pro- occupation specialisee ou que fession; emplois stables; non qualifiee; emplois

revenus eleves durant la instables; revenus faibles vie adulte ou au moment durant la vie adulte ou au de l'entrevue. moment de l'entrevue.

HAB Budgetisation; planifica- Absence de budgetisation Habitudes de consomma- tion des depenses, des explicite; depenses, em- tion emprunts ou de l'epargne prunts ou epargne non

durant la periode d'accu- planifies, comportements mulation. compulsifs durant le

periode d'accumulation. RES Attribution de la responsa- Attribution de la responsa- Attribution de la respon- bilite a soi; reconnaissance bilite a d'autres ; non re-

sabilite du r6le du sujet dans la connaissance du r6le du situation durant la periode sujet dans la situation du- d'accumulation. rant la periode d'accumu-

lation.

minees par des differences fondamentales dans l'agencement des groupes d'in- dicateurs. Le resultat de cette classification est decrit ici dans ses grandes lignes.

Or ces categories forment des types, au sens sociologique classique: ils sont des syntheses << abstractives >> permettant de voir et de faire voir ce qui distingue fondamentalement les realit6s etudiees les unes des autres, permettant de voir et de faire voir ce qui est commun 'a l'ensemble. Ces types ne correspondent donc

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Sociotypes des surendettes 327

jamais en tous points 'a la realite empirique du sujet, qui s'en distancie plus ou moins par la variete des faits biographiques et symboliques. Ils sont precisement des modeles qui rendent compte des agencements determinants des facteurs du surendettement, integrant les facteurs connus et documentes dans la litterature, et des facteurs moins etudies, notamment les facteurs socio-symboliques. Cette approche conduit essentiellement 'a decrire chacun des types par les traits communs observes, et a signaler certaines manifestations exceptionnelles associees 'a un type particulier. Elle permet ainsi le diagnostic, c'est-a-dire l'identification des facteurs determinants du surendettement chez un sujet reel, en mesurant la distance qui separe celui-ci de chaque type.

Les types sont illustres 'a I'aide de sociogrammes inspires de McCormick et Taber (1987: 9-38) et realises de la maniere suivante. Pour un type donne, le resultat de la codification de chaque groupe d'indicateurs est porte en un point sur un segment de droite de longueur uniforme (Tableau 3); le sociogramme est ensuite confectionne en superposant tous les axes disposes en etoile en utilisant les points comme intersection, et en utilisant un axe horizontal pour demarquer les attributs positifs (situes au-dessus) et les attributs negatifs (situes en dessous) (Figure 1).

Resultats

Le Vulnerable

Le Vulnerable provient de familles modestes oiu les questions d'argent engen- drent souvent des tensions; le souvenir douloureux d'experiences d'emprunts, comme le harcelement de creanciers, la visite d'huissiers ou la saisie, donne mauvaise reputation au credit. Le Vulnerable abandonne tres tot ses etudes, abandonnees pour travailler 'a bas salaire. Il fait des lors son propre apprentissage du credit, generalement par achat 'a temperament, et il rembourse sans complica- tion. Il quitte le foyer familial souvent pour se marier. Il entreprend ainsi sa vie economique autonome avec une experience familiale trouble des questions d' argent, et une experience personnelle limitee dans ce domaine, caracterisee par de petits gains et un apprentissage personnel de certaines formes elementaires du credit dont il retient l'effet liberateur. Il est instable en emploi parce que sa situation est precaire, ou parce qu'il aspire 'a mieux et croit les promesses de gains faciles. Il passe de l'emploi au chomage et inversement; quelquefois, il tente de reprendre les etudes ou de monter une petite affaire. Ce modele de l'errance prevaut encore au moment de l'entrevue, alors que la moitie des sujets sont au chomage oiu a 1'aide publique.

Or, le menage vulnerable eprouve des difficultes non seulement dans ses revenus, mais encore dans ses depenses: il fait de mauvais achats (automobiles

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Tableau 3. Tableau de codification des groupes d'indicateurs par type de menage.

GROUPES D'INOICATEURS

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usagers par exemple), succombe aisement aux pratiques commerciales dou- teuses, aux offres primes, aux vendeurs itinerants, multipliant ainsi plus ou moins impulsivement les achats 'a temperament qui depassent ses moyens. Bref, il est vulnerable aux attraits chatoyants de la consommation, dans l'univers des biens et des services qui lui est presente. I1 est aussi vulnerable dans les rapports avec ses proches. Dans ce type de menage en effet, les tensions de la periode de socialisation refont surface: ici, l'un des conjoints, qui avait consenti 'a certaines depenses pour acheter la paix, fini par les reprocher 'a 1'autre; lIa, les transactions financieres avec la parente nourrissent des rancoeurs. Mal prepare par un apprentissage incomplet de l'economie du menage, muni de revenus modestes et variables, inhabile dans les transactions majeures et parfois dans les plus

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Figure 1. Types de menage surendette.

