1. Did I Mention I Love You ? (French...
Transcript of 1. Did I Mention I Love You ? (French...
ESTELLEMASKAME
Traduitdel’anglaisparMaudOrtalda
Àmeslecteursquimesuiventdepuisledébut,celivren’estpaslemien,c’estlenôtre.
1
Silesfilmsetleslivresm’ontapprisunechose,c’estqueLosAngeles,seshabitantsetsesplagessontcequ’ilyadepluscoolsurcetteterre.Parconséquent,etcommetouteslesfillesdumonde,jerêvaisdevoirlaCalifornie,leGoldenState!CourirsurlesabledeVeniceBeach,posermesmainsdanslesempreintesdemesstarspréféréessurleWalkofFame,grimperjusqu’auxlettresgéantesdeHollywoodetdelà,admirercettevillemerveilleuse.
Ça,ettouslesautrestrucsàtouristesunpeubidon.Unécouteuràl’oreille,jecherchedistraitementunepercéedanslafouleautourdutapisroulant
pourrécupérermavalise.Lesgenssebousculentetparlentfort.Ilyenaunquicriequeleursacvientdepasseretunautrequiluihurlequecen’étaitpasleleur.Excédée,jemeconcentresurlavalisevertfoncéquiarriveàmahauteur.C’estbienlamienne:j’aiécritlesparolesd’unechansonsurlecôté.J’attrapesapoignéeaussivitequepossible.
—Parici!crieunevoixfamilièreetincroyablementgrave,noyéedanslamusiquedemoniPod.Mêmeaveclevolumeàfond,jelareconnaîtraisàdeskilomètres.Unevoixtropdouloureuseet
irritantepourpasserinaperçue.QuandMamanm’aannoncéquemonpèrevoulaitmagardepourl’été,onatouteslesdeuxété
prisesd’unfouriretellementcetteidéeparaissait insensée.«Tun’espasobligéedel’approcher»,merappelaitchaquejourMaman.Troisanssansdonneraucunsignedevieettoutàcoupilvoulaitquejepasseunétéentieraveclui?Illuiauraitsuffitdem’appelerdetempsentemps,peut-êtredeprendredemesnouvellespourrevenirpetitàpetitdansmavie,maisnon,lui,ilavaitdécidéd’yallerfrancoetdedemanderàpasserhuitsemainesavecmoi.Mamanétaitcomplètementcontre.Selonelle,ilneleméritaitpas,çanerattraperaitpasletempsperdu.Résultat,monpèreamisunpointd’honneuràmeconvaincrequej’adoreraislesuddelaCalifornie.Pourquoia-t-ilsoudaindécidédereprendrecontact?Mystère.Espérait-ilrecollerlesliensbriséslejouroùilestparti?Jedoutaisfranchementquecelasoitpossible,etpourtant,j’aicédéetjel’aiappelépourluidirequejevenais.Madécisionn’avait rien à voir avec lui. Ce que je voulais, c’était un été chaud, des plages fabuleuses et lapossibilité de tomber amoureuse d’unmannequinAbercrombie&Fitch aux pectoraux bronzés. Etpuis,j’avaismesraisonsdepartiràmillecinqcentskilomètresdePortland.
Toutçapourdirequejenesuispasparticulièrementraviedevoirlapersonnequis’avanceversmoiàcemomentprécis.
Troisans,c’est long. Ilya troisans, jemesuraisune têtedemoins. Ilya troisans,monpèren’avaitpaslescheveuxpoivreetsel.Ilyatroisans,toutcelan’auraitpasétéaussibizarre.
Je souris jusqu’aux oreilles pour dissimuler unemoue permanente que je ne veux pas avoir àexpliquer.C’esttellementplussimpledesourire.
—Mais!C’estbienmapetitefille?s’écriemonpère,éberlué.Çaalors, lesgensdeseizeansn’ontpas lamême têtequequand ilsétaientaucollège,comme
c’estétrange.—Ehoui..Jeretiremonécouteurquicontinuedebourdonnerdiscrètement.—Tum’asmanqué,Eden.Commesilesavoirallaitmesubmergerdebonheur,commesij’allaismejeteraucoudecelui
qui nous a abandonnées, et lui pardonner sur-le-champ.Désolée, ça nemarche pas comme ça. Lepardon,çasemérite.
Cecidit,sijedoiscohabiteravecluipendanthuitsemaines,j’aiintérêtàmettreleshostilitésdecôté.
—Toiaussi,tum’asmanqué.Ilrayonne,sesfossettescreusentsesjouescommedestaupescreusentdestrousdanslaterre.—Jeprendstonsac,dit-ilens’emparantdemavaliseàroulettes.Je le suis vers la sortie de l’aéroport, à l’affût d’une star de cinéma ou d’un mannequin qui
passeraitparlà.Surleparkinggigantesque,lesoleilbrûlantmepicotelapeau,etlabriselégèrefaitdansermes
cheveux.Quelquesnuagesviennentperturberleciel.—Moiquicroyaisqu’ilferaitmeilleurici,jecommente,agacée.Malgrélesstéréotypes,laCalifornienesemblepasépargnéeparlesnuages,leventetlapluie.Je
n’ai jamaisenvisagé lapossibilitéque l’été àPortland, aussipénible soit-il, puisse êtreplus chaudqu’àLosAngeles.Jesuistellementdéçue,jeferaisaussibienderentrerchezmoi,mêmesil’Oregon,c’estcomplètementnul.
—Ilfaittoutdemêmeassezchaud,ditPapaavecunhaussementd’épaulescontrit.Ducoinde l’œil, jeconstateson irritationgrandissante tandisqu’ilchercheenvainunsujetde
conversation.Onpourraitparlerdel’atmosphèrepesantedecettesituation.Ils’arrêtedevantuneLexusnoire,immaculée,quimelaissesansvoix.Avantledivorce,mamère
etluisepartageaientunevieilleVolvoquitombaitenpanneunefoisparmois,quandonavaitdelachance.Soitsonnouveauboulotesttrèsbienpayé,soitilavaitsimplementdécidédenepasdépenserunsoupournous.Nousn’envalionspeut-êtrepaslapeine.
—C’estouvert,dit-ilenchargeantmavalisedanslecoffre.J’enlèvemonsacàdoset jemonte.Lecuir estbrûlant sousmescuissesdécouvertes. J’attends
quelquesinstantsquemonpèreseglisseauvolantetdémarre.—Alors,tuasfaitbonvoyage?—Ouais,çaallait.Ma ceinture attachée, sac sur les genoux, je regarde droit devant, les yeux dans le vague. La
lumièreaveuglantemeforceàchaussermeslunettesdesoleil.Jepousseunsoupir.Ilmesembleentendremonpèredéglutirpours’éclaircirlavoix.—Commentvatamère?— Très bien, je m’exclame avec un peu trop d’entrain, pour lui montrer qu’elle s’en sort à
merveillesanslui.Ce n’est pas tout à fait vrai. Elle s’en sort. Pas très bien,mais pas tropmal. Elle a passé ces
dernièresannéesàessayerdeseconvaincrequeledivorceluiabeaucoupappris.Elleveutcroireque
c’est une leçon de vie dont elle ressort grandie,mais sincèrement ça n’a fait que la dégoûter deshommes.
—Ellen’ajamaisétéenmeilleureforme.Monpèrehochelatêteetempoignefermementlevolantpours’insérerdanslacirculationdense
mais rapide.Les voitures foncent sur les nombreuses voies. Ici, pas de gratte-ciel aussi imposantsqu’àNewYork,pasderangéesd’arbresserréscommechezmoi,lepaysageestdégagé.Jedécouvreavecsatisfactionlaprésencedepalmiers.Unepartiedemois’esttoujoursdemandésicen’étaitpasunelégende.
Nous passons sous plusieurs panneaux de direction. À la vitesse où nous allons, lesmots quidéfilentau-dessusdematêterestentflous.Pouréviterunnouveausilence,monpèretoussoteetfaitunesecondetentative.
—TuvasadorerSantaMonica,dit-ilavecuntrèsbrefsourire.C’estunevillegéniale.—Oui,j’aiunpeuregardésurInternet.Unbrascontrelavitre,j’observeleboulevard.Jusqu’àprésent,L.A.n’estpasaussiglamquesur
lesphotos.—C’estlavilleoùilyauneespècedefêteforainesurunejetée,c’estça?—Oui.PacificPark.Le soleil fait scintiller son alliance en or sur le volant. Mon grommellement ne passe pas
inaperçu.—Ellaestimpatientedeterencontrer.—Moiaussi.Jemens.Ellaestsanouvellefemme.Unemèrederemplacement:plusneuve,plusperformante.
Voilàunechosequejenecomprendspas.Qu’est-cequecetteEllapossèdequemamèren’apas?Unemeilleurerecettedecookies?Unemeilleuretechniquepourfairelavaisselle?
Nousprenonslavoiededroite.—J’espèrequevousallezbienvousentendre,ajoute-t-ilaprèsunlongsilenceétouffant.Jeveux
vraimentqueçamarche.Ilveutpeut-êtrequeçamarche,maismoi, jenesuistoujourspasemballéeparcettehistoirede
famillerecomposéemodèle.Avoirunebelle-mèrenemeréjouitpasplusqueça.Jeveuxunefamillenucléaire,unefamillecommedanslespubs,avecmamère,monpèreetmoi.Jen’aimepasdevoirm’adapter.Jen’aimepaslechangement.
—Elleacombiend’enfants,déjà?jedemande,dédaigneuse.Parcequenonseulementj’aiécopéd’unebelle-mère,maisenplus,jedoismecoltinerdesdemi-
frères,paraît-il.—Trois.Tyler,JamieetChase.Manégativitécommenceàl’énerver.—Jevois.Ilsontquelâge?—Tyler vient d’avoir dix-sept ans, Jamiequatorze etChase…onze.Essaie de t’entendre avec
eux,mapuce.Ducoindesonœilnoisette,ilmelanceunregardimplorant.—Ah.D’accord.Etmoiquicroyaisdevoirsupporterdesminusàpeinedouésdeparole.Unedemi-heureplustard,nousparcouronsuneroutesinueusedanscequisembleêtrelabanlieue
delaville.Degrandsarbresauxtroncsépaisetauxbranchescourbéesbordentlestrottoirs.Ici,lesmaisonssonttoutesplusgrandesquecelleoùjevisavecmamère,etellesonttoutesunearchitectureunique.Forme, taille,couleur, iln’yenapasdeuxpareilles.LaLexusdemonpères’arrêtedevantl’uned’elles,enpierreblanche.
—Tuhabitesici?DeidreAvenueme paraît trop normale ; on se croirait dans le nord de laCalifornie. L.A. est
censéeêtrehorsdumonde,irréelle,faitedestrassetdepaillettes,maispas…normale.—Tuvoiscettefenêtre?ditmonpère,endésignantcelledumilieuaupremierétage.—Oui?—C’esttachambre.—Oh.Pour deuxmois, je nem’attendais pas à avoir ma propre chambre, mais cette maison a l’air
énorme, ildoityavoirdes tasdechambresd’amis.Heureusementque jen’aipasàdormir surunmatelasgonflableaumilieudusalon.
—Merci,Papa.Jeprendsconscience,aumomentdedescendre,que leshortpossèdesesqualitésetsesdéfauts.
Qualité:j’ailesjambesaufrais.Défaut:mescuissessontàprésentsoudéesaucuirdelaLexus.Jemetsunebonneminuteàm’enextirper.
—Onferaitmieuxd’entrer,dit-ilentraînantmavalisederrièrelui.Jelesuissurl’alléepavéejusqu’àlaported’entréeàpanneauxd’acajou.Typiquedesmaisonsde
riches.Moi, jeme contente de fixermesConverse dont le tour blanc est décoré demon écriture.Comme sur ma valise, j’y ai écrit les paroles d’une chanson au marqueur. Leur contemplationm’évitedepaniquer.
Sanstenircomptedufaitqu’elleincarnelasociétédeconsommationàelletouteseule,lamaisonesttrèsjolie.Comparéeàcelledanslaquellejemesuisréveilléecematin,ellepasseraitpourunhôtelcinqétoiles.UneRangeRoverblancheestgaréedansl’allée.Troptape-à-l’œil,jemedis.
—Tuesnerveuse?Ilm’adresseunsourirerassurant.—Unpeu.J’aiessayéderefoulerl’interminablelistedetoutcequipourraitdéraper,maisaufonddemoi,je
suisterrifiée.Ets’ilsmehaïssaient?—Ilnefautpas.Nousentrons,immédiatementaccueillispardeseffluvesdelavande.Derrièrenous,lesroulettes
demavaliseraclentleparquet.Un escalier me fait face et, à ma droite, une porte mène, d’après ce que je vois par
l’entrebâillement, au salon. Droit devant, une grande voûte s’ouvre sur la cuisine. Cuisine d’oùémergeunefemmequis’avanceversmoi.
—Eden!Ellem’étreint,sesseinsénormesprennenttoutelaplace,puisellereculepourm’observerdela
têteauxpieds.Ceque jenemanquepasde fairenonplus.Elleestmince,blonde.Pourune raisonabsurde,jem’attendaisàcequ’elleressembleàmamère.Apparemment,monpèreachangédegoûtsautantenmatièredefemmequedeniveaudevie.
—Jesuiscontentedefaireenfintaconnaissance!Jem’écartediscrètementenm’efforçantdenepasleverlesyeuxaucielnidegrimacer.Nuldoute
quemonpèremeramèneraitillicoàl’aéroport.Àlaplace,jemecontented’un:—Salut.—C’estfou,tuaslesyeuxdeDave!C’estprobablementlapirechosequ’onpuissemedire.Jepréféreraislargementavoirlesyeuxde
mamère.Mamère,elle,n’estpaspartie.—Plusfoncés,jemurmureavechostilité.
Ellan’insistepas.— Il faut que je te présente. Jamie, Chase, descendez ! crie-t-elle vers l’escalier avant de se
retournerversmoi.Davet’aparlédenotrefêtedecesoir?—Unefête?Ce genre de petite sauterie ne figurait certainement pas sur ma liste des trucs-à-faire-en-
Californie.Surtoutsijeneconnaispersonne.—Papa?Jelèveversluiunsourcilinterrogateurenm’efforçantdenepasprendreunairmauvais.— On organise un barbecue avec les voisins, explique-t-il. Quelle meilleure façon de fêter
l’arrivéedel’étéqu’avecunbonvieuxbarbecue?Siseulementilpouvaitlafermer.Jecroisquejehaisautantlesrassemblementsquelesbarbecues.—Génial.Deuxgarçonsdévalentl’escalieràpaslourdsetsautentlesdeuxdernièresmarches.—C’estEden?chuchoteleplusvieuxdesdeuxàElla.ÇadoitêtreJamie.Etleplusjeuneauxyeuxécarquillés,Chase.—Salut,dis-jeavecungrandsourire.Çava?Vousfaitesquoidebeaupourcesvacances?Si jemesouviensbien, Jamieaquatorzeans.Deuxansdemoinsquemoietpresque lamême
taille.—Pasgrand-chose,répond-il.Avecsesyeuxbleusétincelantsetsescheveuxblondsenbataille,c’estEllatoutcraché.—Tuveuxboirequelquechose?—Çava,merci.Il a d’assez bonnes manières et il a l’air plutôt mûr pour son âge. On va peut-être pouvoir
s’entendre.—Chase,tudisbonjouràEden?l’encourageElla.Chase,trèsréservé,aluiaussihéritédesgènesdesamère.—Bonjour,marmonne-t-ilsanscroisermonregard.Maman,jepeuxallerchezMatt?—Biensûr,monchéri,maisturentresavant19heures.Jemedemandesielleestdugenreàpunirsesenfantspouravoirmisdesmiettessurlamoquette,
ouplutôtànepass’inquiéters’ilsdisparaissentpendantdeuxjours.—Onalebarbecuecesoir,tutesouviens?Avec un signe de tête, Chase s’élance vers la porte d’entrée qu’il referme aussi vite qu’il l’a
ouverte,sansl’ombred’unaurevoir.— Tu veux que je lui fasse visiter la maison, Maman ? demande Jamie dès que son frère a
disparu.—Çaseraitchouette,jem’empressederépondreàsaplace.LacompagniedeJamieserasûrementplusagréablequecelledemonpère,oud’Ella,oupire,
desdeuxenmêmetemps.Jenevoispasl’intérêtdepasserdutempsavecdesgensquejepréféreraiséviter.Doncpourlemoment,jevaism’enteniràmesnouveauxetfabuleuxdemi-frères.Ilsdoiventtrouvercettesituationaussibizarrequemoi.
—Merci,Jamie,ditElla,raviedenepasavoiràm’indiqueroùsontlestoilettes.Montre-luisachambre.
—Onestàlacuisine,situasbesoindequoiquecesoit,faitmonpèreavecunsourirebref.Jeréprimeunsoupir tandisqueJamies’emparedemavalisepourlamonteràl’étage.Cedont
j’aibesoin,là,toutdesuite,c’estdefairebronzermesjambesetdeprendrel’air,autrementdit,rienquejepuisseobtenirenrestantcloîtréeici.
Jem’apprêteàsuivreJamiequandj’entendsmonpèresouffler:—OùestTyler?—Jenesaispas,répondElla.Leursvoixs’estompentàmesurequejem’éloignemaisjeparviensàdistinguerlasuite.—Tul’asencorelaissésortir?—Oui,rétorqueElla.Puisjesuistroploin.—Tachambreestjusteenfacedelamienne,m’informeJamiesurlepalier.Tuaslapluscool,
aveclameilleurevue.—Désolée,dis-jeavecunpetitrire.Jegardemonsourireplaquépendantqu’ilsedirigeversl’unedescinqportes,maisjenepeux
m’empêcher de jeter un coup d’œil au rez-de-chaussée où j’aperçois les cheveux blonds d’Elladisparaîtredanslacuisine.
Elledoitêtredugenreànepass’enfairesiondisparaît.
2
Sijedevaisdécriremanouvellechambreenunmot,jedirais«basique».Quedired’autred’unlit,d’unecommodeetdequatremurspâles?Enplus,ilyfaitatrocementchaud.
—Jolievue,dis-jeàJamiesansmêmem’approcherdelafenêtrepourvoirlavueenquestion.Jamierigole.—Tonpèreaditquetupouvaistel’approprier.Jecontourneletapisbeige,examinelesplacardsauxportes-miroirscoulissantes.Beaucoupplus
coolquemaminusculependerieàlamaison.Ilyamêmeunesalledebainsattenante.Jejetteunœilparlaporte,satisfaite.Ladoucheal’airneuve.
—Çateplaît?La voix demonpère derrièremoime fait sursauter. Je le découvre, tout sourire, sur le seuil.
Depuisquandest-illà?—Ilfaitunpeuchaud,désolé,jevaisallumerlaclim.Ilfautcinqminutes.—J’aimebiencettechambre.Elleestpresquedeuxfoisplusgrandeque lamienneàPortland.Elleabeauêtrebasique,c’est
impossibledenepasl’apprécier.—Tuasfaim?Iln’al’airbonqu’àposerdesquestions,aujourd’hui.—Tuaspassétoutl’après-midiàvoyager,tudoisêtremortedefaim.Tuveuxmangerquoi?—Çava.Jecroisquejevaisplutôtallercourir.Pourmedégourdirlesjambes.Jenecomptepasfailliràmonjoggingquotidien.J’enprofiteraipourexplorerlevoisinage.Unehésitationpassesurlevisagevieillissantdemonpère.Ilfinitparpousserunsoupircomme
sijevenaisdeluidemanderdem’acheterdel’herbe.J’émetsunrireforcé.—Papa.J’aiseizeans,j’ailedroitdesortirdelamaison.Jevaisjustefaireuntour.—Vas-yaumoinsavecJamie.Tuaimescourir,non?ajoute-t-ilàl’adressedeJamiequisemble
surpris.TuveuxbienaccompagnerEdenpourqu’elleneseperdepas?—Pasdeproblème,jevaismechanger,ditJamieavecunsourirecompatissant.Ildoitsavoircequec’est,lesparentsquivoustraitentcommesivousaviezcinqans.Cen’estpascequej’appelleraisunbondépartàSantaMonica.Premier jour,etdéjà la tension
avecmonpèreestpresqueinsoutenable.Premier jour,etmevoilàobligéed’assisteràunbarbecue
pleindegensquejeneconnaispas.Premierjour,etondoitdéjàm’escorterpourunsimplejogging.Premierjour,etjeregrettedéjàd’êtreici.—Nevouséloignezpastrop,ditmonpèreensortantdemachambresansfermerlaportemalgré
mademande.—Tuveuxyallertoutdesuite?demandeJamie.—Siçateva.Avecunbrefsignedetêteilsort,sansoublierdefermerlaporte,lui.Jepréféreraisnepaspassertropdetempsentrecesmurs,surtoutsilaclimnefonctionnepas.Je
medépêched’ouvrirmavalise sur le lit.Apparemment,mes affaires–demonordinateur jusqu’àmessous-vêtementspréférés–sontarrivéesintactes,cequiestassezrarepourêtresignalé.Jefouilletoutaufondpourtrouvermatenuedesport,quej’avaisrangéeenpremier.
Je m’apprête à pénétrer dans la luxueuse salle de bains quand mon téléphone vibre pour merappelerquesabatterievabientôtmourir.Cequimefaitpenserqu’Ameliavoulaitquejel’appelledèsmonarrivée.Jedéposemesaffairesdesportsurlelavabopourm’asseoir,jambescroisées,surlecouvercledestoilettesétincelantes.Mameilleureamiedécrocheenunclind’œil.
—Saluttoi,dit-elled’unevoixridicule,entreledessinaniméetlecommentateursportif.—Salut,jerépondssurlemêmetonrigolardavantdepousserunsoupir.C’estpourriici.Laisse-
moiterejoindrepourl’été.—J’aimeraisbien!C’estsuperbizarreici.—Bizarrecommederencontrertanouvellebelle-mère?—Pasaussibizarre.Elleestsympa?C’estpasunemarâtrehorribleàlaCendrillon?Ettesdemi-
frères?Tuesdéjàdecorvéedebaby-sitting?Siseulementellesavait…c’esttoutlecontraire.—Enfait,c’estmêmepasdesgamins.—Hein?—C’estplutôtdesados.—Ahbon?Avantmon départ, j’ai passé deux semaines entières àme plaindre, parce que j’ai un seuil de
tolérancetrèsbasauxenfantsdemoinsdesixans.Ilssontbienplusvieuxqueprévu.—Oui,ilsontl’airsympas.Lepluspetitestasseztimide,d’aprèscequej’aivu.L’autreestun
peuplusvieux,jecroisqu’onvapouvoirs’entendre.J’ensaisrien.Ils’appelleJamie.—Jecroyaisqu’ilsétaienttrois?—Jen’aipasencorevuledernier.J’avaiscomplètementoubliéquejen’avaispasdeuxnouveauxdemi-frèrespourmejuger,mais
trois.—Jelerencontreraisûrementplustard.Là,jevaiscouriravecJamie.—Eden,ditAmeliad’unevoixsérieusemaisdouce.Tuviensjusted’arriver.Détends-toi.Tues
parfaite.Lecombinécontremonépaule,jemepenchepourretirermeschaussures.—Non.Ellesontencoreparlédemoi?Jepréféreraisnepassavoir,maisilyatoujourscettecuriositéimpossibleàgérerquimeronge
del’intérieur.Jecèdeàchaquefois.—N’ypensepas,Eden,medit-elleaprèsunlongsilence.—Çaveutdireoui,jechuchotepourmoi-même.Montéléphonevibreànouveau.— Bon, je n’ai plus de batterie. Je dois aller à un barbecue ce soir. Si c’est trop pourri, je
t’enverraidesmessagespourqu’ilsvoientbienquej’aidesamis.
Amelia s’esclaffe. Je l’imagine lever les yeux au ciel avec emphase comme elle le fait tout letemps.
—Pasdesouci.Tumetiensaucourant.Monportablemelâchesansnousdonnerletempsdenousdireaurevoir.J’attrapemesvêtements.
Courir est un excellentmoyen de se vider la tête et il se trouve que c’est exactement ce dont j’aibesoin.Jemechangeenunclind’œil–jepourraislefairelesyeuxfermés–puisjedescendsàlacuisine. Plans de travail noirs lustrés, placards blancs lustrés, sol noir lustré également. Tout esttrès…lustré.
—Waouh.Jen’osepastoucheràl’évierimmaculédevantlafenêtrepourremplirmabouteille.—Tuaimes?demandemonpère.Ilpassesontempsàapparaîtredenullepart,commes’ilsuivaitmesmoindresfaitsetgestes.—Vousvenezdelarefaire,ouquoi?Avecunpetitrire,ilvaouvrirlerobinet.—Tiens.Jamiet’attenddevant.Ils’étire.Je contourne l’îlot central pour remplir ma bouteille à ras bord, avant de déguerpir sans lui
laisserunechanced’ajouterautrechose.Commentvais-jesurvivreàhuitsemainesensacompagnie?Jamie,quifaitdesallers-retourssurletrottoir,s’arrête.—Jem’échauffaisunpeu.—Jepeuxmejoindreàtoi?Jeboisunpeuavantdelerejoindrepourquelquestoursdepelouse,puisnousnousmettonsen
route,àvitessemoyenne.D’ordinairejecoursenmusique,maisceserait impolidelaisserJamietoutseul.Nousparlons
peu et échangeons les occasionnels «Ralentissons un peu », c’est tout. Ça neme dérange pas. Lesoleil,montéenpuissancedurantcettedernièreheure,estterrassant.Lesruesicisontcharmantes,leshabitantspromènentleurschiens,fontduvélooubaladentdespoussettes.Jevaispeut-êtrefinirparaimercetteville,aprèstout.
—Tudétestestonpère?demandetoutàcoupJamie,tandisquenousretournonsverslamaison.Abasourdie,jemanquedetrébucher.—Hein?jebégaieavantdereprendremesesprits,lesyeuxsurletrottoir.C’estcompliqué.—Jel’aimebien,moi,dit–ouplutôthalète–Jamie.Surprenantqu’ilarriveàsuivremonrythme.—Oh.—Maisçaal’airasseztenduentrevous.—Oui.(Commentchangerdesujet?)Disdonc,elleesttropcoolcettemaison,là!Ilm’ignore.—Pourquoic’esttendu?—Parcequ’ilestcon,jefinisparrépondre.C’estlavérité:monpèreestuncon.—Ilestcondenousavoirlaissées.Ilestcondenejamaisappeler.Ilestconparcequ’ilestcon.—Jevois.Fin de la conversation.Nous nous étirons sur la pelouse avant de rentrer prendre une douche.
Papanemanquepasdenousrappelerquelebarbecuecommencedansdeuxheures.Jesuistellementensueurqu’aprèsavoirbranchémontéléphone,jemejettesousladoucheetj’y
resteunedemi-heure,assiseàmeprélasserdanslavapeur.Chezmoi,lesdouchesnesontpasaussiagréables.
Jeconsacrel’heureetdemiesuivanteàmepréparer.Siseulementjepouvaismepointerdanslejardinensurvêtement!Maisjecroisquej’auraisdesproblèmesavecElla.Jedénichedansmavaliseunslimetuneveste.Élégantetdécontracté.Çadevraitlefaire.
Jem’habille,mesèchelescheveux,lesbouclelégèrementetmemaquille,quandjesenssoudaindeseffluvesdegrillades.Ilnevapastarderàêtrel’heure…
Je suis l’odeur jusque dans la cuisine. Par la porte-fenêtre ouverte sur le patio, je vois que lasoiréeadéjàdébuté.Erreur:ildoitêtre19heurespassées.Desenceintesdistillentdelamusique,desgroupes d’adultes ont investi le jardin. Le cauchemar.Chase et d’autres gamins de son âge jouentdanslapiscine.Dansuncoin,monpèreestentrainderetournerdessteakshachéssurlebarbecue,toutententantunechorégraphiedesannées1980.Ilal’aircomplètementcrétin.
—Eden!Approche!Oh,non!Ella.Si je simuleunecrised’épilepsie, jepourraispeut-être retournerdansmachambre,oumieux,
chezmoi.—Pardond’êtreenretard,jen’avaispasvul’heure.—Net’inquiètepas,dit-elle,enremontantseslunettesdesoleilsursatêteavantdemepousser
surlapelouse.J’espèrequetuasfaim.—Enfait,je…—JeteprésenteDawnetPhilip,nosvoisinsd’enface.—Enchantée,Eden,ditDawn.On dirait quemon père, Ella, ou les deux, ont informé tout lemonde dema présence. Philip
m’adresseunpetitsourire.—Moiaussi.Quedired’autre?Racontez-moivotrevie?Alors,DawnetPhilip,qu’est-cequevousvoulezfaire
plustard?Jemecontentedesourire.—Notrefillenedevraitpastarder,continueDawn,elletetiendracompagnie.—Oh,super…Jedétournelesyeux.Jen’aijamaisétédouéepoursympathiseravecd’autresfilles.Lesfillesme
terrifient.Etrencontrerdesinconnues,c’estencorepire.—Ravied’avoirfaitvotreconnaissance,dis-jeenm’éclipsant.Pourvu que j’arrive à éviter d’autres présentations embarrassantes. Ça fonctionne pendant
quaranteminutes.Jetraîneprèsdelahaie,malàl’aise,grimaçantausondelamusiquepourriequisortdesenceintes.Quand lanourritureestenfinprêteetque tout lemondes’yattaque, lebruitdesvoixparvientaumoinsàétoufferunpeul’horriblepopdégoulinante.Jetriturequelquesminuteslepaindemonburgeravantdelemettreàlapoubelle.AumomentoùjecroisavoirréussiàéviterEllapour le restantde lasoirée,cettedernièredécidedeme traînerd’invitéen invitépourprésentersanouvellebelle-fille.
—Ah!VoilàRachael!s’exclame-t-elleenm’amenantversunnouveaugroupedevoisins.—Rachael?Je neme rappelle pas son prénom.Onm’a présentée à tellement demonde en l’espace d’une
heurequej’aitoutoublié.—LafilledeDawnetPhilip.Ellel’appellesansattendre.—Rachael!Parici!Ohnon.J’inspireprofondémentetplaquemonplusbeausouriresurmafigure.Quisait,ellesera
peut-êtresympa.Lafillenousrejoint.—Oh,euh,salut,jebalbutie.
Ellanousfaitdegrandssourires.—Eden,jeteprésenteRachael.Rachaelsouritelleaussi,commeçaonal’aird’unparfaittriodetueusesensérie.—Salut!lance-t-elleavecunregardgênéàElla,quipigel’allusion.—Jevouslaisseentrevous,lesfilles.Avec un petit rire, elle s’éloigne vers d’autres conversations ennuyeuses avec d’autres gens
ennuyeux.—Lesparentssedébrouillenttoujourspournousmettrelahonte,déclareRachael.Jedécidequejel’aimebien.—Tuescoincéeicidepuisledébut?Siseulementjepouvaisdirenon.—Malheureusement.Elle ade longscheveuxblonds, teints, sans l’ombred’undoute.Mais jevais laisserpasser cet
écart,parcequ’ellen’apasl’airdemedétester,pasencore.—J’habite justeen face.Tuneconnais sûrementpersonne ici,doncsi tuveux,onpeut traîner
ensemble.Jesuissincère,tuviensquandtuveux.Sapropositionmesurprendmaisjeluiensuistrèsreconnaissante.Pasmoyenquejepassedeux
moiscoincéedanscettemaisonentremonpèreetsanouvellefamille.—Çameva…Ilsepassequelquechosedevantlamaison.Par les intersticesde lapalissade, j’entrevois la route.De lamusiquenoiecelledu jardin.Une
voiture blanc métallisé arrive en trombe et dérape le long du trottoir. Je grimace de dégoût. Lamusiques’arrêteenmêmetempsquelemoteur.
—Qu’est-cequeturegardes?demandeRachael.Jesuistropoccupéeàobserverpourluirépondre.Laportières’ouvreviolemment.Étonnantqu’ellenesedétachepas.Jenedistinguepastrèsbienà
travers la palissade,mais un grand type sort de la voiture et claque la portière aussi fort qu’il l’aouverte. Après une légère hésitation, il lève les yeux sur la maison et passe une main dans sescheveux.Ilal’airsuperénervé.Ilsedirigedroitsurleportail.
—C’estquiceblaireau?AvantqueRachaelneréponde,SuperBlaireaudécided’asseneruncoupdepoingauportail.Tout
lemondeseretourne.Ilveutqu’onledétesteouquoi?Sûrementunvoisinencolèreparcequ’iln’apasétéinvitéaubarbecuelepluspourridetouslestemps.
Iladesyeuxvertémeraude.—Pardonpourleretard,s’exclame-t-il,sarcastique.J’airatéquelquechose?Àpartlemassacre
de masse d’animaux ? ajoute-t-il en faisant un doigt d’honneur vers, d’après ce que je vois, lebarbecue.J’espèrequevousavezappréciélavachequevousvenezd’ingurgiter.
Ilpartd’ungrandrire.Ilritcommesil’expressiondedégoûtdesconvivesétaitlegagdel’année.—Quiveutdelabière?demandemonpèreaumilieudelafoulesilencieuse.Tandisquetoutlemonderetourneàsaconversationavecunpetitrireforcé,SuperBlaireaupasse
parlaporte-fenêtrequ’ilclaquesifortqu’onentendleverretrembler.Je suis sidérée.Que vient-il de se passer, exactement ?Qui était-ce, et surtout, pourquoi est-il
entrédanslamaison?Bouchebée,jemeressaisisetmetourneversRachael.Ellesemordlalèvreenenfilantseslunettesdesoleil.—Jevoisquetun’aspasencorerencontrétondemi-frère.
3
Jenesaispasexactementàquoi jem’attendaisenvenantàLosAngeles,mais jepeuxdireunechose:pasàhériterd’undemi-frèrecinglé.
—C’estluiletroisième?Autourdenous,lesinvitésfontcommesiderienn’était,maispourmoi,impossible.Pourquise
prendcetype?—Euh,oui,faitRachaelavecunpetitrire.Jesuisdésoléepourtoi.Etj’espèresincèrementqueta
chambreesttrès,trèsloindelasienne.—Pourquoi?Elleparaîtsetroubler,commesijevenaisdedécouvrirsonplusobscuretterriblesecret.— Il peut être vraiment invivable parfois, mais bon, je n’ai rien à dire. Ce ne sont pas mes
affaires.Lesjouesrougesetlesouriredetravers,ellechangetrèsvitedesujet.—Tuasquelquechosedeprévudemain?Moncerveauestrestébloquésurcettehistoiredechambre.—Oui…euhattends,non.Désolée,jenesaispaspourquoij’aiditoui.Hmm.Bienjoué,Eden.Parmiracle,Rachaelnemerangepasencoredanslacatégoriedesdemeuréscongénitaux.Ellese
contentederigoler.—Tuveuxqu’onsevoie?Onpourraitallersurlapromenade,parexemple.—Pourquoipas.Jesuisencoreunpeuabasourdieetagacéeparl’arrivéemalpoliedeSuperBlaireau.Iln’aurait
paspusecontenterd’entrerpar-devant?Cesremarquesétaient-ellesbiennécessaires?—C’estparfaitpourleshopping!continueRachael.Elle parle sans arrêt, en passant de temps en temps ses cheveuxblonds par-dessus ses épaules.
Chaquefois,sesmèchesmefouettentlevisage.Quandelleafinidecaqueter,ellemedit:— Je vais rentrer, j’ai des milliers de trucs à faire. Désolée de ne pas pouvoir rester plus
longtemps.Mamèrevoulaitquejepassefairecoucou.Donc,coucou.—Coucou.Elle repart aussi vite qu’elle est arrivée,me laissant seule avec des adultes àmoitié avinés. Et
Chase.
—Eden,dit-ilens’approchant.Ilprononcemonnomavecprécaution,commepourvoircequeçadonne.—Eden,répète-t-ilavecplusd’assurance.Oùestlesoda?Ses copains s’approchent àpetits pasdenous, avecdegrandsyeux innocents et nerveux.Mais
biensûr,jepense,jesuistellementimpressionnante.—Sûrementsurlatable.Demandeàtamère.—Elleestàl’intérieur.Soudain,l’undesescopainslepoussedansledos,mortderire.Chasesecognecontremoi.Ilfait
aussitôtmachinearrière,gêné.Monhautesttrempé.—Désolé,lâche-t-ilenregardantsongobeletvide.—Cen’estpasgrave.Enfait,c’estparfait.Jevaispouvoirm’échapperdecettefêtehorriblepourchangerdechemise.
Jemeglissedanslamaison,ravie.Avecunpeudechance,Papaauraassezdebièresdanslenezpourne pas remarquer mon absence, si je décide de ne pas ressortir de ma chambre basique. Je vaisappelermamère,ouAmelia,oupeut-êtremecasserlesdeuxjambes.Tout,plutôtquederesterseuledehors.
Avecunsoupir las–c’étaitunejournéesacrémentfatigante– jem’apprêteàmonter l’escalier.J’aiàpeineatteintlapremièremarchequedeshurlementsretentissentdanslesalon.Jesuisbeaucouptropcurieuse.Jem’approchedelaporteentrebâillée.
Decequejepeuxvoir,Ella,lesyeuxclosetlatêteentrelesmains,sefrottelestempes.—Jenesuismêmepasenretard,ditunevoixmasculineauboutdelapièce.JereconnaisimmédiatementletonsévèredeSuperBlaireau.—Deuxheuresderetard!s’écrieElla.Jereculed’unpasquandellerouvrelesyeux.SuperBlaireaus’esclaffe.—Tucroyaisvraimentquej’allaisrentrerpourunbarbecuedemerde?—C’estquoileproblème,cettefois?Etnemeparlepasdubarbecue.(Ellesemetàfairelescent
passurlamoquettecrème.)Tutecomportaiscommeungaminavantmêmedesortirdetavoiture.Qu’est-cequinevapas?
Unpeuessoufflé,mâchoirecrispée,iltournelatête.—Rien.—Cen’estpasrien,apparemment.Letondurd’Ellacontrasteavecceluiqu’ellem’aserviunquartd’heureplustôt.—Tuviensdem’humilierunefoisdeplusdevantlamoitiéduquartier!—Qu’est-cequeçapeutfaire?— Je n’aurais jamais dû te laisser sortir, continue Ella plus doucement, comme si elle s’en
voulait. J’auraisdû t’obligerà rester,maisnon,biensûr,parceque j’essayaisd’êtresympa,et toi,commed’habitude,tumelerendsbien.
—Jeseraissortidetoutefaçon.Ilavanceetjel’aperçoissecouerlatêteenrigolant.—Qu’est-cequetuvasfaire?Mepriverdesortie,encore?Toutàl’heure,ilestpassésivitequej’aiàpeineeuletempsdelevoir.Ilalavoixrauque,descheveuxnoirdejais,ébouriffésmaispropres,delargesépaules,etilest
grand.Trèsgrand.IldépasseEllad’aumoinsunetête.—Tuesinsupportable,dit-elleentresesdentsserrées.Soudain,ellelèvelesyeuxet,unefractiondeseconde,sonregardsefixesurmoi.Lesoufflecourt,jem’éloigne.Pourvuqu’ellenem’aitpasremarquée.Peut-êtreregardait-ellela
porte,etnonlapersonnecachéederrière?Peineperdue.Unesecondeplustard,laportes’ouvresans
melaisserletempsdefuir.—Eden?Ellasortdanslecouloiretbaisselesyeuxsurmoi,àmoitiéétaléedansl’escalier.Mapathétique
tentativedegrimperquatreàquatrenes’estpasdérouléecommeprévu.—Euh.Jememettraisdesclaquessijen’avaispaslesbrastétanisés.Maisl’humiliationdusièclen’estpasterminée.SuperBlaireaupasselatêtedanslecouloiravant
de nous rejoindre. Je le vois de près pour la première fois. Ses yeux vert émeraude – brillants,presquetropvifspourêtrenormaux–seplissentdevantmoi.J’enaidesfrissons.Ilserreànouveaulamâchoire,sonsouriresuffisantdisparaît.
—C’estquicelle-là?IllanceàEllaunregardencoinenattendantdesavoirpourquoiuneadoàcôtédelaplaqueesten
traindefairedel’aérobicdansl’escalierdesamaison.Ellahésiteuninstant.—Tyler,c’estEden.LafilledeDave.SuperBlaireau–ou,officiellement,Tyler–émetungrognement.—LaprogénituredeDave?—Salut,dis-jeenmerelevant.Sijetendslamainj’aurail’airencorepluscrétine,alorsjemecontented’entrelacermesdoigts.Ses yeux reviennent enfin vers les miens, et il me fixe. Encore et encore. On dirait qu’il n’a
jamaisvuunautreêtrehumain.Ilad’abordl’airtroublé,puisfâché,puisdenouveauperplexe.Malàl’aise,jebaisselesyeuxsursesbootsmarronetsonjean.
—LaprogénituredeDave?répète-t-ilplusdoucement,incrédule.Ellasoupire.—Oui,Tyler.Jet’aidéjàditqu’ellevenait.Nefaispasl’idiot.Ilcontinuedem’examinerducoindel’œil.—Quellechambre?—Quoi?—Dansquellechambreelledort?Bizarredel’entendreparlerdemoicommesijen’étaispaslà.Jepariequec’estcequ’ilvoudrait.—Àcôtédelatienne.Il râlepourmontrersonmécontentement. Ilcroitvraimentqueçam’amusedevivredanscette
maisonencompagniedecettefamillepathétique?Ehbien,j’aiunscoop:non.Une fois qu’il m’a bien fusillée du regard pour enfoncer le clou, il bouscule Ella et grimpe
l’escalierquatreàquatre.Ellaetmoirestonsmuettesjusqu’àcequenousentendionssaporteclaquer.—Jesuisdésolée,ditElla.L’humiliation qu’elle laisse transparaître est si sincère que je me prends à ressentir de la
compassionpourelle.Peut-êtremêmedel’empathie.Sijedevaisgéreruntelcrétinauquotidien,jeferaisdépressionsurdépression.
—Ilest…Bon,etsionretournaitdehors?Nonmerci.—Enfait,Chasearenversésonverresurmachemise,jedoismechanger.—Oh,fait-elleenexaminantlatachehumideavecunegrimace.J’espèrequ’ils’estexcusé.Quandelles’éloigne,jeparviensenfinàmonterlesmarchesetjem’écrouledansmachambre,
soulagéeàpeinelaportefermée.Enfinseule,sanspersonnepourm’ennuyer.
Çadure…huitsecondes.Lamusiquequiretentitsoudaindanslachambrevoisinemenacedefaires’effondrerlemur.EtRachaelquiespéraitquemachambrenesoitpasprèsdecelledeTyler.Près,c’estuneuphémisme,noussommesl’unàcôtédel’autre.Abasourdie,lasse,énervée,jemeplanteaumilieudelapièce.Del’autrecôtédecemurvitungroscrétin.
Dieusoitloué,lamusiquecesseauboutdecinqminutesetonn’entendriend’autrequelebruitd’uneportequis’ouvre.Mondemi-frèreseserait-ilcalmé?Pleinedecetespoir,jesorsàmontourettombenezànezavecdesyeuxférocesetpascalmesdutout.
Sicettepersonnefaitpartiedemanouvelle«famille»,jedoisaumoinsfaireuneffort.—Salut,jetenteànouveau.Est-cequeçava?LesyeuxémeraudedeTylersemoquentdemoi.—Aurevoir,dit-il.Affublédelamêmechemiseàcarreauxrougeetdesesbootsmarron,ildévalel’escalieretsort
sansquepersonneneleremarque.Iln’enamanifestementrienàfaired’êtreprivédesortie.Avec un soupir, je rentre dans ma chambre. Au moins j’aurais essayé, pas comme lui.
Débarrasséedemavesteetdemonhaut,jem’effondresurlelit.Jeparviensàignorerlamusiqueetles rires alcoolisés qui proviennent du jardin, et je décompresse en fixant le plafond.Dehors, unevoituredémarreentrombe.Tyler,probablement.
Durantl’heuresuivante,j’appelleAmeliaeninsistantbiensurl’insoutenablebarbecue,monidiotdepèreetcetabrutideTyler.Puisjefaislemêmerésuméàmamère.
Unpeuplustard,alorsquejesomnole,j’entendsmonpèrem’appelerderrièrelaporte.Ilentreavantquejeneluiendonnelapermission.Ilsentlaviandecarboniséeetlabière.
—Toutlemondeestparti.Nous,onvasecoucher.Jetombedesommeil.Je lui souhaite bonne nuit et me retourne vers le mur, la tête dans l’édredon. On dit que
s’endormirdansunlitinconnuestsoittrèsfacile,soittrès,trèsdifficile.Etlà,malgrélafatiguequim’envahit,jecommenceàmedirequec’estlasecondeoption.Jemetournesurledos,unemainsurlefront.Lachaleurdelajournéeestpiégéedansmanouvellechambreetlaclimnes’esttoujourspasmiseenroute.Soitelleestcassée,soitmonpèreaoubliédel’allumer.Ilfaudraquejeluidisedemainmatin.
Je passe une bonne heure à me retourner dans mon lit avant de m’endormir. Pendant trèsexactementquarante-septminutes.Décidément,riennesemblejamaisdurertrèslongtempsdanscettemaison.
Siquelquechoseavait dûme réveiller aumilieude lanuit, j’auraisplutôtparié sur la chaleurétouffante.Maiscesontdesbeuglementsquimefontdresserl’oreille.Àquatrepattesetenalerte,jem’approchedelafenêtreouvertepouryjeteruncoupd’œil.Latempératurenocturnemerafraîchit.
—Nan,lanceTyler,ivre,danslevide.Nan.L’airgrave,ilappuiefermementunemainsurlapelouse.—Qu’est-cequisepasselà?semurmure-t-ilàlui-même.Iladûreveniràpied,jenevoispassavoiture.Aumoinsilluiresteunpeudebonsens.Conduire
aprèsavoirbu,c’estbeaucouptropcrétin,mêmeàsonniveaudecrétinerie.—Minuitestdéjàpassé?Ilpartd’ungrandrire.—Hé,j’appelleenchuchotant.Lèvelatête.Ilmetquelquessecondesàlocalisermavoix.—Qu’est-cequetumeveux,toi?—Çava?Questionidiote,non,çanevapas.—Ouvrelaporte,dit-ild’unevoixtraînante.
Ilavanced’unpaschancelantsousleporcheetjenelevoisplus.J’enfilelespremiersvêtementsquimetombentsouslamainetjedévalel’escalieràpasdeloup.
Sasilhouettesedécoupederrièrelesvitresdelaported’entrée.—Maisqu’est-cequejefabrique?jemurmureentriturantlaserrure.Cet abruti qui n’a fait quemegonfler depuis le débutmedemandede le laisser entrer, etmoi
j’obéis?Pourtant,sansl’ombred’unehésitation,j’ouvrelaporte.—T’enasmisdutemps,marmonne-t-il.Ilmedépasse,charriantdanssonsillagedecharmantseffluvesd’alcooletdecigarette.—Tuesbourré?—Nan.(Sonsouriredevientvitesuffisant.)Onestdéjàlematinouquoi?—Ilest3heures.Ilglousseettentetantbienquemaldemonterl’escalier.—Depuisquandyadesmarchesici?Ellesétaientpaslàavant.Dansl’obscurité,jel’entrevoisatteindrelepalieretdisparaîtredanssachambre,sansclaquerla
portecettefois.Ouf.Ellaletueraitsielleledécouvraitdanscetétat,àpeinecapabledetenirdebout.Jeluiemboîtelepasjusqu’àmachambreoùjemedébarrassedemesvêtementssurlesol.Ilfait
encore incroyablement chaud, alors, au lieu de retourner au lit au risque de mourir étouffée, jem’assoisà la fenêtre, la têtecontre lavitre. Ilyaunecanettedebièreécraséeprèsde laboîteauxlettres.
Blaireau.
4
QuandRachaelm’aditqu’onseverraitlelendemain,jenem’attendaispasàlavoirdébarqueràla porte à 10 h 04. Se lever, et pire encore, parler avec des gens avant midi pendant l’été, c’estabsurde. C’est contre les normes sociales de tout ado sain d’esprit. Je décoche un regard noir àRachaelàlasecondeoùj’arriveaubasdel’escalier.
Monpère,affubléd’ungrandsourire,tientlaported’unemainetunmugdecafédel’autre.—Etvoilàlaprincesse!—Salut,Papa,dis-jegentiment,toutenlevantlesyeuxauciel.Il continue à me regarder, radieux, comme si je venais de me faire ma première amie à la
maternelle,avantderetournerausalon.—Lahonte.—Lemienestpareil,ditRachaelenrigolant.Çadoitêtreungenredeloi:touslespèresdoivent
êtredeslosers.—Oui.Jenepensaispasqu’onpartiraitsitôt.Encoreàmoitiéendormie,jesuissurprisedepouvoiralignerautantdemots.Rachaelouvredegrandsyeuxavecunsourirequiveutdire«cettefilleestdébile».—Onestsamedi.Sionvasurlapromenade,ilfautyallersupertôt,sinonçavaêtrelacohue!Jenesaismêmepascequec’est,lapromenade.—Aaah.Elleporteunpetit short,unchemisiercrème,des lunettesde soleilgenreRay-Banetun tasde
bijoux.Moi,j’aiuntee-shirttropgrandavecdeslamasdessus.—Jevaismepréparer.Tuveuxentreruneseconde?—Vienschezmoiquandtuesprête,merépond-elleendésignantlamaisond’enface.Avantdepartir,ellemedemandepolimentdemedépêcher.Jemeprépareen trenteminutes.Pasdepetitdéjeuner, sixminutesdans ladouche, lescheveux
détachés,une tenuesemblableà la sienneetun très légermaquillage.Riende trop longnide tropcompliqué.
—Jesors,dis-jeàmonpère,enpassantlatêtedanslacuisine.Ils’interromptaumilieud’uneconversationavecElla.—Faitesattentionetnerentrezpastroptard.Oùallez-vous?—Untrucquis’appellelapromenade,ouquelquechosecommeça,jecrois.
—Oh!Tylervoulaityalleraussi,commenteElla.J’avaiscomplètementoubliél’existencedececrétin.—Iln’estpasprivédesortie?demandemonpère,unpeudurement.Il a l’air de ne pas pouvoir le supporter et je ne peux pas lui en vouloir. Tyler n’est pas la
personnelapluschaleureusedumonde.—Tunedevraispasluilaisserautantdeliberté.Ilfautquetuarrêtesdetoujoursluicéder.—Amuse-toibien!meditEllaenignorantmonpère.Sentantlagênes’installer,jedéguerpisleplusvitepossible.JeneveuxpasfaireattendreRachael.
Jenetienspasàmemettreàdosmanouvellecopineauboutdedeuxjours.Quandj’arrivedanssonalléeà10h37,Rachaeln’apasl’airagacée,mêmesiellem’attendait:personnenesortdesamaisonavecautantdeprécipitation,etaussitôt,sansraison.
—Ilvafairechaudaujourd’hui,déclare-t-elleenbasculantlatêteenarrière.Oui,eneffet,ilfaitpluschaudqu’hieretiln’estmêmepas11heures.—Allez,onyva.ElledéverrouillelaNewBeetlerougegaréedansl’allée.J’hésiteàmonter.—Quandest-cequetuaseutonpermis?Ellehausseunsourcilavecunsoupir,commesijevenaisdegâchersonexcursion.—Ennovembre.Jesaiscequetupenses:çanefaitpasencoreunan.Maisicipersonnenesuit
cesrestrictionsdébiles.Allez,monte.J’ignoredonclefaitqu’elleaitl’interdictionlégaledemetransportercommepassagèrecarj’ai
moinsdevingtans,etjem’installeenprenantgrandsoindemettremaceinture.—Donctuasdix-septans?jedemandetandisqu’ellefaitmarchearrièredansl’allée.—Toutjuste,j’entreenterminaleàlarentrée,dit-elleconcentréesursaconduite.CommeTyler.
Onestdanslemêmelycée.Ettoi?—Première.Plusquedeuxans,etavecunpeudechance,jefaismavalisepourl’universitédeChicago.J’ai
déjàentamémesdemandesd’admission,tellementj’aihâte.J’aieulecoupdefoudrepourChicagodepuismon entrée au lycée, etmême simamère préférerait que j’aille à la fac de Portland, j’ail’impressionque le cursusdepsychologiedeChicagoest lemeilleur.Et jenem’intéressequ’à lapsycho.Lefonctionnementdesgensm’intrigue.
—Lapremière,c’estlapireannée.Tuvasdétester!EllesemetàchanteraveclaradioàfondtandisquenousquittonsDeidreAvenue.Cinqminutesplustard,j’ailanauséeetjen’arrivepasàdéterminersic’estàcausedesaconduite
ouparcequenousnousdirigeonsversunendroitbondédegens.DontTyler.—Aufait,Meghanvientavecnous,ditRachelenbaissantlevolume.Elle segaredevantunemaisondebriqueclaireaucoinde la rueetklaxonne.Quantàmoi, je
trituremesdoigtsavecnervosité.Quelquesinstantsplustard,unemétisseasiatiqueauxcheveuxnoirsetbrillantstrottineversnous.
Elleseglisseàl’arrière.—Salutlesfilles!dit-elled’unevoixdouce.Rachaelredémarre.—SalutMeg.JeteprésenteEden,lasœurdeTyler.—Demi-sœur,jeprécise.Enchantée.—Moiaussi,faitMeghanavecungrandsourire.Tueslàpourl’été?—Oui.
Lamusique résonne à nouveau, ne laissant,Dieumerci, plus de place à la conversation.Nousquittonslesrésidencespourdébouchersurunezonedemotels,decafésetdebureaux.
— J’ai horreur de devoir chercher une place, se plaint Rachael alors qu’elle entre dans unparking,montetroisniveauxetsegareendiagonalesurunespacelibre.Allez,auxboutiques!
Je les suis,unpeuen retrait, jusqu’au rez-de-chaussée.Ellesmarchentbeaucoup tropvitepourmoietjepréfèreprendreletempsd’examinercequim’entoure.Aucoindelarue,jedécouvreenfinlapromenade :uneénorme ruepiétonnepleineàcraquerdeboutiquesdecréateurs,de restaurantshorsdeprixetdecinémas tapageurs : exactement legenredecentrecommercialque jedétesteentempsnormal.
—Eden,jeteprésenteThirdStreetPromenade!s’exclameRachael.MonendroitpréférédetoutLosAngeles.Lemeilleur.
—Pareil,ajouteMeghan.Soitellessontfolles,soitcesdeuxfillessontdeuxénormesclichéssurpattes.—C’esttropbien,dis-jed’unevoixquimetrahit.Ças’étendjusqu’où?—Troispâtésdemaisons!(Elleregardesamontreenagitantlesmains.)Allezvenez,onperddu
temps!Bigre.Leshoppingest lepirepasse-tempsquipuisseexistersur terre,saufquandçaconsisteà
écumerlesrayonsd’unelibrairie.RachaeletMeghann’ontpasl’airdugenreàappréciercetypedeshopping.CequiseconfirmequandellesmetraînentdansunAmericanApparel.
—Tuesunetouriste,m’expliqueRachael,doncilfautquetuenprofitesunmax.Moi,j’aibesoind’unnouveaupantalon.
—Etmoid’unsoutien-gorge,ajouteMeghan.Elless’éloignentsansunmotdeplusetmelaissentseuledanscetimmensemagasin,pourfairece
quejedéteste leplusaumonde: lescourses.Bon, ilestvraique j’aipeut-êtrebesoindenouvellestenues estivales. Je prends donc mon courage à deux mains et commence à farfouiller entre lesportants.Jefinispardénicherunepetitejupeetuntopàimprimésaztèquespastropmal.Laqueueauxcabinesestinterminable.
—Eden,m’appelleRachaeldenullepart.Sorsdecettefile.—Hein?—Viens…La femmedevantmoi se retourne pourme toiser des pieds à la tête.Rachaelm’attrape par le
coude.—Ilyad’autrescabinesaufonddumagasin.Ellessontferméesmaisonlesutilisetoutletemps
pournepasfairelaqueue.Jetemontre.Unepiledepantalonssurlebras,ellem’entraîneauboutdumagasin.—J’aiencored’autrestrucsàregarder,viensmechercherquandtuasfini,enfincommetuveux.Elle disparaît à nouveau et je me retrouve devant une porte blanche avec une pancarte qui
m’indique,évidemment,quelescabinessontfermées.Est-cequ’elleveutmefaireungenredeblaguecruelle?Néanmoins,lavoieestlibre,alorsjemeglisseàl’intérieur.Quellerebelle.
Jevaisessayermesarticlesvitefaitetdéguerpird’iciavantdemefaireprendre.Iln’yapasunbruit,quel’affreusemusiquedumagasin.J’entredanslapremièrecabine,lecœurbattantlachamade.Aumomentoùjeretiremonchemisier,ungloussementretentitdanslacabinevoisine.Jemepétrifie.
—Arrête!chuchoteunevoixféminine,presqueinaudible.—Mapuce,murmureuneautrevoix,masculinecelle-ci,graveetferme.Bruitdebouchecontrebouche.Oudepeaucontrebouche.Aucuneidée.— C’est quoi ton parfum ? demande la fille entre deux baisers.Montblanc ? Ça sent comme
Montblanc.
—Non,Bentley,répondletype.Jehumel’airoùflotteunincroyableparfumd’eaudeCologne.—Viensici.Nouveaux bruits de bouches. Un corps plaqué contre le mur de ma cabine. Je retiens ma
respiration.Lafillerigole.—Qu’est-cequetufais?—Quoi?—Cequetufais,là.C’estagréable.—Évidemment.Beurk.Jesuisentraindevivrelasituationlaplusgênantedemavie.Depeurqu’ilsn’aperçoivent
mes pieds par l’interstice, jeme perche sur le tabouret. Je voudraism’éclipser comme si de rienn’était,mais l’idéequ’ilsdécouvrentmaprésencemeterrifie.Ilsnevoientpeut-êtrepasmespieds,maismoi,j’aperçoislesleurs.Desballerinesbleucieletdesbootsmarron.
—Tyler,halètelafille,onnevapaslefaireici.J’ignore ce qu’ils comptent faire ici, mais ces chaussures, cette voix et le nom de Tyler me
frappentcommeunetonnedebriques.Parpitié,non.Aumomentoùjemedisque,çayest,jevaisvomir,j’entendslavoixdeRachael.—Eden,tuesencorelà?Sansperdreune seconde, j’attrape lesvêtements, je sautedu tabouret et je sors, dans tousmes
états.Jetentedeluifairecomprendrepardessignesqu’ilfautàtoutprixdégagerd’ici.—Chut,soufflelafilledanslacabine.Quiestlà?ajoute-t-elle,plusfort.Rachaels’arrête.—Tiffani?—Rachael?Lerideaus’ouvreetunegrandeblondeplatineensort.Ellealesjouesrougesetellesemordille
lalèvre.Sachemiseestàmoitiéouverte.—Hum,jenesavaispasqu’ilyavaitquelqu’un.Manifestement.—Qu’est-cequetufabriques?demandeRachael,soupçonneuse.Tyler,tueslà?Nousattendonslaréponse.—Oui,jesuislà.Tylersortàsontourenenfilantuntee-shirtgrispâle.Ilpasselamaindanssescheveux.Ilal’air
d’allermieuxquecettenuit.—Vousavezdéjàentenduparlerdel’intimité?—Vousavezdéjàentenduparlerdenepassepeloteraumilieud’AmericanApparel?rétorque
Rachael.C’estdégueu.Les sourcils parfaitement dessinés de Tiffani, ses pommettes hautes et ses lèvres pulpeuses
s’affaissent d’un coup. D’abord déconcertée d’avoir été prise sur le fait, son expression se durcitsoudain,alorsqu’ellereboutonnesachemise.Jenepeuxm’empêcherdedétournerlesyeux.
—Qu’est-cequevousfichezlà,vous?demandeTylerenportantsonattentionsurmoi.Sesyeuxperçantsmefixentplusieurssecondesetmedéclenchentunfrissondansledos.Queva-
t-ilencoredire?—Cequ’onfaitnormalementdansdescabinesd’essayage,ditRachael.Onessaiedesfringues.Énervée,Tiffaniluidécocheunregardmeurtrieravantdesetournerversmoi.—Ettoi,tuesqui?—Eden,jemurmure.
J’aidumalàlaregarderdanslesyeux,d’abordparcequejemesensminusculeetpuisparcequecettesituationestbeaucouptropembarrassante.ÀlaplacejeregardeTyler.
—Sademi-sœur.—Tuasunedemi-sœur?demandeTiffani,perplexe,maisbrièvementadoucie.—Apparemment.Elle reste interdite quelques instants, comme si une demi-sœur était un genre de créature
mythologique qui n’existe que dans les contes de fées. Quand elle parvient enfin à intégrerl’information,elleseretourneversmoi,lesyeuxplissés.
—Qu’est-cequetufaisaislà-dedans?Tunousespionnais?—Relax,mapuce, luiditTyler,m’épargnantdumêmecoupd’avoirà trouveruneexcuse.On
s’enfiche,c’estpasimportant.Arrêtededélirer.Tiffaniouvredegrandsyeux,ébahieparsonabsencederéaction.Ellecroiselesbras,vexée.—Jedisça,jedisrien.—Ouais,alorstais-toi.Elles’enfiche.Viens,onsecasse.JedoispasserchezLevi’s.Impatient,ilpasseunbrasautourdesesépaules,maisellerésisteets’adresseàRachael.—Onsevoitmardi.Tuvienstoujoursàlaplage?—Oui,faitRachaelavantdemejeteruncoupd’œil.À cette seconde, je sais exactement ce qu’elle pense.Faites qu’elle ne le dise pas à voix haute.
Maisévidemment…—Edenpeutveniraussi,n’est-cepas?Rhaaa.Renfrognée, Tiffani souffle lentement. Doit-elle (ou non) autoriser une intruse à envahir ses
projets?Pourfinirellemarmonne:—Sielleveut.Puis, enfin, elle autorise Tyler à l’entraîner dehors, mi-honteuse, mi-irritée. Ses joues vont
probablementmettredesheuresàretrouverunecouleurnormale.Danslesilencequisuitleurdépart,jemetourneversRachael.— Petite copine, m’informe-t-elle. Ils sont ensemble depuis la seconde. Tu es grillée à vie,
maintenant.Jerespirepourlapremièrefoisdepuisdixminutes.—Ilesttellementcon.—C’estTylerBruce.Ilesttoujourscon.
5
Pourêtrehonnête,monaprès-midisurlapromenadeencompagniedeRachaeletMeghann’apasétésicatastrophique.Ellesn’ontpaspassédesheuresdanslesmêmesmagasinsniexploséleurargentdepocheenchaussures,et,surprise,ellesadorenttouteslesdeuxlecafé,cequej’aidécouvertquandnousnoussommesarrêtéesdansunpetitcaféminimaliste,aucoindeSantaMonicaBoulevard.Ças’appelaitTheRefineryetilsservaientlemeilleurlattequej’aiebudepuispasmaldetemps.
—Tuessûrequetuneveuxpasvenir?demandemonpèrepourlahuitièmefois.Affairée àme peindre les ongles de pieds en bleu saphir, jem’interromps pour jeter un coup
d’œilàl’êtrehumaintrèsagaçantquivientdepasserlatêtedansmachambre.—Oui,jesuissûre.Jenemesenstoujourspastrèsbien.Jeretourneàmesongles,têtebaissée.Jesuisunepiètrementeuse.Quandj’étaispetite,monpère
savaittoujoursquandjementais,rienqu’enmeregardant.Pourvuquecenesoitplusaussiévident.—Ilyaàmangerdanslefrigo,situasfaim.—D’accord.Jevaispeut-êtrepasserpouruneasociale,mais l’idéedepassermonsamedisoiraurestaurant
avecmafamillerecomposéemedonnelamigraine.Durantlesdeuxheuressuivantmonretourdelapromenade,monpèren’a rien faitd’autrequemeharcelerpourque j’assisteà leuraffreusepetiteréunion.J’aidéclinésystématiquement.
J’entermineavecmonvernisetjesorssurlepalier,enéquilibresurmesplantesdepieds.Depuislerez-de-chaussée,Ellamecriequ’ilss’envont.J’amorceunedescente,quandTylerémergedesachambre.
Ilplisselesyeuxàlasecondeoùilmevoitetnouslance,àmonsurvêt’etàmoi,unregardnoirappuyé.
—Tun’yvaspas?—Ettoi?Ilporteunsweatbleumarine,capuchesurlatête,unécouteuràl’oreille.—Privédesortie,fait-il,méprisant,ensefrottantlestempes.C’estquoitonexcuse?—Malade.Jemeretournepourdescendremaisjelesenstoutprèsdemoi.—Tiensc’estmarrant,j’ajoutetoutbas,çanet’apasempêchéd’allerchezAmericanApparel.—Tulafermes,souffle-t-il.
Dansl’entrée,PapaetEllaattendentàlaporte.JamieetChaseontl’airblasés.Leurâgeneleurpermetpasdes’échapperfacilement.
—Onnevapasrentrertroptard,ditElla.ElleposeunregardfermesurTyler.Ellesemblepresqueinquiètedelelaisserseul.—Situcomptessortir,n’ypensemêmepas.—Jen’oseraispas,Maman,rétorque-t-il,sarcastique.Ils’adosseaumur,brascroisés.—Onpeutyaller?demandeChase.J’aifaim.Dieumercijen’aipasàsubircequ’ilvaendurer.—Oui,oui,onyva,ditmonpère.Illeurouvrelaporte,puissetourneversmoi.—J’espèrequetuvasvitetesentirmieux,Eden.Jemecontentedesourire.—Àplus.—Soyezsages,ajouteElla.Malgrésonairsoucieux,ilsfinissentparpartir.Unsilenceparticulierretombesurlamaisonetjeprendssoudainconsciencequejemeretrouve
seuleaveclegroscrétin.Pourtoutelasoirée.Jemetourneverslui.—Hum.—Hum,fait-ilpourm’imiter,mal.—Hum.—Jevaisprendreunedouche.Enfin,situtepoussesdemonchemin.Jem’écarteetilmedépassedelamêmefaçonquelaveille,commesijen’étaisqu’unvulgaire
obstaclesursaroute.—Tropmalpoli,jemarmonne.Çafaitquarante-huitheuresquejesuisicietiln’apasditunseulmotsympa.Iln’amanifestement
aucun savoir-vivre. Je suis ravie de ne pas avoir à lui parler aumoins durant les cinq prochainesminutes.
Jevaismeposerdanslecanapédusalon.Jem’ennuiedéjààmourir.Lavérité,c’estquequandondébarquedansunevilleetqu’onn’yaaucunami,onfinitparpassersonsamedisoirtouteseuledansle salon immaculéde sabelle-famille, à regarderdes rediffs deL’Incroyable Famille Kardashian,parcequelaseulechoseàfairequandvotrevieestpourrieàcepoint,c’estd’épiercelledesautres.Ameliametueraitsiellesavaitquejeregardecetteémission.Jen’aimemêmepascetruc.Bon,peut-êtreuntoutpetitpeu,maisjenel’avoueraisjamais.
Toujours devant la télé, je bombardemamère de textos pourme plaindre demon père. Ellevalidechacund’eux.
Soudain,unevoixféminineretentitdansl’entrée.—Ilyaquelqu’un?ÇanepeutpasêtreElla,elleestpartiedepuisunedemi-heureetilsnedoiventmêmepasencore
avoirentamél’entrée.—Oui?—C’estquiça?exploselavoix.Desurprise,jemerecroquevillesurlecanapé.Unesilhouetteouvrelaportedusalonàlavoléeet
entre,lèvrespincées.Tiffani.Ellepousseunlongsoupirenmevoyant.—Pardon,j’aicruque…—Tuascruquoi?—Rien.OùestTyler?
Jemedésintéressedanslasecondeetretourneàmonépisode.—Jenel’aipasvudepuisqu’ilestpartiprendresadouche.—Merci.Je l’entends grimper les marches quatre à quatre comme si elle était chez elle. Lentement, je
baisselesondelatélépour,ilfautbienl’avouer,laissertraînermesoreilles.Jen’entendsrienpendanttroisminutes,puisleursvoixrésonnentdansl’escalier.—Relax,ditTyler.J’allaisvenircheztoidansuneheure,commetul’asdit.—Tuauraisaumoinspurépondreàmesappels.—Jen’aipasentendu,aveclamusique.Ilss’arrêtentdansl’entréeetTylermevoit.—C’estquoitonproblème,àtoi?—Ohlala,jesouffle.JenesaispascommentTiffaniarriveàlesupporter.—Tais-toi,Tyler,dit-elled’untondésapprobateur.—Rienàfaire.Allez,onsecasse,fait-il,glacial,enmetournantledos.—Enfait…ElleregardeTylerparendessous.Cedernierrelèvesonexpressionsuffisante.—Quoiencore?Tiffanivientseplanterdevantlatélé.Jenemesenspasassezàmonaisepourmedisputeravec
desinconnus.—Changementdeplan,dit-elleennousregardanttouràtour.J’acceptedel’écouter,àraison,vulasurprisequinousattend.—Austinfaitunesoiréededernièreminute,etonyva.Toiaussi,Eden.C’estbienEden,hein?
Tun’aspasfranchementl’aird’unefêtarde,maisselonRachael,jedoist’inviter.Alorsviens.—Attendsdeuxsecondes,l’interromptTyler.Jecroyaisqu’onallaitcheztoi.Tusais…,ajoute-t-
iltoutbas.Maistoutlemondeacompriscequ’ilavaitentête.—Onverraçaplustard,chuchote-t-elle,puis,plusfort :bon,doncEden,tuviens.Ettoiaussi,
Tyler.Tuviens,etpourunefois,tâchedenepasfiniràquatrepattes,continue-t-elle.—Hein?—RachaeletMegsontdéjàchezmoientraindesepréparer,allez,onyva!Clésdesavoitureenmain,ellesedirigeverslaporte,maisjem’empressedelarappeler.—Attends,jedoismechanger.Jemelève,lesyeuxauplafond.Avecunpeudechance,ilvas’effondrersurmoi.—J’enaipourcinqminutes.Comment je fais pour me retrouver systématiquement dans ce genre de situation débile ? Et
pourquoisuis-jeincapablederefuser?Tiffanis’esclaffeetmetireparlebras.—Jepeuxteprêterquelquechose,s’exclame-t-elleavecpitié.Allez,viens!Onpartdansdeux
heures.EllemelâcheetTylerlasuitdehors.—Jecroyaisquetuétaisprivédesortie.Ilsetourneversmoiavecunregardmauvais.—Etmoijecroyaisquetuétaismalade.Çameclouelebec.
J’angoissependant tout le trajet jusquechezTiffani.Unechoseoccupemespensées : jenemesuispasrasélesjambes.Cetteidéemetourmentependantlesdixminutesoùjemeretrouvecoincéeàl’arrièrede lavoiturede sport, lesgenouxdans lapoitrineparcequeMonsieurTyler adécidédereculer son siège aumaximum. Ilsnem’incluentpasdans leur conversation.Cecidit, cen’estpascommesiçam’intéressait.Ilsparlentdesderniersragotsdeleurlycée.Apparemment,EvanMyersetNicoleMartinezauraientrompu.
Tiffani habite au bout du quartier, sur un très grand terrain, dans une maison qui, d’après lemarbre, suggèrequ’elledoit avoirunmajordome.Pourtant, une fois à l’intérieur, aucune tracededomestiques.Cen’estqu’unemaisonnormale,construiteenmatériauxtrèscoûteux.
—Tamèren’estpasrentrée?demandeTyler.Sespremièresintentionsdeviennentencoreplusclaires.—Non. Il y ade labière à la cuisine.Tupeux te servirpendantqu’on seprépare,maisvas-y
mollo.Delamusiqueàpleinvolumerésonneàl’étage.Tiffanim’entraînedansl’escalier–enmarbre,
évidemment.—Onn’enapaspourlongtemps!crie-t-ellepar-dessuslarambarde.—Tiff?appellelavoixdeRachaeldepuisunechambreauboutducouloir.Tiffani?—Mevoilà!—Eden!Tuesvenue!Feràfriseràlamain,Rachaelserelèvealorsqu’elleestentraindecoifferMeghan.Jen’aipasvraimenteulechoix.—Vousêtessûrequejepeuxvousaccompagner?—J’imagine,répondTiffani,pastrèsconvaincante.Ellesedirigeverssondressing(ungenredevoûteconduisantàunepartiedesachambrepleineà
craquerdevêtements),etmetoise.—Rachaelmeditquetun’eslàquepourl’été,c’estça?—Oui.—Donctudoisenprofiter,jesuppose.—Ellearaison,confirmeMeghan,assiseparterredansunerobedesoiréeensoie,sescheveux
bouclésauxtroisquarts.Onvas’assurerquetunepassespasunétépourri.Troptard.—Vienschoisirtarobe!faitTiffaniavecunenthousiasmesurjoué.Jeteconseilledunoir.Noir
ourouge.Ça t’iraitbien.Etmoulant.Oui.Attends,Meghan, tuportesdurouge?Bonalorsnoiretmoulant.Onditça.
Sansmelaisserletempsderien,ellemetendunerobequ’ellereprendimmédiatement.—Enfait,celle-civaêtre tropmoulantepour toi,marmonne-t-elleenmetoisantdela têteaux
pieds.Jemesensrapetissersoussesyeux.Est-cequ’ellevientd’insinuerquejesuisgrosse?J’aimeraiscroirequecen’estpascequ’elleavouludire,maisçafaitquandmêmemal.C’esttrop
tardpourl’ignorer.Saremarqueserépèteencoreetencoredansmatête.EllemerongependantqueTiffani empile des robes avec lemême enthousiasme artificiel. J’inspire lentement. J’essaie demepersuaderqu’elleatort.
Ellemelaisseavecuntasderobesnoiresdanslesbras.Pourcommencer,jelâchemescheveuxetluiempruntesonferàlisser.Meghanmeproposedememaquiller.Tiffanimedénicheunepairedecompenséespouralleraveclarobequej’aichoisie,parceque,quellechance,nousfaisonslamêmepointure. Quand vient le moment d’enfiler la robe, je confie à Rachael le secret de mes jambes
poilues. Prise de fou rire, elle m’envoie dans la majestueuse salle de bains de Tiffani, avec desinstructionsclairespourtrouverlesrasoirsjetablesetréglerleproblème.
Je viens juste de réussir à enfiler la robe– très, très étroite, ce quimemet encore plusmal àl’aise–quandj’entendsTylerdébarquerdanslachambredeTiffani.Noussommesfinprêtes.SilesrobesdeTiffani,RachaeletMeghansonttoutesaussiserréesquelamienne,jemesensquandmêmeatrocementhorsdepropos.Letissus’accrocheàchaquemillimètredemoncorps.
—C’estbon,onpeutyaller?demandeTyler,blasé.Il attend depuis deux heures avec, à en juger par son équilibre douteux, la bière pour seule
compagnie.—DeanetJakesontdéjàlà-bas.—Jesuisbelle?demandeTiffani,entournantsurelle-mêmepours’assurerqu’illaregarde.Bienqu’ellesoittrèsmoulanteettrèscourte,sarobeblancheluiconfèreuneélégancecertaine.—Tuesparfaite,bébé,bredouille-t-ilenbuvantunedernièregorgéedebière.Trèssexy.Ill’attrapeparlatailleetl’attireàluipourl’embrasserpresqueviolemment,commes’iln’yavait
personnedanslapièce,unemainsursesreins,l’autreagrippéeàsafesse.Ellenesedébatpas.JelanceunregarddégoûtéàRachaelquilèvelesyeuxauciel.Onn’entendquel’horriblebruitde
succion.TyleretTiffani:lepirecouplequipuisseexisterenmatièred’étalaged’affection.—Ilssonttoutletempscommeça?jechuchote.Jenecomptepasinterromprepourladeuxièmefoisleurpetitmomentd’intimité.—Toutletemps,faitRachaelaveccompassion,jecrois.Ilsn’ontpasl’airdevouloirs’arrêter,mêmequandMeghanlespoussepourquenouspuissions
sortir.Ondiraitqu’ilsnesesontpasvusdepuistroisans.Àcepoint.Alorspeut-êtrequeTylerestpénible,etpeut-êtrequeTiffaniestmalpolie,etpeut-êtrequejesuis
grosse.Maismoiaumoins,maroben’estpasaussicollantequecesdeux-là.
6
Il est 20 heures passées quandMeghan nous emmène à cette soirée quime terrifie au-delà dupossible.Jeflippetellementquejecroisquej’auraispréféréallerdîneravecPapaetElla.Meforceràavaler de la nourriture hors de prixme paraît plus appréciable que le goût amer d’un alcool bonmarché.
Dehors,jemeprendsàadmirerlabeautédel’obscuritéquicommenceànaîtreautourdusoleilcouchant. Rachael décide de prendre la place du mort et je me retrouve à l’arrière de la ToyotaCorolla,de lavodkaàmespieds, etTyler, coincéentreTiffani etmoi,desbières sur lesgenoux.Entrelesparfumsmêlésauxdéodorants,sanscompterlamusiquedeplusenplusforte,onsuffoque.Lavoituredémarre,àunevitessenormale,Dieumerci.Meghanconduitpenchéesurlevolant,raideetsansunmot.Elleal’airterrifiée.RachaeletTiffanibavardentassezpourcouvrirsonsilence.
—SiMollyJeffersonestlà,jevousjurequejem’envais,affirmeRachaelenlevantlesyeuxdesonportable.