+ +

Lehgende SOC: socialisation dconomique TRA: svsnements traumatisants MOY: moyens financiers connus et utilisds SSE: Situation socio-economique HAB: habitudes de consommation RES: attribution de la responsabilite

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simples, consentant plus ou moins resigne aux manipulations de marchands experts et d'un conjoint ?depensier >>. Le Vulnerable voit donc basculer l'equilibre deja fragile entre ses recettes et ses depenses.

Peu 'a peu, le menage vulnerable emprunte pour parer au plus presse. Mais il le fait rarement sur pret personnel et utilise plutot des cartes de credit de magasins en vogue (mais non les cartes de credit universels, jugees trop dangereuses) dont il ne rembourse que le minimum requis, le credit des fournisseurs du voisinage, celui que consentent des parents ou des amis. II accumule les retards sur les comptes courants (loyer, electricite) et jongle, empruntant 'a l'un pour rembourser 1'autre. Ces portes diverses se referment une a une, et c'est a la sienne que frappent maintenant les creanciers, les agents de recouvrement, les parents dec,us, les anciens amis.

Parce qu'il ne peut plus vivre ces tensions, le Vulnerable rendu a ce point entreprend une remission, generalement par consolidation de dettes ou faillite. Mais cette aire de repos n'est souvent que transitoire: il se retrouve plonge dans une nouvelle phase d' accumulation, parce qu'il se considere peu responsable de sa chute precedente. I1 porte en effet bien des motifs pour comprendre ainsi les choses, avec son bagage de depart inadequat et les machinations commerciales dont il se sent victime: dans les representations du Vulnerable, ce sont les Autres, les Ils (c'est-a-dire tous ceux dont il parle abondamment, gerants de credits, commerqants, etc.) qui l'ont conduit oiu il se trouve. Or, c'est bien ce qu'il a appris des experiences negatives dont il a ete l'enfant-temoin; c'est bien aussi ce qu'il a appris de son apprentissage premier du credit qui semb- lait si facile: il se sent trahi devant les difficultes du credit. Ainsi le Vulner- able s'absout-il, lui qui a si peu, et qui croyait pouvoir avoir un tout petit peu plus. Vulnerable dans le champ des pratiques, il est intraitable dans le champ des representations.

Le menage vulnerable qui s'en sort, nous a-t-il semble, avait realise que, au- dela de ces Autres, il y avait son propre comportement defaillant, ses consomma- tions inappropriees. I1 voit que les tentatives quotidiennes et les solutions a la piece ne font que prolonger l'enfoncement, et cherche de l'aide pour reapp- rendre. Ainsi raisonn6, il change sa vie, en rationalisant ses pratiques, dans la douleur des privations et la severite de la vigilance. Mais celui qui s'approche de la sortie du cycle et voit poindre un retablissement refait aussi connaissance avec un bonheur qu'il avait oubli6: celui d'<< arriver >>, tout simplement.

Le Malchanceux

Le milieu d'origine du Malchanceux est plutot modeste. On y parle d'argent sur deux modes: on enseigne les vertus de 1'economie domestique et de F'epargne, ou les perils du credit. Le Malchanceux complete tot son parcours scolaire et obtient un emploi modeste. Il entreprend sa vie economique autonome, seul ou

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avec un conjoint, en utilisant ses quelques epargnes, en faisant 1'experience d'emprunts rembourses. Les finances domestiques sont serr6es, mais en general le menage parvient a joindre les deux bouts.

Puis arrive le malheur, la perte d'un emploi, le deces d'un conjoint ou la maladie d'un membre du menage par exemple. I1 desequilibre fortement la caisse, parce qu'il entraine une perte de revenu ou des couts supplementaires, ou les deux a la fois. Le divorce est souvent a l'origine des problemes du Malchan- ceux. II affecte singulierement les femmes. Celles qui n'ont pas d'emploi disposent de revenus insuffisants, en particulier lorsqu'elles ont la garde des enfants; celles qui ne l'avaient pas quitte conservent leur emploi, si peu remunerateur soit-il; celles qui le peuvent en trouvent un nouveau. D'autres reprennent leurs etudes, vivant elles aussi une condition economique difficile.

Le bilan deja precaire du menage malchanceux s'alourdit ainsi des boulever- sements du chomage, de la mort, de la maladie ou de la rupture. Quelle que soit la nature du malheur, les revenus baissent et les charges augmentent. Ainsi, dans le menage frappe par le chomage ou par la maladie, la vie continue avec son lot de depenses ordinaires; mais celles-ci deviennent un probleme a cause du nouveau deficit; chez les separes, les problemes ne sont pas moins vifs car les charges courantes augmentent, notamment le logement et les services afferents. Dans un contexte dej"a serre, il est difficile de diminuer le train de vie et 1' accumulation des dettes est rapide: comptes courants en retard, soldes impayes des cartes bancaires, achats 'a credit chez les fournisseurs du voisinage, emprunts a Pierre pour payer Paul...