ElleenvoiedesSMSàlavitessedelalumière.J’observesesdoigtsavecfascination.Tiffanis’esclaffeenserecoiffant.—Qu’est-cequ’elleferaitlà?Austinestuntocard,maisilaquandmêmequelquesprincipes.Pas
denuls.Ellesepenchepourmeregarderquelquessecondespar-dessusTyler,ellesouritetsereculesur
labanquette.Pendant que nous traversons la ville, je jette un coup d’œil àma gauche.Bras croisés, visage
ferméetrivéaufreinàmain,Tylern’apasl’airtrèsàl’aise.Iladûmeremarquerparcequ’ilmelanceunregardencoinavantdedétournerlesyeuxaussivite.Jemetourneautantquejepeuxverslesimmeublesquidéfilentderrièrelavitre,sansparveniràmedétendre.Jesenssesyeuxsurmoi,maischaquefoisquejemeretournepourleprendresurlefait,ilregardedéjàailleurs.
—Etcettefille,là,Sabine?Sabinecomment,déjà?RachaelseretourneversTiffani.—Tuvoisdequijeparle?L’Allemandequiestlàenéchange?—Cellequim’apiquémaplaceenespagnol?SabineBaumann.—C’estça!Ellen’apasintérêtàêtrelànonplus.EllepassesontempsàmaterTrevor.—Ettoiaussi,Tyler,ajouteTiffani.
JesensTylerhausserlesépaules,maisTiffaninesemblepasportercettefilledanssoncœur.Elleserapprochedelui,lèvrespincées.
Elles continuent à discuter des potentiels invités tandis que nous restonsmuets.Meghan parcequ’elle est tropoccupée à essayer denepas nous tuer,Tyler parcequ’il s’efforce, avecbeaucoupd’intensité,denes’intéresserà rienenparticulier,etmoiparceque, franchement, jen’enai rienàfaire.
Quinzeminutes – et beaucoup de rajustements de coiffure et de remarques vaches – plus tard,nousvoilààlasoirée,quisembledéjàbattresonplein.Plusieurspersonnessontrassembléesdevantlamaison,d’autresarrivent tout juste.Lamusique résonnedèsquenoussortonsde lavoiture,queMeghanaréussiàcaserentreunvieuxtacotetunedécapotable.Jemeretrouveàporterunpackdebièresetunebouteilledevodkaavec l’impressionsoudained’êtreunealcoolique. Jeparieque lesvoisinsnousespionnentàtraverslesstores,prêtsàappelerlecommissariat.C’estévidentquenoussommestousmineursici.JemedemandeoùTiffani,RachaeletMeghansesontprocurétoutça,etcomment,maiscommetouslesadosdecepays,ellesdoiventavoiruntruc.Ilyatoujoursuntruc.
—Hé,Tyler!s’exclameungarçonassezpetit,crânerasé,uneBudweiseràlamain.C’estcoolquetuaiespuvenir.
Ilssefontuncheck.—Ouais.C’estoùlacuisine?demande-t-ilenmontrantsonpackdebières.Letypedésignelamaison.—Pose-leetviensnousrejoindre.D’unpasmalassuré,Tylerdisparaîtà l’intérieur,nonsansavoirsaluéplusieurspersonnessur
sonchemin.Tiffanis’approcheàsontourdumêmetype:l’hôtedelasoirée.—Salut,Austin!Jelasuis,RachaeletMeghanàmescôtés,sanspouvoirm’empêcherdemesentirdéplacée.—Faitescommechezvous,lesfilles.Joliesrobes,faitAustind’untonlibidineux.—Jesais,ditTiffanientournantlatêtepouradmirersespropresfesses.Aufait,Edenestlàaussi.—Eden?SesyeuxpassentsurRachael,puisMeghan,etenfinmoi.—AlorsEden,ontapel’incruste?Alorsque jem’apprêteàmourir surplace,Tiffani s’avanceetplaqueunemainsur lapoitrine
d’Austin.Ellesepencheàsonoreille.—Edenestlademi-sœurdeTyler.(Ellereculeavecunregardsévère.)Ettunevoudraispaste
mettreTyleràdos,n’est-cepas?Alors…Aussitôt,lerictusd’Austinlaisseplaceàungrandsourire.—Bienvenueàmasoirée!Éclatez-vousoucassez-vous!Illèvesabière,émetunlongsifflementpuiss’éloigne.—Vousl’avezentendu,commenteRachael.Elleouvresabouteilledevodkaetboitculsec.Elleal’airhabituée.—Onvas’éclater!Ilcommenceà fairesombre.NoussuivonsTiffanià l’intérieur.C’estdoncelle, lameneusedu
groupe.Letriod’amies,plusmoi,l’intrusedePortland.Situationquiimpliqueangoisse,nervositéetconsciencedenepasêtrelabienvenueici.
Lamaisonestbondéedusolauplafonddegensetdepacksdebières,etilfaittrès,trèschaud.Lamusiquehurle,l’alcoolcouleàflots.Laplupartdesconvivessontdéjàéméchés,voirecomplètementsaouls. Seules quelques rares personnes tiennent encore debout. Nous nous faufilons jusqu’à lacuisine que Tyler a déjà quittée après avoir laissé ses bières parmi des tas d’autres bouteilles sur
chaque surface plane de la pièce. Je contourne avec précaution les verres à shot qui décorent lecarrelagepourallerdéposerlepacketlavodkasuruncoindetable.
—Excuse,Rach,dituntypederrièrenous.Illafaitsedéplacerenpassantsesmainsautourdesataille.—Jemedemandaissituallaistemontrercesoir.—Trevor!Toutexcitée,ellesejetteàsoncoupourl’embrasser.Trevorlacontournepourattraperunebièretandisqu’ellel’observecommeunegaminedetrois
ansobserveunchiot.—«Petitcopain?»j’articuleàl’adressedeMeghanquifaitnondelatête.—Jevousrejoinsplustard,lesfilles!s’écrieRachael.Amuse-toibien,Eden!Ilssortentdelacuisineensemble,TrevoravecsabièreetRachaelavecsavodka.— Cette fille est une alcoolo, dit Tiffani le dos tourné, en sortant deux verres à shot. Elle a
commencéàpicoleràlasecondeoùelleestarrivéechezmoi.C’estvrai,Rachaelapassésontempsàsortirdelachambrependantquenousnouspréparions.
Moiquicroyaisqu’elleallaitauxtoilettesdemanièrecompulsive.J’observeTiffaniremplirlesverresdetequila.—C’estqui,ceTrevor?jedemande.—Sonmecdesoirée,répond-elled’untonmonotone.Ilsnesortentensemblequ’ensoirée.Bon,
tiens.ElleseretourneavecunlargesourirepourmetendreunverredetequilaCazadores.Jelanceun
regarddésespéréàMeghanquihausselesépaulesetsecouesesclésdevoiture.J’aidéjàbudelatequiladeuxoutroisfoisàPortland,maisçanem’afaitaucuneffet,àpartme
laisserungoûtamerdanslabouche.—Oh,dis-jeenexaminantleverrerempliàrasbord.Ducoindel’œil,jeremarqueTiffaniselécherledosdelamain.—Oh?Avecungloussement,MeghanlèvelesyeuxaucieletpasseunesalièreàTiffani.—Tuasdéjàfaitça?—Boiredelatequila?—Boiredelatequilacorrectement.Tusais,aveclecitronettout.Chezmoi,nousnebuvonsquedelabièreetdurhum.—Euh…Nossoiréesnesontpasaussi…—Cool?Elleseverseduselsurledosdelamain.—Tu pourras leur apprendre ça quand tu rentreras. Tu lèches tamain entre ton pouce et ton
index.Jemesenstoutàcouptrèsbête.J’ail’impressionderetourneraudébutdulycée,scrutéepardes
élèvesplusvieuxetpluscool.Maisonn’estpasaulycéeetcenesontpasmescamaradesdeclasse.On est à une soirée et ces filles savent quoi faire, quoi dire et comment s’intégrer. Moi, je suiscarrémentàl’ouest.
—D’accord,dis-jeenmeléchantlamain.Jeme sens ridicule et je commence àme demander simon père et Ella sont déjà rentrés à la
maison.—Sel.Ellemepasselasalièreetjel’imiteenversantunpeudeselsurmamain.—Ildoityavoirdescitronsquelquepart.
—Ilssontlà,Tiff,faitMeghanenriantdevantunplatremplidetranchesdecitronsvertsprêtesàl’emploi.
Unemainsurlefront,Tiffanipousseunsoupir.— Je n’ai pas encore bu et je suis déjà en train de devenir aveugle. Bon alors, tu prends une
tranche,tulatiensdanslamainoùtuaslesel…Jefaiscequ’onmeditetj’attendslaprochaineinstruction.—Etmaintenant?—Sel,tequila,citron,répondMeghan.QuandTiffaniluifaitsigne,ellecriepournousencourager:—Allez,allez,allez!Jepaniquemaislècheleselquandmêmeetbasculelatêteenarrièrepourtenterdefairepasserla
tequilasansvomir.C’estameretdégoûtant.Avecunegrimace,jemordsdanslecitron,maislejusmegiclesurlesjouesetjemepencheversl’évierenrenversantmonverre.
Jevaismefairetuerenrentrant.Jedoisavoirl’airhorrifiéeparcequeTiffanis’empressedemetendreunebière,commesiçaallaitfairepasserlegoût.
—Tusaiscequ’ondit,fait-elle,toutsourire,unetequila,deuxtequilas,troistequilas,quatre…pattes!
Plusieurspersonnesentrentchercheràboire;ellesaisitl’occasionpours’esquiver.—JevaischercherTyler.Amusez-vousbien.Levolumedelamusiqueaugmenteetmevrillelestympans.Lapulsationintensemedonnemal
au crâne. Meghan attrape ma main pour m’entraîner dans le salon plein à craquer. Elle parle àquelques personnes en chemin mais heureusement, personne ne lui demande qui est la crétineaccrochéeàsesbasques.
Ungrandcostaudblondnousaccoste.—Jake!hurleMeghan.—Salut,Meg.Ilporteuntee-shirtàmessagequelconqueetils’estfaituneffetcoiffé-décoifféaugel.—OùsontTiffetRach?Intéressant,Jakesembleavoiruneprédilectionpourlesdiminutifs.— Rachael avec Trevor, fait-elle en levant les yeux comme elle sait si bien faire, et Tiffani
cherchaitTyler.Tunel’aspasvu?Jakeserenfrogne.—Ouais.Ilfaitsontruc.Meghanmejetteuncoupd’œilensemordillantlalèvreetchangedesujet.—EtDean?—Ilvouscherchait.Ilsembleseradouciretavaleunegorgéedesabièreavantdeportersonattentionsurmoi.—C’estquilanouvelle?—Eden,réponds-jeavantMeghanetenanticipantlesquestionssuivantes.Jesuislademi-sœurde
Tyler.Jesuislàpourl’été.Lerevoilàquiserenfrogne.IlregardeMeghan,quihausselesépaulesàsontour.—Quoi?—Euh,commenceMeghan,jevaisessayerdetrouverRachael.Jedoisfairegaffequ’ellenese
fassepasmettreencloque.—Tuveuxquejeleurpassedescapotes?faitJakeavecunsourirenarquois.Ilfaitminedefouillersespochesenrigolant.Meghanglousse,setouchelescheveuxets’éloigne.—Donctueslademi-sœurdeTylerBruce?
Nier seraitdébile,alors jemurmureun rapide«oui»avantdechangerdesujetaussivitequepossible.Jeluiposelapremièrequestionquimevientàl’esprit.
—Vousêtestousenterminale?—Pastoi?—Première.Encoreunenouvelleraisonàmonincongruitédanscetendroit.Jesuisunepremièreàunesoirée
determinale.Amelianevajamaismecroire.ÀPortland,lesterminalerefusenttoutcontactaveclesautres.Lesgarçonssonttropcoolpournousetlesfillestropoccupéesàseprendrepourdesadultes.Ondiraitqu’ilssecroientd’uneracesupérieure,ouquelquechosecommeça.
—Tuviensd’où,déjà?JereportemonattentionsurJake.—Hum,Portland.—PortlanddansleMaine?—Portlanddansl’Oregon.Lesilencependantqu’ilboitsabièreestdeplusenpluspesant.—Excuse-moi,tuasditqu’ilétaitoù,déjà,Tyler?Illèveunsourcilperplexe.—Qu’est-cequeçapeutfaire?Çapeutfairequejeveuxrentrerchezmoietqu’ilsetrouvequechezmoi,c’estchezlui.—Jesuiscenséeluiapporterunebière.Bienjoué.Ilhésiteunlongmoment,puis:—Ilestderrière,danslejardin.Faisgaffeàtoi.—Merci.Jeboisunepetitegorgéedemabièrepuisjemefrayeuncheminjusqu’auboutducouloir,parmi
lamasse de corps.Des corps qui ne sont niTiffani, niRachael, niMeghan.Là, tout de suite, leurcompagnienemedérangeraitvraimentpas.Onm’aabandonnéedansunefouled’inconnus,dansunevilleinconnue,etcen’estpasdutoutagréable.
Je trouve la porte de derrière ouverte etm’y faufile jusque dans le jardin où j’abandonnemabièresurunetable.Ilyauntypeentraindevomirprèsdelapalissadeetunefilleévanouiesurlapelouse.Jecontempleuninstantl’idéed’allerl’aider,maisdeséclatsderiredétournentmonattentionversl’abridejardin.Ondiraitqu’ilsviennentd’ungroupedegarçons.Jeprendsmoncourageàdeuxmainsetjemedirigeverseux.Sansça,jevaisrestercoincéeiciàjamais.
Delafuméeflottedansl’air.L’abrin’apasdefenêtreet laporteestfermée.Quandje l’ouvre,uneodeur entêtanteme frappe, faisantmonter les larmes. Je ferme les yeux, recule en toussant etlâche:
—C’estdelaweed?—Nan,c’estdelabarbeàpapa,merétorque-t-on.Toutlemondehurlederire.Iln’yariendedrôle.Quand je rouvre les yeux, la fumée s’est un peu dissipée et je découvre quatre types qui me
regardent.L’und’euxestTyler.Iltientunjointqu’iltentededissimulerderrièresajambe.Jelevoistoutautantquejevoislapaniquepassersursonvisage.
—Tuessérieux?jedemande,incrédule.—Mec,fais-ladégager,marmonnequelqu’un.Jenesaismêmepaslequeldestroisautresparle.Jem’enfiche.JenequittepasTylerdesyeux.—Saufsielleveutnoustenircompagnie.—Mec,commenceTylerd’unevoixtremblante.Ildéglutitets’efforcederigoler.Ilalesyeuxvitreuxetlespupillesdilatées.
—Tuveuxvraimentvoircettegamineici?continue-t-il.Tylernesejointpasauxnouveauxgloussementsmêlésdetoux.Ilsecontentedesemordreles
lèvres.Sonregardpasseentremoietsesamis,indécis.Pourcommencer,ildevraitsedébarrasserdecejoint.
—Maisc’estquicelle-là,àlafin?D’unemain,j’écartelesnouvellesvolutesdefumée.—Personneneluiaexpliquélerèglement?Une paire d’yeux injectés de sang luttent pour me fixer. Le type afro-américain à qui ils
appartiennentsouritjusqu’auxoreilles.—Personnen’entre,chérie.Casse-toid’ici,saufsituveuxêtredelapartie.Ils’avanceenmetendantunjointpresqueterminé.Commesij’allaisleprendre,Tylers’interposeentrelejointetmoi.Ilselèchel’indexetécrasele
boutdusienpourl’éteindreavantdelemettredanssapocheavecunregardassassinàl’autretype.—Qu’est-cequetufous,Clayton?T’esmaladeouquoi?ClaytonportelejointàsaboucheetsoufflelafuméeauvisagedeTyler.—Aucontraire,jeluienpropose.Ças’appellelesbonnesmanières.Sinonceseraitmalpoli.Pas
vrai,petite?Lesdeuxautrestypesgloussentànouveaumaisilsnefontplusattention.Ilssonttropdéfoncés.Ils
restentlà,aufonddel’abri,àrigolercommedesbossus.ContrairementàTyler.—Mec,réfléchis.(Ilreculed’unpasetmerentrededans.)Ellen’enveutpas.Regarde-la.Ilcontinuedemefixerjusqu’àmemettremalàl’aise.Ilnedétournemêmepaslesyeuxquand
Claytonreprendlaparole.—D’accord,d’accord.Alorscasse-toi.Depuisquandonlaissetraînerdesgaminsici,d’ailleurs?—C’estcequejemedemande,murmureTyler.Ilfaitvolte-face.Dégoûtée,jesecouelatête.JemedemandesiEllaestaucourant.Est-cequ’elle
saitqu’ilestici,àsedéfoncertoutelanuit?Tylers’avanceversmoimaissonpoingheurtequelquechose.Jesuissonregardquidescendsur
unetablebasseenmétalavecunepetitelampe.C’estlàquejeremarquecequitraînesouslalumière.Un petit tas de billets, des cartes de crédit éparpillées et surtout, des lignes nettes, parallèles. Deslignesdepoudreblanche.
—C’estpasvrai,jemurmureenclignantdesyeux.Est-cequec’estlafuméequejeviensd’inhaler,ouest-cequejevoisbiencequejevois?—C’estpasvrai?—Mec,sérieux, jedéconnepas. (C’estClayton.)Fais-ladégagerd’iciavantqu’elleappelle les
flics.—Ouais,ouais,elles’enva.Tylerm’attrapeparlecoudepourmepousserdoucementdehors.Ilmesuitjusqu’àcequenous
soyonsassezloin.—Jen’ycroispas,jesouffleenmelibérant.Delacoke?Vraiment,Tyler?Il a l’air désemparé, comme si c’était la première fois qu’on lui faisait face.Unemain sur le
visage,ilgrogne.—Cen’estpasunendroitpourtoi,ici.Ilfourrelesmainsdanssespochesetdonneuncoupdepieddansl’herbe.—Tudevrais…tudevraisretourneràl’intérieur.Jeserrelesdents.C’estlapremièrefoisquejemeretrouvedansunetellesituation,jenesaispas
tropcommentlagérer.Est-cequejedoisessayerdeluiparler?AppelerElla?Lesflics?Jedécide
dedéguerpir.Jelebousculepourpasser.J’ailecœurquipalpite,jemeursdechaud.Cequejeviensdevoirmerévolte,j’aienviedefrapperdansquelquechose,detaperdansunmur.
Tyler retournevers lacabane.Jenesaispascequ’il raconteàsespotesmais ils rientàgorgedéployée.Est-cequ’ilssemoquentdemoi?
—Allez,mec,ditunenouvellevoixquifaitcesserlesrires.C’estnaze.Soiscool.—Ferme-la,Dean.C’estTyler,maisjeneprendspaslapeinedemeretourner.Jesuistropénervéepourleregarder.J’entendsdesbruitsdepasprécipitésquiarriventàmahauteur.Jelèvelesyeux.—C’esttoi,Dean?—Je tentemachanceet jediraisque toi tues lademi-sœurdeTyler,dit-il,unemaindansses
cheveux bruns. Tu es la seule personne que je ne connaisse pas ici et Meghan a parlé d’unemystérieusedemi-sœurquiseraitàcettesoiréedébile.Alors,j’airaison?
Jem’efforcedesourire.—Oui.Eh, tuneconnaîtraispas l’adressedeTyler,parhasard?Lenumérode lamaison sur
DeidreAvenue?Jedoisrentrer,maisje…jeneconnaispasl’adresse.—Est-cequejesaisoùhabitemonmeilleurpote?329.—Meilleurpote?Jejetteunœilverslacabane.Ilyacinqminutes,ilsselançaientdesinsultes.—C’estcompliqué,dit-il.Jepeuxteramener.Jesuisgarétoutprès.—Tuasbu?—Sij’avaisbujeneteproposeraispasdeteramener.—Merci,dis-jeavecunsoupir.Je le suis dans lamaison, bouleversée.Moi qui croyais queTyler ne pouvait pas tomber plus
bas…Jemeretourneunedernièrefoisversl’abridontlaporteestrestéeouverteetj’entrevoisTylersortirsonjointdesapoche.Ilmeremarqueenl’allumant.
Ilfaitlagrimace,puisbaisselesyeux.Onluimetunebièredanslamainsansqu’ilsembles’enrendrecompte. Il restestupéfié, lesépaulesaffaissées, lesyeuxpar terre.Soudaindébarrassédesaparalysie,ils’enfonceauboutdelacabaneetjen’aperçoisplusqu’unelueurorangedansl’obscurité.
Tandis que Dean me ramène chez moi, je prends soudain conscience que je vais devoirm’expliquer.Nonseulementj’aiprétextéêtremaladepouréchapperauxprojetsdemonpère,maisenplus je suis allée à une soirée. Il est sûrement en train d’appeler la police pour signaler madisparition.Etpourcouronnerletout,jerentreaffubléed’unerobequinecouvremêmepaslamoitiédemoncorps.
—Monpèrevametuer,dis-je,latêtecontrelavitre.J’étaiscenséeêtremalade.—Guérisonmiraculeuse?—Quelquechosecommeça.Jemeredressepoursortirmontéléphone–c’estunesecondenature–maisjedécouvrequeje
n’ainipochesnitéléphone.J’ailaissémesaffaireschezTiffani.—Merde.—Qu’est-cequisepasse?—Rien.Avecunsoupirdefrustration,j’observeletableaudebord.Presque23heures.J’aipasséàpeine
uneheureàcettesoirée.Pluslongtempsetj’auraissûrementdécouvertd’autresraisonsdemépriserTyleretderemettremasantémentaleenquestion.
—Turetourneslà-basaprès?—Oui,faitDeanenentrantsurDeidreAvenue.JesuislechauffeurattitrédeJake.Jedoisfaireen
sortequ’ilrentrechezlui.
—EtTyler?Pourquoiest-cequejemepréoccupedelui?Deansourit.—Tylernerentrepasvraiment.—Qu’est-cequ’ilfait?Ils’évanouitdanslarue,untruccommeça?Jecroislesbras,dédaigneuse,maisunpeucurieusequandmême.—Ilvadormirenprison?—Pastoutàfait,faitDean.Engénéral,ilvachezTiffani.Dégueu.—Ah.Jen’arrivepasàcroirequ’ilsedrogue.Tulesavais?Encoreplusdégueu.—Toutlemondelesait,fait-ilaprèsunlongsilence.Soudain tout devient limpide : l’expression de Jake un peu plus tôt, les regards hésitants de
Meghan.IlssavaientcequeTylerétaitentraindefaire.—Alorspourquoipersonnenefaitrien?Etsamère,est-cequ’elleestaucourant?Commenttouscesgenspeuvent-ilsprétendreêtresesamisalorsqu’ilsneréagissentpasquandil
prenddelacocaïneàtroismètresd’eux?Deansegaredevantlamaisondemonpère.— Crois-moi, j’ai tout essayé. Mais parler avec Tyler, c’est comme parler à un mur. C’est
impossible.Iln’écouterien.Alorsonfaitsemblantderien.Jecroisquesamèreestaucourantpourlaweed,maiscertainementpaspourlacoke.
—Ilmedégoûte.Avant de sortir de la voiture, j’attrapema pochette, empruntée à Tiffani. J’en sors le premier
billetquejetrouve,undecinqdollarstoutrabougri,maisc’estsuffisantpourletrajet.—Mercidem’avoirramenée.—C’estquoiça?—Pourl’essence,jedisenluifourrantl’argentdanslamain.Prends-le.Ilrefuse.—Eden,net’enfaispas,sincèrement.PasselebonjouràEllademapartetçasuffira.À Portland, c’est la norme de participer à l’essence si on se fait conduire. Peut-être qu’ici ils
s’offrentdestrajetsgratuits,oupeut-êtreDeanest-iltropgentil.Quoiqu’ilensoit,jedéposelebilletsurletableaudebordetjesautedelavoitureavantqu’ilaitletempsdemelerendre.
—Garde-le!jecrieenclaquantlaportière.Tandisquejemeprécipitevers lamaison, jeremarquequetoutes les lumièressontalluméesà
l’intérieur.Soitmonpèrevasemontrercompréhensif,soitilvaêtrefurieux.Trèsprobablementlasecondeoption.Etsijemeglissaisdedanssansmefaireremarquer?Jepourraiscourirjusqu’àmachambre,enfilerunpyjamaetfairesemblantquej’étaislàdepuisledébut?Oufondreenlarmesetlessupplierdemepardonner.
Prenantmoncourageàdeuxmains,jetiresurlarobedeTiffanipourcouvrirmescuissesautantque possible. Chaque millimètre compte. Je retire les insupportables faux-cils, que je jette dansl’herbe.Impossiblecependantdemedébarrasserdescharmantseffluvesd’alcoolquejedégage.Ilvafalloirassumermesmensongesetaccepterd’êtrejetéedanslefeudel’enfer.
Laporten’estpasferméeàclé,j’entresansbruitmaisc’estpeineperdue:monpèrem’appelledepuislesalon.
Raté.Jejetteunœilprudentparl’intersticedelaporte,enprenantsoindedissimulerlerestedemoncorps.
—Salut.—Salut?répètemonpère,ébahi.C’esttoutcequetutrouvesàdire?SALUT?
—Bonsoir?Je n’ai jamais été du genre à m’attirer des problèmes. Filer en douce comme ce soir, c’est
nouveau.Enseizeans,mamèrenem’apuniequedeuxfois.Etmonpèren’ajamaisétélàpourmepunir,detoutefaçon.
—Jesuisrentrée.—Oui,jevoisquetueslà.Ilselèveavecunregardnoir.Ellanousobservedepuislecanapé.—C’estcequetuétaiscenséefairetoutelasoirée,êtrelà.Ilparaîtquetuétaismalade,maistu
semblesavoirviteguéri.Commentçasefait?— J’étais chez Tiffani. (C’est vrai, en partie.) Soirée entre filles. Jeme sentais un peumieux,
alorsj’ysuisallée.J’aipenséqueçanetedérangeraitpas.—LacopinedeTyler?intervientEllaenselevant.MalheureusementpourTiffani,oui.—Oui.—EnparlantdeTyler,marmonnemonpère,oùest-ilpassécelui-là?—Jen’ensaisrien.Là,toutdesuite,ilestentraindefumerdesjointsetdesnifferdelacokeenbuvantetenriantà
desblaguesdégueu.—Ilétaitlàquandjesuispartie.Ce serait si facile d’expliquer à Ella que son fils est un junky. Ça apprendrait à Tyler à me
prendrepouruneidiote.Pourtant,jenesaispaspourquoi,j’ail’impressionquecen’estpasàmoideledire.Alorsjelecouvre.Commesijenepouvaispasm’enempêcher.
—Ilestpeut-êtrepartichercheràmanger,ouquelquechosecommeça.—Savoitureestlà,remarqueElla.Ellea l’airdéçue,commesielleespéraitquecesoitsonfilsqui rentreà lamaison,au lieude
moi.—Peut-êtrequ’ilestpartisepromener?—Ça,j’endoute.Ilnerépondpasautéléphone.Commecedoitêtredurdedevoirs’occuperd’unadoàcepointincontrôlable.—Eden,ditmonpère.Tusensl’alcool.Jen’appréciepasquetumementes.Dequoiparle-t-il?Quej’aiefaitsemblantd’êtremalade,d’êtrechezTiffani,oudenepassavoir
oùestTyler?Soudain,lacolèrem’envahit.—Etmoijen’appréciepasquetuaiesabandonnéMaman,maisonn’apastoujourscequ’onveut
danslavie.Je n’attends pas sa réponse. Les poings serrés, je m’élance dans l’escalier. La tequila qui me
retournel’estomacmerappellequej’aiàpeinepusupportercettesoiréeplusd’uneheure.J’aimalaucrâneàcausedelamusiqueetlapuanteurdelaweedmecolleàlapeau.Maintenantjemesensmalpourdebon,etcettefoiscen’estpasqu’uneexcuse.
Jemeréveillelelendemainmatinausondeshurlementsd’EllaetdeceuxdeTyler,encoreplusforts.Jecontempleleplafondunmomentenlesécoutant.Qu’ya-t-il,cettefois?Jenesaispasquelleheureilest,maisilestbientroptôt.Tyleradûretrouversonchemin,finalement.
La lumière du soleil pénètre dansma chambre et on entend un inévitablemoteur de tondeuse,alors je décide de me lever et de m’habiller. Bruits de pas dans l’escalier, insultes : ça ne peutprovenirqued’uneseulepersonneetcettepersonnedécided’entrerdansmachambre.
—Tuconnaiscetrucquis’appelle,tusais,l’intimité?dis-jeenluilançantunregardnoirtandisquej’enfilemonsweat.
Tylerinclinelatêteetfermelaporte.
—Tiens,tesaffaires.Ilposelesvêtementsquej’ailaisséschezTiffanisurmonlit.Ilsembles’êtrecalmé.Cinqminutes
plustôt,ilcriaitassezfortpourrendreunbébésourd.—Et,euh,tontéléphone.Jeleluiprendsdesmains.Ilévitemonregard.—Merci.Je suis encore furieuse contre lui. Le silence retombe sur ma chambre un long moment. Il
s’apprêteàpartirauralenti,maisseravise.—Écoute,pourhier…—Jesaisdéjàquetuesunabruti,quetuprendsdeladrogueetquetuespitoyable.Sourcilsfroncés,lèvrespincées,ils’approcheavechésitation.—Ne…nedisrien.Jecroiselesbras,intriguée.Pourunefoisqu’iln’apasl’aireffrayant.—Tumedemandesdenepascafter?—Nedisrienàmamèreniàtonpère,dit-il,presquepourmesupplier.Aumoins,quandilaquelquechoseàdemander,ilcessed’êtreméchant.—Oubliecequetuasvu.—Jen’arrivepasàcroirequetutemetteslà-dedans.Jebaisselesyeuxsurmontéléphone–quatreappelsmanquésdemonpère–avantdelejetersur
lelit.—Pourquoitufaisça?Çaneterendpasdutoutcool,sic’estcequetuessaiesdefaire.—Rienàvoir.—Alorsquoi?jem’exclameenlevantlesbrasauciel.—J’ensais rien. Jenesuispasvenupourme faireengueulé,pigé? Jesuisvenu te rendre tes
affairesettediredetetaire.Ilsepasseunemaindanslescheveuxetdétournelesyeux.Je doismanquer de sommeil ou être cinglée, néanmoins je trouve le courage de lui poser la
questionquimetaraudedepuisvendredi.—Pourquoitumedétestesàcepoint?—Quiaditquejetedétestais?fait-il,interloqué.—Hum…Tum’insultesàchaquefoisqu’onsecroise.Jecomprendsquec’estbizarred’hériter
d’unedemi-sœur,maisçal’estautantpourmoi.Jecroisqu’onn’estpaspartisdubonpied.—Non,fait-ilensecouantlatêteavecunpetitrire.Tunecomprendspasdutout.Avecunderniercoupd’œilàmachambre,ilsecouelatêteetseretourneverslaporte.—Qu’est-cequejenecomprendspas?—Tout.
7
Mardimatin,jerèglemonalarmeavantleleverdusoleilpourallercouriravantquelesautresneseréveillent.LesremarquesdeTiffaniàproposdelarobemoulanterésonnentencoredansuncoinde ma tête. Je m’aventure plus loin dans le quartier, jusqu’à la route côtière, et je reviens enrepoussant mes limites physiques. À mon grand désarroi, et malgré la chaleur, une couche debrouillardcouvrelaplage.Deretouràlamaison,jetrouvemonpèreentraindefaireducafé.
—Tuasbiencouru?—Oui, je halète, lesmains sur le plan de travail. Presque six kilomètres. Il y avait un de ces
brouillardssurlajetée!—Àtaplacejeseraismortaupremierkilomètre.Ahoui,lecélèbrebrouillarddejuin.Café?—Çava,merci.J’adore le café, mais 7 heures dumatin, c’est trop tôt. Tout ce que je veux, c’est une longue
douchechaude.—Quid’autreestréveillé?—Ellas’habille,maislesgarçonsdormentencore.Il s’est adouci depuisma remarque brutale de samedi soir. Il fait des efforts pour semontrer
supersympaàlamoindreoccasion.Ilacomprisquejeneluiaipaspardonnédenousavoirquittées.Ilvaavoirbeaucoupdecheminàfaire.
—Elledoitallertravailler?Hier,ellenesemblaitpasavoirdetravail.Quandmonpèreestparti,elleafait leménage,m’a
parléunpeu,s’estprislatêteavecTyler,puiselleafaitletaxipourJamieetChase.—Elleestavocatededroitcivil,dit-ilavecunpetitsourire.Çaalors,ellequibaisselesbrasauboutdequelquesminuteschaquefoisqu’ellesedisputeavec
Tyler,jenel’auraisjamaiscru.—Ellenedevraitpasêtredansuncabinet?— Elle est en congé sabbatique. Tu vas à la plage aujourd’hui, c’est ça ? demande-t-il pour
changerdesujet.—Oui.AvecRachael.EtTiffanietMeghan,maisjedoutequemonpères’intéresseauxmoindresdétails.—Ellapeutt’yconduire,sibesoin.
C’estridicule,jel’airencontréeilyaquatrejours,jenevaispasmemettreàluidemanderdesservices.
—Rachaelm’emmène.Maismerci.—Commetuveux.Il boit une longue gorgée de son café, puis coince sa chemise dans son pantalon et ajuste sa
cravate.—Bon,jevaisyallerpourtenterd’éviterlesembouteillages.—Pourquoicettechemise,déjà?—C’estmoileresponsable.—Ah.Enfinuneréponseauluxedecettemaison.Monpèreétaitdéjàingénieurdestravauxpublicsavant
manaissance.Ondiraitquelesannéesd’expérienceluiontvaluunmeilleurposte.—Jerentrevers18heures,dit-il,deuxdoigtsenl’airpourmesaluer.Jelèvelesyeuxaucielpuismesersunverred’eau.Quandj’entendsEllaouvrir laportedesa
chambre, jeme précipite dans l’escalier pour atteindre lamienne sans la croiser. Toujours aucunsignedeTyler,JamieouChase.
Jeprendsunedoucheassez longueetbouillantepourdétendremesmusclesetm’apaiser.Cettefois,jen’oubliepasdemeraserlesjambes.
—Eden?faitEllaquientresansfrapper.Jem’accrochedésespérémentàmaserviette.—Pardon…Je…—C’estpasgrave,dis-je,avecunsouriregêné.Enfaitsi,c’estgrave.Jesuisàdeminuedevantuneinconnue.Elletoussote,lesyeuxrivésautapis.—Jemedemandaissituvoulaispetit-déjeuner?Outuasdéjàmangéavectonpère,peut-être?—Çavapourlemoment.Jen’aipastrèsfaim.Avecunsignedetête,elles’enva.Aumoins,ellefaituneffort.Moiquim’attendaisàl’odieuse
marâtre.Jusqu’àprésent,ellenem’apasforcéeàpasserlaserpillière.Jetressemescheveuxmouillésavantderetourneraulit.J’aiencoredutempsavantd’alleràla
plageetjesuiscrevéedem’êtrelevéeaussitôt.Unepetitesiestemeferaleplusgrandbien.
—TiffanietMeghansontdéjàlà-bas,ditRachaelàlasecondeoùjemontedanssavoiture,cinqheuresplustard.Tuasl’airdesortirdetonlit.
—Précisément.Ilyavingtminutes.—Jevois.Jecomprendsquecesoitl’étéettout,maisseleverà(elletapotel’horlogedelaradio)
midivingt,c’estunpeuexagéré,non?Excédée, je passe unemaindansmes cheveuxpourm’assurer que j’ai biendéfaitmes tresses.
Ainsiondulés,mescheveuxsontparfaitspour laplage, selon les standardsdeRachael. Je resserremonkimonoàfleurs.
—J’étaisdeboutsupertôt.—Pourquoi?—Jesuisalléecourir.Ellerenifle.—D’accord,jeretirecequej’aidit.Tuesdéjàalléesurlajetée?—Làoùilyalagranderoue?Jel’aiaperçuecematin.J’aicourulelongdelaroute.—Oui,c’estlajetée.Onpourrayallerplustard,sionaletemps.
Il fait très chaud aujourd’huimais la légère brise venue duPacifique est assez rafraîchissante,donc je ne me plains pas, surtout maintenant que le brouillard s’est dissipé. Portland n’est pasvraimentréputéepoursesplages,principalementparcequ’iln’yenapas.Dumoinsrienduniveaudes plages d’ici, très fréquentées, qui longent la ville sur des kilomètres jusqu’à rejoindreVeniceBeach.
Rachaelsegareprèsdelajetée.Àlamaison,j’aimisdixminutesàmedéciderpourenfilerunbikini.Jecroisquec’estlapiredécisiondetoutemavie.
Tandis queRachael sort sa serviette et des enceintes du coffre, jem’assure d’être bien ficeléedansmonshortetmonkimono.Pasmoyenquejelesretire.
Rachaelmerejointdevantlavoiture,téléphoneenmain,lunettesdesoleilsurlatête.— Alors, Meghan dit qu’elles sont près des terrains de volley, à côté de Perry’s, donc elles
devraientsetrouverquelquepartpar…là,fait-elleendésignantladroite.Heureusementque la technologieest là. Impossiblesinonderetrouverquelqu’unsuruneplage
aussigrande.Je la suis sur le sable, luttant avecmes tongs pendant cinqbonnesminutes, avant d’apercevoir
TiffanietMeghan.Difficilesàrater:ellessontdeboutàagiterlesbrascommedesperdues.—Lesfilles !s’écrieTiffani.Vousvenezderaterunbeaugossequiademandésonnuméroà
Meghan.Cettedernièreserassiedsurlesable,lerougeauxjoues.—IlestdePasadena,murmure-t-elleensemordillantlalèvre.Nousnous installonsànotre tour sur le sable. Je suis ravie.Cetteplageestvraiment immense,
bordéed’unerangéedepetitesboutiques,depistescyclablesetdejoueursdevolley.—Alors,Rach,ditTiffanienlevantunsourcilderrièreseslunettesnoires,ques’est-ilpasséentre
Trevorettoisamedi?Rachaeldétournelesyeuxavecunsourirenarquois.—Rien.— Rien mon œil, rétorque Meghan. Moi je parie pour juste la bouche cette fois, parce que
coucherdeuxfoisendeuxsemaines,cen’estpastongenre.Jemetrompe?Rachaelsetaitunlongmomentavantdemurmurer:—Non.Enriant,elleretiresarobeendentelleets’allongesur ledos.Elleaunesilhouetteparfaite,de
longuesjambesetleventreplat.Uncorpsimpeccablepouralleravecsonbikinivertpastel.—Eden,qu’est-cequit’estarrivéàlasoirée?demandeTiffani.AbsorbéeparlesjambesdeRachael,jesursaute.—Hein?Elleredressesoncorpstoutaussiparfaitetm’observederrièreseslunettes.—Oùes-tuallée?Avecqui?Commentils’appelle?Jemanquedem’étrangler.—Maisnon!Jen’étaispastrèsenforme,alorsDeanm’aramenéechezmoi.Combiendefoisvais-jeutiliserl’excusedelamaladie?—Desproblèmesaveclatequila?Avecungrandsourire,ellesemetàgenouxpourreplacersaserviette.—Aufait,lesgarsontsuggéréqu’onsortecesoir.Peut-êtreàVeniceouenville,maisDeana
penséqu’onpourraitalleràHollywoodpourque tuvoies les lettres,Eden.TunepeuxpasveniràLosAngelessansallervoirleslettresdeHollywooddeprès.
—Bonneidée,ditRachael.J’aicommeenvied’enfreindrelaloi.Leconceptmelaissesceptique.
—C’est-à-dire?Ellesaffichenttoutestroisunpetitsouriremalin,puisTiffanireprend,d’abordpourRachael.—Onvayallerà troisvoitures, ça seraplus simple. Jakepasseramechercher, et toietMeg,
vousyallezavecDean.Eden, tupeuxyalleravecTyler,vouspartezde lamêmemaison,de toutefaçon.
Jemanqued’éclaterderire.Maisoui,biensûr,partagerunevoitureavecTylersemblepratique,mais passer plusd’uneminute en sa compagniedansun endroit confiné risquedeme taper sur lesystème.
Meghansortsonporte-monnaie.—JevaischezPerry’s,vousvoulezquelquechose?—Prends-moiunCaramelFrio,demandeRachael.—Eden?Jenesaispascequ’ilsvendent,jen’aijamaisentenduparlerdeFriodemavie.—Euh…qu’est-cequ’ilsproposent?—Prends-luilamêmechosequemoi,coupeRachaelens’appuyantsursescoudes.Pasdediscussionpossible.MeghanetTiffaninouslaissentseulespourallercherchernosboissons.Dumoins,jecroisque
ce sont des boissons. Je n’en ai aucune idée. C’est peut-être des glaces. Quoi qu’il en soit, je netrépignepasd’impatience.
Jetentedemechangerlesidées.— Bon, alors je crois que j’ai saisi le tableau, dis-je en me tournant, jambes croisées, vers
Rachael.Vousêtesmeilleuresamies,c’estça?—C’estça,approuve-t-elleavecméfiance,commesielleattendaitdevoiroùjevoulaisenvenir.—EtTyler,Deanetcetype,Jake,sontmeilleursamisaussi?Elleréfléchituninstant.—Plusoumoins.C’estunpeutenduentreTyleretJake,maisilsfontsemblantderienlaplupart
dutemps.—Tenducomment?Jakenesemblepastrèsdouépourfairelaconversation,maisilal’airplutôtsympa.—TyleracommencéàsortiravecTiffaniensecondemaisJakeavaitunfaiblepourelle.Ilyaeu
pasmaldedisputes,maisils’enestremis.Destrucsdegamins.Maisilssedétestenttoujoursplusoumoins.
—Misàpartlestensions,vousêtesungrouped’amis?Entoutcasc’estl’impressionqu’ona.—C’estça.Onestamisdepuis–ohlala,jenesaisplus–lacinquième,peut-être.Onétaittous
danslemêmecollège.Bon,maintenant,c’estpartipourlaséancedebronzage!—Bof,jesuisbien,là,dis-jeavecmonmeilleursourirepourl’empêcherdecontinuer.Envain.—N’importequoi.Tunevasjamaisbronzerassiselà,àmoitiécouverte.Jeresserremonkimono.—Honnêtement,jesuistrèsbiencommeça.—PlaceauxFrios!annonceTiffaniquiarrivederrièrenousparsurprise.Sauvéeparlegong.Ellemepasseungobeletdeplastiquedébordantdecrèmesouslecouvercle,
entendunautreàRachaelpuisnousjettelespailles.J’examinelegobeletquelquessecondes.Laseulevuedelacrèmemedonnelanausée.J’aidumal
à sourire. Je dois avoir l’air d’une ingrate. Comme elles me regardent toutes, je glisse la paillededans et avale une gorgée de la boisson glacée en m’assurant qu’elles me voient. Souris etacquiesce,medis-je.Jem’exécute.Jefaissemblantquec’estlameilleureboissonquej’aiegoûtéede
toutemaviepuis,àlasecondeoùellesdétournentlatête,jelalaissedecôté.Toutàl’heure,quandelleauratotalementfonduausoleil,jeferaisemblantdel’avoiroubliée.
—Leserveurbizarreded’habitudenousafaituneristourne,ditMeghanengoûtantlacrèmeduboutdudoigt.ParcequeTiffanil’aallumé.
—Jen’airienfait!C’estlàquejedécidedesortirmesécouteursetdetrouverunebonneplaylist.Jem’allongepour
regarderleciel.Musiqueàfond,lunettesdesoleil,boissoncaloriqueetjacasseriesdefilles:off.
Finalement, après cinq heures à la plage, nous décidons de ne pas aller jusqu’à la jetée et, deretoursurDeidreAvenueavecRachael,jecommenceàavoirfaim.
—Tonpèrevaêtreunpeuenretard,onval’attendrepourmanger,meditEllaquandjerentre.C’étaitbien,laplage?
—Oui.Laconversations’arrête là. Je laisseune traînéedesabledans l’escalierpourallerprendrema
doucheetmepréparerpourVenice,L.A.,ouHollywood.Onn’apasencoredécidédel’itinéraire.Mevoilàhabilléeetprêteàpartir.Jesuisentrainderevérifiermoneyelinerdanslemiroirquand
j’entendsmonpèreenbas.Cequisignifiequeledînerestprêt,luiaussi.Quandjem’approchedelacuisine,j’entendsmonpèrehausserleton.
—Tuveuxsavoircequejeviensdevoir?demande-t-il,trèsénervé.Jem’avancediscrètementversl’arche.Ellasetientprèsdufour,monpèreenface,etTylerest
entrelesdeux.— Je suis passé par Appian Way pour déposer des dossiers avant de rentrer et devine qui
j’aperçoissurlaplage?EllaregardeTyler.—Jet’avaisditderesteràlamaison.—Alors,continuemonpère,jemedis,«tiens,maisilestprivédesortie»,doncjevaislevoir
pourluidemandercequ’ilfichelà.Etluiilestlà,assisavecdestypesquiontaumoinsdixansdeplus,etjelevoisbalancer…dix,vingt,cinquantedollarssurlatable.
Ellafroncelessourcils.—Tyler.Cederniersecontentedesecouerlatêteavecunsourireincrédule.—C’estdesconneries.—Tutetais!faitmonpèrequiretroussesesmanchesetdesserresacravate.Jel’aivuparieret
jeterl’argentparlesfenêtresetdevinecequ’ilafaitquandilaperdu?Illuiasautédessus.—Cetteorduretrichait,marmonneTyler,adosséaucomptoir,l’œilnoir.Jen’allaispaslelaisser
s’entirercommeça.—Tuveux te faire arrêterpour agression?Tuveuxpasser tavie enprison?C’est çaque tu
veux?Unemainsurlefront,Ellapousseunsoupir,plusinquiètequefâchée.—Tyler, il faut que tu arrêtes de te comporter comme ça. Je ne veux pas que tu t’attires des
ennuis.—On n’est pas à LasVegas, l’interromptmon père, tout rouge, en se rapprochant encore de
Tyler.BonDieumaisàquoitujoues?Tylerpinceleslèvres.—Jevismavie.—J’enairasleboldetoi.
Monpèrelèvelesmains, impuissant,puispasseparlaporte-fenêtre,sûrementpoursoufflerunpeu.
Avant qu’Ella puisse ouvrir la bouche, Tyler s’esclaffe et sort de la cuisine. Je recule dans lerenfoncement.Pourvuqu’ilnemeremarquepas.Mais…
Ilseretourneetmetoise.—Jedoist’emmener,c’estça?Je ne suis pas certaine d’avoir envie de monter dans la voiture de quelqu’un qui a autant de
troublesducomportement.C’estsûrementunchauffardquinerespectepasleslimitationsdevitesseetécraselespetitsenfants.
—Jecrois,oui.—Jeparstoutdesuite.Soittuviensmaintenant,soitturestesici.Surcesmots,ilsedirigeverslaporte.Ellalerappelle,sanssuccès.Entreelleauborddeslarmesetmonpèrequifaitlescentpasdanslejardin,ilsnevontpasêtre
de bonne compagnie ce soir.Hors de question que je reste ici.Excédée, je trottine pour rejoindreTyleràsavoiture.
—Attends-moi!Detoutefaçonàl’heurequ’ilest,ledînerdoitdéjàêtrebrûlé.
8
Tyleragarésavoitureendiagonalesurletrottoir.Jemedemandedansquelétatderageilétaitpours’arrêterdelasorte.Sûrementlemêmequemaintenant.Ilouvrelaportièreets’arrêtepourmeregarder.Encoreetencore.
—Quoi?—Alors?fait-ilendésignantsonvéhiculedumenton.Jeparcourslacarrosserieblanchedesyeuxsansrienytrouverdeparticulier.—Est-cequ’aumoinstusaiscequec’estcommevoiture?Il me regarde comme si j’étais idiote. Je fais le tour pour regarder le logo. Quatre cercles
entremêlés.—UneAudi?—UneAudiR8.—D’accord.Tuveuxquej’applaudisse?Unemainsurlaportière,ils’esclaffe.—Lesfillesn’yconnaissentvraimentrien.Tuferaisunesyncopesitusavaiscombienellecoûte.—C’estça,oui.Redescends,jemurmureenouvrantlaportière.Àl’intérieur,jedécouvrequ’iln’yaquedeuxsièges.Toutestmétalliséouencuir.—AppelleTiffani,dit-ilenmejetantsontéléphonesurlesgenoux.—Tuparlesdetacopinesurquitutevautrescomplètementouquetuignores,selonl’humeur?Sonsourirenarquoismedégoûte.Jamais jen’ai rencontrépersonnequiaitautantdedéfautset
quiprennetoutàlarigoladeàcepoint-là.—Abruti,jegrommelleenmedétournantdelui.Jeregardeparlavitretandisqu’ilfaitgrondersonmoteur.—Appelle-la.Jenesaispasoùondoitaller.Jeregardel’écrandutéléphoneunlongmoment.—Code?—4355.Jecherchedanssescontacts.—Tuaslenuméroenfavoriou…—Sonnomestécrit,c’estsimple.Appelle-la.Malgrésontonmonocorde,ilgardelesyeuxsurlarouteets’agrippeunpeuplusauvolant.
J’obéis et jedescendsdans sa liste jusqu’aunumérodeTiffani. Il aunnombre incalculabledefillesenregistréeslà-dedans.J’appellesacopine.
—Bébé,çava?Beurk.—C’estEden.Tylerestauvolant.Onvaoùcesoir?Vousavezdécidé?—AupanneauHollywood.Ilfautqu’ontelemontre.C’estgénial.L’excitationm’envahit.J’ai toujoursvoululevoir.MêmesiVenicesemblaitunebonneidée, je
suisraviedeleurchoix.—Vousêtesdéjàenroute?—Oui.La voiture chasse violemment sur le côté. Tyler est un piètre pilote. Comment a-t-il eu son
permis?—Jevoisoùtoutlemondeenestetonseretrouvelà-bas,continueTiffani.Mets-moisurhaut-
parleurdeuxsecondes.JetendsleportableàTyler.—Oui?Iljetteunœilàl’écranavantdefreinercommeunfouàunstopqu’iln’avaitpasvu.—Jenet’aipasparlédelajournée!seplaintTiffani.Jelevoisleverlesyeuxauciel.—Tamèret’alaissésortir?Ilserrelefreinàmainetmelanceunregardsévèreensecouantlatête.—Non,j’étaiscoincéchezmoitoutelajournée.—C’estnul.Pauvre,pauvrefille.Elleestcomplètementàcôtédelaplaque.—Jesuisimpatientedetevoir!Onn’enapaspourlongtemps.Attendez-nousauSunsetRanch.—OK.—Jet’aime.—Ouais.Puisilm’arracheletéléphonedesmainspourraccrocher.Jesuisabasourdie.Chaquejour,chaqueheurequipassemedonnetoujoursplusderaisonsdele
haïr.—Jen’ycroispas.«Coincécheztoitoutelajournée»?Ildesserrelefreinpourlaisserlavoitureglisseraucroisement.—C’estcommeça.Je tente de croiser le regard qu’ilme lance tout en gardant les yeux sur la route, puisqu’il ne
semblepaslefairelui-même.—Tuesalléjouerettebattreàlaplageettuvasfairesemblantd’êtrerestéàlamaison?Jeme
sensmalpourelle.Sonriregravemedonnedesfrissons.—TuesbienlafilledeDave.Ilvafalloirquetuapprennesàtemêlerdetesaffaires,petite.—Arrêtedem’appelerpetite.Tun’asqu’unandeplusquemoietbeaucoupmoinsdeneurones.—D’accord,petite.Tonpèreestunabruti.—Aumoinsonestd’accordlà-dessus.Jesoupireavec forcepourcombler le silence.Futun tempsoù je supportaismonpère.Quand
j’étaispetite, je le trouvaisgénial.Etpuis, iladûse lasserdeMaman,demoi,desavieavecnousdeux, alors il estparti et iln’est jamais revenu.Maintenant, iln’estplusqu’un tocardavecun salecaractère,desridesetdescheveuxgrisonnants.
—Jenecomprendsmêmepas sonproblème. J’imaginebienque tudois être insupportable auquotidien,maisondiraitqu’ilcherchedesraisonspourtehurlerdessus.
Tylertapotesonvolant.—M’enparlepas.—Mamèreestmieuxsanslui,jedéclareavantdefairemachinearrière.Enfin,cen’estpasqueta
mèren’aitpasdechance,hein.Ettoi?Ilestoùtonpère?Ilpilesansprévenir.—Merde!Interdite,jetentedebalbutieruneexcuse.—Pardon…je…Ilfaitànouveauronflersonmoteuretaccélèresibrutalementquejesuispropulséeenarrière.—Tais-toi,crache-t-il.—Jenevoulaispasteblesser…Mon cœur bat à tout rompre.Peut-être que son père estmort, je pense.Et moi je retourne le
couteaudanslaplaie.—Ferme-la!Jedécidedeneplusriendire,sinonilvacontinueràaccélérer.Brascroisés,jemeconcentresur
le paysage tandis que nous prenons l’autoroute pour quitter Santa Monica. Ne pas parler ne medérange pas. Chaque fois que j’essaie, j’ai droit à une réponse méprisante, sarcastique, ou à uneinsulteinutile.Ilmonteleson–unesélectiondemorceauxRnBdesontéléphone–etmelaissetoutletrajet en proie à des vulgarités qui me vrillent les oreilles. La tension muette est palpable. Nousdevrions peut-être parler,mais nous sommes incapables d’amorcer le dialogue. Je ne devrais pasavoirl’impressiond’êtrel’ennemiejuréedemondemi-frère.
—Onestpresquearrivés,marmonne-t-il,uneheuredeconduiteatroceplustard.Danslesilencequis’étire,jen’osemêmeplusleregarder.Jemeconcentresurlepanorama.Nousparcouronsune longue rue,NorthBeachwoodDrive,auboutde laquelle trône lacolline
Hollywoodquidominelavilledanslecouchant.Nerveuse,jerabatslepare-soleilpourmieuxvoirlepanneauquejen’aivu,jusque-là,quedanslesfilms.C’esttotalementdifférentdelevoirenvrai.
La route résidentielle se mue en étroit chemin poussiéreux le long de la montagne. Nousdépassonslepanneau«SunsetRanch»dontTiffaniaparléet,peuaprès,nousnousgaronsdansunpetitparkingsurlebas-côté.Toutlemondeestdéjàlà.
—Vousavezprisl’autoroute,non?demandeMeghan.TiffanisauteaucoudeTylersansattendre.Ilparvientquandmêmeàrépondre.—Oui,etvous,vousêtespassésparBeverlyHills?Tiffanisecolleàluiettented’attirerseslèvresauxsiennes,maisilnesemblepasintéressé.Sans
sourire, il sepenchepour l’embrasser rapidementpuis s’écarte. Je suis la seuleày faireattention.Quandilmeremarque,ilbaisselesyeux.
—Meilleurmoyendefoncersanssefairechoper,faitJake.—C’est incroyable, jemurmureencontemplant les lettresgéantesavecunegrimace.Mercide
m’avoiramenée.Touslessixs’esclaffent,mêmeTyler.Quelques-unslèventaussilesyeuxauciel.—Tun’asencorerienvu,ditRachael,quiporteplusieursbouteillesd’eau.Ont’emmènetouten
haut.—Enhaut?Jemedemandesic’estescarpé.L’ascensionn’apasl’airdetoutrepos.
—On feraitmieuxd’y aller si tu veux le voir avant que le soleil disparaisse, ajouteDean.Lamontéedureuneheure.Etilfaitchaud.Tiens.
Rachaeletluinousdistribuentlesbouteilles.—Quisesouvientduchemin?demandeRachael.LesmainssurleshanchesdeTiffani,Tylerdésigneunepistederrièrenous.—Cen’estpassicompliqué,Rach.Àgauchetoute,etpuisàdroite.Unpanneauindique«HOLLYRIDGETRAIL»,sûrementnotrechemin.TyleretTiffaniouvrent
lamarche, suivis de Jake,Dean etMeghan. Rachael etmoi restons derrière. Le chemin est large,décorédesuperbestasdecrottindecheval.
— J’ai passé l’heure la plus terrible dema vie, je souffle àRachael.Rappelle-moi de ne plusjamaismonterdansunevoitureavecTyler.
Ellesoulèvedelapoussièreduboutdespiedsenriant.—Raconte.—Ilafaillinoustuerparcequej’aidemandéoùétaitsonpère.Ilest…mort?Rachaelmanquedes’étrangleravecsoneau,ets’arrête,horrifiée.—Bonsang,Eden,non.Parlerdesonpèreousemettredevantunpistoletchargé,c’estpareil.Tu
chercheslesproblèmes.Nousnousremettonsenroute.—Pourquoi?—Ilestenprison.Voldevoiture,ouuntruccommeça,explique-t-elleàvoixbasseenjetantdes
regardsalentour.Tyleresttrèssensiblesurcesujet.Quelquepart,aufonddemoi,jesuistristepourlui.Ilétaitpeut-êtretrèsprochedesonpère.Ça
doitêtredur.Etavecundivorce,pourcouronnerletout.Nous ne mettons pas longtemps à atteindre le virage qu’il a si sympathiquement rappelé à
Rachael. La piste fait une fourche, mais nous faisons un tour quasi complet sur la gauche pourcontinuernotreascension.Àpartirdecepoint,lecrottindechevaldisparaît.
Deanavaitraison:ilfaitchaud.Heureusementqu’ilm’adonnédel’eau.Larandonnéeparcettechaleurnemedérangepas;çamefaitfairedel’exerciceetlavuesurLosAngelesestimprenable.Nousnousarrêtonsdetempsentempspourreprendrenotresouffleouadmirerlepanorama.C’esttellementpaisible,ici.
Unenouvellefourchedébouchesurdeuxroutesgoudronnées.Nousprenonsàdroite.—Onn’auraitpasdûprendreàgauche?jemerenseigne.Nous nous éloignons du panneau et jeme demande s’ils ne sont pas en train deme faire une
mauvaiseblague.—Non,ditJakequiralentitpourm’attendrealorsquelesautresm’ignorent.Àgauche,c’estpour
redescendre.Àdroite,tucontourneslepanneaujusqu’àl’arrière.—Cen’estpasillégal?jedemandeenpointantmabouteilleverslaroute.—Boiredel’eau?Pasquejesache.Jerigole.Meghanestentraind’aiderRachaelàgraviruneportionplusescarpéedelaroute.—C’estillégaloupas?—Uniquementsitupasseslabarrière.Maisonpeuts’approcherpasmalenrestantderrière.Illèvelatêteverslecielquelquessecondes.—Désoléepoursamedi,j’étaisunpeuàl’ouest,reprend-il.Jesuisnulenconversationdèsqueje
boisquelquesbières.Jesuissurprisequ’ilserappellem’avoirparléetgênéequ’ils’enexcuse.—Tun’étaispasàl’ouest.Tesquestionsl’étaientunpeu.
—Alors reprenons, fait-ilenme tendant lamain.Jem’appelleJake.Tudoisêtre la fillesupermignonnequiestlàpourl’été?Eden,c’estça?
Mesjouess’enflamment.Jebaisselatêtepourqu’ilneremarquerienetparvienstoutdemêmeàluiserrerlamain.Ilalapaumechaude.
—Enchantée,Jake.—Alors,commenttutrouvesLosAngeles?—Génial.Soitlesautresontaccéléré,soitJakeetmoiralentissons,entoutcas,l’écartsecreuse.Tylernous
lance un regard désapprobateur. Je le lui rends. C’est quoi son problème, à la fin ? J’essaie del’ignorer.
—J’adorecetteville.—Toncopaint’attendàPortland?—Non.Situessaiesd’êtresubtil,çanemarchepastrèsbien.—Encore raté,murmure-t-il avant de partir d’ungrand rire.La subtilité et la conversationne
sont pasmes points forts.Mais j’en ai d’autres. Si tu sors avecmoi un de ces soirs, je pourrai temontrer.
Ilattendmaréponsed’unairassuré,maisjenesaispascommentêtreaussiconfiantequelui.Jene suis pasvraiment le genrede fille qui collectionne les conquêtes.La seule situation similaire àcelle-cidoitêtrecettefoisoùun typedemaclassede troisièmem’ademandési jepouvais l’aideravecleséquationsduseconddegré.J’airefusé,parcequ’ilétaitconnupouréternueravecbeaucouptropd’exagération.Ils’appelaitScottmaistoutlemondelesurnommaitLeMorveux.
Alorsjemedéfile.—Peut-être.J’auraispeut-êtreacceptésinousavionséchangéunpeuplusquetroisphrases,maislà,encequi
meconcerne,c’esttoujoursunétranger.Peut-êtreuneprochainefois.Peut-êtreplustard.—Peut-être,çameva.Tiens,regarde,onyestpresque.Laroutevireàgauche,oùcommenceunehauteclôturedefilbarbelé.Tiffaniattrapelamainde
Tyleretl’entraînedanslevirage.—Eden,viensvoirça!s’écrie-t-elle.Jakemepoussedansledos.Sautillante,Rachaelseretournepourmetraînerparlebras.Nousavonsmiscinquanteminutes.
Laclôturesuitlecheminet,unefoisaucoin,jemerendscomptequejemetiensderrièreleslettresdeHollywood,au-dessusdeLosAngeles.
J’enailesoufflecoupé.Autourdemoi,lesilencesefait.Lesyeuxécarquillés,lecœurbattant,jeposelesmainssurlaclôture.Lavueest imprenable.Ceslettressont immenses!Bienplusgrandesqu’onnel’imagine.
—Çavalaitlecoup,non?faitDeanàmescôtés.Ilmesortdematranse.Jenepeuxqu’acquiescersansdétournerlesyeux.—C’esttellementbeau.— Ça doit faire un an qu’on n’est pas venus, dit Meghan, une main sur le fil barbelé. J’ai
l’impressionqueçafaitpluslongtemps.Ducoinde l’œil, jevoisTyler s’agripper à la clôture. Je remarqueégalement lesnombreuses
camérastoutautour.—Qu’est-cequevousattendez?demande-t-ilensautantlabarrièreavecaisance.Venez.J’observe tour à tour les caméras, les différentes pancartes interdisant clairement l’accès, et
Tyler.Ilmerendmonregard,lesyeuxplissés,lesouriredeguingois.
—Onaunedizainedeminutesavantqu’ilsenvoientl’hélico,ditTiffanienescaladant.Eden,tutoucheslepanneauetpuisondégage.
Unhélicoptère?—Çava,jevousassure.Jen’aipasbesoindetoucherle…—Touchelepanneau,c’estpascompliqué,rétorqueTyler.Tiffaniatterritdel’autrecôtéetluiposeunemainsurlapoitrinepourl’éloigner.—Onnevapassefaireprendre,merassuredoucementRachaelavantdemonteràsontouravec
MeghanetDean.Onlefaittoutletemps.—Net’inquiètepas,ajouteJake.Sionsefaitprendre,onsefaitprendretousensemble.Ilposemamainsurlaclôture.—Maisilfautfairevite.Succombantàlapression,jegrimpeetréussisàfairepassermoncorpsdel’autrecôté.Jeperds
légèrement l’équilibre à l’atterrissage, ce qui me permet d’apprécier, au passage, à quel point lamontagneestpentue.J’attendsJakequimemontrecommentdescendresansmebriserlanuque.
—J’adorecetendroit,ditDeanprèsdupremierO.Jemedemandecombientueraientpourfaireça.Onadelachance.
—Mec,arrêtetonchar,c’estjustedeslettressurunemontagne,faitTyler.Cettevillecrainttoutautantquecepanneau.
—Tuestropnégatif,murmureTiffani.JemecontentedesuivreJakejusqu’auH.—Toid’abord,dit-ilenreculantavecungrandsourire.Pourquoisuis-jeaussinerveuse?Peut-êtreparcequejem’apprêteàaccomplirlerêvedetantde
gens?Oupeut-êtreparcequejepeuxtomberetmouriràtoutmoment.Avecunegrande inspiration, jem’avance et touche lemétal peint enblancduHdes fameuses
lettresdeHollywood.Jemesensexactementcommedeuxsecondesauparavant.—Oh.Aprèstout,onestentraindesefaireunemontagnedequelquesboutsdemétalsurdespoteaux.Jakeposesamainprèsdelamienne.—Bon,etcerancardalors?J’auraispeut-êtreditoui,pourlaseuleraisonquenousnoustenonssouslepanneauHollywood,
quidoitêtrelemeilleurendroitpouraccepterunrendez-vous,saufqueTylersemetàhurler.—Qu’est-cequet’as,mec?—Quoi?faitJake,agacé.Ils’écartedupanneaupouralleràlarencontredeTyler,quiserrelespoings.—Qu’est-cequetuviensdeluidire?Sesyeuxsontdeuxfentesnoirestandisqu’ils’approchedeJake,levisagefermé.—Lestensions,articuleRachaelàmonendroit.Jemesouviensvaguementdestensionssous-jacentesdontellem’aparlé.Cen’estplusvraiment
sous-jacent,ondirait.—Mec,fous-moilapaix,grommelleJake.Ilsedétourneenhaussantlesépaules.—Horsdequestion.Tylerseplantedevantlui,bombeletorseetluienfonceundoigtdanslapoitrine.—Vousdeux,çan’arriverapas.Situosesneserait-cequ’ypenser,jetecasselatête.—Tyler,chéri,calme-toi,intervientTiffani,sanssuccès.—Nefaispasl’idiot.Arrêtedeleprovoquer.
Deans’interposeensecouantlatête.—Allezlesgars.Laisseztomber.Soudainunealarme,desmoteursetunbruitd’hélicescaptentmonattention.Alorsquelebruitse
rapproche,jemeprendsàregarderleciel.Etjemeretrouvesousleprojecteurd’unhélicoptèredelapolicedeLosAngeles.
9
Je plisse les yeux sous l’hélico. Tout le monde s’arrête, nos paroles s’estompent, nos yeuxs’écarquillent.
—Merde,crieTylerenfrappantleHgéant.Commentilsfontpourarriveraussivite?—Netombezpas!noushurleTiffanienl’attrapantparlamain.Maisaulieuderetourneràlaclôture,ilssemettentàdescendrelamontagne.—Onsecasse,faitJake.Ilfautarriverenbasavantlavoituredepatrouille.DeandésigneTyleretTiffaniquis’éloignentrapidemententrelesroches.—Ilsnefontpasdevieuxos,cesdeux-là.J’enconnaisunquinepeutpassepermettredesefaire
encorearrêter.—Encore?jerépète.Personne ne répond. Rachael et Meghan entament la descente en s’accrochant l’une à l’autre,
commesilemoindrefauxpasallaitlesmeneràunemortcertaine.C’estprobablementlecas.—Soisprudente,faitDeanpar-dessussonépaule.Ilsuitlavaguepisteenglissantunpassurdeux.Danslevacarmedel’hélicoptère,unedécharged’adrénalinemetraversetoutlecorps.Toutesces
heuresdejoggingmatinalvontenfinpouvoirêtremisesàprofit.JemeprécipiteàlasuitedeDeandanslapenteescarpée.J’aidumalàgardermonéquilibresurcesolinstable.Pourvuquejenemefassepasarrêteretsurtout,pourvuquejenetombepas.
—Tut’accroches,Eden?demandeJakequisauted’unrocheràl’autreenriant.Commentpeut-iltrouverçadrôle?—Jefaiscequejepeux!Soudain,jeglisseetmanquedechuter.Unemainsolidemerattrapeparlecoude.—Faisgaffe,ditJakeenmestabilisant.Çava?—Jeneveuxpasallerenprison,jelâche,paniquée.Enbasdelapente,lerestedugroupeatteintlaterreferme.Jakeralentit,amusé.Ilmeprendlamain.—Çanerisquepas.Lepirequipuissearriverc’estqu’onseramasseuneamende.
Çamerassureunpeu,mêmesimonventrerestenoué.GrâceàJake,jenetrébuchepasetjenemefaispasattraper.Quandnousapprochonsdubas,aprèsavoirdépasséquelquesmaisonsettraverséunelignedechemindefer,jeluiensuistrèsreconnaissante.J’aperçoisavecsoulagementlepanneauindiquantSunsetRanch.
—Pasdepatrouille,jeconstateensentanttoutmoncorpssedécontracter.Mon pèrem’immolerait par le feu et jetterait les cendres dans les toilettes si je revenais à la
maisonavecuneamendepourviolationdepropriété.—Pasencore,préciseJakeenmelâchantlamain.Onn’estpastoutàfaitsortisd’affaire.NousretournonsauparkingoùjedécouvrequeTylerestdéjàparti.—MeghanetRachontdûpartiravecDean,fait-ilendéverrouillantuneFordrouge.EtTiffaniavecTyler.—Ilsvontoù,tucrois?Pourvuqu’ilsoitmeilleurconducteurquemondemi-frère.—Ons’enfiche,non?Non.—Qu’est-cequetuveuxfaire?continue-t-il.Tuasfaim?Je le détaille un long moment pendant qu’il conduit. Comment notre évasion du panneau
Hollywooda-t-ellepusetransformerenrendez-vousgalant?Lesautresontdéguerpietm’ontlaisséeentête-à-têteavecJake.Cecidit,ilestvraiquej’aiunpeufaim.
—Onpeutmangerquelquepartdanslecoin?—IlyaunChick-fil-Aàdixminutes,surSunsetBoulevard.Onpourraitprendreuntrucvitefait.—D’accord.Onn’apasdeChick-fil-Adansl’Oregon.—Quoi?—Onn’apasnonplusledroitdeseservirseulàlapompeàessence,parexemple.Jemeprendsàpenseràchezmoi.QuepeutbienfaireAmeliaencemoment?Est-cequemamère
sesentseuledansnotrepetitemaison?—C’estpourri,l’Oregon.—AlorstudoisadorerL.A.,conclut-il.Onadeslettresgéantessurdesmontagnes,desChick-fil-
Aetonpeutprendredel’essenceseulscommedesgrandssanssefairearrêter.Fabuleux.Ilme fait rire.C’est agréable,unecompagniemasculinequine soitnimonpèreniTyler.Ces
deux-làsonttroppénibles.Affaléedanslesiègepassager,lefrontcontrelavitre,j’essaied’apercevoirl’hélicoquisemble
avoirdisparu.J’arriveenfinàrespirernormalement.Jakemontelaclimetbaisselamusique.—Tuaimescettevillealors?—Oui.Envérité,jenel’aipasencorebeaucoupvisitée,maislepeuquej’enaivuestplutôtgénial.—C’estplusintéressantquePortland,çac’estcertain.—Jen’yaijamaismislespieds.—Çan’envautpaslapeine…Enfait,j’ajouteaprèsréflexion,Portlandn’estpassimalqueça.
Onaunebonnescèneindé,maisilpleuttoutel’année.Etilyabeaucoupdeclubsdestrip-tease.Maislesgenssontsympas.
Le problème, c’est que Portland est associé à trop de choses que je déteste. C’est là quemesparents sont tombés amoureux. C’est là qu’il semble pleuvoir sans fin. Là où se trouvent mesprétendus«amis».Maviedanscettevillen’estpastrèsintéressante,nimêmevraimentheureuse.Encomparaison,SantaMonicaestuneboufféed’airfrais.
—Desclubsdestrip-tease?Ilvavraimentfalloirquejevisitecetteville.
Touslesmêmes.—C’estcommentLosAngeles,endehorsdestrucsàtouristes?Ilréfléchitentapotantlevolant.— Il y a un fossé intersidéral entre les riches et les pauvres. Les grosses pointures en
Lamborghinihabitentdansd’énormesmaisons,etceuxquidormentdans la ruesedemandents’ilsvontpasserlanuit.Ça,c’estvraimentpourri.Maisengénéral,lesgensd’icisontsympas.
—Jen’avaisjamaisvuçasouscetangle.NousredescendonsNorthBeachwoodDrive, toutdroit jusqu’àSunsetBoulevard.C’estunerue
trèslargebordéedecinémas,derestaurants,d’unlycéeetenvahiedevoitures.Jesuisémerveillée.Audrive-induChick-fil-A,Jakemelanceunregardencoin.—Tuveuxquoi?Jen’aiaucuneidéedecequ’ilsproposent,alorsjechoisissurlemenulapremièreoptionsaine
quejevois.—Lasalade.C’esttout,jepréciseàJakequiattendlasuite.—C’est tout ? Pourquoi les filles aiment tant les salades ? fait-il avec un soupir avant de se
tournerpourcommander.Jevaisprendrelesandwichaupouletépicé,unCocaetunesaladeavec…—Del’eau.Nouveauregarddésapprobateur.—Avecdel’eau.Merci.C’estpourmoi,dit-ilensortantsonporte-monnaie.Jeleremercieetnousavançonsjusqu’auguichetsuivant.Danslafiled’attente,ilmeregardeavec
uneexpressionperplexe.—Jedétestelesfast-foods,sic’estcequetutedemandes.Cen’estqu’àmoitiévrai:cen’estpascettenourriturequejedéteste,cesontsesconséquences.Nousrécupéronsnotrecommandeavantderetrouverleboulevard.— Tu es en train de me dire que tu détestes ce sandwich et ces frites qui sont les meilleurs
alimentsdumonde?—Oui.Jedétestecethorriblesandwichaupouletetcesfritesatroces.—C’estparcequetun’asjamaisgoûté,fait-ilenrigolant,dépité.Ilfouilledanslesacquelquessecondesenessayantdegarderlesyeuxsurlaroute,puisildépose
lesfritesentrenousdeuxetenenfourneunepoignée.—Tunesaispascequeturates.—Unemaladiecardiovasculaire?Tantmieux.Ilinterromptsamasticationpourmeregarderavecunsourirerésigné.Ilsefaittard,jedévoremasaladesurlechemindeSantaMonicaetJaketerminesonsandwich
sans provoquer le moindre accident. Nous empruntons l’autoroute tandis que l’obscurité s’étendautour de nous. Toute cette circulation, que je déteste d’ordinaire, paraît, il faut bien l’avouer,magnifiquedanslecrépuscule.Letrajetserévèlepluscalmeetagréablequ’encompagniedeTyler.
—Tuhabiteschezlui,c’estça?demandeJake,deretourenville.Jesorsdemafascination.—Chezqui?—Tyler.C’estlàquejet’emmène,non?—Ah.Oui.Jenesaispascequiluiaprisdet’agressercommeçatoutàl’heure.—C’estparcequ’ilestcon…Jenedevraisprobablementpascrachersurluidevantsasœur.—Enfait,jesuisassezd’accord.Ilsedemandesijefaisdel’ironie,maisdécidedemeprendreausérieux.—Ça,jenem’yattendaispas.—Moinonplus.Jenem’attendaispasàdétestermondemi-frère.
Ilsetait,sûrementfautedesavoirquoirépondre.Nouspassonslescinqminutesjusqu’àDeidreAvenuedanslesilence.Toutesleslumièresdelamaisonsontallumées.
—Mercidem’avoiraidéeàdescendredelamontagneetdem’avoirramenée.Etmercipourledîner.
—Pasde souci,par contre est-ceque jepeuxavoir tonnuméro? fait-il avecun sourire aussiespièglequedéterminé.Jeteprometsqu’iln’yaurapasdefritesdeChick-fil-Alaprochainefois.
—Bon,puisquetum’asoffertcettesalade…J’imaginequejepeuxtedonnermonnuméro.Sonvisages’illumineetildonneuncoupdepoingvictorieuxsursonvolant.—Gagné!Vas-y,balance!Lesjouesenfeu,j’entremonnumérodanssontéléphone.—Net’inquiètepas,cen’estpasunfauxnuméro.—Hmm,jet’appelledemainpourenavoirlecœurnet.—Subtil,unefoisdeplus,jedisensortantdanslanuit.Merci.Avecunsignedelamain,ilredémarreets’éloigne.J’écoutelebruitdumoteurjusqu’àcequ’il
disparaisse totalement.Après être restéeplantée aumilieudu trottoir pendant plusieursminutes, jefinisparmeretournerverslamaison.LavoituredeTylerestgaréedansl’allée.Jel’auraiscrupartipluslongtemps.
Surleseuil,jeprendssoudainconsciencequemonpèrenesaitpasoùjesuisallée.J’aicommequidiraitdisparujusteavantledîner,aumêmemomentqueTyler.Ilaforcémentfaitlelien.
Jeretiensmarespirationenpoussantlaportequejerefermesansunbruit.Jepasseenhâtedevantlesalonoùlatéléestallumée,pourgravirl’escaliersurlapointedespieds.Cen’estpasquejesoisinquiète.Jen’airienfaitdemal–àparttoucherlepanneauHollywood,cequiestcontraireàlaloi–etdetoutefaçon,monpèrenepeutpasm’empêcherdesortir.Simplement,jen’aipaslaforcedeluiparler.
—Eden?chuchoteunevoixsurlepalier.Tylermetoise.—Maisqu’est-cequetufoutais?J’arriveàsahauteur.—Ettoi?Tunousastouslaisséstomber.Belespritd’équipe.Ilal’airden’avoirpasdormidepuisdesjours,oupeut-êtrequ’ilestdéfoncé.Entoutcas,ilrâle.— Je ne suis pas trop pote avec les flics, tu piges ? Je ne peux pasme permettre deme faire
encorechoper.—Encore,jerépètepourlasecondefoisdelasoirée.Quelgenred’autresactivitéscriminellespeut-ilbiencommettre,àpartsebaladerdansdeszones
interditesetsnifferdelacocaïne?—Quandes-turentré?—Ilyavingtminutes.Mamèrem’aenfinlâchépourcettehistoireàlaplage,cetaprès-midi.—Cool.(Ilmesuitjusqu’àmachambre.)Qu’est-cequetuveux?—Rien,fait-ilenbaissantlesyeux.C’estlemomentdel’interrogersursapetitescèneinjustifiéedetoutàl’heure.—C’estquoitonproblèmeavecJake?Jecroiselesbrasmaisilfaitmachinearrière.Toutcommeilm’asuivie,jelesuisàmontouret
meretrouvedanssachambrepourlapremièrefois.Étonnamment,ilnemejettepasdehors.—Jet’aiposéunequestion.—Àlaquellejenevaispasrépondre.Attends…si.Cemecestledeuxièmeplusgrosenfoiréque
jeconnaisse.Neperdspastontemps.Tuvastefaireavoir.—C’estquilepremier?Toi?