Le Malchanceux n'attend pas d' etre harcele par les creanciers pour tenter des ajustements majeurs. Rarement, a-t-il recours a la liquidation d'actifs, car il en a peu. Son geste plus typique est de reprendre le controle de ses finances, en reajustant son budget et en modifiant a la baisse sa consommation. Certains de ces menages n'y parviennent pas et experimentent de nouveau le cumul de dettes. Ceux-la, sentant qu'ils n'ont plus le choix, finissent par recourir a la consolidation ou a la faillite.

Le Malchanceux a de son histoire une toute autre representation que celle du Vulnerable. Contrairement 'a ce dernier, il est convaincu d'en etre responsable. Cette culpabilite peu explicite suinte pourtant de son discours: culpabilite d'etre malade et de ne pas gagner d' argent mais d' en depenser, culpabilite d' avoir rate sa vie conjugale, culpabilite de depenser par compensation, culpabilite de n'avoir pas su controler son univers, 'a commencer par sa maison, son conjoint et son porte-monnaie. Tandis qu'il aurait toutes les raisons de jeter sur d'autres (personnes, evenements, conjonctures) la responsabilite de ses malheurs, comme le fait le Vulnerable, il l'endosse. Cela etonne, si l'on ne comprend pas ce qui rend sa coherence a son discours sur le reel. Or, le Malchancheux a appris que la vie economique et le destin personnel se controlent: on enseignait cela dans son milieu d'origine. Sa trajectoire scolaire devait asseoir son autonomie; son

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mariage et ces quelques annees sans surendettement malgre des ressources plutot precaires ont montre qu'il pouvait y arriver. Ainsi compris, sa culpabilite s'elu- cide: rendre les autres ou rendre << la vie >> responsable 'a sa place serait admettre qu'il n'y peut rien. En attendant de se retrouver, de montrer le visage qu'il souhaiterait avoir, de gouverner sa derive, le Malchanceux se resigne et se cache.

Le Parvenu

Le Parvenu a des parents qui ont toujours travaille fort pour que leur famille ne manque pas du necessaire. Le Parvenu beneficie ponctuellement d'un peu de superflu, et sejuge souvent un << enfant gate >>. Cela, explique-t-il, vient de ce que ses parents attachent une importance aussi grande au travail acharne qu'aux apparences soignees.

Le Parvenu etudie plus longtemps que les surendettes deja rencontres, et travaille souvent en meme temps. II apprend les mecanismes de l'epargne; mais il apprend aussi le plaisir de depenser avec ses pairs. I1 est encore a la maison, mais plus typiquement, il vient d'emmenager seul ou avec un conjoint lorsqu'il vit ses premieres experiences d'emprunt: il possede quelques cartes de credit pour etablir sa bonne reputation, ou contracte un pret personnel pour des meubles ou une auto. Le resultat satisfaisant le surprend parfois, car il ne concorde pas avec la mauvaise reputation du credit. Mais surtout, le Parvenu retire l'impression, dont il garde l'empreinte jusqu'a aujourd'hui, qu'il est quelqu 'un parce qu 'on luifait confiance. Le visage negatif du credit s'estompe graduellement du registre de ses preoccupations. L'a commence ses problemes.

Le Parvenu obtient un emploi bien paye et y progresse. Cela occasionne d'importantes depenses parce qu'il voudra incessamment accorder sa consom- mation a la norme du milieu oiu il accede. I1 change de maison et d'auto, il s'habille sans compromis, il voyage, il est quelques fois prodigue; et toutes ces transactions obliterent son ascension sociale dans son esprit.

Malgre des revenus plus confortables que ceux du Vulnerable et du Malchanceux, le menage parvenu affiche peu a peu un deficit budgetaire recurrent; bientot, iljongle avec les comptes impayes, accumulant retards et frais d' interet, contractant de nouvelles dettes pour payer les anciennes. I1 utilise pour cela des moyens financiers nombreux et diversifies: cartes de credit universels ou specifiques, cartes de debit donnant acces a une marge sur compte courant, emprunts sur 1'equite de la maison; negociations farouches avec le gerant de banque... I1 prend des resolutions insuffisantes: couper le superflu,jeter quelques cartes de credit, payer comptant plus souvent, retarder des achats importants. Lorsque rien ne va plus, le menage parvenu a generalement recours 'a la con- solidation de dettes. S'il declare faillite - mesure ultime - il ne s'agit jamais de petites sommes; ainsi la maison, dans laquelle il avait investi argent et prestige, est perdue. Le menage parvenu est alors a la croisee des chemins: ou

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bien, sans tirer les legons adequates de 1'experience, il reprend le cycle de l'endettement; ou bien, avec I'aide du gerant de banque, du syndic, ou de l'intervenant budgetaire d'une association, il voit les choses en face et se resout a changer sa vie et son regard sur le monde.