—Presque,fait-ilaprèsunlongmoment.— D’accord, bon, en fait Jake est super sympa, je dis en observant sa chambre. Pas comme
d’autres.Ettun’aspasvraimentàmedirequijedoisfréquenter.—Tudéconnes?fait-ilavecunriredur.Jet’auraisprévenue.—Etpuisqu’est-cequeçapeuttefairedetoutefaçon?Ilm’agace.S’ilétaitplusgentil, jeprendraispeut-êtreenconsidérationsonaversionpourJake.
Maisilnel’estpas,doncjen’aipasàl’être.—Jem’enfiche.—Apparementpas,jerétorque.C’estpeineperdue;ilnevajamaisl’admettre.Lesmainsdanslespoches,ilsedirigeàl’autreboutdesachambreets’arrêtedevantdesDVD
rangésn’importecomment.—C’estquoiton…c’estquoitonfilmpréféré?Mon film préféré ? Sérieusement ? Il pourrait quand même trouver mieux pour éviter mes
questions.—LaBelleetleClochard,j’avoueenbaissantlesbras.—DeDisney?Quandilcomprendquejeneblaguepas,ilcontientsonrire.—Pourquoi?—Parceque,jecommenceavecprécaution,c’estlaplusbellehistoired’amourdetouslestemps.
RoméoetJuliettenefontpaslepoids.Ilssontdifférentsmaisilsfontensortequeçamarche.LadyestnormalealorsqueClochardestune têtebrûlée,etpourtant ils tombentamoureux. (Jeme taispoursouffler, en revoyant le film dans ma tête.) Et puis le moment des spaghettis, c’est une scèned’anthologie.
—D’anthologie,répète-t-il,sarcastique.Ilestmortderire,cequiconfirmemapremièreappréciation:cetypen’estbonqu’àmedonner
lamigraine.Jenecomprendspas.Commentpeut-ilpasserd’unétatderage intenseàcettehumeurjovialeetdétendueenunquartdeseconde?
—EtjesuissûrqueLadyn’estpas«normale».Elleestinintéressanteetnesaitpass’amuser.JepréfèreClochard.
—Ahoui?Parcequ’ilerredanslesruescommetoiquandturentressaoulleweek-end?J’espère l’énerver autant qu’ilm’énerve. Sauf qu’il prendma pique à la rigolade. Excédée, je
détournelesyeux.Sachambreestdanslestonsbleufoncé,litdéfait,vêtementsentassésdansuncoin,uneoudeux
canettes de bière sur la table de nuit. Je n’en attendais pas moins de lui. Dans le placard ouvert,j’aperçoisunemanchedeblousond’uneéquipeuniversitaire.
—Tufaisdufootball?—Hein?fait-ilensuivantmonregard.Non.C’estàDean.Jenesuispastrèsfootball.—Dean?JesuissurprisequeTylern’enfassepas.Ilalephysiquetypeduquarterbackqu’onvoitdansles
films.—Jakeaussi.Jejouaisquandj’étaisplusjeune,maisj’aiarrêtéaucollège.—Pourquoi?J’essaiedemerappelerquecettepersonnem’insupporte,maisenvain. Ilm’intrigue,c’estplus
fortquemoi.— Selon certaines personnes, le football américain serait une perte de temps, dit-il d’un ton
soudainplussec.«Pourquoiperdretontempsausport?Lancerdesballonsnevapastefaireentrerà
l’université.Resteàlamaisonetétudie,situveuxréussirtavie»,cite-t-ilsanslemoindresourire.—Quit’aditça?Je suis de plus en plus curieuse. Tyler n’est pas du genre à s’inscrire dans les meilleures
universités.Jedoutemêmequ’ilaimel’école.Lesgenscommeluidétestentça,engénéral.—Quelqu’un.C’estpourçaquejen’avaispasledroitdejouer.—Ledroit?Malàl’aise,ilrangelavestedeDeansurl’étagère.—Enfin,c’estpourçaquej’aiarrêté,jeveuxdire,corrige-t-il.Ilcroitquejenevaispasremarquer,maisc’esttoutlecontraire.J’absorbetoutcequ’ilditetce,
depuislemomentoùiladébarquéaubarbecue.Ilestdéstabilisé,mieuxvautnepasl’interrogerplusavantsurcettehistoirede«droit».Quique
soitceluiquiluiaditquelefootballétaitunepertedetemps,cettepersonneadel’autoritésurlui.Etj’aibienl’impressionqu’illadéteste.
Ledostourné,Tylerretiresontee-shirtetenenfileunpropre.J’aijusteletempsd’apercevoirunpetittatouagesursonomoplate,unmotcalligraphié.
—IlfautvraimentquejerendesonblousonàDean.Çafaitunbailqu’ilmesaouleavecça.Je me prends à le fixer du regard. Il a des bras musclés, la peau bronzée, la mâchoire bien
dessinée.Jenedevraispasremarquertoutcela,etpourtant…—Qu’est-cequ’ilveutdire,tontatouage?Ilseretourne,surpris,etfaitl’idiot.— Mon tatouage ? (Devant mon insistance, il finit par répondre.) Euh, guerrero. C’est de
l’espagnol,çaveutdire«combattant»,fait-ilnerveusement.Là,ilm’intéresse.—Pourquoienespagnol?—Jesuisbilingue.Mesparentsaussi.C’estmonpèrequim’aapprisquandj’étaispetit.Jemerappellecequem’aracontéRachaelunpeuplustôt.Sonpèreestenprison,alorsjenepose
pasdequestions.—Jeneparlepasespagnol.Jeparlefrançais.CommelesCanadiens.Bonjour1.—Mefrustras,répond-iletjen’aiaucuneidéedecequecelaveutdire.Buenasnoches.Çaveut
dire«bonnenuit»,ajoute-t-ilavecunairmoqueur.—Oh.Jem’apprêtedoncàsortir,maisavant,jemeretourneavecunpetitsourire.—Bonsoir*.
1.*Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).
10
L’arrivéeduweek-endmarquelafindemapremièresemaineàLosAngeles.Jetrouveenfinuncréneaupourappelermamèredanssonemploidutempschargé.Elleest infirmièreauProvidencePortlandMedicalCenter,à tempsplein,denuitetenheuressupplémentaires,pournousfairevivretouteslesdeuxsursonsalaireunique.Lapensiondemonpèreaideunpeu,maisçarestetrèsdifficilepourelle.
—Salut,Eden,ditmamèreàladernièresonnerie.Commentvas-tumachérie?—Tuasl’airfatiguée.Tuastravaillécombiend’heures?C’estaffreuxdesavoirquellepressionellesubitsanspouvoirrienyfaire.—Douze. Une patiente est venue avec son chien d’aveugle, c’était très mignon, dit-elle pour
changerde sujet. Il abienamusé lesgaminsde la salled’attente.Çam’apresquebrisé lecœurdedevoirlelaisserpartir.Ducoup,j’aipenséqu’ondevraitprendreunchien.Ilmetiendracompagniequandtuserasàlafac.Qu’est-cequetuenpenses?
Sonenthousiasmeenfantinmefaitsourire.—D’accord,vapourlechien.Unbergerallemand,c’estbeau.—Ceuxquifontpeur?—Oui.Ellesetaitlonguement.—Jevaischercher.Nousnousesclaffonspuisellebâilleauboutdufil.—Tucommencesàprendretesmarques,oul’ambianceestencorebizarre?—Encorebizarre.J’attendsquePapadécided’avoirunevraieconversation,maisçan’apasl’air
devouloirarriver.—Dave,murmure-t-elle.Jesuisdésoléequetusoiscoincéeaveclui.Tun’étaispasobligéed’y
aller,tusais.—Cen’estpassimal.Si seulement elle pouvait me voir hausser les épaules. C’est dur, d’être coincée à un État de
distancedelaseulepersonnequiatoujoursétélàpourmoi,avecletéléphonecommeseulmoyendecommunication.
—Jepassemontempsavecungroupedejeunes.Ilssonttrèssympas,saufun.—Lequel?
—Mondemi-frère.C’estvraimentabsurdedenepassupporterl’uniquepersonnequejenesuispascenséedétester.—Qu’est-cequetufaiscesoir?jedemande.— Je vais me commander du poulet frit et passer mon samedi soir sur le canapé à regarder
n’importequoiàlatélé,parcequej’approchedelaquarantaine,quejesuisdivorcée,quejetravaillebeaucouptropetquejeneressembleàrien.Tumemanques.J’espèrequetut’amusesbien.Etquetuessage.
J’aiunpoidssurlecœur.Jemesenscoupabledelalaissertouteseule.—Quandjerentre,onvacherchercechienetregarder«PrettyLittleLiars»encommandanttout
lepouletfritquetuveux.Plusqueseptsemaines!—C’esttrès,trèslong,EdenOlivia.—Faisensortequejenetemanquepastropetçapasseraplusvite.—D’accord.Jevaisessayer.Àplustard,machérie.Elleraccrocheenbâillantpourlasecondefoisetunsilenceinfinis’abatauboutdufil.Mamèreméritemieuxquecettevie.—Àquituparlais?demandeunevoixmasculinequimefaitsursauter.L’intrusestTyler,soupçonneux,commeàsonhabitude.—Jet’aidonnélapermissiond’entrer?—Àquituparlais?TuasunmecàPortland,c’estça?Jel’observeenréprimantunéclatderireetilmerendunregardbuté.—Tuécoutesauxportes?—Machambreestjusteàcôté.Lesmurssontsuperfins.Jemerelèveavecunegrimace.—Bon,ehbienjeparlaisàmamère.Ilsedétendunpeu.—Tunedevraispasêtreentraindetraînerdehors?jeluidemande,constatantqu’ilestpresque
20heures.—C’est ce que je venais te dire. (Il ferme la porte derrière lui et se plante aumilieu dema
chambre.)Tunefaisriencesoir?—Non,toutlemondeestoccupé.Rachael est partie quelques jours chez ses grands-parents à Glendale, Meghan a la grippe et
Tiffanipasseunweek-endsurtroischezsonpèrequinelalaisserienfairesanslui.—Trèsbien,tuviensavecmoi.Soiréesur11thStreet.Pasunmotàtonpère.—Quiaditquejevoulaist’accompagneràunesoirée?Cematinilhurlaitcontremoipourquejedégagedesonchemindansl’escalier.—Désoléemaistuesplusoumoinsladernièrepersonneavecquij’aienviedetraîner.—Prépare-toi.—Non.— Si. Qu’est-ce que tu vas faire d’autre ? Rester là toute la nuit comme uneminable qui n’a
aucuneviesociale?Jepinceleslèvres.Unpointpourlui.Sionveut.—Commentjedoism’habiller?Unsouriretriomphantilluminesonvisage.—N’importe.C’estpascommechezAustin.C’estplus…détendu.Tupourraisvenirensurvêt’,
çanedérangeraitpersonne.—Détendu?Plusieursoptionsmeviennentàl’esprit.
—Ouais.Çateditdeboireunverrependantquetuteprépares?Jesuisunpeuàcourtdestockparcequemamère fouillemachambredeplus enplus souvent. Il neme restequede labière,duwhiskyetunpeudevodka.Tusaisquoi,jevaistesurprendre,fait-ilavecunsouriresincère,dénuédetoutégoïsme.
Ilretourneàsachambreenmelaissantébahie.Pourquelqu’uncensémehaïr,ilal’airdetenirbeaucoupàcequejevienneàcettesoirée«détendue».Tantqu’ilnem’insultepasouqu’ilnemelance pas des regards meurtriers à tout bout de champ, ça ne me dérange pas. Si je doisl’accompagnerpourme lemettredans lapoche, ainsi soit-il.Avecunpeudechance, il resteradebonnehumeurcesoir;peut-êtrequejel’apprécieraiunpeupluscommeça.Jetentelecoup.
Heureusement, j’aidéjàprismadouche.Cetaprès-midi, jem’ennuyais tellementque j’aipassémon temps à regarder des tutos coiffure sur YouTube. Le résultat ne donnait jamais ce que mepromettaient toutes cesblogueuses anglaises. J’ai fini par en trouverunqui fonctionnait et depuis,j’arboreunchignondécoifféplutôtmignonquiferatrèsbienl’affaire.
—Jedevraisêtreprêtedansvingtminutes,j’informeTylerquidébarquedansmachambre,uneBudLightàlamainetcequisembleêtreunverredeCocadansl’autre.
—Pasdesouci.Tiens.Ilmetendleverreetjetressaillequandsesdoigtsgeléseffleurentlesmiens.—Vodka-Coca?—C’estça,admet-ilpresquehonteuxenouvrantsabièresurleborddemacommode.Lechoix
leplussûr.Tuaimesça,n’est-cepas?Situpréfèresunebière,jepeuxallert’enchercher…—Çamevatrèsbien.—Tantmieux.Donc,euh,viensmechercherquandtuesprête,fait-ilaprèsavoirbuunegrande
lampéedebière.—Vouspicolez?NoustournonslatêteversmaporteouverteoùJamienousobserved’unœilsombre.Avecquinze
secondesderetard,Tylertentededissimulersabièredanssondos.—Maisnon,fait-ildoucement.Onn’estpasmajeurs,pourquoionpicolerait?—Jevousvois.Mamanestaucourant?—C’estrien,rétorqueTylerensefrottantlanuque.Laisse-noustranquilles.Avecunrictusmalicieux,Jamietendlamainverssonfrère.—Vingtdollars.—Jet’enaifilétrentel’autrejour,protesteTyler.Néanmoins,ilsortsonportefeuille.—Tuvoulaistonjeuvidéo,tuterappelles?Necroispasquej’aieoublié.—Bon.Alorsdix.Tylers’esclaffe.Jemedemandes’ilachètesouventlesilencedeJamie.—D’accord,dix.Maintenantdégagedelà.—J’auraisacceptécinq,lanceJamieendisparaissantdanssachambre.Tylerboitsabièreavecunsoupir.—Ilmeprendpourundistributeur.Prépare-toi,dit-ilensortant,toutsourire.J’enfileunslim,undébardeuretjetteunsweatrougesurmesépaules.Aprèstout,Tylerasuggéré
que je seraisàcôtéde laplaquesi je faisais tropd’efforts. Je suis soulagéedepouvoirporterdesConverseetnondestalons,cettefois.
—Çayest,jedéclareenentrantdanssachambre.Onpeutyaller.En jean et tee-shirt gris pâle, Tyler est en train d’aligner trois bouteilles de bière vides sur le
reborddesafenêtre.Ilseretourneetmelanceunregard.—Ilétaittemps.
D’uncoup,ilrenversetouteslesbouteillespuiss’approchedemoi,clésdevoitureàlamain.Jemeretiensdelesluiarracher.
—Qu’est-cequetufais?Tuviensdet’enfilertoutescesbières.—Bonsang.OK,jenoustrouveunchauffeur.Contente?—Oui.Iljettesescléssurlelitpuiscomposeunnuméroàlavitessedelalumière.—Ouais,ouais,Declan,j’arrive.Quivientcesoir?(Unepause.)Appelle-moiKaleb.Tupeuxlui
demanderdeseramenerchezmoi leplusvitepossible?Quelquesmaisonsplus loin,enfait. (Uneautrepause.)Merci,mec.Àdansvingtminutes.
—Kaleb?—Ilestsympa.Ilestàlafac,maisondiraitunlycéen.Entoutcas,ilsaits’amuser.Jelesuisalorsqu’ilsefaufileàpasdeloupdansl’escalier.Noustraversonslacuisinepoursortir
parlaportedujardin.—Jedevraispeut-êtreprévenirmonpèrequejesors,non?Jesaisquetoitudoisfairelemur,
maismoi,jenesuispaspunie.Ilvametuers’ilserendcomptequejesuispartiesansluidire.—Net’enfaispas.Dansquelquesheuresetquelquesverrestut’enficherascomplètement.Nouscontournonslamaisonenrestantloindelafenêtredusalonetdescendonslarue,presque
sixmaisons plus loin. Tyler a beau avoir d’innombrables côtés imbéciles, il est encore assez futépour savoir comment ne pas se faire prendre. Toute seule, j’aurais sûrement demandé à ce qu’onviennemechercherdevantchezmoi,c’est-à-diresouslenezdePapaetElla.
—C’estunegrossesoirée?—Pastropgrosse,dit-il,adosséàunarbre.Ilsemetàsemordillerlalèvreinférieure,nerveux.J’imaginequ’iln’apasenviedemeparler.
Onresteplantéslàsansriendirependantcinqminutesjusqu’àl’arrivéebruyanted’un4×4.Untypebaisselavitre.—Monte,mec!Eneffet,ceKalebal’aird’ungamin.Jenel’imaginepasdutoutsuruncampus.Tylerm’ouvrelaportièreetjem’efforcedemonter.Çapuelacigarettedanscevieuxtacot,etily
adestasdegobeletsMcDonald’séparpillésparterre.—C’estqui?demandeKalebenm’observantdanslerétroviseur.Ilestd’unepâleurextrême,lescheveuxtrèscourtsblondfoncé.—Ma,euh…On dirait qu’il lutte pour sortir lemot. Il se penche pourmonter le volume du rap qu’écoute
Kaleb.—Mademi-sœur,termine-t-il.—Jenesavaispasquetuenavaisune.Kalebmefixedeplusbelle.Jesuismalàl’aise.Finalement,ildétournelesyeuxetdémarre.—Alors,çava,mec?Çafaitunbailqu’onnes’estpasvus!Jeneparticipepasà laconversation, jeneconnaispasKalebetde toute façon, jenecroispas
qu’ilsaientbesoindemoi.Durantlesdixminutesdetrajet,TylernecessedeleremercieretKalebnecessede répéter«pasde souci», etpuis ilsnecessentde secouer la tête en rythmesur l’horriblemusique.
Moi,jegardelesyeuxsurlesparolesdechansongriffonnéessurmeschaussures.Finalement,nousnousarrêtonsdevantunemaisontrèsdifférentedecelled’Austin.Personneen
vue.—Vousêtessûrsquec’estlabonneadresse?—Oui,faitTyler.C’estunepetitesoirée,rappelle-toi.Unevingtainedepersonnes,grandmax.
Unepetitesoirée…cequisignifiequ’ilseraplusdifficiledesefondredansledécor.Ilsvontserendrecomptequ’ilsnem’ontjamaisvue.Jevaisdétester.
ÀlasecondeoùTylerpousselaported’entrée,delamusiquehousemevrillelestympans.Jelasens qui commence à détruiremes neurones. Et ça empeste la weed. Néanmoins, il y a beaucoupmoinsdemondeetjenesuffoquepasensuivantTylerdansunepiècetransforméeenhangaràalcool.PlusdetracedeKaleb.
—Ah,tevoilà,Tyler,s’exclameuntypequial’airsobre.C’estqui?—Mademi-sœur.Eden,jeteprésenteDeclan.Elleestavecmoicesoir,siçanetegênepas.—Waouh, faitDeclan,hagard,enpassantunebièreàTyler.Mec,depuisquand t’asunedemi-
sœur?—Depuislasemainedernière,murmure-t-ilavantdesetournerversmoi,toutsourire.Tuveux
boirequoi?—N’importe.Enfait,jevaisprendreuneautrevodka-Coca.IllèvelesyeuxaucielavantdemeservirunverresouslesyeuxdeDeclan.—Jevaisluifairevisiter,luiditTyler.Ilposeunemainsurmonépauleetmepousseverslaporte.Aulieudemesuivre,ilprendDeclan
àpartdansuncoindelapièce.Declanhochelatête,ilsparlentsibasquejen’entendsrien.Puis,avecunsoupir,Tylermerejoint
dansl’entrée.Plusieurspersonneslesaluentmaisiln’yprêtepasattention.—Tuvoiscesgens?fait-ilendésignantlegroupeaffalésurlescanapés.Ilsontl’aird’avoirlavingtaineetd’êtrecomplètementàplat.—Oui.Ilss’ennuientàmourir,non?Tylers’esclaffe.—Bienaucontraire.Bon.Vafaireconnaissanceavecdesgens.Jevaisunpeudehors.Dehors?J’aidéjàentenduçaquelquepart.Jesaiscequ’ilyadehors.Jesaiscequ’ilvafaire.
Monhumeursedégradedanslaseconde.—Tutefichesdemoi?Ilboitunegorgéeavecdésinvolture.—Hein?Jemepencheversluietmonverremanquedefrappersapoitrine.—Nefaispasl’idiot.Jenet’aipasaccompagnéàcettesoiréepourriepourquetumelaissestoute
seulependantquetutefaisdejolisrailsdecokeenfumantdesjointsdanslejardin.—C’estpastesaffaires.Vatefairedesamisetfous-moilapaix.Jemecollelittéralementàluijusqu’àlaportedujardin.—Tunevasquandmêmepassortir!C’estcomplètementdébile.Prisd’unefureursoudaine,ilexplosesacanettecontrelemur.Labièreinondelesol.—Casse-toidelà.—Horsdequestion!Ilmesaisit lepoignetsifortquejenesensbientôtpresqueplusmonbras.Soncorpscontre le
mienetsesyeuxférocesmeterrorisent.—Eden,murmure-t-il.S’ilteplaît.—Non.Jemedégageetm’efforcedetenirbon,malgrélabièreéclatéeetmonpoignetenmiettes.—Pourquoitufaisça?—Parcequej’enaibesoin,tupiges?Ilhurleàmoitiéetjetteuncoupd’œilalentourpours’assurerquepersonnen’écoute.—Tun’enaspasbesoin.Tuenasenvie.
Il me fixe un long moment. Il a l’air de se demander quoi faire, quoi dire, comment mecontourner.Enfin,ilsecouelatête,passesamainmouilléedanssescheveuxetmesouffle:
—Tunecomprendspas.Comprendrequoi?Maisilm’écartedoucementetouvrelaportequ’ilclaquederrièrelui.Jesuis
follederage.Sijen’avaispasétéaussihumiliéeladernièrefoisquejesuissortiepourlesurprendre,peut-êtrequejelesuivrais.Maisçanesertàrien,jelesais.Furieuse,jeretournedansl’entréeoùjem’arrêteuninstantpourréfléchir.
—Eden?Qu’est-cequetufichesici?Jemeretourneetdécouvre,nonsanssurpriseetsoulagement,Jake.—Jake!JesuisvenueavecTylermaisil…Enfin,ilm’énerve.Unemainsurlefront,ils’approchedemoietmechuchoteàl’oreille.—Eden…Tusaisquec’estunesoiréedéfonce,n’est-cepas?—Unequoi?Sesyeuxm’indiquentqu’ilfautquejelametteenveilleuse.—Regardeautourdetoi,Eden.Toutlemondeestdéfoncé.Monregarddérivelentementverslesalon.Tyleravaitraison:cesgensnesontpasentrainde
s’ennuyer.Ilsonttouslesyeuxinjectésdesang,lespupillesdilatées,lamoitiéregardentleplafondavec insistance, tandisque lesautres sonthilares.Plus je lesobserve,plusçadevient limpide.Unesoiréedéfonce.Tylerm’aamenéeàunesoiréedéfonce.
—Qu’est-cequetufaislà,alors?—Unpoteavaitbesoinqueje leramène.Jesuisvenulecherchermaisapparemment, iladéjà
bougé.Etondevraitfairepareil.Tun’aspasenviedetraîneraveccegenredepersonnes,Eden.—Sors-moidelà,parpitié.Jen’arrivepasàcroirequ’ilm’aitamenéeici.—C’estunenfoiré,voilàpourquoi.Intéressant.Tyler a dit exactement lamêmechose à sonpropos.C’est la parole de l’un contre
celledel’autre,etc’estàmoidechoisirmoncamp.Etlà,toutdesuite,jechoisisJake,parcequesijedevais décider lequel des deux est l’enfoiré de la bande, je n’aurais d’autre choixquededésignermondemi-frère.
11
JesuisfurieusequeTyleraitsincèrementcruqueceseraitunebonneidéedem’ameneràcettesoirée. Il pensait vraimentque j’allaism’amuser en compagnied’ungroupede typesoccupés à sedroguer?Pourquoim’a-t-ilinvitée?Àquoipensait-il?Est-cequ’ilpensait,d’abord?
Jakeestmoinsbête.Ilpossèdeassezdeneuronespourdifférencier lebiendumaletc’estpourcetteraisonquejemeretrouvedanssavoiture.Avecl’enviededécocheruncoupdepoingaupare-brise.
—JesuiscenséretrouverDeandansquinzeminutes,medit-il,ennuyé.Tupeuxveniravecnousoujepeuxteramenercheztoi.C’estcommetuveux.
Rentrer chezmoi où je suis restée coincée toute la journée nem’attire guère et j’ai vraimentbesoindecompagniedécente,etsansprésencededrogue.Enplus,Deanestadorable.
—Tuessûrqueçanevousdérangepas?—Certain.Excellentchoix.Jemedécontracteunpeuetrèglelaclim.C’estplusfaciledesedétendredanslavoituredeJake
quedanscelledeTyler,surtoutparcequejenevoispaslamortenfaceàchaquevirage.—Tuvenaischercherqui?Pourquoiai-jeposécettequestion?—DawsonHernandez.Ilestenseconde.Ilfautquejelesurveille.—Oùest-cequ’onretrouveDean?Jechangedesujetpouroubliercettemerveilleusesoiréequimerendmaladerienqued’ypenser.—Ilyaunconcertgratuitdanslecentre,ungroupequ’ilaimebien,LaBreveVita,jecrois.On
vaallervoir.Jamaisentenduparler.Maissic’estunconcertgratuit,ilsnedoiventpasêtretrèsconnus.—D’accord.Çameplaît.Très vite, nous nous retrouvons aumilieu de la vie nocturne de SantaMonica, vibrante en ce
samedi soir, entre les néons brillants, la musique, les gens alcoolisés et les très nombreusesprostituées. Nous nous garons dans un minuscule parking derrière un bâtiment encore plus petit.J’ignoresic’estunbar,unrestaurantouuncoffeeshop.Quoiqu’ilensoit,nousentrons.
Onsecroiraitdansunsous-sol,faiblementéclairé,bondéetétouffant.Surunescèneminuscule,ondistinguequatresilhouettesquigrattent,tapentouchantent.J’enjambedesgobeletspiétinés.
—Ah,tevoilà!s’exclameDeanpar-dessuslamusique,depuisunendroitnonidentifié.
Ilnouscontourne,éclairéparlesflashsdesprojecteurs.—Eden?Jenesavaispasquetuvenais.—Jel’aitrouvéeencherchantDawson,expliqueJake.LevisagedeDeans’affaisse,ilséchangentunregardentendu.—ChezDeclan?Jakesetourneverslascèneetricanecommesijen’étaispaslà.—Oui…Ellenesavaitpas.Quandlachansontoucheàsafin,lapetitefouleapplaudit,puislechanteurdemandelesilence.Il
attrapelemicroàdeuxmainsetparcourtlascèneavec.—Mercid’êtrevenus,lesgars.Vousêtesgéniaux.Tousautantquevousêtes.Mêmetoilà,dansle
fond,lepuceaudequarantebalaisquin’estlàquepourlabièregratos.Tudéchires,mec.Tudéchiresgrave.
Ilsouffleunrirerauquedanslemicroetobservelasallequiritpar-cipar-là.—Tuesmieuxici,mechuchoteDean,lesyeuxsurlascène.J’adorecegroupe.—Alors,avantdepasseraumorceausuivant,reprendlechanteur,jedoisvousrappelerdenepas
voussoucierdecequelesgenspensent.Votreviec’estvotrevie,votremusiquec’estvotremusique,voschoixcesontvoschoixetvotrevodka,c’estvotrevodka.Neperdezpasvotretempsàfairedestrucsquine servent à rien.Faites cequevous avez enviede faire.Sortez enboîte toutes lesnuits,jetez-vous d’un avion, visitez laBulgarie. Jem’en fous. Faites des trucs qui vous rendent heureuxcommejamaisparceque,LABREVEVITA!Amusez-vousbien.Tantoamore.
Sous un tonnerre d’applaudissements, la batterie reprend, puis le guitariste, le bassiste et lechanteurlarejoignent.
—C’estuntrucd’Amériquelatine,LaBreveVita?jedemandeàDean.—C’estitalien.Commemoi.Enfin,àmoitié.—Non,c’estvrai?TuasvécuenItalie?—Non, je suis né ici.Mamère est italienne.Mon père l’a rencontrée pendant des vacances à
Naples,etpuiselleestvenuehabiterici.Enfait,jen’aijamaismislespiedsenItalie.Bizarre,hein?—Tropcool!Comparé à l’histoire d’amour demes parents, c’estmagnifique.Lesmiens ont flirté, àmoitié
saouls,dansunesoirée,etlelendemainilssontallésmangerdeshot-dogsensemble.Romantique.—Tuparlesitalien?—Pasvraiment.Justequelquesmots.Jejetteunœilàlascène.—Etqu’est-cequeçaveutdire,labrevevita?—Çaveutdirequelavieestcourte,fait-ilavecunsouriresilargequeçadoitêtredouloureux.
C’estpourçaquejelesadore.Ilsviventleurvieàfond.Etleurschansonsdéchirent.Nousrions,maispasJake.J’avaispresqueoubliésaprésencequandils’éclaircitlagorgeense
plantantdevantmoi.—Eden,tuassoif?Jeconsidèrelesgobeletsécrasésparterre,lebarmiteux,puisjesouris.—Çava,merci.Leconcert continuependantaumoinsuneheure.Nousnousamusonsbien, surtoutDean, et en
approchantde lasortie, j’ai l’impressiond’avoirpasséunebonnesoirée.Rester tranquilleau fondd’unesalledeconcertàécouterungroupeindél’emportesurunesoiréeoùtoutlemondesedrogue.Jesuisravied’êtrevenue.Nousnousarrêtonsàunstanddetacosavantderetournerauparking.
—Jepeuxteramener,Eden,meproposeDean.IlnerestequesavoitureetcelledeJake,lesautressontdéjàparties.
—JepassedevantchezTyler,detoutefaçon.—Jevaislaramener,déclarefermementJake,lesmainsdanslespoches.Onsevoitdemain,mec.
Faisgaffeenrentrant.—Pasdesouci.Àpluslesgars.Avecunsignedelamain,ilnouslaisseseulssurleparking,dansunsilenceplaisant.Maispassi
silencieuxqueça.Onentendtoujourslespulsationsdesclubsalentour.— Alors, fait Jake, qu’est-ce que tu veux faire ? Parce que je n’ai vraiment pas envie de te
ramenertoutdesuite.—Quelleheureest-il?—Minuitpassé.Ilmefixeavecintensité.Depuiscettesemaine,jemesensàl’aiseensacompagnie.Etj’aibienremarquéàquelpointilestbeau.—Alors,tuveuxquejeteramène?Onpeutresterunpeuensemble,situveux.J’évaluemondegrédefatigue:pastrèsfatiguée.Ensuite,j’évalueledegrépotentieldecolèrede
monpère:trèsencolère.Maisjen’aipasenviederentrer.—Onresteunpeu?Jevoudraisévitermonpère.—Ilsefaittard.Çateditqu’onseregardeunfilmchezmoi?—Seulementsic’estunDisney.—LeRoiLion,çaferaitl’affaire?—C’estquoicettequestion?—Alorsmonte.Onaunfilmàregarder.Jake habite dans le quartier deWilshire. Dans la voiture, il m’explique que lemien s’appelle
NorthofMontanaet,d’aprèslui,c’estlequartierlepluscherdelaville.Nousnousarrêtonsdevantunpavillondebriquespâlesentouréd’unmassifdefleurs.Rienàvoiraveclamaisondemonpère,de Rachael, de Tiffani ou des autres que j’ai vues jusque-là. Ce quartier-ci semble beaucoup plusdense,commesilesarchitectes,arrivésàcourtd’espace,avaientdécidéd’entasserlesmaisons.
MaiscelledeJakeestmignonneetagréable.Enmontantàl’étage,j’admirelesrangéesdephotos,trophéesetbibelotsentoutgenre.Unechaleurquifaitcruellementdéfautchezmonpère.
Jakemevoitobserverladéco.—Euh…mamèreestunpeudingue.—Non,c’estsympa.Avec un bougonnement, il allume la lumière dans une pièce. Il n’y a aucun bruit, ses parents
doiventdormir.—C’estunpeulebazar,maistantpis.Jevaischercherlefilm.Ildisparaîtauboutducouloirtandisquej’entredanssachambre.Dansuncoin,untasdevêtements,dansl’autre,lelitetunegrandetéléfixéeaumur.J’aperçois
aussiunballondefootballaméricainsurunecommodeetuncasqueparterre.—Tylerm’aditquetujouais,luidis-jequandilrevientavecleDVD.—Oui,jesuishalfback.Allez,c’estpartipourpleurerdevantSimba.Affaléssursonlit,nouslaissonslevolumebaspourneréveillerpersonne.Ilestpresque1heure
dumatin, jecommenceàbâiller.MêmeJakesemble tropépuisépourprêterattentionà lamortdeMufasa.
—Tusais,commence-t-ilentriturantlesoreillers,jeneregardepasLeRoiLionavecn’importequellefille.
Prisedanslascèneterriblequisedéroulesousmesyeux,jeluifaissignedesetaire.—Chut.Mufasaestmort,Jake.Unpeuderespect,jeteprie.—DieubénisseMufasa,puisse-t-ilreposerenpaixauroyaumedel’animation.
Puisilseredressesurlescoudesavecunsouriremalin.Jenemerappellepasl’avoirvuéteindrelalumière,pourtantilfaitsoudainplussombre.L’écran
sereflètesursonvisageetdanssesyeux.—C’étaitunbelélogefunèbre.—Merci,fait-ilenmeregardantavecintérêt.Alors,quejecomprennebien.TuviensdePortland,
qui est une ville cool, apparemment. Tu ne peux pas te servir toi-même à la pompe à essence, tucommandesunesaladeauChick-fil-A,tuatterrisàdessoiréesdéfonceettuaimeslesDisney.Cool.
—C’estassezjuste.Jeneregardepluslefilm,maisseslèvres.—Nerentrepascheztoi.Resteicicettenuit.—Monpèrevafaireuneattaque.Maiscen’estpasunemauvaiseidée.Noussommestousdeuxépuisés,jeneveuxpasrisquerqu’il
meramèneets’endormeauvolant.Sesyeuxquinemequittentpasmedonnentlachairdepoule.—Reste.J’aiLeLivredelaJunglequelquepartenbas.—J’adoreLeLivredelaJungle,jechuchoteenbaissantlesyeux.Quandjeleslèveànouveau,leslèvresdeJakes’approchentdangereusementdesmiennes.Au bout d’une longue seconde, elles les effleurent enfin et des frissons me parcourent. Son
soufflechaudchatouillemajoue,ils’arrêteuninstant.Jecroisqu’ilattendquejelerepousseouquejel’embrasseàmontour.Jen’aimêmepasbesoind’ysonger.
Mabouchetrouvelasienne,mespaupièressefermentetjesenssamainaubasdemondos.Onn’entendplusquelavoixdeSimbaenfondsonore.
Ilm’est déjà arrivé d’embrasser des garçons,mais pas dans ces circonstances.C’est arrivé enjouantaujeudelabouteille,ouàActionouVérité,ouàcejeuoùonnousenfermeàdeuxdansunplacardpendant septminutes.Mais là, cen’estniun jeuniundéfi.C’estmaintenant, c’estpourdevrai, et je n’ai aucune idée de ce que je suis en train de faire ni de pourquoi j’embrasse unCalifornien,rencontréilyaàpeineunesemaine,enregardantLeRoiLionsursonlit.Jenesaispeut-êtrepascequejefais,enrevanche,jesaisquej’aimebeaucoup.
Quand,aprèsunelongueminute,ilserecule,jelesensmurmureraucoindemeslèvres.—Tunedevraispeut-êtrepasenparleràTyler.Ilmetuerait.J’ouvrelesyeux,unpetitsourireaucoindeslèvres.—Jen’ycomptaispas.
12
Unesemainedevacancesetmevoilàdéjàdans le litde l’ennemi jurédemondemi-frère.Bienjoué,Eden.
J’ouvreunœildans le soleil filtrépar les storesetme tournevers legarçonqui s’étireàmescôtés.Devantsesmusclesquisecontractent,jemesenssoudainpleinementréveillée.
—Bonjour,marmonne-t-il.Ilsefrottelesyeuxenseredressant,touthabillé.Commemoi.—J’aidormiici?Questionidiote.Riendetoutcelan’étaitcenséseproduire.Nonseulementj’aifaitlemur,maisje
nesuismêmepasrentréeàlamaison.Monpèrevametuer.—Ilfautquejerentre.Toutdesuite.—Mais,Eden…Onfrappeà laporte. Jenesaispasquelleheure ilest,maisunechoseest sûre,cen’estpas le
milieudelanuit.C’estdoncsanssurprisequejevoisunefemmedébarquerdanslachambre.Brascroisées,ellemetoisedehautenbas,puislanceunregardnoiràJake.—J’étaissûrequetuavaisfaitvenirunefilleendoucecettenuit.Elleaunnom,celle-ci?—Maman!—Non,Jake.Elleacinqminutespourprendrelaporte.Jakegrommelletandisquesamères’enva.Jusqu’àcetinstantprécis,jeleprenaispouruntype
bien.Sibien,quejel’aiembrassélanuitdernière.Saufquelaréactiondesamèremelaisseperplexe.Monventresenoue.
—Tuamènessouventdesfillesici?Jem’assoisauborddulitpourenfilermesConverse.—Non,rétorque-t-iltrèsvite.Elleditçapourrire.J’affichemadéception.Jenecomptepasignorerlesdiresdesamèresifacilement.Peut-êtrene
regarde-t-ilpasLeRoiLionavecn’importequelle fille,maisçanesignifiepasqu’ils’empêchederegarderAladdinavecelles.
—Jedoisyaller.—D’accord.Laisse-moiprendremesclés.Ilaenfincomprisquejenerigolaispas.Sijeresteuneminutedeplusici,monpèrevasignaler
madisparitionàlapolice.
Jeleregardeunlongmoment,letempsdeconsidérermesoptions.Qu’est-cequiseraitpire:êtreramenéeparungarçon,ouarriverchezmonpèreen taxi?Quoiqu’ilarrive, j’aurai l’aird’avoirpasséunenuitsulfureuse.
Jakeenfileuntee-shirtetattrapesesclés.Est-cequec’estsaroutine?—D’accord,répète-t-il,onyva.Nous nous glissons en vitesse jusqu’au rez-de-chaussée dans l’espoir d’éviter une nouvelle
confrontationavecsamère.Àvraidire,cettedernièrenedoitpasêtreravie.Etmonpèreneleserapasnonplus.