Depuis 1'enfance, le Parvenu a integre dans sa perspective la reussite sociale comme valeur sureminente et la consommation comme etalon de mesure. I1 se croit maitre de sa destinee economique: il est persuade que ses revenus doivent s'accroitre suivant son merite, que ses depenses refletent ses choix personnels. Or, les premiers sont determines par les conventions du secteur oiu il travaille et auxquelles il echappe rarement. Quant aux secondes, elles sont dictees par les normes d'action sociale qu'il valorise et auxquelles il se conforme; en premiere approche, il s'agit de ses pairs etudiants, puis de ses collegues de travail. Mais ces referents ne constituent qu'une partie de l'image qu'il se compose, le reste lui etant abondamment propose par la publicite que l'on destine 'a son segment socio-professionnel, par les medias et leurs messages implicites, bref par la mer des apparences dans laquelle il baigne. Au passage, le credit lui-meme devient un symbole valorise et abondamment utilise, parce qu'il permet materiellement et symboliquement d'associer le sujet aux classes confortables auxquelles il s'associe.

Ainsi le menage parvenu s'enfonce dans l'endettement sans s'en apercevoir: les representations qu'il entretient brouille son regard. Meme quand l'ecart initial devient un gouffre beant entre ses revenus et ses depenses, quand il ne peut plus ignorer le probleme, il continue a chercher des solutions qui retardent l'echeance et permettent de preserver les apparences. II est pourtant impuissant devant l'issue unique qui se dessine peu a peu, celle de couper ses depenses, de reduire le lustre de sa consommation, car tout lui est indispensable, et le bien et l'image; et c'est tout ce qu'il a a perdre. II n'est pas etonnant qu'il y ait, dans l'echantillon en tous cas, relativement peu de faillites. D'abord, le menage parvenu a une situation d'emplois qui lui donne en theorie les moyens d'eviter cette ultime solution; surtout, il cherche a conserver sa coherence, ce que la faillite brise.

Pour rompre le cycle toutefois, pour un retablissement permanent, il a besoin de bien plus que l'aveu de son orgueil, de ses envies. I1 lui faut prendre un recul d'oiu il realiserait que sa course a l'image, que l'empire des Autres, l'a conduit a se perdre.

Le Compulsif

Le milieu d'origine du Compulsif n'est pas uniforme, bien qu'il semble s'en trouver peu provenant de milieux defavorises. S'il n'est pas tres type econo- miquement, il presente cependant quelques caracteristiques communes re- marquables. Le credit y est d'usage repandu, mais suivant la fortune des

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parents, il n'entrafne pas toujours de problemes. Le compulsif est perturbd par le divorce ou par des traumatismes identiques, qui nourrissent chez lui la conviction qu'il a souffert de carences affectives, ou qu'il a vecu une pauvrete ou une privation relative.

Le Compulsif travaille rarement durant ses etudes financees par ses parents. Par contre, il depense deja beaucoup. Ses premieres experiences de credit ne tardent pas et se soldent sans probleme. I1 obtient tot des cartes de credit, achetent divers equipements ou ameublements a temperament, acquierent une premiere auto sur pret personnel. I1 a un rapport au travail salarie caracterise par une certaine instabilite: il change d'emploi par insatisfaction, ou abandonne parfois le marche du travail pour retourner aux etudes dans un tout autre domaine. Les femmes cessent de travailler au mariage mais, s'il le faut pour boucler le budget, elles recommencent ulterieurement. L'insatisfaction en em- ploi du Compulsif est aussi une indecision: il ne sait trop ce qu'il est ou voudrait etre, il se cherche. Cela se decele aussi dans ses rapports a la consommation.

En effet, le Compulsif se distingue par son comportement face aux objets marchands, et par l'investissement symbolique qu'il y place. C'est l'impulsion qui gouverne son comportement d'achat. Par exemple, il demenage souvent. Ce qui motive sa mobilite n'est pas la quete d'emploi (comme chez le Vulnerable), la rupture (comme chez le Malchanceux), ou la recherche des signes d'un statut social (comme chez le Parvenu); c'est l'insatisfaction commandee de l'interieur. I1 emmenage, renove a grand frais et puis se lasse; il passe de la ville a la campagne et inversement, multipliant les transactions toujours insatisfaisantes au bout du compte. Suivant le cas, cette impulsion peut toucher des biens et services de toutes sortes et de toutes valeurs, destines a soi ou aux autres, car il est aussi prodigue.

Le Compulsif depense tout ce qu'il a et emprunte beaucoup. I1 calcule peu, budgetise encore moins, fait peu de cas des sommes perdues dans des transac- tions precipitees, est sans le sou et sans epargne la plupart du temps. Dans sa chute vers le surendettement, il emprunte de toutes les faqons. Aux prets ordinaires qu' il contracte dans la phase initiale de sa descente (pret hypothecaire et personnel, prets d'etudes) s'ajoute la valse des cartes de credit qu'il collectionne, et grace auxquelles il paie les nombreux imprevus. Peu a peu, il utilise des avances de fonds pour payer les comptes courants, les traites bancaires ou d'autres cartes. Rarement emprunt-il 'a des amis, qui s'eloignent parce qu'ils percoivent son probleme. I1 preflere recourir aux parents ou frapper 'a la porte des compagnies de finance. La source des fonds est parfois meme amorale ou illegale: dans deux cas plus aigus rencontres, atypiques quant 'a l'objet mais bien typique quant 'a la tendance, l'un parasitait deliberement et successivement des conjointes, I'autre avait fraude une banque.

La remission du Compulsif s'amorce parce que trop de portes se referment: meme les emettrices de cartes refusent d'augmenter encore une fois la limite de

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leur credit. Le Compulsif vend des actifs; mais ce genre de solution le renvoie tout de suite 'a une nouvelle phase d'endettement car il lui faut remplacer ce qu'il a vendu. II tente une consolidation de dettes; elle ne sera pas toujours unique et ne reglera pas le probleme. II fait un calcul sommaire qu'il appelle un budget, cache ou detruit quelques-unes de ses cartes de credit, change de magasin de predilection, s'interdit d'aller au centre d'achat. Pour plusieurs, il est deja trop tard et la faillite est inevitable. Elle fut l'issue empruntee par la moitie des Com- pulsifs de 1'echantillon; d'autres y pensaient encore au moment de 1'entrevue.

Au premier abord, le Compulsif explique sa trajectoire en se presentant comme une victime: comme le Vulnerable, il dit s'etre fait jouer par les autres, banques liguees, cartes de credit, courtiers, etc.; comme le Parvenu, il insiste sur 1' obligations sociale, le besoin du travail, la chance 'a donner aux enfants, le desir legitime de confort... Mais au fond, il nourrit de ses actes un fort sentiment de culpabilite qui rend derisoire a ses yeux meme 1'explication par la victimisation. I1 a honte de ses dettes, une honte aussi profonde que le gouffre financier lui- meme, car il sait qu'il en est I'auteur. II reconnait avoir manipule ceux dont il se disait tantot la victime, agents de credit au premier chef, vendeurs d'autos, anciens conjoints ou amis. II est aussi meurtri par les rapports financiers qu'il a forges avec ses parents dont la generosite l'a materiellement servi. Ses parents disaient lui donner mais le Compulsif se sent debiteurs; cela est aigu quand il s'agit de prets qu'il n'a pas rembourse davantage. II a honte de ses achats, 'a la source de son surendettement, et plus generalement de ses comportements de consommation. II se fait ainsi de lui-meme une image negative, revelant une estime de soi plus ou moins nulle, et il emploie pour se decrire une triste collection d'attributs fortement pejoratifs: guidoune ou dopee du magasinage par exemple. Cette image qui le hante n'est pourtant pas affivee a asseoir sa resistance. Car il a tente bien des fois de mettre fin a son cauchemar. Mais ce cauchemar a toujours gagne, et il a peur qu'il ne l'emporte pour de bon. En effet, il ne peut envisager de vivre sereinement en dominant l'attraction que l'acte d'achat exerce sur lui; le sujet le plus severement atteint que nous avons rencontre avait meme peur d'en mourir. Comment expliquer alors que le Compulsif n'ait pas rompu le silence et crier son mal durant toutes ces annees? Masque par les rationalisations multiples et pour ainsi dire ordinaires que nous avons relevees tantot (obligation sociale, etc.), il ne le voyait pas encore. En dernier recours, pour s'empecher de le voir malgre l'accumulation des comptes dus, il en appelle 'a sa bonne etoile: heritage miraculeux, retablissement spontane, chance qui l'a toujours suivie. Cela finit d'abattre sa resistance.

Le Compulsif qui va plus loin, et qui continue sa route difficile vers la sortie du surendettement, ne parvient pas toujours 'a comprendre son mal, dont il admet neanmoins qu'il vient du dedans. II sait qu'il aurait eu besoin d'aide, qu'il aurait eu besoin qu'on l'arrete, ce que le marche du credit ne fait que bien trop tard. S'il ne voit pas la source intime de son probleme, il en voit quand meme

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nettement les manifestations. Retrospectivement, il juge demesures les reves realises avec l'argent des autres et il conqoit que sa bonne etoile, dont la lueur s'est attenuee, ne reglera pas seule son errance. II ressent la faillite comme une liberation, mais l'exercice vigilant du budget fait emerger une vive privation, un emprisonnement dans l'abstinence d' achat. Il reapprend la consommation a tous les jours, comme Sysiphe pousse son rocher. II a peur de la rechute, plus encore quand il a ressenti auparavant l'effet liberateur de la faillite. Cela lui est penible et le demeure tant qu'il n'explore pas au fond de lui-meme la source de l'impulsion. Cela aussi lui est difficile, car les therapeutes coutent cher.