—Onestqueljour?jedemandepourdirequelquechose,unefoisdanssavoiture.—Dimanche.Sontons’estunpeuadoucimaisilsemblemorose.Est-cequ’ilestfâché?—D’accord.Jegardelesyeuxsurlaroute.Quandnousarrivonsdevantchezmonpère,Jakes’estunpeudétendu.Iléteintlecontactavantde
setournerversmoi,unlégersourireauxlèvres.—Ondevrait se revoir.Viens dormir chezmoi leweek-end prochain.C’est l’anniversaire de
mariagedemesparents,ilsneserontpaslà.—Euh,d’accord.J’hésite;jenesaispasencorequelleopinionmefairedelui.—Tupourrasrestertoutleweek-end.—Jenecroispasquemonpère…—Réfléchis-y,mecoupe-t-ilavecfermeté.Puisilsouritdenouveau.—Unechancequej’aieétéàcettesoiréehier,hein?Aubonendroitaubonmoment.—Mercidem’avoirsortiedelà.J’avaisoubliélafameusesoirée.JemedemandesiTyleraréussiàrentrerseul.—Merci dem’avoir laissé te sortir de là, fait-il avec un sourire qui s’élargit. J’ai passé une
bonnenuit.—Oui.Ilfautquej’yaille.Ilesttempsd’affrontermonpère.—Onsevoitplustard.Jerefermelaportièreenmedemandants’ilestsincère.Jerabatsmacapuchesurmatête,lanceunepetiteprièreauxcieuxetenfoncelesmainsdansmes
poches.Pourvuquelacapuchedissimulemescheveuxenbatailleetlescouluresdemaquillage.J’ail’aird’avoirpassélanuitàVegas.MêmesijedoutequebeaucoupdegenssortentfairelafêteàLasVegasenjeanetsweatàcapuche.
Jen’entendspaslemoteurmaisjesaisqueJakeestpartiquandj’atteinslaported’entrée,quej’aipeurd’ouvrir.
Inutile :elles’ouvreà lavoléedevantmoi.Jesursauteetunemainfermem’attireà l’intérieur.TropvirilepourêtreElla,tropmuscléepourêtremonpère.Monquestionnementprécédentadonctrouvésaréponse:Tylerabienréussiàrentrer.
Jemedégagetandisqu’ilrefermelaportederrièremoi.—Hum.Ilmelanceunregardassassincommesijevenaisdemettrelefeuàlapièce.Personnenesemble
jamaislesatisfaire.—Tudéconnes.Tudéconnes,hein?
Jeleregarde.Jepousseunsoupir.Jejoueaveclescordonsdemacapuche.Jeleregardeencoreunpeu.
—Jepourraistedirelamêmechose,jemarmonnepourfinir.Jesuisarrivéeaupointoùjem’enfiche.J’essaied’êtresympaetjemeleprendsenpleinepoire,
encore.Etencore.Maismaintenantçasuffit.— Tum’as amenée à une soirée avec tes abrutis de potes défoncés jusqu’à la moelle. Tu es
maladeouquoi?—Chut!Parlemoinsfort.—Oh,désolée, jedis, sarcastique. J’avaisoubliéque tamèren’apas lamoindre idéed’àquel
pointsonfilsestpathétique.Uneémotion fugace,que jene luiai jamaisvueauparavant, éclaire sesyeux. Jen’arrivepasà
mettreledoigtdessus.Ilapresquel’airblessé,maisjen’ensuispascertaine.—Dave!s’écrie-t-ilavecunsourire.Edenestrentrée!—Quoi?Jevaisluimettremonpoingdanslafigure.Sonsouriresetransformeenrictusvictorieux.—Affrontelesconséquencesdetesactes.—Lesconséquencesdetesactes.Tum’asobligéeàalleràcettesoirée.—Jemerappellet’avoirentendueaccepter.—C’estsurprenantquetutesouviennesdequoiquecesoit.Tuétaissobre?J’endoute.Jerepoussemacapucheetserrelesdentsausondespasquiarriventdelacuisine.SiPapaneme
tuepas,jesuispresquesûrequeTylerlefera.—Bonnechance,fait-ilenriantsouscape.Ils’adosseaumur,brascroisés,etobserveavecamusementmonpères’approcher.—Maisoùétais-tu?lance-t-ilpourcommencer.Iln’estpasravi,c’estlemoinsqu’onpuissedire.—Est-cequetusaisl’heurequ’ilest?Presquemidi.Oùétais-tutoutelanuit?Tuauraisaumoins
purépondreàtontéléphone.Jemesuisfaitunsangd’encre,Eden.—Pardon,je…Ledilemmeultime : toutbalanceroumesortirde lààcoupdemensonges?Mais jen’aini le
couraged’avouernil’expériencenécessairepourmetrouverunalibi.Monpèremeregardedansleblancdesyeuxenattendantmaréponse.Quantàmoi,jechercheoù
posermes yeux…qui tombent sur Tyler et son rictus. Il jubile deme voir tenter d’échapper à lafureurpaternelle.Jesuispaniquée.Étrangement,plusjeleregarde,désespérée,plussonexpressionsournoises’estompe.
—ElleétaitchezMeghan,intervient-ilsoudain.Jetel’aidéjàdit,ajoute-t-ilàl’adressedemonpère.
Cedernierparaîtdécontenancéuninstant.—Non,tunem’asriendit.—Si,hier en rentrant,parcequ’ellem’ademandéde te ledire, faitTyler,perplexecommesi
monpèresouffraitd’amnésie.Tuterappelles?—Non.—Mince,j’aidûoublieralors.Désolé,Eden.C’estmafaute.Sesyeuxsesontadoucis.Pendantlelongsilencequis’ensuit,monpèreresteindécis,Tylernonchalant,etmoi,j’essaiede
comprendrecequivientdesepasser.JerêveouTylerestvenuàmonsecours?Remarquable.J’aidumalàcroirequ’unjourildeviennecohérent.Là,ilestpresqueimpossibleàcomprendre.
Uneminute,ilal’airenchantéquejemefasseprendrelamaindanslesac,lasuivanteilmesertun
alibitoutprêt.Pourquoi?Seschangementsdecomportementmedonnentmalàlatête.Jepréféreraisqu’ilsedécideunebonnefois.Çameferaitdesvacances.
—Laprochainefoisquetusors,tumepréviensavant,conclutmonpère,agacé.Aufait,ajoute-t-il quand je crois qu’il va enfin partir, nous sortons déjeuner. Tous ensemble. Toi aussi, Tyler.Habillez-vousconvenablement.
La perspective d’un « repas de famille » ne m’ennuie plus tant que ça. Ce qui m’ennuie, enrevanche,c’estleregardintensedeTyler.Alors,quandmonpèreretourneàlacuisine,j’enprofitepourdémêlercequivientdesepasser.
—Tut’ensorsbien,remarqueTyler.—Pourquoituasfaitça?—Quoidonc?—Mentirpourmoi.Jenecomprendspas.—Jet’endevaisune.Pourt’avoiramenéeàcettesoirée.Jen’aipasréfléchi.Désolé.Ses excuses sincèresme surprennent, et il ne hurle pas, pour une fois, ce qui est encore plus
surprenant.—Pourquoitum’asinvitée?Tuasvraimentcruquej’auraisenvied’yaller?—Jesuisdésolé,répète-t-ilencoreplusbas.Aumomentoùj’envisaged’acceptersesexcuses,ilgâchetout:—TuétaisavecJake,hein?Iladûvoirlavoiture.—Qu’est-cequeçapeuttefaire?Tuastonavissurlui,moij’ailemien.Jen’aipasenvied’en
parlerparcequeçaneteregardepas.—Ilfautquejeprenneunedouche,fait-ilenchangeantdesujet.Onenreparleraplustard.Après
cerepasdemerde.—Onenreparleraplustard?Jusqu’à maintenant, il ne s’est pas montré très loquace. Surtout à propos du garçon que j’ai
embrassélanuitdernière.—Oui, fait-il avant demonter l’escalier avecun sourire.Et rappelle-toi ce qu’a dit tonpère :
habille-toiconvenablement.
13
Nousarrivonsaurestaurantavecvingtminutesderetard.Lesdixpremièresminutessontàmettresurlecompted’Ellaquiachangédeuxfoisdetenue.LerestesurceluideTylerquinousafaitunecriseparcequ’ilnepouvaitpasprendresavoiture.PapaetEllavoulaientutiliserlaLexusetlaRangeRover,Tylern’avaitdoncpasbesoinde la troisième.Après tout, ilestprivédesortie. Ila finiparlaissertomberetsetraînerdanslavoituredesamère.Pendantcetemps,moijemedemandaissionpouvait vraiment considérer le fait d’être forcé de monter dans une Range Rover comme unepunition.
—Etvoici,monsieurMunro,ditavecuneintonationélégantelaserveuseélégantedurestaurantélégant,ennousmenantàunetableélégammentdressée.
Cinq ans plus tôt, mon père nous aurait emmenées, mamère et moi, dans un boui-boui pourmangerdesburgersgras.
Ilremercielaserveuseetnousnousinstallons.TyleretJamieàmescôtés,Papa,EllaetChaseenfacedenous.
—C’estsuperd’êtretousensemble,commenteElla,aprèsavoircommandénosboissons.J’aiprisdel’eau,Tyleratenté,sanssuccès,unebière.—Ondevraitfaireçatouslesdimanches.Monpèreapprouve,uneexpressionfamilièredanslesyeux.Futuntempsoùilregardaitmamère
delamêmemanière.—D’accord.—Pasd’accord,lanceTylerencroisantlesbras,têtebaissée.Ni Ella ni mon père n’y prêtent attention. Ils ont compris depuis longtemps qu’il a toujours
quelquechosedenégatifàajouter,inutiledes’enpréoccuper.Jecommenceàprendrelecoup,moiaussi.
Les boissons arrivent et nous commandons les plats. Tout est trop sophistiqué et trop étrange,alorsjefinispardésignerlepremierquejevois.J’aisûrementcommandédestesticulesdebaleineouquelquechosecommeça.
Cinqminutesplustard,Tylerdesserresacravatenoire,défaitlepremierboutondesachemiseetinterromptlaconversationdenosparents.
—Combiendetempsondoitrester?J’aid’autreschosesàfaire.—Arrêtetessimagrées,faitElla.Tuaspristesmédicamentsaujourd’hui?
—Maman.Ilmelanceunregardfurtifpuisfixesamère.—Jesorsprendrel’air.—Laisse-le,ditElla,unemainsurlebrasdemonpèrequis’apprêteàlepoursuivre.—C’estcequetudisàchaquefois.Audépart,jecomprenaisqu’onpuisseêtrefacilementagacéparlecomportementdeTyler,mais
maintenant,jevoisbienquemonpèrenel’aimetoutsimplementpas.Unpointc’esttout.Ellas’efforcedesourireenluifrottantledos.—Laisse-leunpeuvivre.Je voudrais savoir de quels médicaments elle parlait, mais je m’abstiens, ce ne sont pas mes
affaires. Ça pourrait être un traitement pour les troubles de l’érection ou autre chose d’aussipersonnel,maisvuletempsqueTyleretTiffanipassentavachisl’unsurl’autre,j’endoutefort.
ElladécidedechangerdesujetetreportesonattentionsurJamie.—Commentsepassetonprojetdebiologie,Jamie?— Ça va, fait celui-ci en baissant les yeux sur ses genoux. Je dois encore finir le schéma
d’osmose.— Je détestais cette partie du programme, dis-je pour participer à leur prétendu « repas de
famille».Attendsdevoirlasuite.C’estencorepire.Monpèreestravidemeseffortspourm’intégrer.—Tupeuxallercherchertonfrère?demande-t-ilàJamie.Lesplatsvontarriver.—J’yvais,jelâchesansréfléchir.Ilfaitchaudici,j’aibesoindeprendrel’airaussi.Jedéguerpis.Peut-êtresuis-jequandmêmeunpeucurieuse,aprèstout.Dehors,jescruteleparking.PaslamoindretracedeTyler.Iln’yaqu’unva-et-vientincessantde
voitures.Lesoleilaveuglantdel’après-midimebrûleledos.J’aperçoislaLexusetlaRangeRovergaréesl’uneàcôtédel’autre.Ellaaeudumalàrentrerdanslapetiteplaceetc’estTylerquiafinipars’encharger.Unesilhouettesedécoupederrièrelevolant.
Jemedirigeversluisanssavoirquoidire.Tylerestcapablededémarrerlavoitureenmarchearrièreetdemetuersurlecoup,doncquandj’arriveàsahauteur,jesuisunbrinnerveuse.
Illèvelatêteetmetunbonmomentàbaisserlavitre.—Quoi?—Turetournesàl’intérieur?Questioninutile.—Rienàfairedecesconneries,marmonne-t-ilavantdesedétourner.—Arrêtededramatiser.Ellet’ajusteposéunequestion,c’esttout.— Tu es débile ou quoi ? Nonmais, sérieusement ? Tu ne piges vraiment rien à rien, Eden
Munro.—Etallez,c’estreparti.J’essaiejustedecomprendretonproblème,et toi tumetraitescomme
unemoins-que-rienàchaquefois.Laisse tomber.J’yretourne,parcequejenesuispasuneabrutieégocentriquequipassesontempsàpiquerdescolèresdèsqueçanevapascommejeveux.
Surcesbonnesparoles,jetournelestalons.Maisj’entendsTylerm’appeleretquandjemeretourne,ilal’airplusdétendu.—Vienslà.Jenebougepas.Jenevoispaspourquoijedevraisluiobéir.—Montedanslavoitureetjetedistoutcequetuveuxsavoir.Etaprèsonyretourne.L’occasionest tropbelle.Si çamepermetde le faire revenir au restaurant, çavaut le coupde
l’écouter.Avecunsoupir,jemonteàl’avantsansbaissermagarde.—D’accord,alorsquoi?
Lacravatedéfaiteetunemainsurlevolant,ilmefixependantunelongueminute.J’attendsqu’ilouvrelabouche,maisilsecontented’unrictus.
—Bon,tuveuxlavérité?D’accord.Lavérité,c’estqu’onsecassed’ici.Sansmelaisserletempsdedigérerl’information,ilmetlecontactetappuiesurl’accélérateur.La
voituredémarreen trombe,dansuncrissement terrible. Ilnevérifiemêmepas laprioritéavantdes’engagerdanslarue;lesautresvoiturespilentautourdenous.
—NonmaistuesSÉRIEUX?jehurleenattrapantmaceintureaussivitequepossible.Là,toutdesuite,j’aipeurpourmavie.—Passérieux,seulementhonnête.—Ramène-moi.Unemainsurletableaudebord,l’autresurmaceinture,jeregardetouràtourTyleretlaroute.
Tyler pour lui jeter des regards meurtriers, la route, parce que je n’ai aucune confiance en sescompétencesdepilote.
—Tuveuxvraiment y retourner ? (Lavoiture tanguedangereusement.)Regarde-moi dans lesyeuxetdis-moiquetuveuxretournerbouffercestrucsdégueulassesavectonpèrependantuneheure.Dis-moiquetuleveuxsincèrement.
Rivéssurmoi,sesyeuxnesetournentquequelquesfoisverslepare-brise.—Non,j’avoue.Jen’aipasenvie.Maisillefaut,alorsfaisdemi-touravantqu’ilsnoustuenttous
lesdeux.As-tuseulementledroitdeconduirecettevoiture?Ilmerépondentresescoupsdefreinsetsesaccélérationsbrutales.—As-tuseulementledroitderessembleràça?C’estbon,ilm’exaspère.—Paslapeinedem’insulter.—Cen’étaitpasuneinsulte,bonsang.IlsepasseunemaindanslescheveuxetpilejusteàtempsderrièreunePorsche.—Onn’yretournepas.Onrentreàlamaisonpourquejepuissemeboireunebièreett’expliquer
queJakesefichedetoi,OK?—Merci,Tyler.Mercidememettreencoreplusdanslepétrin.—Lanuitdernièrec’étaittafaute,marmonne-t-il,frustréparlalongueurdufeurouge.D’accord
jet’aifaitsortir,maisc’esttoiquiaschoisidenepasrentrer,alorsn’essaiepasdememettreçasurledos.
—Trèsbien.Maisonaunautreproblème:tamèrevaflipperquandellevas’apercevoirquesavoitureadisparu.Commenttuasrécupérélesclés,d’ailleurs?
Lefeupasseauvertetilfaitvrombirlemoteur.— Relax, ils rentrent tous dans la caisse de ton père. Je les ai gardées après l’avoir garée.
Maintenantarrêtedemedistraire,j’essaiedeconduire.Jeserrelesdentsetdécidedemeconcentrersurlaroute.Nousmettons vingt minutes à rentrer à la maison, en un seul morceau. Sur la route, Tyler a
appeléEllapourluidirequ’onn’enavait«rienàfaire»demangeraveceuxetqu’onrentrait.Ilaraccrochésansluilaisserletempsd’enplacerune.
—Monte dansma chambre,m’ordonne-t-il quand nous sortons de la voiture garée n’importecomment.Jevaismechercheràboireetonpourraparlerdecetenfoiréquitefaittantd’effet.
—Jen’aipasenviedediscuterdequoiquecesoitavectoi.Pourquoicroit-ilavoirsonmotàdiresurmeschoix?Ilpousseunsoupirblasé.—Monte,j’arrivedansdeuxminutes.Jem’exécute,maisengrimpantl’escalier,jeluicrie:
—Pourtoninformation,jemontedansmachambre,paslatienne.—Alorsj’arrivedanstachambredansdeuxminutes,répond-il.Ilmedésespère.Pourquelqu’unquiprétendseficherdetout,ilestvraimenttêtu.Jeretiremeschaussuresetjemedépêchedeplanquermontasdelingesaledanslasalledebains.
Àpartça,machambren’estpastropmalrangée.Tylerneremarquerienquandilentre,unebièreàlamain.
—Bonalors,paroùcommencer…Pourtesimplifierleschoses:JakeMaxwellestleplusgrosdragueurdetouslestemps.
—Tiensc’estdrôle,jecroyaisquec’étaittoi.Vexé,iltoussote.—Non,lagrandedifférenceentreJakeetmoi,c’estquelesfillesveulentdemoi.Jake,lui,ilveut
les filles. Je ne passe pasmon temps à chercher des nanas. Je tombedessus dans des soirées, à lalimitejeflirteunpeu,parfoisjelesembrassesij’aibuetqueTiffanin’estpasdanslecoin.C’esttout.
Ilsiroteuninstantsabièredevantmonairconfuspuiscontinue.—AlorsqueJake, lui,estundragueur invétéré. Il faitmarcher lesfillespendantdessemaines,
parfoisdesmois,ilcoucheavecellesetilneleurparleplusjamais.Etilpeutlefaireàtroisfillesenmêmetemps,ajoute-t-ilavecunriregrave.Jepeuxtegarantirqu’àlasecondeoùtuserassortiedesonlit, ildisparaîtra.C’estcequ’il faitàchaquefois. Il teservira leclassique«désolé,mais jenesensplusl’étincelle»,oualorsle«jenepeuxplusteparler,mamèreestsuperstricteetellerefusequejesorteavecquelqu’unavantlafac».
Ilenfaitdestonnespourm’éloignerdeJake,pourtant,jusqu’àmaintenant,c’estJakequim’alemieuxtraitée.
—Pourquoitumedisça?—Jeteledis,c’esttout.—Argumentnonvalide.Ilsecontentedesourire.—Toutcommeceluipourquittercerestaurant.Commeprévu,monpèreetEllarentrentfurieux.Nonseulementilsontdûpayernosdeuxplats
déjà commandés, mais en plus, ils sont « extrêmement contrariés » que nous ayons gâché notrepremierrepasenfamille.OnrappelleàTylerqu’ilestprivédesortie,quantàmoijesuisconsignéedansmesquartierstoutelasoirée.Unetrès,trèslonguesoirée.
JediscutesurSkypeavecAmeliaquimeracontelespotinsdePortland.Apparemment,desélèvesdeterminaleontvuM.Montez,notreprofdelettres,entraind’acheterdescapotes.M.Montezalacinquantaineetcetteinfomecolleunhaut-le-cœur.Amelia,elle,estmortederirependantaumoinscinqminutes.À part la vie privée de notre prof, il n’y a pas grand-chose de nouveau, alors nousparlons de la fac. Amelia a décidé d’aller en biochimie à l’université d’État de l’Oregon. C’est àCorvallis, à une heure de Portland.Moi, au contraire, je rêve de quitter l’Oregon. Le logiciel sedéconnectealorsquejesuisaumilieud’uneexplicationsurleprogrammedepsychologiedelafacdeChicago. Plus de connexion.L’ordinateur rame sans fin.C’est alors que j’entends qu’on tape àmonmur,celuiquimeséparedeTyler.Toc,toc,toc.
Perplexe,jem’approche.Jenesaispassic’étaitvolontaireounondesapart,maisjetapeàmontourunefois,etj’attends.Ilmerépondquatrecoups.
Qu’est-cequ’ilfabrique?Jedoutequ’ilsoitentraind’apprendreleMorse,cequisignifiequ’iltentedem’agacer,encore.
— Tu peux arrêter ? je demande assez fort pour lui et assez doucement pour que mon pèren’entendepas.
—J’aidéconnectéInternet,répond-il,hilare.Tumedonnaislamigraine.OhmonDieu,Chicagoc’esttropcool!J’adorealleràl’école!C’estgénial!J’adorefairedesdissertesdepsychologie!
Furieuse,jem’adosseaumurentailleur.—Jen’aijamaisditça,jedisavecuncoupdecoude.Ilcogneàsontourpendantaumoinsquinzesecondes.— Je peux faire ça toute la nuit, dit-il. Il paraît qu’on ne dort pas beaucoup à la fac, tu peux
t’entraîner.Jeterendsinsomniaqueenunriendetemps.—Ont’adéjàditàquelpointtuespénible?Sanscomprendrepourquoi,jem’aperçoisquelorsqu’ilrépond,sonentrainmefaitsourire.—Non,jenecroispas.Siseulementjepouvaisvoiràtraverscemur.Est-cequ’ilsouritcommemoi?Est-ildebout,assis
ouallongéparterre?Commentsontsesyeux,là?—Alors,petiteétudiante,explique-moiàquelpointjesuispénible.Ilal’airdesouriremaisjen’ensuispascertaine.J’appuieuneoreillecontrelemurpourmieux
entendresavoix.Ilestrarementgentil.—Déjà,tuasdéconnectéInternet,etmaintenanttutapessurmonmursanst’arrêter.—Techniquement,c’estnotremuràtouslesdeux.Iltapeunefoisdeplus.—Çaresteextrêmementpénible.Arrête,s’ilteplaît.—Impossible.Ilseremetàcognersesarticulationsencoreplusfortets’esclaffequandjetapeungrandcoup.Aprèscela,jeretourneàmonlitetmeglissesouslacouverture.Quepeut-ilbienfairedel’autre
côté?Observe-t-illeplafond,allongésursonlit?Ilestminuitpasséquandjem’endorsenfin,aprèsavoirréfléchiàJake,auxproposdeTyleràson
sujet,etaucomportementdelamèredeJake,lematinmême.Onauraitditquej’étaisunestatistique:unefilledeplusdanslelitdesonfils.EtsiTylerdisaitvrai?
14
Le lendemain matin, je suis trop fatiguée pour avaler un petit déjeuner. Épuisée, je tente determinerlatartinequ’Ellam’apréparée.
—Çava?demandemonpèreenajustantsacravatehideuse.Jen’aipasarrêtédemeréveillercettenuit;jesuissûred’avoirentendud’autrescoupsaumur.—Oui,justeunpeufatiguée.—Tuasdesprojetspourcettesemaine?—Aucun.Monpèrea toujourséténulpour faire laconversation. Ilposedesquestionsdébileset faitdes
remarquesstupidespourcomblerlesilence.Laplupartdutemps,jepriepourqu’ilnemeparlepasdutout.
—D’accord.Jerentretardcesoir.Je ne prendsmême pas la peine de répondre et me contente de débarrassermon assiette, tête
baissée. Deuxième semaine sur huit et j’ai du mal à survivre. Mon père est nul. Cette famillerecomposéeestnulle.Cetétéestnul.
—Salut,faitunevoixtandisquejeclaquelaportedulave-vaisselle.Jefaisvolte-faceetdécouvre,àmongranddégoût,Tyler.—Hmpf.—Tuescenséedirebonjour,fait-ilenmebousculant.Ilporteundébardeurlâcheetmulticoloresurunshortnoir.Jenepeuxm’empêcherd’observer
sesbrasmusclésquandilouvreleréfrigérateur.—Tum’asempêchéededormirtoutelanuit.—Hein?—Tucognaisaumur.Plusieursémotionssemblentpasserdanssesyeuxetpourfinir,ils’esclaffe.—Certainementpas.Tonpèrenet’apasprévenuequecettemaisonesthantée?Lesfantômessont
partout.—Oh,laferme.Tunepouvaispasdormir,commetoutlemonde?Ilseretourne,unebouteilled’eauàlamain.—Pasvraiment,non.J’espéraisquetuteréveillesetqueturépondes.—Désolée.Jen’étaispasd’humeuràcommuniquerparmurinterposéà4heuresdumatin.
J’essaie d’ignorer la veine qui court le long de son bras gauche. Avec Amelia, nous parlonssouventdesgarçonsquiontdesbras,desmains,oumêmedescousveineux.C’estsexy,lesveines.
—Touché,fait-ilensemordillantlalèvreavecunregarddoux.Etcesoir?demande-t-ilsoudaintrèssérieux.
—Quoicesoir?—Turépondrascesoir?Détournant mes yeux de son torse, je lève les mains en signe de renoncement au jeu bizarre
auquelnousjouons.—Non,Tyler,jeneveuxpaspassermontempsàtaperaumur.C’estn’importequoi.—Zut,murmure-t-ilavecunhaussementd’épaules,avantdes’intéresseràsamontre.Je m’apprête à me sauver dans ma chambre, quand la porte d’entrée s’ouvre.Mon père a dû
oublierquelquechose,oualorsc’estEllaquisortfairedescourses.Maisnon,cen’estqueDean.IlsalueElladanslesalonavantdenousrejoindreàlacuisine.Luiaussiesthabillétrèsdécontracté,clésdevoituredansunemain,téléphonedansl’autre.—Prêt?demande-t-ilàTyler.—Mec,tuasvingtminutesderetard.Surprenant.Tylern’apasl’airdugenreàsepréoccuperdelaponctualité.—Désolé.J’aidûm’arrêterprendredel’essence.—Tum’aslaissécroupiravecelle…Allez,onsecasse.Pendant le long silence qui s’ensuit, Dean et moi l’observons, les sourcils froncés. Sous la
pression,ilfaitmachinearrière.—C’estbon,détendez-vous.Chamailleriesdefrèreetsœur,heinEden?—Onn’estpasfrèreetsœur.—Dieumerci.Jel’ignorepourallerouvrirlaporte-fenêtreetlaisserpénétrerlachaleur.Derrièremoi,Tyleret
Deandisent qu’ils vont à la salle de sport, cequi neme surprendguère. Ils ont tousdeux l’air des’entraînerpasmal.JedemanderaisbienàTyleràquellesalleilvapourm’yinscriremoiaussi,maisjedécidedemecontenterdecourir.Jenecroispasqu’ilapprécieraitquesaprétenduesœurrivaleluicolleauxbasques.
Lemercredi, toutlemondeestderetourenville.Rachaelrevientdesonweek-endtraumatisantd’ennuichezsesgrands-parents,quiafaillilapousseràmettrelefeuàlamaison.Tiffaniclamehautet fortquevivreavecsonpèrec’estcommedevivreavecShrek ;quantàMeghan,ellevamieux,aprèsavoirpassétroisjoursàvomir.
Nousnousretrouvonspourpapoterautourd’unemanucure.Rachaelseplaintdepuisquinzebonnesminutes.—Sérieusement,mongrand-pèrem’aforcéeàjoueraulotoaveclui.Touslessoirs.«Rachael!
C’estl’heureduloto!»Euh,Papi,j’aiuneidée:non.—Monpère s’estmisàmesortirdesalbumsphotosdatantde, jene saispas,1801aumoins,
embrayeTiffaniperchéesurunechaise,unemanucurepenchéesursesmains.Jenepeuxpasm’empêcherd’observerlesmiennesetd’admirermesonglesbrillants.Jemesens
àl’aise,installéedansmonfauteuilréservédansuncoindusalon.Jedevraisfaireçaplussouvent.Cen’estpassiterrible,enfait.
Noussommesalléesjusqu’àVeniceparcequec’estlemeilleurbaràonglesdelarégion,selonTiffani.Çatombebien,VeniceBeachal’airvraimentsuper,d’aprèslesquatreminutesquej’enaivu.
Rachaelfaitlescentpasdanslapièceenvérifiantsesonglestouteslesdeuxsecondes.—Jet’échangelesalbumsphotoshistoriquescontrelelotoquandtuveux.
— Moi je prends n’importe lequel contre le vomi, commente Meghan près de Tiffani. J’ail’impressiond’êtreremplied’acide.
Meghanestplus timideque lesdeuxautres ; grâce à elle, jene suispas la seule ànepas tropparler.
—Aumoinstuesrétabliepourtonanniversaire,ditTiffani.Tufaisunefête?—Tuconnaismesparents,faitMeghanavecunegrimace.Rachaels’arrêtenet,extatique.—Meghan!Mamaisonestlibresamedisoir,onpeutfaireunesoiréechezmoi!—Encore?Heureusement, personnenem’entend. Je suis làdepuisdeux semaines et onm’adéjà traînée à
deuxdecessoiréespourriesquiontpourthèmesl’alcool,ladrogueetlesexe.—Tuessûre?demandeMeghan.Elleal’airhésitanteetunpeucoupable.Jelacomprends:Rachaelrisquederetrouversamaison
dansunsaleétat.—Maisévidemment,Meg.Aucunproblème.Allez,onlefait!—JevaisdireàTylerdefairecirculerl’info,proposeTiffani.Quandelleprononcesonnom,monventresenoue.Quepeut-ilbienêtreentraindefaireence
moment?—Dis-luidenepasinviterDeclanetcompagnie,faitRachaelavecunregardsévère.Jeneveux
riend’illégalchezmoi.S’ilsoublientquelquechose,monpèremetuera.—Jem’enoccupe.Jeme rappelle le fameuxDeclan.L’hôtede la soiréedéfoncedeceweek-end.Unechanceque
Rachaelaitassezdebonsenspournepasinviterlesdrogués.—Vouspouvezvenir samedimatinpourm’aider àpréparer lamaison.Çava êtregénial ! se
réjouit-elleenfaisantsursauterlamanucure.Moi, je vais détester, je le sais. L’alcool, les inconnus ivres, le bruit, Tyler. Il est encore plus
péniblequandilabuetc’estmoiquivaisdevoirletraîneràlamaisonàlafindelasoirée.—Meg,tudevraisinviterlebeaugossedelaplage,lataquineTiffani.EtRach,jesaisdéjàquetu
vasinviterTrevor.Rachaelrougitetsedétourne.Tiffaniglousseavantdeposerlesyeuxsurmoi.—Etmoi,jeseraiavecTyler,doncEden,ilnerestequetoi.Ilfautqu’ontetrouvequelqu’un.Pendantuneseconde, jemesenscoupabled’êtreunemauvaisecopineetdenepas luidireque
Tylernes’intéressepasqu’àelle,maismabouchesemblepossédersaproprepersonnalité.—JeresteraiavecJake,jelâche.—Quoi?s’exclament-ellesàl’unisson.Tiffaniretiresesmainsdelatablepourpouvoirsetournerversmoi.—Jake?NotreJake?—Maparole,qu’est-cequ’onaloupé?demandeRachael,bouchebée.Onneparlepasdetraîner
avecungarçonàunesoiréesansraison.Qu’est-cequetucaches?Tucraquespourlui?—Ons’estvus samedi soir, j’avoueenbaissant lesyeux, le rougeaux joues. (Si seulement je
pouvaismetaire!)Etj’ai,euh,passélanuitchezlui.—OhmonDieu,ditMeghanenéchangeantdesregardsaveclesautres.Çaneluiaprisqu’une
semainepourchoperlanouvelle?—Meg!souffleRachael.Vousêtesallésjusqu’où?—Quoi?—Tusais…—Tul’assucé?termineTiffani.
Jemanquedem’étrangler.—Non,jeparviensàarticuler.OnaregardéLeRoiLion.Rachelinclinelatête.—C’estungenredecode,ou…?—Non.OnavraimentregardéLeRoiLion.—Oh,fait-elleavantderireauxéclats.—Tais-toi,Rachael,ordonneTiffani.Elleseretournepourpermettreàlamanucure,unpeuperdue,decontinuersontravail.—Maispersonneneluiaparlédel’ÉtapeMaxwell?demandeMeghan.Àcemoment-là,j’aienviedemeprécipiterdehorsetderetournertoutdroitàSantaMonica.Je
suispétrifiéeetloin,bienloindemazonedeconfort.—L’ÉtapeMaxwell?—C’estcommeçaqu’onappellelafellation,ici,m’informeMeghan.Parcequenotrebonami
JakeMaxwells’enfaitfairebeaucoup.C’estungenredetradition,etondiraitquetueslaprochaine.Tiffanietellesemettentàglousser.—Vousêtesdégueu,lesfilles,ditRachael.NelesécoutepasEden.Tun’espasobligéedefaire
quoiquecesoit.—Nous,dégueu?s’indigneTiffani,unemainsurlapoitrine.Eden,voicilavérité:laspécialité
deMeghan,c’estdemasturberlesmecs,etRachael,c’estlesfellations.Les deuxmanucures lèvent les yeux au ciel. Je parie qu’elles n’attendent qu’une chose : notre
départ.—Tulestrouverasdansleschambresd’amisàchaquesoirée.Engénéral,RachestavecTrevor.
Moijesuislaplusélégante.—Hé!protestentRachaeletMeghan,sanspourautantnier.—Jenesavaispasquese roulerdespellesdans lescabinesd’AmericanApparelétait élégant,
rétorqueRachael.—Çanecomptepas.Aumoins,moi,jesorsaveclegarçonenquestion.Cetteconversationestparfaitementgênante,maisjemeprendsàattendrequeMeghanetRachael
luirépondent.Ellessecontententd’échangerunrapidecoupd’œilentendu,sansrienajouter.Devantmonregardinterrogateur,Rachaelsecouelatête:cen’estpaslemoment.Puiselles’éclaircitlavoixetreprendlecoursinitialdelaconversation.—Donc,samedi,çavaêtrecool,n’est-cepas?
15
À15h27cesamedi-là,jereçoisunmessagepressantdeRachael.Sesparentsviennentdepartir,avecquatreheuresderetard,etnousn’avonsplusquecinqheurespourpréparerlamaison.Rachaelabesoindenoussur-le-champ.Pourmoi,c’estfacile.
—Jevais chezRachael, dis-je àmonpère endémêlant les lacetsdemes tennis.Problèmesdecœur.Onvasûrementsefairelivreràmanger,doncjeneseraipaslàpourdîner.
Ilbaisselesondelatéléetsemblesedemanders’ildoitprotester.—Souviens-toiquenousemmenonsJamieetChaseaumatchdesDodgerscesoir.Onpartdans
uneheure,c’estau-dessusducentre.Tupourrastedébrouillertouteseule?—Biensûr.Jenevousrevoispasavantquevouspartiez,alorsbonnesoirée.Salut,Ella.Parfait.Mêmepasbesoindementir.Ellasourit,latêtesurl’épauledemonpère,unemainsursacuisse.J’essaiedel’apprécier,mais
jen’yarrivepas.—Passeunebonnesoiréeavectesamies.Avec un signe de tête, je sors de la maison et traverse la rue. Je me suis enfin habituée à la
lumière du soleil et cette rue m’est devenue familière, mais je ne sais toujours pas comment mepositionner dans ce groupe de filles avec qui je traîne. Est-ce que Rachael et Meghan sont mescopines, maintenant ? J’en ai l’impression, vu le temps que j’ai passé en leur compagnie. Enrevanche,pourTiffani,cen’estpasencoreclair.Parfoisoui,parfois,ellesemblemehaïr.
JepasselaportedelamaisondeRachaelà15h31etcommeprévu,jesuislapremière.Elleestàla recherched’uneprisepourbrancher l’aspirateur.Ellen’aencore rien fait,maiselleadéjà l’airexaspéréeetépuisée.
—Jenepouvaisrienentreprendretantqu’ilsétaientencorelà,m’explique-t-elle.Ilsseseraientposédesquestionsenmevoyantmemettreàtoutnettoyerd’uncoup.
—Net’enfaispas,Rachael.Calme-toi,ilnousresteencorecinqheures.—CINQheures,Eden!hurle-t-elle.Elle donne un coup de pied dans l’aspirateur et porte les mains à ses cheveux, ondulés
aujourd’hui;çaluivabien.—Cinqheurespourranger,faireleménage,déplacerladécoenlieusûr,acheterdel’alcool,à
manger,etmettremoniTunesàjour!Qu’est-cequim’aprisdeproposerça?Jesuispliéederire.
—Rachael.—Quoi?—Onestlàpourt’aider,tuterappelles?Laseulechosedontelledoivesesoucier,c’estdenepassefaireprendreparsesparents.—TiffanietMeghanarrivent,non?—Si.Unemainsurlapoitrine,ellerabatseslunettesdesoleilsursonnezpuisbranchel’aspirateur.—Bon.Onvat’aideràranger,aprèsoniratoutesensemblefairelescoursesetont’aideraàfaire
uneplaylist.Onaassezdetemps.Sansrépondre,ellesemetàaspirerleparquetavecentrain.Mieuxvautnepaslaquestionnersur
seslunettesdesoleil,nisursasantémentale.—Mevoilà!s’écrieTiffanipar-dessuslevacarme.Ellealesbraschargésdebiscuitsapéritifsetdesaucesdiverses.Jemesensmalden’avoirrien
apporté.—C’estmoioùelleportedeslunettesdesoleildanssamaison?—Elleestunpeuàcran.—Onvas’occuperdelacuisine,medit-elleenlevantlesyeuxauciel.Laisse-lafairesontruc.Je la suis à la cuisine où elle dépose ses achats. Il n’y a que quelques assiettes et couverts qui
traînent, que Tiffani s’empresse demettre au lave-vaisselle. Je jette unœil par la porte du jardin.Plutôtbienrangé.