Discussion

Les donnees recueillies aupres des menages surendettes et les types auxquels nous les avons associes concordent g6neralement avec les resultats des etudes disponibles. La pauvrete economique, ici reperee essentiellement chez le Vulnerable et le Malchanceux, est associee au surendettement (Gaudry et Vezina, 1993: 5-6; Lea, Webly et Levine, 1993: 114; Conner et Luckett, 1991: 225; Hira, 1990: 166). Bien que nous ne puissions rien conclure d'assure quant 'a la representation des genres de notre echantillon, notamment parce que les biais potentiels de la technique echantillonnale utilisee interdisent l'inf6rence statistique, le fait que nous retrouvions plus de femmes en situation de detresse economique due a la separation ou au divorce concorde avec les observations de Finnie (1993: 217-228) dans son etude minutieuse des donnees fiscales, et d'autres, allant dans le meme sens (Conaty, 1992: 76; Kaatz et al., 1992: 257; Parker, 1987: 243; Hira, 1982: 30). De meme, l'impact des evenements trau- matisants de la vie sur le budget familial est confirme, principalement chez le Malchanceux, ou ils sont le facteur par lequel tout bascule; ils se retrouvent egalement chez les autres categories de sujet, oiu ils ne constituent cependant pas le facteur le plus lourd du surendettement, lui-meme prealable a la sur- venue du traumatisme. Le divorce est frequent et coute cher, comme le cho- mage (Bohmker, 1992: 239; Conaty, 1992: 76; Ford, 1992a: 224-225; Ford et al., 1992: 319; Kaatz et al., 1992: 257; Hira, 1992: 30; Katona, 1975: 276-277) et la maladie (Kaatz et al., 1992: 257; Hira, 1982: 30; Katona, 1975: 276-277).

L'association entre la compulsivite et l'endettement a egalement et6 recemment mises en evidence (Elliot, 1994; Fabien et Jolicoeur, 1993; Friese, 1992; Hirschman, 1992; D'Astous, 1990; D'Astous, Maltais et Roberge, 1990; Scherhorn, 1990; D'Astous, Valence et Fortier, 1989; Faber et O'Guinn, 1989; Faber et O'Guinn, 1988; Faber, O'Guinn et Krych, 1987; Reed, 1985: 35-39). Mais elle n'est pratiquement jamais consideree dans les recherches qui pretendent saisir le phenomene du surendettement dans toute son etendue. De fait, il s'agit d'un parcours meconnu, encore souterrain parce qu'enfoui dans les replis du soi; il est quelques fois traite 'a la legere ou normativement condamne,

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comme cela est le cas de toutes sortes de formes de compulsions (Reed, 1985: 10-12). L'achat compulsif n'est pas non plus reconnu par les organismes mondiaux qui dictent les normes dans ce domaine, qui reconnaissent pourtant le jeu compulsif (Reed, 1985: 35-39) par exemple. Tant que ce pas ne sera pas franchi, les possibilites de traitement et de retablissement demeureront rares, et il faut se rabattre sur la vigilance de quelques-uns, des organisations d'aide aux consommateurs en particulier, qui ont elles-memes peu de moyens pour soutenir les individus et porter la question sur la place publique. Il est vrai que la compulsivite se mesure par degre, et que tous les Compulsifs n'en subissent pas des consequences economiques de meme ampleur, ni n'en souffrent aussi pro- fondement (Hirschmann, 1992: 159). Faute de recherches appropriees toutefois, rien n'indique qu'il s'agisse d'un phenomene a incidence marginale (Faber et O'Guinn (1989: 742) l'estiment 'a environ 6% de toute la population). Il frapperait aussi bien les femmes que les hommes (Elliot, 1994; Faber, O'Guinn et Krych, 1987: 134), et l'on ne peut rien conclure de la presence plus forte des femmes dans notre echantillon 'a cause des reserves methodologiques dej"a faites.

Le parcours du Parvenu n'est pas non plus tres documente, bien que certains travaux aient montre que l'endettement et le surendettement ne sont pas des phenomenes associes exclusivement 'a la pauvrete (Liao, 1994: 167; Yu, 1993: 359; Caplovitz, 1992b: 280; Freytag, 1992: 233; Johnson, 1992: 267; Livingston et Lunt, 1992: 124; Reis, 1992: 68-69; Wasburg, Hira et Fanslow, 1992: 26-27; Yeo, 1991: 92-93; Warren, 1990: 19-20; Sullivan, Warren et Westbrook, 1989) et que la recherche des signes de prestige leur est souvent associe (Norton, 1993: 20; Tokunga, 1993: 298; Caplovitz, 1987: 119; Danes et Hira, 1986: 257-259; Katona, 1975: 276). Il s'agit la aussi d'un parcours plutot meconnu, car il est l'inverse de l'image de la reussite individuelle sur laquelle le Parvenu moule ses conduites.

L'approche qualitative et l'echantillon utilise ne permettent pas d'attribuer a la typologie presentee une valeur generalisable ou predictive connue, ainsi que nous l'avons souligne au besoin. La typologie est revelee par l'analyse des entrevues effectuees; elle rend compte de ces entrevues seulement et du discours tenu comme vrai. Une recherche quantitative ulterieure, fondee sur un echantillon probabiliste, devrait en verifier la validite. En outre, nous avons exclu l'analyse des distorsions du discours, par exemple l'utilisation de strategies de defense dues aux rapports de couple ou plus globalement 'a la connotation negative interiorisee de la situation de surendettement. Dans ce domaine, les investigations futures de nature qualitative devraient marier les approches psychologiques et sociologiques.

Neanmoins, ces limites n'invalident pas nos resultats s'ils sont lus correcte- ment. La typologie est une modelisation avons-nous dit, une simplification deliberee de la realite vecue pour en diagnostiquer les caracteristiques essen- tielles; celle-ci est en fait bien plus complexe si l'on veut restituer l'infinite des

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parcours materiels et symboliques individuels, elucider toutes les contradictions ou integrer, comme des variables supplementaires dont il faudrait comprendre aussi l'influence, la conscience de soi et les rapports interpersonnels. La realite vecue est infiniment plus complexe aussi parce que, dans un meme menage, il n'est pas rare que les conjoints aient chacune un type different. L'utilite de la typologie est justement de faciliter le diagnostic des elements majeurs de situations complexes, par exemple de cette dualite des caracteristiques con- jugales, pour tailler sur mesure ensuite l'intervention appropriee.

Quelles sont donc les caracteristiques essentielles que I'approche qualitative permet de reveler? Globalement, l'on dira qu'en accumulation de dettes, le menage surendette se fait confiance par des rationalisations qui masquent sa situation reelle, et qu'en remission, soit il change de discours et sort du cycle, soit il persiste et rechute. En somme, les rapports mutuels entre les trajectoires materielle et symbolique elucident le surendettement. C'est encore dire peu et il faut approfondir l'examen car la chaine des representations symboliques montre parfois d'importantes diff6rences selon les sociotypes.

C'est moins a la phase de socialisation que les diff6rences sont les plus marquantes, en dehors de celles classiquement attribuables 'a l'appartenance de classe; car globalement, la socialisation procure de l'economie domestique en general et du credit en particulier une image dont le fond est peint de tensions, mais dont I'avant-champ, celui que l'on retient durablement, est domine par les couleurs agreables de l'experimentation personnelle positive. La cle de l'elucidation des diff6rences nous vient d'ailleurs: de l'image que se font les sujets de leur responsabilite propre et de celles des Autres, face au surendette- ment, image qui nous renvoie 'a leur caractere social (Riesman, 1961). Chez tous les sujets, la faute est attribuee aux Autres, sauf chez le Malchanceux qui la conserve toute entiere. Son aveu de culpabilite est le moyen par lequel il parvient 'a donner au monde sa coherence. Accoutume au controle de son existence en- vers et contre tout, il encaisse le blame; autrement, ce serait reconnaitre que des forces superieures, la mechancete des hommes ou la malveillance des banques par exemple, exercent un poids determinant sur son parcours. Son espoir reside en lui-meme, dans sa culpabilite feconde, qui lui permet ensuite de changer, de gouverner autrement sa destinee meme si, au plus profond de son probleme, il ne sait quoi faire. S'il en est ainsi, c'est que le Malchanceux est conduit de l'interieur par ces valeurs acquises tot, et qu'il n'a jamais remises en cause, valeurs transmises par ses parents ou deduites d'experiences angoissantes: le bon ordre de l'6economie de la maison, le respect de la dette, l'usage parcimonieux de ses gains.

Le Malchanceux presente sous ce regard une similitude etonnante avec le Vulnerable. Ce demier s'exclut de la definition du probleme; chez lui, c'est la faute au systeme. Mais alors, oiu se trouve la similitude, lorsque l'un se culpabilise et I'autre se victimise? Allons plus loin: qui sont ces Autres, ces Ils?

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et surtout, d'oiu surgissent-ils? Chez le Vulnerable, la representation de l'univers economique est faite de contrastes. II y a soi, charge par le destin de naissance de se debattre pour gagner sa vie, entre les petits emplois et les perils du credit. C'est l'homme pourvoyeur qui n'a pas peur des risques, s'il faut en prendre, pour assurer le pain quotidien; qui change d'emploi s'il peut en trouver un meilleur; qui tente des entreprises qui lui donneraient la maltrise et la fortune; qui se debrouillent quand le chomage le frappe. Son usage du credit est ainsi commande par ce role. C'est la femme soumise qui transforme la paille en or, fait tout avec rien, e1eve des enfants propres et polis, sauve son mariage. Et il y a les Autres, ces ennemis de l'exterieur que le Vulnerable a vu dans l'enfance reclamer des quittances ou saisir le mobilier. L'experience ulterieure du Vulnerable a, pour un temps, adoucit cette image. C'est elle qui resurgit bientot quand les dettes s'alourdissent. La culpabilite des Autres excuse sa defaillance a remplir son role. Voila justement la similitude: le Vulnerable, comme le Malchanceux, est ainsi dirige de l'interieur, par les buts et valeurs qu'il a appris et integres. Le contenu peut etre diff6rent et il l'est en effet; mais le resultat est identique, car les deux types trouvent dans l'univers des representations des recits de leur role qui expliquent leur malheur et les leur rendent endurables. C'est ainsi qu'ils ne reagiront significativement 'a leur situation qu'au moment oiu le champ des pratiques se referme, oiu il n'y a plus de sources oiu emprunter.