—Onseracombien?—Unequarantaine.Onaessayédelimiter.DeclanPortwoodettoutesacliquenesontpasinvités,
cequiélimineunequinzained’habitués.—Ceuxquiprennentdeladroguedanslejardin,c’estça?—Plusoumoins,oui.Ellesemetàalignerlesbiscuitsetlessaucessurlecomptoir.—Tylernefaitpaspartiedecegroupe?Elles’arrêtenetetmeregardedroitdanslesyeux.Sujettabou:j’auraismieuxfaitdemetaire.—Non,fait-elle,peuconvaincante.Je sais de source sûre que Tyler est copain avec Declan et tous les autres junkies. Je le sais
puisquejesuisalléeàleursoirée.—Maissi,jerétorque.—Maisqu’est-cequetuessaiesdemeprouver,àlafin,toi?Sonaccèsderagemeprenddecourt.Jenevoulaispaslaprovoquer.Melamettreàdosestbien
ladernièrechosequejeveuille.—Rien,jedisaisçacommeça,c’esttout.Elleme toise puis détourne les yeux. Son humeur a changé. Elle se remet à étaler les biscuits
pendantquejel’observe,sanssavoirquoifaire.—Jen’aimepasenparler,m’avoue-t-elleaprèsunlongsilence tendu.C’estgênantquetout le
mondesachecequejedoissupporter.Ellen’aimepasenparlerparcequeça lametdans l’embarras?Ellenedevraitpass’inquiéter
pourlasantédeTyler,plutôtquedel’opiniondesautressurelle?—Jepensequ’ildevraitsefaireaider.—Pourêtrefranche,Eden,jedoutevraimentqu’ils’intéresseàcequetupenses,fait-elleavecun
sourirecondescendant.Quedire?Toutcequ’ellem’inspirec’estde l’agacementet l’enviede luipondreuneréplique
biensentie.Heureusement,jen’aipasbesoindechercherpuisqueMeghanseglissedanslacuisine,
soucieuse.—Est-cequequelqu’unpeutmedirepourquoimacopineestentraindepasserl’aspirateursur
unetablebasseavecdeslunettesdesoleil?Nous passons deux heures à arranger lamaison deRachael. Plus j’y songe, plus je trouve ça
inutile. De toute façon, elle va être détruite avant la fin de la soirée. Après l’aspirateur, nousplanquonslesbibelotsdelafamille,passonslaserpillière,fermonslachambreparentaleàclé.Lestrois autres chambres, celle de Rachael et deux d’amis, restent ouvertes. On peut toujours êtreoptimistes.
Une fois que la demeure est prête pour la fête, nous partons chercher le nécessaire : alcool etpréservatifs.EntasséesdanslavoituredeRachaeldevantunmagasindespiritueuxbonmarché,nousobservonsTiffaniyfairesonentréeenroulantdeshanches.Quinzeminutesplustard,elledébarqueavec un caddie plein à craquer de diverses bières et bouteilles d’alcool, dont le pire du pire : latequila.
Nousl’aidonsàchargerlecoffre.—C’étaitl’Indien,dit-elle.Ilm’ademandémonnuméro.Jeluiaifiléletien,Meg.NousnousarrêtonsàuneépicerieappeléeRalph’seterronstrenteminutesparmilesrayonsen
attrapanttouslessodasetchipsquinoustombentsouslamain.Rachaeltientàseprocurerunstockillimitédesnacksàgrignoter.Pourfinir,lavoitureesttellementchargéequ’elleadumalàavancer.Nousavons réussià toutpréparerdans lescinqheures imparties.En fait, çanenousenaprisquetrois.Ilrestedutempspouruntourrapideàlapromenadeoùjemechoisisunetenueavecl’aidedemestroiscomparses.Tiffanidécidedelacouleur,Rachaeldustyle,etMeghansurveillelesdétails.Jereviensavecunerobecorailàouverturegoutted’eau,trèsmoulante,trèscourte,maisapparemmentenrègle.
— J’espère que tes parents ne vont pas appeler lesmiens, chuchoteRachael en déchargeant lecoffre,unefoischezelle.
Inutiledes’enfaire,monpèreetEllasontentraindes’empiffrerdenachosaumilieud’unstade.—IlssontaumatchdesDodgers.Unechancequ’ilsaimentlefootball.Rachael,TiffanietMeghansetournentversmoi.Lentement,Rachaeldemande:—Eden,tusaisquelesDodgers,c’estuneéquipedebase-ball,n’est-cepas?—Situledis.Ellesecouelatêteavecunpetitrire.—Vatechanger,ilestpresque19heures.J’aiditauxautresdeveniràpartirde21heures.Pareil
pourtoi,Tiff.Onvas’occuperduresteavecMeg.Avant de nous séparer,Tiffani etmoi décidons de revenir un peu avant 21 heures.Quand une
amiefaitunesoirée,ilfautyêtreavanttoutlemonde,c’estlarègle.MeghansepréparechezRachael.Aprèstout,c’estsafête.
Trente secondes plus tard, j’emporte ma nouvelle robe dans ma chambre. Une silhouettemenaçantem’arrêteenhautdel’escalier.
—Ondiraitquenousnesommesquetouslesdeux,meditTyler.Jenel’aipasvudepuisdeuxjours.IldisparaîtsouventetEllaneposeaucunequestion.Peut-être
en posait-elle jadis,mais elle a sûrement dû baisser les bras.Mon père, en revanche, continue detenterdefairerespecterdesrèglesquin’existentpasdansl’espritdeTyler.
—IlssontallésvoirlesDodgers.LesAngelsvontperdre,c’estsûr.—Jesais.Tupeuxtepousser,s’ilteplaît?—Oui.Bizarrement, il s’exécute, au point que, perplexe, j’hésite à entrer dansma chambre. Il a l’air
fatigué.
—Quoi?—TuvienschezRachaelcesoir?Évidemment,ilestdetouteslessoirées.—Oui.Dequellehumeurpeut-ilbienêtreaujourd’hui?—Toiaussi,n’est-cepas?—Oui.—Cool.Onyvaàquelleheure?—Commentça,«on»?Jepouffeenouvrantlaportedemachambre,larobesurlebras.—Jevaistraverserlaruetouteseule.Sanstoi.Tupeuxyallerquandtuveux,Tyler.—Relax,marmonne-t-il.Lèvrespincées,ildescendl’escalieretmelaissetranquillepourmepréparer.Ilpeutprendreson
temps, lui, c’est un garçon.Dixminutes, le tempsd’une douche et d’enfiler un tee-shirt propre, etc’estparti.
Àlasalledebains,j’entreprendsmonfastidieuxrituelfémininàbasedeshampooingetderasoir.Puis je sèche rapidement mes cheveux que je décide de boucler légèrement. Je ne fais pas tropd’efforts,jenecompteimpressionnerpersonneici.Aprèsavoirterminémonmaquillage,j’enfilemarobeetunepairedetalons.20h49.
JesorssurlepalierenmêmetempsqueTylerquial’airprêtàpartir.Malgrélasimplicitédesatenue, tee-shirt blanc et blouson de cuir noir, il est extrêmement beau. Plus j’y pense et plus jem’aperçoisqu’ilesttoujoursbeau,quecesoitenboots,enbaskets,enchemiseouenmarcel.Soneaude Cologne ne fait qu’ajouter à sa perfection. Ça me rappelle quand j’ai entendu Tiffani lecomplimentersursonparfumdanslescabinesd’AmericanApparel.LeparfumBentley.
Jemerends.—J’yvais.Tuviensavecmoi?Devantsesyeuxscrutateurs,jeperdstoutemonassuranceàcause,notamment,deladécoupeen
goutted’eauàl’avantdemarobe.—Enfait,j’aiunecourseàfaireavant,lâche-t-il.—Oùça?—Quelquepart.Vas-y.Jesuislàdansvingtminutes.—Maistuvasoù?Undétailsuspectdanssesyeuxmechiffonne.Iln’arrivepasàsoutenirmonregardetserreles
poings,laboucheagitéedespasmesnerveux.—Merde,Eden.Furieux,ilfaitmachinearrière.Jelesuisdanssachambre,plongéedansl’obscurité.—Pourquoitut’énerves?Jetedemandejusteoùtuvas.Ilestdeplusenplusstressé.—Jevaisvoirquelqu’un,OK? s’écrie-t-il, crispé. J’aides trucsà récupéreret toi tun’aspas
intérêtàmeprendrelatête.Sesyeuxchangentdecouleurrapidementetdeviennentplusprofonds.Sapoitrinesesoulève,son
cœurpalpite.—TuvasvoirDeclan.Cen’estmêmepasunequestion.—Ilnevientpasàlasoirée,donctuvaslevoir.N’est-cepas?Sesépauless’affaissent.Ilpousseunlongsoupir,lesyeuxclos.—Contente-toid’alleràcettefoutuesoirée.
—Non.Ilesttempsquequelqu’uns’occupeduproblèmeaulieudel’ignorer.—Jenetelaisseraipasfaire.—Eden.Ilmarqueuntempsd’arrêt.Saforcetranquillequandilprononcemonnomm’exaspèreencore
plus.Ilsepencheversmoipourêtreàmahauteur.Sesyeuxperçantsmeterrifient.—Tunepeuxrienyfaire.—C’estça,dis-jed’unevoixplusdure,etplustremblante.Sonvisageestsiprèsdumienque j’ai l’impressionqu’ilmevolemonoxygène.J’aidumalà
parlermaisjemeforce.Jenepeuxpasbattreenretraitemaintenant.—Jenepeuxrienyfaire,parcequetut’enFICHES.Tutefichesquej’aiepeurquetufassesune
overdoseunenuit,ouunbadtrip,ouquetumeures.Tutefichesd’avoirdix-septansetd’êtredéjàaccroàlacoke.Tut’enfichesdetoutça,hein?
Sansunmot,ilmefixe,lesyeuxdeplusenplusétrécis.—Toutcequit’intéresse,c’estd’avoirl’aircooletd’impressionnerlesgensavectonimagede
grosdur.C’estPITOYABLE.Ilsecouelatête.—Cen’estpaspourça.—Alorspourquoi?Sic’estpourtefaireuneplaceparmitescrétinsdecopains…—Çam’aideàpenseràautrechose!Unemainsurlefront,lesyeuxclos,ilsouffle.Unsilenceintenses’installe.—C’estunedistraction,bonsang.Et là, j’aivraimentbesoindemechanger les idées,dit-ilde
sonhabitueltonacide,lesyeuxvifscommejamais.Macolère,maragecontrelui,toutessesinsultesdepuisledébut,toutmerevientd’uncoup.La
décharge soudaine d’adrénaline qui me parcourt les veines me déclenche une réaction que je nem’expliquepas.Àpeinea-t-ilfinideparlerquej’attrapesonvisageentremesmainsetplaquemeslèvres contre les siennes. La sensation de sa peau chaude me submerge, mes yeux se ferment, lesilencenousconsume.Moncœurbatdouloureusementdansmapoitrine,maissabouchem’enivre.Etpuissoudain,laréalitémerattrape.Dansquelquessecondes,ilvadenouveauêtrefouderagecontremoi.Jem’écarte.
Je recule avec une sensation de nausée tandis que Tyler ouvre de grands yeux. J’attendsl’explosion,j’attendssavoixbrutalequimedemandesijesuisdevenuefolle.Ilfaudrabienrépondrequeoui.
— Je ne… Je ne sais pas ce que c’était, je balbutie. Je suis désolée. J’essayais de… de tedistraire…je…
Seslèvress’écrasentànouveausurlesmiennes,avecunetelleforcequejeperdsl’équilibre.Ilmeplaquecontre lemur,monvisagedanssesmains,sespoucessurmapeau,sesdoigtsdansmescheveux,seslèvresardentes,déterminées.Etfantastiques.Jemelaissefaire,moncorpsentiertrembleàsoncontact.Jeressens l’intensitédesacolère.Jenesaispaspourquoi jenem’écartepas.Jesaisqu’illefaudrait,jesaisqueçanedevraitpasarriver,maisjesuisenvoûtée,jenepeuxpasm’arrêter.Unemainaucreuxdemesreins,ilm’attireàluiuncourtinstant.
Etseravise.Sansprévenir, ilarracheses lèvresdesmiennes,merelâcheetrecule.L’instantcesseaussivite
qu’ilacommencé.—Merde,souffle-t-ildoucement.Çarésumetrèsbiencequivientdesepasser.Etmerde.
16
Les yeux de Tyler me transpercent. Les miens sont hagards, choqués, déconcertés, maischaleureux.PourTyler,c’estuneautrehistoire.Desmilliersd’émotionschangeantess’ybousculentàuneallureimpossibleàsuivre.Puisuneseule,laplussombre,s’impose:larage,pureetsimple.
—JevaischezRachael,marmonne-t-il.Ilfermesonblousonetquittelapiècesansunregardenarrière.Çam’estégal.Jesuisabasourdie.CequivientdeseproduirenetrouveaucuneexplicationlogiqueetTylernesemblepasvouloir
enchercherune.Jerestelà,hébétée,pendantuneéternité,jusqu’àcequelebruitdelaportequiclaqueenbasmeramèneàlaréalité.
Jecommenceàprendreconsciencedelasituation:j’aiembrasséTyler.Mondemi-frère.J’aiembrassémondemi-frère.J’aiembrassé legarçonquim’énerverienque
parsaprésence.Legarçonquiaunecopine.Unecopinequisetrouveêtremonamie.Maisqu’est-cequetufiches,Eden?Prisedenausée,jerespireprofondément.Jel’aipeut-êtreembrassé,maislui,ilm’arendumon
baiser.Etavecénergie.Mince!LafêtedeRachaeletMeghan!Lafêteàlaquellej’étaiscenséemepointerilyaunquart
d’heure.Ilfautquej’yailleetquej’agissecommesiderienn’était.Commeunefillequinevientpasd’embrassersondemi-frère.Maîtrise-toiEden.Aumoinsjusqu’àlafindelasoirée.Jedouted’enêtrecapable,vuqueTylery
sera.Est-cequejedoisluiparler?Luidemandercequivientdesepasserentrenous?L’ignorer?Aucuneidée.
Je retourne en chancelant à ma chambre où j’attrape mon sac avec un coup d’œil au miroir.Courage.AumoinsTylerserenddirectementchezRachaelsanspasserparlacaseDeclan;sij’essaiedeluiparler,ilneserapassousl’influencedenarcotiques.
Encoreessoufflée,jesorsdelamaisonetverrouillelaporte.OnentenddéjàlesvibrationsdelamusiquechezRachael,quinevontques’amplifieràmesuredesheures,del’arrivéedesconvivesetdeleuralcoolémiecroissante.
Unevoiturerempliedegarçonsquejen’aijamaisvuss’arrêtealorsquejetraverselarue.L’und’euxsort,unpackdebièresdanslesbras.
—Eden,c’estça?—Oui.
Jeralentisàpeine.Pasvraimentd’humeuràfairelacausette.—Onm’aparlédetoi,ditletype,enmetendantlamain.TueslasœurdeTyler,non?Jeréprimeunhaut-le-cœur.L’affreuxgesteincestueuxquejeviensdecommettremedégoûte.Je
suissûrequec’estillégal,ouimmoral.—Demi-sœur,jecorrigeavantdereprendremonchemin.Jepousselaported’entréeavecprécipitation.Lamusiqueassourdissantealemérited’engloutir
touteslespenséesquimepréoccupent.—Maisqu’est-cequetufaisais,Eden?s’écrieRachaeldepuislesalon.Elleagitesonverredansmadirection.Jemedemandecequ’elleboit.Elleempestel’alcoolàdes
kilomètres.—Lesgenscommencentàarriverettoitunetepointesquemaintenant?Megtecherchepartout.—Désolée.(C’esttoutcequejetrouveàdire.)Oùest-elle?—Ellefaitdescocktails.Rachaelsecouelatêteenrythmeavecunsourirejusqu’auxoreilles.Elleadûcommenceràboire
àlasecondeoùTiffanietmoisommesparties.—Vat’enchercherun!Ilyaunnombreraisonnabled’invités,unequinzaine,éparpillésunpeupartoutetplutôtsobres,
dumoinspourlemoment.Lesautresvontarriverdansl’heure.Toutlemondeestcalmeetdétendu.Je distingue chacun d’eux sur le chemin de la cuisine où je trouveMeghan et, malheureusement,Tiffani.Lanauséemereprend.
—Ahenfin!s’écrieMeghanquiacommencéàboireilyauncertaintemps.EllemeprenddanssesbrasetTiffanilèvelesyeuxauciel.Jedétournelesmiens.Meghanmemetunverredanslamain.—Tiens,prendsça.—Qu’est-cequec’est?—Aucuneidée.Lestypesdelavoiturefontleurentrée,détournantsonattention.Ducoindel’œil,jevoisTiffani
quimesourit.Ellecontournelesnouveauxvenus,unverredevinàlamain,ultrasophistiquéedanssagrande
robeblanche.—RachaeletMegmerendentdingue,dit-elleenrigolant.Ellessontpompettes.—Oui,dis-jed’unevoixfaiblarde,incapabledelaregarder.Tylerestlà?—Ilessaied’ingurgiterautantdebièrequepossible,explique-t-elled’untondésapprobateur.Elleobservelascèneparlafenêtre.Jemesenstellementcoupable…jecroisquejevaisfondre
enlarmesàtoutmoment.—J’attendsqu’ils’épuiseetqu’ilrentre.Dans le jardin, j’aperçoisTyleretun typeque jen’ai jamaisvuaumilieud’un tasdecanettes.
Avecsesclésdevoiture,Tylerperceuntrouaubasdel’une,yportelaboucheetlavideenquelquessecondes.Ilrépètelegesteavecsonacolyte.Encore,etencore,etencore.
Je reporte mon attention sur Tiffani sans tenir compte de la culpabilité qui m’assaille. J’aiembrassésonpetitcopain.Cesmotsdansentdansmatête.
—Çanedoitpasêtretrèsbonpourlasanté.—Pastrop,non,fait-elle,contrariée.Elle a une façon de boire son vin très inhabituelle et tout aussi sophistiquée que sa tenue.
L’ensemblecréeuneaurad’éléganced’unniveauque jenepourrai jamaisatteindre.Ondiraituneadulte.
—Ilestpénible.Qu’est-cequ’ilfaitàsesaoulerdanslejardin?Ildevraitêtreavecmoi.
À l’heure qu’il est, Tyler doit être au bord de la cirrhose ou du coma éthylique.Mais si c’estautant le bazar dans sa tête que dans lamienne, alors l’alcool est la seule distraction possible. Jel’imiteraisvolontierssijen’avaispasautantpeurdevomir.Alorsjemecontentedequitterlacuisine,unsourireforcéauxlèvres,monverretoujoursàlamain.Jem’endébarrasseàlapremièreoccasion.Jen’aiplusaucuneenviederencontrerdesgens,deboireoudedanser.JepréfèreobserverRachael,tropjoyeuseettropvirevoltante.Toutl’alcoolqu’elleaingurgitéestpassédroitdanssonsang.Jemeretrouveàjouerlesbaby-sitterspendantunebonneheure.
—Jesuisparfaitementsobre,Eden,geint-elletandisquejelasoulèvedusolpourlaénièmefois.Duhautdesescompensées,elleseramassetouteslesdeuxminutes.—Maisbiensûr,tuessobre.—Jeprendslerelais,ditunevoixfortederrièremoi.UnbrasrattrapeRachaeljusteavantunenouvellechute.—Trevor!hurle-t-elle.Ellese jettedanssesbras,manquantde l’étrangler. Il lève lespoucesen l’air.Jen’aiplusqu’à
prierpourlui.Rachaelestunvéritablecauchemarambulant,cesoir.Délestéedemesfonctionsd’angegardien,jemefaufile,detoutemasobriété,parmilafoule.La
maison est pleine à craquer. Une grande silhouette me barre la route. Jake. Son regard idiot, sacoiffureidiote,sonsourireidiot.
—Eh,belleinconnue,oùdoncétiez-vouspassée?glousse-t-ilenpassantunbrasautourdemesépaules.Jet’aiappeléetoutelasemaine.
Pourtoutdire,j’aiignorésesSMSetsesappelsincessants.Jen’aipasarrêtédepenserà«l’ÉtapeMaxwell».
—Désolée,j’étaissuperoccupée.J’aipassélasemaineàlireetallercourir.Etembrassermondemi-frère.—Tueslàdepuislongtemps?—Vingtminutes!s’exclame-t-ilpourcouvrirlamusique.Sa voix est forte, claire, agaçante. Avec un sourire il se penche vers moi et son souffle me
chatouille.—Tutesouviens,mesparentssontabsentsdepuisjeudi,murmure-t-ild’untonlubrique.Tupeux
venirdormirchezmoicesoir.J’ensaisassezsursoncomptepournepasavoirenviedemelancerlà-dedans.Horsdequestion
d’êtreaccrochéeàsontableaudechasse.—Nonmerci, dis-je avec un sourire. (Peut-être qu’il nem’en voudra pas si je suis gentille.)
J’habiteàdixmètres,c’estplusfacilederentrerchezmoi.Ilparaîttroublé,maissereprendvite.—Amusons-nous,aumoins.Jevaistechercherunverre.—Non,çava.Jesuistropdistraite,perdue,encolèrecontremoi-mêmepourfairelemoindreeffort.—Désolée,Jake,jenemesenspastrèsbien.Jenesuispasd’humeurcesoir.C’estpresquevraietc’estaussilaseuleexcusequej’aietrouvéepourqu’ilmefichelapaix.—Commetuvoudras.Il s’éloigne en sirotant sa bière. Autour de moi, on commence à dépasser la frontière entre
éméchés et totalement saouls. Et plus ils la dépassent, plus ils se pelotent. D’ailleurs, Rachael etTrevornesontplusdanslecoin.Jesaisoùlestrouver.
Pendantqu’ilssontàl’étageentraindefairecequ’ilsfontd’habitude,j’imaginequec’estàmoide surveiller l’état de la maison, puisque je suis la seule personne assez sobre ici. Je m’occupe
l’esprit en sortant une fille évanouie de la baignoire. Je nettoie ce qui a été renversé. J’apporte del’eauàuntypeentraindevomiraufonddujardin.Çafonctionne:j’oublieTyler.
Jusqu’àcequejel’aperçoive,troisheuresaprès.Jesuisentrainderamasserdesverresvidesaupieddel’escalierquandilmedépasseentitubant.
Ilestailleurs,intoxiquéau-delàdupossible.Iltombeàgenoux,lesmainsparterre,etfixesesdoigtsunlongmomentenremuantlatêted’avantenarrière.
Jem’approcheavecprécaution.Quefaire?Jecommenceparlabase,enprononçantsonnom.Mavoix a dumal à sortir mais il m’entend à travers l’alcool qui lui embrume le cerveau. Ses yeuxsombres,dilatés,fatiguésetagitésrencontrentlesmiens.
—Bébé,intervientlavoixapaisantedeTiffaniàmescôtés.Ellepassedevantmoietl’aideàserelever.Ilretombesurlecôtéetsecognelevisagecontrele
mur.—Tyler,faitTiffani.Prisonnierdesonmondebrumeux,ill’ignore.Ellelefaitasseoirsurlesmarches,puis,soudain,
luiassèneunepairedeclaques.—Allez,dessoule.Tuesinsupportable.Jenel’aijamaisvuaussiivreetapparemment,Tiffaninonplus.Excédée,ellefaitdesonmieux
pourluimaintenirlatête.Iladumalàgarderlesyeuxouverts.—Ellavaletuers’ilrentredanscetétat,fait-elle,dégoûtée.Tylerbalbutiequelquechosed’inaudible.—Jevaisl’emmenerchezmoi.Tylerglissedesmarchesjusqueparterre.—Commentçasefaitqu’ilsoitdanscetétat?—Ilnevoulaitpass’arrêter,m’expliqueTiffani.Ellesembleassezlucide,malgrélevinqu’elleaingurgité.—Jecroisqu’àunmomentils’estfaitsixshotsd’affilée.D’habitude,ilconnaîtseslimites.C’est
tellementgênant…Elletente,malgrésacarruremenue,delerelever,tandisqueTylers’agrippeàsarobe.—Jevaisluichercherdel’eau.Jecoursàlacuisine.SiTylerachoisidesemettredanscetétat,iln’existequ’uneseuleraison:
c’estàcausedecequis’estpasséentrenous.Etc’estmoiquiaitoutdéclenché.JefermelerobinetetmeretrouvenezànezavecDean.—Raviderencontrerquelqu’undesobre,pourunefois,dit-ilunebièreàlamain,endésignant
monverred’eau.—C’estpourTyler.Ettoialors?—Untoutpetitpeuéméché,fait-iltimidement.Tylerestdansunsaleétat.—Jesais,dis-je,laconique.Amuse-toibien,Dean.Je me faufile entre les gens amassés dans la cuisine, piétine les packs vides et retourne dans
l’entrée.Tiffaniestassisecontrelemur,latêtedeTylersurlesgenoux.Ilpourraitêtremort.Jeluitends
leverre.—Merci,dit-elleavecsincérité.Ilmefaitpasserpouruneidiote,jevaisl’emmener.Jeneveux
pasqu’onlevoiecommeça.—Désoléequ’ilt’aitgâchélasoirée.Jene sais pas troppourquoi jem’excusepour lui.Sûrement parcequ’il est commeçaparma
faute.—Ilgâchetoutesmessoirées.
Tylerlèveunemainpourluitoucherlessourcils,ellel’enempêche,ilrâle.—Tuesvraimentuncon,Tyler,tulesais?—Tiffani?Ellelèveversmoiunvisagecrispé.—Oui?J’observeTylerquiseretourne,lesyeuxfermés,laboucheentrouverte.—Demainàsonréveil,tupourrasluidirequej’aiàluiparler?
17
Lelundisuivantestle4Juillet,lafêtenationale,etlaplusimportantecélébrationdel’année.Lesventesdefeuxd’artificeexplosentetlapopulationdechaquevillesembledoublercartoutlemondesortpour lesfestivités.Jenesaispascequ’ilenestpourLosAngeles,maisàPortland,nousnousrendons d’ordinaire au Waterfront Blues Festival pour regarder le feu d’artifice au-dessus deWillametteRiver.Avantdepartirautravail,monpèrem’informequenousironsvoirlefeuàCulverCity,cesoir.
—Tupeuxveniravecnousvoir laparadesurMainStreetcematin,Eden,proposeEllaenmevoyantdébarquerenpyjamadanslacuisine.
Chase et Jamie sont déjà à table.Chase engloutit du bacon, les yeux rivés à la télé, tandis queJamieseverseunboldecéréales.
C’est toujoursunpeudélicatquandmonpèren’estpas là.Jeneconnaissaispascesgens ilyatrois semaines etmaintenant, je suis censée être à l’aise avec eux.Cen’estpas le cas,donc je faissemblant.
—D’accord.Tylerestrentré?Jenel’aipasvudepuissamedisoir.JesuispartiedèsqueTiffaniaréussiàlefairemonterdans
unevoiture.Jen’allaispasmeforceràresteralorsqu’iln’yavaitriennipersonnequienvaille lapeine.Alorsjesuisrentréeàlamaisonetjemesuisendormieavantleretourdemonpèreetd’Ella.J’ignores’ilsontremarquélafêtequibattaitsonpleinenface,entoutcasilsnem’enontpasparlé.IlsontseulementposédesquestionssurlesagissementsdeTyler;j’aidûleurdirequ’ilavaitpassélanuitchezTiffani.Ellas’estcrispée.
—Ilest revenu tardhier soir, fait-elleendéposant lavaisselledans l’évier. Jecroisqu’ildortencore.
Jenel’aipasentendurentreretjesuismêmesurprisequ’ilsoitrentrétoutcourt.Iladûpassertoute la journée chezTiffani à cuver sa très probable gueule de bois. Peut-être vais-je enfin avoirl’occasiondeluiparlerdesamedi.Jenepeuxpascontinueràfairesemblant.Jenepeuxpasoublier.
—Ilvientàlaparadeavecnous?jedemande,l’airderien.Jeneveuxpasavoirl’airdetropm’intéresser.Jen’osemêmepasimaginerlaréactiondePapaet
Ellas’ilssavaient.Jem’assiedsàcôtédeChase,désinvolte.—Jenepensepas.Jecroisquejevaislelaisserdormir.
Ledéfilécommenceà9h30.Jen’aiquevingtminutespourmeprépareretaccompagnerEllaetmesdeuxdemi-frères.Letroisièmedortdanslachambrevoisinedelamienneetj’essaiedenepastropypenser.
Àlaplace,jem’occupededénicheruneplacedeparkingpourElla,cequirelèvedel’épreuve.Lesruessontbondéesdevoitures,degensetdestandsvendantdesdrapeauxaméricains.Nousdevonsnous garer à une dizaine de pâtés demaisons deMain Street qui est fermée à la circulation. Lesspectateurss’alignentsurletrottoir,agitantdesdrapeaux,levisagepeinturluré.Nousnoustrouvonsun petit espace avec une belle vue quand la parade arrive jusqu’à nous. Il y a des cavaliers, unorchestre,d’anciennesvoituresdepolice,desaffichesgéantes,descamionsdepompiers,descharsetdesartistesderue.J’aimoncomptederouge,debleuetdeblanc.Cependant,c’estunbondébutdejournée et çame permet d’observer les célébrations de SantaMonica de l’intérieur pendant deuxheures.Le4 Juillet àPortlandestquandmêmeplus sympa. J’aimerais tanty être avecmamèreetAmelia,descendreaufleuvepourécouterdestasdegroupesdifférents.
Àlafindudéfilé,Elladécided’attendrequelaruesedégage.Nousdéjeunonsdoncdansunpetitcaféducentre-ville.Chasetraînesondrapeauaveclui,etmoi,seulebruneaumilieudetroisblonds,j’ail’aird’avoirétéadoptée.
—Tonpèret’aparlédufeud’artificedecesoir?demandeElla.—Oui.C’estoù,CulverCity?—Àunevingtainedeminutes.Ici,ilsnelefontplusdepuis1991.D’habitudeonvaàMarinadel
Rey,maisiln’yenapascetteannée.Onaentendudirequ’àCulverCityc’étaitpasmal.Beaucoupdemondeyvacesoir.
—Tyleraussi?Jebaisselesyeux.Jevaisfinirparmefairegriller.—Enfin,jeveuxdire,onyvatousensemble?—Oui,biensûr.Tuescontent,Chase?Elle lui adresse un sourire fier.Chase hoche la tête avec enthousiasme. Je n’ai jamais vuElla
regarderTylerdecettefaçon.Çamedéstabiliseautantqueçam’attriste.Ilesttellementinsupportablequ’ilestimpossibled’êtrefierdelui.Siseulementilétaitdifférent.
Aprèsledéjeuner,nousfaisonsunpeudelèche-vitrineetsommesderetouràlamaisonaumilieudel’après-midi.Tylerestréveillé,jel’entendssedéplacerdanssachambreàunrythmeconstant.Ondiraitqu’ilfaitlescentpas.
Envuedelasortiedecesoir,jeprendsunedoucheetj’erredansmachambreencomparantmestenuespendantquemescheveuxsèchent.Jemetsmêmedelamusiqueetjem’attendsàcequeTylercogneaumurpourmediredebaisser,maisrien.
Aprèsavoirfinalementcédéausèche-cheveux,jedescendsmechercherunverred’eau,nonsansavoirmisdel’ordredansmachambreetéteintlamusique.
Lamaisonestétrangementsilencieuse.Ondiraitquetoutlemondeestsorti.Maisenpassantdanslecouloir,j’aperçoisEllaetTylerdanslacuisine.Ilsnesontpasentraindetaillerunebavette.Loindelà.Jem’approchesansbruitetjejetteunœilparl’ouverture.
Tyler a la tête enfouie au creux de l’épaule de sa mère qui le tient dans ses bras. Il respirebruyamment contre elle, les épaules affaissées, les bras ballants. J’entends des soupirs et desreniflementsmais jene saispasquidesdeuxpleure.Ella le tient.Elle le tient comme si savie endépendait.
—Jecomprends,murmure-t-elled’unevoixcraquelée.Tuasledroitderessentirça,Tyler.Tuastouslesdroits.Parfois,c’esttropàsupporter.
Quelquechosenevapas,c’est sûr.Mais jenesaispasquoi. J’attendsqueTyler réponde,maistoutcequej’entendsc’estlaported’entréequis’ouvreetmonpèrequibeugle.
—Devinezquisortduboulotplustôtqueprévu?Àlaseconde,Tylers’écarted’Ellaets’éloigneauboutdelacuisine.Ilsouffle,lesdeuxmainssur
latête,etsortdanslejardin.J’aijusteletempsderemarquersesyeuxgonflés.Unemainsurlapoitrine,leslèvrestremblantes,Ellal’observes’enaller.Elleparvientnéanmoins
àretenirseslarmesavantl’arrivéedemonpèreets’affairedevantlamachineàcafé.—Alorscedéfilé?melancemonpère.Jeme redresse, toussote etme contente d’un signede tête quand ilmedépasse endéfaisant sa
cravate.Ilseplantedevantsafemmerayonnante.Est-cequ’ilsaitqu’ellefaitsemblant?
—On prend tous lamême voiture, annoncemon père deux heures plus tard.Vous allez vous
serrer.Chase,sioncroiselapolicetutecachesparterre.Adossé aumur,Tyler croise les bras, blasé.Levoilà redevenu lui-même, rictus aux lèvres, le
regardperçant.Jemedemandecequ’ilavaittoutàl’heure.Lesquestionsmerongent,maiscen’estpasàmoidelesluiposer.
—Pourquoijenepeuxpasprendremavoiture?— Parce que tu es puni, voilà pourquoi, rétorque mon père. Eden et toi vous gardez vos
téléphonesàproximitépourqu’onpuissevous retrouverà la fin. JamieetChase,vous restezavecnous.
—C’estbon,c’estfinilesconsignesdesécuritédébilesdeDave?marmonneTyler,lesyeuxmi-clos.
C’estsonexpressionfacialequasi-permanentemaintenant.Monpèreneréagitpas.—Montedanslavoiture.Tyler s’esclaffe et nous nous entassons tant bien que mal à l’arrière de la Range Rover.
Impossible demettre les ceintures. J’ai Chase d’un côté et Tyler, serré contre moi, de l’autre. Jeregardemespiedstandisqu’ilsetourneverslavitre.Sapeautièdecontrelamiennemedonnedesfrissons.Jerestemuette,quandsoudain,jeremarqueseschaussures.DesConverseblanches,commelesmiennes.
—JenesavaispasquetuportaisdesConverse,dis-jeàvoixbasse.Ilmejetteuncoupd’œil.—Ouais.C’est tout ce que nous échangeons jusqu’àCulverCity. La circulation est dense, nousmettons
quaranteminutesàarriveraulycéedelavilled’oùseralancélefeud’artifice.Ellaavaitraison,c’estbondé.Leparkingdulycéeestpayantetl’accèsausiteégalement.Aumoins,nousnenoussommespasfaitarrêterparlesflicssurlaroute.
—Vouspouvezallerretrouvervosamiss’ilssontlà,nousditEllapendantquenoustraversonsl’écolejusqu’austadedefoot.Onvousappelleraàlafinsionnevoustrouvepas,d’accord?
—Etpasdebêtises,ajoutemonpèreenregardantTyler.Parce qu’il n’a besoin de se soucier que du comportement de Tyler, parce que Tyler est
imprévisible,parcequeTylerestunproblèmeambulant.—Ouais,ouais,c’estça,faitcedernieravecunsignedelamain.Il s’éloigneà touteallureà travers la fouleetdisparaît. Jeme tourneversmonpère,occupéà
scruterledosdeTyler.—JesaisqueMeghanestlà.Jevaislachercher.—Soisprudente,fait-ilavecunsignedetête.
Jem’éloigneàmontourenmarchantleplusvitepossibledanslescouloirsdulycéedeCulverCity, dans la même direction que Tyler. Le faible écho d’une fanfare résonne au loin. J’ail’impressiond’alleràunmatchdefootballaulycée.Pourtoutdire,c’estunpeulecas.
Ilyadéjàdesmilliersdepersonnessurlapelouseetlesgradins.Desstandsderestaurationsontinstallés autour des pistes, et tandis que la foule s’épaissit encore, le soleil commence à décliner.ImpossiblederetrouverMeghanlà-dedans.
Les familles, couples âgés et groupesd’étudiants fourmillent unpeupartout.D’autres ont optépourleschaisespliablesetlescouverturesétaléessurlapelouse.Quantàmoi,jesuisseule.J’auraisdûresteravecmonpère.
—Jenet’auraispascruedugenreàt’éloignertouteseule,faitquelqu’unàmescôtés,par-dessuslebruitambiant.
Tylermeregardeavecunecurieuseétincelledanslesyeux.—Onpeutparler,maintenant.—Maintenant?Detouslesendroitspossibles,ilchoisitlemilieudesfestivitésdu4Juillet.—Pasici,fait-ilenexaminantlesgradinsenface.Viens,suis-moi.Ilfaitdemi-tour,têtebaissée,etjeluiemboîtelepasavecnervosité.Nous nous frayons un chemin jusqu’au bâtiment principal. J’ai le cœur serré. J’ignore s’il va
s’énerverous’ilvaacceptermesexcuses.Lapremièreoptionmedonneànouveaulanausée.Je suis tellement préoccupée que je remarque à peine la pancarte qui indique « PASSAGE
INTERDIT».Seulscertainscouloirssontouvertsaupublic.Tylersemoquedesrèglesetmoijemesenstropmalpourdiscuter.Ils’arrêteauboutducouloir.
On n’entend presque plus le bruit extérieur. Le visage de Tyler n’est éclairé que par le soleilcrépusculairequifiltreàtraverslesfenêtres.D’ici,onaperçoitlestade,maisçanem’intéressepas.C’estlapersonneenfacedemoiquiattiretoutemonattention.
Ilmetdutempsàsetournerversmoi.Sonexpressionsuffisanteadisparu.Ilal’airdétendu.—Qu’est-cequis’estpassésamedi?—Jenesaispas.Jesuisdésolée.Maistuétais…tum’énervaisetjenevoulaispasquetuachètes
de la drogue alors je… je l’ai fait, voilà. Je ne voulais pas. Je suis désolée, d’accord ?C’est tropbizarre,jemesensmal…Onn’aqu’àfairecommes’ilnes’étaitrienpassé.
Ils’humecteleslèvres.—J’aimeraispouvoirendireautant.—Quoi?Jemesensunpeumieuxmaintenantque j’aividémonsac. Jusqu’àceque je luidécouvreune
expressionquejen’avaisjamaisvue.Denouveau,moncorpsentiers’enflamme.Exactementcommesamedi.
—Jet’aiembrasséeaussi,dit-il.Jenecomptepasm’excuser.—Pourquoi?Ilsemblehésiter.Malgrésesyeuxapaisés,sontonesttranchant.—Parcequejesavaistrèsbiencequejefaisais.—Alorspourquoitul’asfait?Jechuchote.Toutesmesentraillessenouent.—Parcequejelevoulaistrop.Ilsedétourne,unemainappuyéesurlemur.Jemesensdeplusenplusmal.—Tulevoulais?Maisqu’est-cequeturacontes?
—Tuveuxsavoirlavérité?(J’acquiescemaisilnemevoitpas.Ilbaisselatête.)Cequejeveuxdire, Eden, c’est que tum’attires, tu piges ? (Il fait volte-face, et dans ses yeux naît une nouvelletempêtevenuedesprofondeurs.)Etjesaisquejenedevraispas,parcequetuesmafoutuedemi-sœur,maisjenepeuxpasm’enempêcher.C’estdébileetjesaisquetuneressenspaslamêmechose,parcequetut’excusespoursamedi,merde!J’auraisvraimentvouluquetunet’excusespas,ajoute-t-ilenbaissantlesyeux.Çaveutdirequeturegrettes.