Ces Autres du Vulnerable et du Malchanceux n'ont rien 'a voir avec ceux qu'6evoque le Parvenu. Plus eduque, mieux paye, plus stable dans tous les aspects de sa vie, le Parvenu ne se represente pas l'univers social de la meme maniere. Ses buts et ses valeurs, il les puise dans les images ambiantes, desquelles il deduit pour lui-meme un modele de la reussite. Sa vie est une quete incessante car ces images se renouvellent. Tandis qu'il s'enfonce, lui aussi s'excuse par la rationalite au goiut du jour dans son cercle d'influence (besoin de << confort >>, de << realisation >>) et il se fait confiance, lui qui ne peut pas ne pas reussir. Si le parcours symbolique du Parvenu est tellement different de celui du Vulnerable et du Malchanceux c'est que, ceateris paribus, les sources de sa conformite sont aussi fondamentalement differentes.

L'elucidation est plus difficile chez le Compulsif car ses comportements ne peuvent s'expliquer seulement par son caractere social. Il y a chez le Compulsif une representation justificative qui s'apparente tres fortement a celle que produit le Parvenu. Mais ce serait reduire son probleme que de l'expliquer uniquement par cet attachement aux valeurs de la reussite, de l'apparence et du confort. Car en plus de cela, il y a le mal dont il souffre, partout latent dans son discours. Le Compulsif est dirige de l'exterieur dirait Riesman, soit; mais il l'est aussi de l'interieur, cet interieur qui n'a rien 'a voir cette fois avec celui du Vulnerable et du Malchanceux. A des degres divers, le Compulsif ressent une obligation in- controlable et recurrente de consommer, obligation dont le siege ne se trouve pas dans le desir de conformite; il ressent cette culpabilite pour des actes qu'il en

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vient a juger ridicule comme lui-meme; il ressent enfin l'impuissance de ses tentatives pour resister. Obligation d'acheter, culpabilit6, impuissance: voila bien les trois symptomes diagnostiques de la compulsion. Dans le monde marchand ou la fete de la consommation se paie a credit, la conformite du Compulsif a l'image des Autres se conjugue a cette force interieure qui le gouverne. Le budget domestique est un outil inapproprie pour contrer tout cela.

Notre examen met en evidence des sujets peu equipes pour s'y retrouver dans la myriade des offres de credit, toujours plus accessible, toujours plus souple d'utilisation, dont la face positive seule est presentee, et dont les dangers sont tus. Cela etait vrai a l'epoque des pawnshops dont Caplovitz (1967) a fourni une image si revelatrice; cela l'est encore plus a l'epoque de la dereglementation et de l'automatisation anonyme qui repousse dans les debats de la conscience individuelle le libre arbitre dans l'usage du credit. Les economistes contempo- rains ont raison de decrire le credit comme un outil neutre (Kirby et Capps, 1994: 87; Gordon et Lee, 1977: 308); ils ne sont cependant pas les seuls a en parler, et leur voix, appellerait-elle la denonciation (Galbraith, 1961: 187-188) qu'elle ne monte meme pas a la surface au-dessus de laquelle l'industrie du credit en chante les vertus sans nuances. Or, ce libre-arbitre ne peut s'exercer dans l'ignorance. L'education economique demeure un devoir parental comme le montre bien l'experience des sujets: aucun d'eux n'a mentionne un role quelconque de l'ecole dans ce domaine. On pourra bien dire, au bilan, que le credit facile est le coupable et qu'il faut dompter le systeme et eduquer le con- sommateur. Pour les surendettes, c'est l'e'vidence. Mais pour le reste, le credit facile est cet outil neutre, dangereux et utile que decrivent les economistes. 11 faut sans doute chercher des moyens de prevenir l'utilisation pathologique du credit par l'action politique, reglementation des pratiques bancaires par exemple, comme le reclament Reifner et Ford (1992) pour l'Europe. Sur ce point, rien n' est tout a fait simple dans une societe de libre entreprise et de libre expression, et dans un contexte oiu les maitres-mots sont dereglementation, remise en cause du role social de l'Etat, degonflement generalise de l'appareil inspire moins par des options politiques que par l'economicisme regnant. Au reste, l'on verra le cheval etatique ruer si l'on reclame qu'il s'endette davantage, pour discipliner les banques, pour eduquer les citoyens, pour soulager des moins endettes que lui. Cette conclusion seule serait bien decevante. En attendant que l'Etat regle tout, ce qui est improbable, le surendette sur la voie du retablissement changent ses pratiques. Ceux que nous avons rencontre et qui persistent refont leur coherence en changeant aussi leur maniere de se les representer.

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