Jesuisabasourdie.Tyler,legarçonquimetraitecommeunpaillassondepuislepremierjour,estattiréparmapersonne?Çan’aaucunsens.
—Jecroyaisquetumedétestais,parviens-jeàarticuler.—Jedétestepasmaldemonde,maistun’enfaispaspartie.Cequejedéteste,c’estlefaitquetu
mefassesdel’effet.Beaucoupd’effet.—Arrête.Tuesmondemi-frère,tunepeuxpasdireça.—Quidictecesrèglesdemerde?Jenesavaismêmepasquituétaisilyatroissemaines.Jenete
voispasdu toutcommeunesœur,pigé?Tues justeunefilleque j’ai rencontrée.D’oùçasortdenousconsidérerdelamêmefamille?
Jevaisvomir.Lesquestionstourbillonnentdansmatête.—Tuasunecopine.TusorsavecTiffani.—Maisjem’enfous,d’elle!s’écrie-t-il,agacé.JeneveuxpasdeTiffani,tunecomprendspas?
Cen’estqu’uneautredistraction.—C’estquoicettehistoirededistractions?—Laissetomber!J’aiditcequej’avaisàdire,tusaiscequejepensedetoiettuasétéclaire,
c’estbon.Amuse-toibienàcefeud’artificedemerde.Lesmainsdanslescheveux,laveineducousaillante,ils’éloigneentrombe.—Attends.Ils’arrêtedanslecouloir,sansseretourner.Ilrestelà,essoufflé.—Tunem’aspaslaisséletempsdetedire…quetum’intéressesaussi.
18
Les feux d’artifice viennent interrompre le long silence qui s’est étiré entre nous.Dehors, desétincellesauxcouleursvivestournoientdansleciel.Noustournonslatêtedeconcertpourregarder.Les lumièresdansentsurnotrepeau,ses jouesbrillentd’une teinteorangequis’estompeaussiviteque les couleurs disparaissent dans le ciel, très vite remplacées par de nouvelles. Mais Tyler sedétournedelafenêtre.Cesontmesyeuxqu’ilregarde.
—Jet’intéresse?répète-t-ilsèchement.C’esttoutcequetupeuxdire?Lecielcraque,siffleetexplosetandisqu’endessous,lafouleexulte,lesvisagesilluminés.Depuis
cecouloirinterdit,onembrassetoutlestade.—Onestentrainderaterlefeud’artifice,jedisfaiblement.Jesuispitoyable,jelesais.Riennesoulageralapulsationfrénétiquedemoncœur.—Rienàfairedufeud’artifice.Nonmaistudéconnes?Jet’intéresse?C’estquoi,ça?Jenecomprendspascequilevexe.C’estbiend’êtreintéressant,intéressantçaveutdiredifférent.
Jen’aijamaisrencontrépersonnequiattireautantmonattention.—Tesbarrières,jecontinueentremblant.Jememordsl’intérieurdesjouespourtenterderetrouvermonsang-froidetformerdesphrases
cohérentes.—Tesbarrièresm’intéressent.—Jenesaispasdequoituparles.Sapommed’Adamremue.L’étincelledanssesyeuxvacille.Ilsaitparfaitementdequoijeparle.—Jenem’enétaispasrenducomptejusque-là.Tuasdressédesbarrièresautourdetoi,etelles
m’intéressent.—Tusaisquoi?Jem’enfous.Pensecequetuveuxdemoi.—Cequejeveux?Jeledévisageetiladumalàsoutenirmonregard.—Ce que je pense, je reprends, c’est que tum’exaspères. Tu es un crétin arrogant, incapable
d’êtregentilavecpersonne,toutçaparcequeçanecollepasavectonpersonnage.Lesyeuxclos,ilsepincel’arêtedunezetinspireprofondément.—Tunesaispasdequoituparles.—Laisse-moifinir,j’ordonnemaintenantquel’adrénalineremplacelanervosité.Jepenseaussi
quetuesunabrutiavecunmelonplusgrosqueta tête.Tuteprendspourunpetitdélinquant,mais
franchement,Tyler,tuesjustepitoyable.Sonvisages’affaisse.—OK,maintenant j’ai l’air débile d’être venu t’avouer que tum’attires. Tu aurais pu y aller
mollo.—J’auraiscruqu’undurcommetoipourraitsupporterça,non?Ilenfoncelespoingsdanssespochesetregardeparlafenêtre,l’airtriste.J’entendssarespiration
entrelesexplosions.—Etmoij’auraiscruquetuauraiscomprisquejenesuispasvraimentundur.Soudain, je comprends. Il est vulnérable, et j’ai raison. Ses barrières sont unmasque.Ce n’est
qu’un rôle qu’il essaie de jouer. Les commentaires grossiers, le flirt lubrique avec Tiffani, lesaddictions,toutçac’estpourdefaux.Ilabienplusqueçaenlui.Commeaujourd’huidanslacuisineavecElla.Ilnejouaitpaslesgrosdurs,etilnefaisaitpassemblantnonplusquandilplaisantaitavecJamie.Parfois,safaçades’effrite.Etparfois,jesuislàpourlevoir.
Parfois ses yeux s’adoucissent pour dévoiler leur véritable étincelle à qui veut bien regarder.Pourquoi n’ai-je pas compris ça plus tôt ? C’est évident. Nos disputes sans importance, lesconversationspathétiques,lesregardsnoirsconstants,toutçasembletellement…inévitable,commesionn’arrivaitpasàs’arrêter,commesi,d’unecertainefaçon,onaimaitsechamailler.Nousnousregardonsenchiensdefaïencedepuislepremierjour.Chacuncherchelesfaiblessesdel’autre.Moi,c’estmaconfianceenmoi.Lui,c’estlavérité.
Etendessous,ilyal’attirance.TylerestattiréparmoietjesuisattiréeparTyler.Moncœurflanche,jesuisglacée.J’ail’impressiondeleredécouvriretcen’estpasunabrutiqui
gâchelesbarbecuesquejevois.Jepeuxl’examinersousunnouveaujour.Iladesyeuxenvoûtants,unvisageparfaitementdessiné,deslèvrescharnuesetunsouriremalicieux.Etencoretantdechosesquej’aimerais découvrir. Je veux connaître la vérité. Je veux savoir qui il est réellement, et non celuiqu’il veut me montrer. Il fait semblant, il n’est qu’un acteur. Je veux savoir ce qui se passe encoulisse,quandlespectacleestterminéetquelerideausebaisse.Quireste-t-il?
Ilal’airperplexe.—Jecrois,jedisavecunegrandeinspiration,quetum’attiresaussi.Trèslentement,ilmefaitfaceetsortlesmainsdesespoches.—C’estvrai?Jelevoudraistellement…maisjenepeuxpasêtreattiréeparmondemi-frère.—Oui.Malgré ladouleurde laconfession, le soulagementmedesserre lapoitrine. Jenepeuxplus le
regarderenface.—Jesuisdésolée.—Arrêtedet’excuser.Ils’approchedemoi.Jemeprendsàanalyserchaquedétaildesatenue.Tee-shirtgris,jeanfoncé,
Converseblanches.—Iln’yarienàregretter,dit-il.Sespiedssesontrapprochésdesmiens,ilesttoutprès.Danslapénombre,ilmefixe.Derrièrelui,
lecielcontinuedes’illuminerdescouleursdel’arc-en-ciel.Duboutdudoigt,iltraceunelignesurmonbrasjusqu’àmonpoignet,puism’attrapedélicatementparlataille.
—Qu’est-cequisepasse?jechuchote.L’électricitégrésilleentrenous.Lesoufflecourt,jeveuxprotester,lerepousser,parcequec’est
mal.Maisjenebougepas.Parcequej’aimelasensationdesapeaucontrelamienne.
Mesyeuxn’arriventpasàfairelepoint.Ildoitsentirmaraideurparcequ’ilsemetàmecaresserles hanches. Il respire calmement, son parfum mentholé me captive, m’attire et me charme. Ilapprocheseslèvresdemonvisage,jusqu’aucoindemabouche.Là,ils’arrête.
—Laisse-moit’embrasser,murmure-t-il.Sonsouffleestchaudcontremajoue,pleind’appréhension.—Maistuesmondemi-frère…Jen’arriveplusàcontenirmanervosité.Tylerrespireprofondément.—N’ypensepas.Ilselanceetposeseslèvressurlesmiennes.Et c’est encoremeilleur que la première fois.À travers ses lèvres douces et humides, je peux
ressentirsanervositétoutcommeilpeutsentirlamienne.Lefeud’artificecontinue.Ilmeserreplusfortcontrelui.Jem’enmoque,j’aimecettesensation.
Unegrossevoixretentitquelquepartdanslecouloir,maisjem’enaperçoisàpeine.Etjem’enfichepasmal.
—Hé!Arrêtezça!Nousl’ignorons,prisdansnotreétreinteinterdite.J’ouvrelabouche,Tylerposeunemainsurma
nuqueet l’autreaucreuxdemesreins.C’est luiquicontrôle lavitesse, l’intensité.Maisçaaussi jem’enmoque.J’adoreça.
Lavoixestdeplusenplusforte,commelesbruitsdepasquil’accompagnent.—Dégagezdelàoujevousfaisarrêter.Jenebougepas.LachaleurdesmainsdeTylerirradiesurmapeautandisquesonbaiserralentit
etdevientplusintense.Illèveunpeulementonpourtrouverunmeilleurangle.J’adorechacundesesmouvements.
—Allez,maintenantvousarrêtez,ordonnelavoix,soudainrauqueetperçante.J’ouvrelesyeuxetdécouvre,tétanisée,unofficierdepolice,brascroisésdevantnous.—Arrêtez!—Bonsang,souffleTylerquis’écarteenfindemoi.C’estquoi,leproblème?Ilsetournelentementverslepolicieretcroiselesbrasàsontour.—Vousêtesdansunezoneinterdite,nousinformel’homme.Ondiraitqu’ilvientdedécouvrirdessourisdansleréfectoiredulycée.— Interdite ? Vous n’avez rien de mieux à faire ? Il doit bien y avoir quelques bagarres
d’alcooliquessurlestade,non?Derrière la fenêtre, c’est le bouquet final, les couleurs sont plus vives et plus nombreuses. Le
stade est quadrillé de policiers. Comme à Portland, les gros événements de ce genre sont trèssurveillés.
—Çasuffit.Vousêtesdansunezoneinterdite,jevouslaisseunechancedepartiravantdevousyforcer.
—Meforcer?faitTyler.Je le tirepar lamanchedeson tee-shirt. Iln’apas l’airdécidéàbouger. Il fixe l’hommedroit
danslesyeux.— Vous ne pouvez pas nous laisser une seconde ? On va s’en aller, mais vous nous avez
interrompus.—Tyler,viens.Lebaiserm’alaisséeunpeuessouffléeetgrisée.Jeveuxrecommencer.—Oui,jem’ensuisaperçu,rétorquelepoliciersuruntondésapprobateurquimefaitmonterle
rougeauxjoues.Jenesuispaslàpourdiscuter.Jevousdemandedepartir,vouslefaites.Nemefaispasperdremontemps,fiston.
—Maiscen’estqu’uncouloir.Onn’estpasentraindes’infiltreràlaMaison-Blanche.Laissez-nouscinqminutes.
—Tucomprendscequeçaveutdire,non?Tonpèrenet’apasapprisàobéir?Jenesaispasgrand-chosedeTyler,maisjesaisqueparlerdesonpèreestlemeilleurmoyende
luifairepéterlesplombs.Bingo.—Espèced’enfoiré!Ilbombeletorseets’avanceversl’officier.Uninstant,j’aipeurqu’ilneluidécocheuncoupde
poing.Heureusement,ilseretient.—Bon,çasuffit,grondel’agent.Il sort une paire demenottes. J’aperçois des rides sur son front. Beaucoup de rides. Il a l’air
épuisé.—Jet’aidemandédepartirmaisturefusesd’obtempérer,etavecinsolence,enplus.Jet’arrête
pourviolationdepropriété.Tyler,bouchebée,devientlivide,puisl’officiersetourneversmoi.—Etc’estvalablepourtoiaussi.
19
—Tunepouvaispastetaire?Jeparletoutbaspournepasnousattirerplusd’ennuis.Jenepeuxpasvraimentmelepermettre,
là.L’œil noir, Tyler s’affale contre le mur et lance des regards mauvais à chaque officier du
commissariatparlesbarreauxdelacelluledegardeàvue.—C’étaitunabruti.Ilslesonttous.—Onn’enseraitpaslàsitut’étaiscontentédepartir.Jesuismortedepeuràl’idéedespunitionsquevam’infligermonpère.Privéedesortiejusqu’à
lafindel’été?Renvoyéechezmoi?Obligéedem’occuperdesonlingesale?Danslacellule,unefemmeestentraindepiquerunecrisedenerfs,commesiçaallait lafaire
sortir.Unhommetoutenmusclesestadosséaumur,sesénormesbrascroisés,silencieux.J’évitedecroisersonregard.
Tyleretmoisommesassissurunbanc,trèsprèsmaispasassezpournoustoucher.Ilbougonneetsepencheenavant.
—Mamèrevanousfairesortir.Jenesuispasconvaincue.—Pourquoi?Parcequ’elleestavocate?Jeneparvienspasàresterpositivedanscettesituation,maisilestvraiqu’Ellaconnaîtlesystème
judiciairesurleboutdesdoigts.Forcément.Etdonc,elleconnaîtsesfailles.—Ellel’adéjàfait.Ellemefaittoujourssortir.—Commentça,«ellel’adéjàfait»?Je détaille le commissariat. Des bureaux qui débordent de dossiers, des téléphones qui ne
s’arrêtentjamaisdesonner,ungardequinoussurveilledeloin.—Combiendefoistuasétéarrêté?—Uneoudeux.Oupeut-êtreplus,fait-ilavecunlégerrictus.—Pourquoi?Ilsegrattelatêteens’humectantleslèvresetjerepenseàsabouche.—Euh…destrucsbêtes.Bagarres,dit-ilenfaisantcraquersesarticulations,vandalisme,trouble
àl’ordrepublic.Etviolationdepropriété,termine-t-ilenmejetantuncoupd’œil.—Aumoinstun’astuépersonne.
Je ne sais pas pourquoi je plaisante.Une semaine plus tôt, je l’auraisméprisé d’avoir déjà étéarrêté,quellequ’ensoitlaraison.Maismaintenant,l’énigmeTylerBrucemefascineetenl’espacedetroisjours,monopinionsurluiaétégrandementaltérée.
—Pasencore,corrige-t-il.Maisj’aiquelqu’unentête,fait-ilenplissantlesyeux.Jedoisavoirl’airhorrifiéeparcequ’ils’esclaffe.—Eden…—J’aiencoreunpeudemalavectonhumour.Jenesavaismêmepasquetuenavais.—Bienjoué.—Bruce,Munro,aboieunevoix.NoussursautonsetTylerseretourneversunpolicierdeCulverCityàl’airrevêche.—Vosparentssontlà.Noscompagnonsdecellulepouffent.—Onestmorts,dis-jeenpaniquant.C’estsûr,onvamourir.—Tais-toi,m’ordonneTylertoutbas.Tumelaissesparler.Parchance,lepolicierquinousaarrêtés,officierSullivan,n’estplusdanslecoin.Ilestpeut-être
retournédanslesruestraquerlesfêtardspourleurgâcherlanuit.Ilavait l’airbuté,commes’ilenvoulaitàlaterreentière.L’autreagentestplusjeuneetmoinseffrayant.OfficierGreene.Ilnousfaitsortirdelacellule.
—Suivez-moi,soupire-t-il.Je me colle à Tyler pour traverser le commissariat dans l’indifférence générale. L’officier
GreenenousconduitdansunpetitbureauoùnousattendentmonpèreetElla.Monpère, lesmainssur leshanches,nousobserveavecmépris. Ilvapeut-être tomberdans les
pommes. En tout cas, il a l’air énervé. Quant à Ella, c’est la première fois que je lui vois uneexpressionaussisérieuse,lèvrespincées,mainsjointes.MêmequandelleestencolèrecontreTyler,illuirestetoujoursunetouchedecompassionmaternelle.Là,rien.Elleamissonmasqued’avocate.
—Àquoivousjoueztouslesdeux?crachemonpère,deplusenplusrouge.Ellas’avancesansnouslaisserletempsdetrouveruneréponse.—Officier…—Greene.—OfficierGreene.(Elleluitendlamain.)Pouvez-vousm’expliquerenvertudequoiilsontété
arrêtés?Aufait,jesuisavocate.Unpeusurpris,Greenesemblemalàl’aised’apprendrequ’ilnepeutpasluiracontern’importe
quoi.—Section602duCodepénal,dit-ilsanslaquitterdesyeux,violationdepropriétédanslelycée
deCulverCity.Ilsontétéretrouvésdansunpérimètreferméaupublic.Ellas’esclaffetantc’estridicule.—Vraiment?Ilsseretrouventdanslemauvaiscouloiretvous,vouslesarrêtez?—Cen’estpasmoiquilesaiarrêtés,madame.L’agentSullivann’apasbeaucoupdepatienceet
votrefilss’estmontré insolentquandil luiademandédequitter les lieux. Il leura laisséplusieursoccasionsd’obtempérer.
Tyler reniflemaiss’interromptetbaisse la têteavantd’être rappeléà l’ordre.Ella lui lanceunregardnoir.
— J’étais dans ce lycée ce soir, continue-t-elle, et je me rappelle avoir vu des panneaux«PASSAGEINTERDIT».Maisnullepart jen’aivudepanneauxavertissantde l’infractionetparconséquent, ilsn’ontpasétécorrectement informésdudélitqu’ilscommettaient. Ilsnepeuventpasêtrearrêtéssurlaseuleraisonquevotrecollègueestunpeusoupeaulait.
Monpèrecontinuedeme lancerdes regardsassassinsque j’aidumalàsoutenir.Àmadroite,Tylerréprimeunfourire.S’iln’yavaitpasunflicdevantnous,jeluicolleraisuncoupdepoing.Ilarriveàsemaîtriser,maisrepartdèsqu’ilmeregarde.
—Bon,etsions’épargnaitlapaperassepourcettefois?ditGreene.IltendlamainàElla.—Décisionraisonnable,monsieurl’officier.Elleéchangeun regardbrefavecmonpèrequiacquiesce,commes’ilscommuniquaientpar la
pensée.—Bon,dit-il.Vousdeux,àlavoiture.Toutdesuite.Tyleraarrêtéderireethausselesépaules.—J’enconnaisunquiesttrès,trèsfâché,mesouffle-t-il.Noussuivonsmonpère.Ellaresteenretrait.Ilsefaittardquandnoussortonssurleparking.JamienousguetteparlavitreteintéedelaRange
Rover.JedécouvreChaseendormidel’autrecôté.—Qu’est-cequetuasfaitcettefois?demandeJamie.—Quelquechosequejen’auraispasdû,marmonneTylerenm’adressantunsourirecomplice.Nous poussons Chase contre la portière pourmonter. Jamie se contente d’un profond soupir.
Mon père s’agrippe au volant en silence. Je m’apprête à lui demander s’il va bien quand Elladébarqueetclaquelaportière.
—Bienjoué,Maman,ditTylerenluifrottantl’épaule.Tul’asdémoli.Ellerepoussesamainavecunregarddanslerétroviseur.—Nem’adressepaslaparole,Tyler.Unjour,jeneviendraiplus.Tumedéçoistellement…—Tumedéçoisaussi,Eden,embrayemonpère.Etpuisqu’est-cequevousfaisiezàl’intérieur?
C’étaitdehorsqueçasepassait,ilmesemble.—Non,faitTyler,cen’étaitpasdehors,çac’estsûr.Ilpasseundoigtdiscretlelongdemacuisse,cequimeprocureunesensationdesplusétranges.—Tais-toi,trancheElla.J’auraispuvouslaissercroupirlà-bastoutelanuit,compris?Pourune
foisdanstavie,Tyler,tutetaisetturestestranquille.Çaluiclouelebecjusqu’àSantaMonica,maisilcontinueàcaressermapaumedupouceouàme
taquiner en cognant son genou contre lemien.Étonnamment, personne ne remarque rien.Quant àmoi,jefaisdemonmieuxpourl’ignorermalgrélesfrissonsquimeparcourent.
Ilestpresqueminuitquandnousarrivons.Monpère,épuisé,parvientàporterChasejusqu’àsonlitsansleréveiller.Jamiedisparaîtdanssachambre.
—Jenesaispasquoi tedire,Tyler,faitEllaenverrouillant laported’entréesansleregarder.J’enaiassez.Eden,montedanstachambre.Vatecoucher.
Son petit sourire m’indique qu’elle demande un peu d’intimité avec son fils. Je m’exécute etcroisemonpèreenchemin.
—Jedevraisappelertamère.L’entendreparlerd’ellemesembleétrange,déplacé,même.—Non.Mamèreestdéjàassezstresséeparsonboulot,ellen’apasbesoinquesafillesefassearrêteren
plus.—Çaval’inquiéterpourrien.—Çam’inquièteaussi,Eden!Sonexclamationse termineenmurmure. Il jetteuncoupd’œilautourde luipour s’assurerde
n’avoirrienperturbé.
—Qu’est-cequetuas?Jesaisquetuesalléeàdessoirées.J’aiquaranteans,passoixante.Çanemedérangepasquetu t’amuses.C’est l’étéaprès tout.Cequimedérangeenrevanche,c’est l’effetqueçatefait.Tum’asdéjàmentiplusieursfois,etmaintenantça?Jenesaismêmepasavecquitutraînes,enplus.
Sabrusqueriem’interloque.Moiquicroyaisqu’ilneserendaitcomptederien…—Euh…Rachael,enface.Tiffani.Euh.Tiffani…Parkinson,jecrois?—LacopinedeTyler?Tufréquentestoutleurgroupe?DeanCarter?Etl’autrelà,Jake?—EtMeghan.Ons’entendbien.Jenepensaispasqu’ilétaitdugenreàs’intéresseràmoncercled’amis.—Bon,conclut-ilensefrottantlanuque,aumoinscesontdesenfantsbienélevés.Écoute,tusais
quoi,vaaulit.Jenesaispastropcequivientdesepasserdanssatêtemaisjenecomptepasrester là.Quand
j’entredansmachambre,j’ôtemestennis,meretournepourfermerlaporte…etdécouvreTyler.Jemanquedem’étrangler.
—Hé,chuchote-t-ilenentrant.Ildétaillemachambrecommes’illadécouvrait.—Salut.Jen’arrivepasàdécryptersonexpression,laportejetteuneombresursonvisage.—Qu’adittamère?—Rien.Désolédet’avoirentraînéelà-dedans.J’auraisdûpartirquandleflicnousl’ademandé.—Cen’estpasgrave.Macolèreafiniparsedissiper.Nousn’avonspasétésanctionnés,donc jecomptefairepasser
l’affairepourunsimplemalentenduentrel’officieretnous.LetéléphonedeTylersemetàsonner.—Tiffani.Ilal’airsurlepointd’ignorerl’appel,maisilseravise.—Désolé,ilfautquejeluiparle,sinonellevas’énerver.Jem’effondreintérieurement.Mapoitrineseserre,j’aidumalàrespirer.Lanervositém’envahit
tel un tsunami. J’étais tellement captivée par lui ces dernières heures que j’en ai oublié sa petitecopine.
—Désolé,répète-t-ilavecunegrimace.Jecroisqu’il remarquemaparalysie,mais il se retientd’avancer.Sonsoupir résonnedansma
chambre.—Jesuisvraimentdésolé,jesuisobligé.Salut,çava?fait-ilenrefermantlaportetandisqueje
resteseuleethébétée.Savoixestvidéedetouteénergie.Toutcommemoi.
20
—Eden!hurlemameilleureamieauboutdufil,lelendemain.Enfin!—Jesais,jesais.J’aiétépasmaloccupée.—Tunerépondsjamais,fait-elle,légèrementagacée.Jenepeuxpasluienvouloir,jeneluiaipasparlédepuisplusd’unesemaine.—Comments’estpasséton4Juillet?C’estprécisémentpourcelaquejel’appelle,maissaquestionmelaissesansvoix.—Bien,parviens-jeàarticuler.—C’esttout?Jecommenceàavoirchaud.—Bon.Jesuismontéedansunevoituredepolicepourlapremièrefoisdemavie.Pendantlelongsilencequis’ensuit,Ameliasembleattendrequejem’écrie«Jerigole!»—Quoi?—Violationdepropriétéprivée.Jel’entendstapotersontéléphone.—Est-cequejepeuxparleràEdens’ilvousplaît?Allô?EdenMunro,c’esttoi?—Ce n’était pas ma faute. C’était mon demi… enfin, Tyler nous a fait arrêter. Il n’a pas pu
s’empêcherdel’ouvrir.—C’estl’aîné,c’estça?Jefinisparconfirmeravecunegrimace.—Tuesalléeaufestival?j’enchaîne,lesdoigtscrispéssurmacouverture.—Évidemment.C’étaitbizarresanstoi.—Tuyesalléeavecqui?—Commed’habitude.Chloe,Eve,Annie,Jason,Andrei…Enfin,toutlemonde,quoi.Lemaldupaysm’assailleenentendantlenomdemesamis.Ilsmemanquent,d’autantquejesuis
coincéeicialorsqu’ilspassentl’étéensemble.Maissoudain,jemerappellepourquoij’aiquittéPortland.Pourquoij’aiacceptédevenirpasser
deuxmoisici.ParcequecertainespersonnesàPortlandn’envalentpaslapeine.—AlyssaetHolly…étaientlàaussi?—Oui,faitAmeliaavecunsoupir.Nememetspasdanscetteposition,Eden.Vousêtesmestrois
meilleuresamies,maislàj’ail’impressiondesoutenirdeuxcampsadverses.Chaquefoisquejevous
parle,c’estcommesijetrahissaisl’autre.Jefaisdemonmieuxpourignorerladouleurquimeserrelapoitrine.—Commentétaitlefeud’artifice?jedemandeavecunfauxenthousiasmeetunsourireforcé.—Génial!Hyperactivedepuistoujours,elles’exciteàlamoindreoccasion.—Aprèsonafaitunfeudecamp.Onabudelabièreetécoutédelamusiquetoutelanuit.Jesuis
crevée,là,j’espèrequetucomprendscequejeraconte.Adosséeaumur,j’essaiedenepenseràrien.—Net’inquiètepas.Çaavaitl’aircool,cefeudecamp.—Oui!glousse-t-elle.LandonSilvermanm’aramenéechezmoi.—Letypedeterminale?LandonSilvermanestunsuperbeaugosse.—Oui…J’imaginemonamierougiretsemettreàbattredescilssansarrêt,commechaquefoisqu’elleest
gênée.Maissatimidités’évanouitrapidement.—Onabatifoléàl’arrièredesavoiture.Sic’estuneblague,cen’estpasdrôle.—Tudéconnes?—Siseulement.Sonservicetroispiècesn’estpastellementfourni.Jefondaisdegrandsespoirs
surlui.Quelscandale.—Amelia…EllemerappelleRachael.Ellesontlemêmehumour,etlamêmepassionpourlagentmasculine.—Ettoialors?LesCaliforniens?—J’aiembrasséuntype…hiersoir.Moncœurs’emballeànouveau.Ameliaestauborddel’implosion.—Bonsang!Qui?Est-cequejeluidis?Mameilleureamie,àquijeracontetout,est-cequejeluidispourTyler?Je
devrais, elle pourrait me donner des conseils, mais je n’y arrive pas. Cette histoire est tropscandaleuse,troptordue.Ameliadoitressentirmonappréhensionauboutdufil.
—Untype,ils’appelleJake.Bienrattrapé.—Ilestbeau?J’analyselestraitsdeJakedansmatête.—Oui.Ilestblond.—Quoi?Unblond?Tuflirtesavecunblond?—Arrête!Impossibledeteniruneconversationavecellesanslemoindreéclatderire.—MAISTUFLIRTESAVECUNBLOND!—Jesais,c’estchoquant.—C’estl’eaucaliforniennequit’alavélecerveauouquoi?Tudétesteslesblonds!Commesijenelesavaispas.C’estellequipréfèrelesblonds.—Tuveuxquej’appelletamère?Tuasbesoindesoinsmédicaux,c’estsûr.Quefais-tude«les
brunssontlesplusbeaux»?—Tuesencoresaouleouquoi?—Aucuneidée.Sûrement.
Surce,jeluiconseilled’allersereposeretluidisaurevoir.Elleprometgentimentdepasservoirmamèreunpeuplustard.C’estvraiqu’elledoitsesentirseule.
Aprèsavoirraccroché,jedécided’allercourirpourm’éclaircirlesidées.Matêtepartdanstouslessensdepuiscequis’estpasséavecTyler.Jen’aiaucuneidéedecequejesuisentraindefairenidecedansquoijem’engage.Toutcequejesais,c’estquecen’estpassimple.
Pour changer, je cours à travers la ville au lieu de rester sur la côte. Il fait très beau et il y abeaucoupdemondemaisjenefaispasattention.D’ordinaire,jeregardelesvisagesdespassants,jelis lesplaquesd’immatriculation, je retiens lesnomsdesboutiquesquiont l’air intéressantes,maispasaujourd’hui.Aujourd’hui,jenepensequ’àTyler.
Tandis quemon cerveau traite cent une pensées à la seconde, je parviens à dégager quelquesfaits:(1)Tylerestuncrétin;ça,çanefaitaucundoute,(2)c’estuncrétinquiaunsérieuxproblèmedegestiondelacolère,ainsiqued’autresproblèmescomportementaux,(3)ilestcrétinparcequ’illeveutbien,parceque(4)ilcachemanifestementquelquechose,(5)sespasse-tempsprincipauxsontsesaouler et se défoncer, (6) il a de beaux abdos et j’aime la couleur de ses yeux, (7) parfois il estvraimentgentil,quandilrigoleavecsesfrèresparexemple,(8)parfoisilmegonfle,maiscen’estpasgrave,parceque(9)ilembrassevraimentbien.Etpourfinir(10),ilm’attirebienplusquecequejeveuxadmettre.
Par-dessusmamusique,unklaxoninterromptlefildemespensées.Unevoitures’arrêtelelongdutrottoir.Jeralentisetretireunécouteur.C’estcelledeDeanetiln’estpasseul.
LavitresebaisseetTylermesourit.—Jesavaisquec’étaittoi.—Àquoi?Jem’appuiesurlavoiture,essoufflée.Depuiscombiendetempsjecours?Sesyeuxs’illuminentpuisillesbaisse,avecunpetitrire.—Onsortdelasalledesport.Çanerépondpasàmaquestion.—Onrentre,tuveuxmonter?Tuasl’airauboutdurouleau.Dean,quiestencorerougedusport,hochelatête.—Jenesuispasauboutdurouleau,jeproteste,vexéeethaletante.Jepeuxcourirdeskilomètres,
OK?—OK,metaquineTyler.Ilouvrelaportièred’uncoup,m’obligeantàreculer.—Alorsjerentreavectoiencourant.—Maisjepréfèrecourirseule…Ilattrapesonsacdanslavoiture.—Mec,çanetedérangepas?Deansecouelatête.—Onyretournemercredi?—Ouais.Àplus.JeresteseuleavecTylersouslesoleildeplomb.Latranspirationquiperlesursesbicepsetson
débardeurlâchesursontorsebronzémelaissentpantoise.—Pourinfo,dit-ilensemettantenroute,c’estàtesfessesquejet’aireconnue.Bouchebée,jejetteunœilderrièremoi.Cen’étaitpeut-êtrepaslajournéepourporterceshort
moulant.Monassurances’évanouit.—Hum…Ilaccélèreenmeregardantducoindel’œil.—Jepeuxsûrementmarcherplusvitequetunecours.
—Ça,j’endoute.Jeboisunegorgéed’eauetremetsmonécouteur.DepuisqueJakem’aemmenéeàleurconcert,
jesuisobsédéeparleschansonsdeLaBreveVita.—Tupariesquej’arriveavanttoiàlamaison?medéfieTyler.—Paritenu.Jetricheetpiqueunsprintsansprévenir.Cettepetitepausem’apermisderécupérer,jemesens
forteetenpleineforme,lesoleilsurlevisage,mespiedssurlebétonetleventrafraîchissantsurmesjambes.Unesupersensation.
—Perdante!crieTylerenmedépassant.Jem’esclaffeetaccélèrepourlerejoindre.Bientôt,notrecourseoubliée,nousralentissons.—Onpeutdirequetucoursbeaucoup,dit-ilpendantquenoustraversonsuncarrefour.Tufaisdu
cross?—Non.J’aimebiencourir,c’esttout.C’estlemeilleurexercice.—Moijepréfèrelamuscu,fait-ilenjetantunœilàsesbras.C’estfoucequ’ilpeutêtreprétentieux,parfois,maisjem’yhabitue.—Bon,d’accord,fait-ilens’arrêtant.J’abandonne.Jenesuispasuncoureur.Tuasgagné.Appuyécontreunmur,iltentedereprendresonsouffle.—J’aigagné,çatul’asdit,jem’exclame,triomphante.—Tum’ôteslesmotsdelabouche.Nousnousregardonssansvouloirdétournerlesyeux.—Onsortcesoir,dit-il.J’ailasensationquemêmesijelevoulais,jenepourraispasrefuser.—Laisse-moit’emmenerquelquepart.Tuesdéjàalléesurlajetée?ÀPacificPark?—Non.Troissemainesiciet jen’ai toujourspasmislespiedssurlajetée.Jenel’aiaperçuequedela
plage,çaal’airgénial.—Alorsonvaàlajetée.J’aiunebouledans lagorgedevantsonsouriremalicieuxetsesyeuxémeraudeétincelantsqui
renfermenttantdenon-dits.J’avaisraison.Lesbrunssontvraimentlesplusbeaux.
21
J’aimerais pouvoir affirmer que je suis en train de contempler les lasagnes d’Ella.Malheureusementc’estfaux.Mesyeuxglissentsurledînerpourseplanterdansceuxdugarçonassisen face demoi, lementon dans lamain.Ce garçon est la désinvolture faite homme. Je détaille laformedesonvisage,sabouche,sessourcilsfroncésetl’étincelledanssesyeux.Detempsentemps,quandpersonnenelevoit,ilsourit.
—Alors,Eden,faitmonpèrepourattirermonattention.Jebaisselesyeuxsurmeslasagnesquejetritureduboutdelafourchette.—Tuesbiensilencieusecesoir.Àquoipenses-tu?—Euh,je…hum…jebégaie,avantd’enfournerunebouchée.—Vousaimezmeslasagnes?nousdemandeElla.Changement de sujet salvateur. Nous acquiesçons : elle y a passé du temps. Même Tyler se
redresse pour lui faire un sourire. Elle lui a fait une assiette à part : lasagnes quatre fromages,végétariennes.
—C’esttrèsbon,Maman,fait-il.Levisagedesamères’illumine.J’observeleuréchangeenmedemandantcommentilsfonctionnent,touslesdeux.Laplupartdu
temps, Ella semble déçue par son fils, mais il se produit également de brefs instants decompréhensionmutuelleetsilencieuse.
Tylers’emparedesafourchetteetavaleuneénormebouchéequiretombeàmoitiésurlatable.Unpeuhonteux,ilritens’essuyantlabouche.
—Enfait,c’esttellementbonquejesuiscalé,maintenant.—Tuesdebonnehumeurcesoir,Tyler,remarquemonpère.Lèvrespincées,Tylercroiselesbrassurlatable.Ilfaitdesonmieuxpourréprimerunsourire
quandilcroisemonregard,maisjeleprendssurlefait.—Fautcroire.Ilselèvepourdébarrassersonassiettepuisseretourne,impassible.—Jesors.—Oùça?faitElla.Tuespuni.MêmeJamielèvelatêtepourentendresonexcuse.—MaisjedoisvoirTiffani…
Ilmentsibienquependantuninstantjelecroisaussi.Etpuisçamerevient.—Tun’aspasditquetuallaischezMeghan,Eden?Sonregardsévèremerappellequejedoismentiraussi.—Si,jeconfirme.Monpèresemblegober.—Jepeuxt’emmener,poursuitTylersursalancée.—Merci.Si je tente une réponse plus longue, je vais tout faire rater. Alors, avec un sourire débile, je
reposemescouvertsdansmonassiettependantqu’Ellaselèvepourranger.Tyler,lui,n’aaucunproblèmeàm’adresserunsouriremoqueur,commesinosparentsn’étaient
pasdanslapièce.Oualorsils’enfichetotalement.—Dixminutes?S’ilssavaient!—Vapourdixminutes.—Onseretrouveàlavoiture.Avecunclind’œil,ilsortdelacuisine.Jel’observesefrotterlanuque,enpantalonnoirettee-
shirtblanc.J’adoresafaçond’inclinerlatêtequandilmarche.Quelquessecondesplustard,jesorsdetableenm’excusantdenepasavoirletempsd’aiderElla
ànettoyer,etfoncedansmachambrepourmepréparer.J’arrangemescheveux,mebrosselesdents,metsduparfumetenfileunsweat…Lestrictnécessairequandonserendàunparcd’attractionssurunejetée…avecsondemi-frère.
Dixminutes plus tard, je descends à la voiture garée sur la route, puisqu’il n’y a pas assezdeplacedansl’alléepourtroisvoitures.
Tylerbaisselavitre.—Jet’ouvriraisbienlaportière,maisj’imaginequetonpèreauraitquelquesobjections.Àlafenêtredusalon,monpèretentesanssuccèsdesedissimulerderrièrelesstores.Jeluifais
signeetsoncorpsdisparaîtd’uncoup.—Oui,ilsedemanderaitd’oùteviennentcesmanières…—Hé!Tuapprendrasquejesuisunvéritablegentleman.Ilaenfiléunechemiseàcarreauxrougesursontee-shirtblanc.—Ahbon?—Ehoui.Ildémarre,ajustelaclimetlespare-soleil.—Bond’accord,cen’estpasvrai.Jesaissimplementcequ’onestcenséfaire.Toujourssortirde
lavoiturepourouvrirlaportière.Non?—Quelquechosedanscegoût-là,oui.Nouspartonsàtouteallure,cequinemesurprendguère.Nousapprochonsdufrontdemerquandjemedécideenfinàluiposerlaquestion.—Pourquoituasmentiàtamère?Pourquoinepasluiavoirditqu’onallaitsurlajetée?—Suisunpeu,Eden.Onveutéviterqu’ilsaientdessoupçons.—EtTiffani?Malgrémes efforts, je n’arrive pas à ignorer son existence. Jeme sens tellement coupable…
CommesilefaitqueTylersoitmondemi-frèren’étaitpasdéjàassezproblématique,jesorsendouceaveclepetitcopaindemonamie.
—C’estréglé.Ellecroitquejetraîneavecmespotes.Est-cequ’ilsesoucievraimentd’elle?
Ilyadumondesurlajetée.Leparkingestpleinàcraquer.Desfamilles,desgroupesd’amisetdescouplesquisetiennentlamainarpententlapromenade.JevoudraispouvoirtenircelledeTyler,moiaussi.Maisjenesuispasassezcourageuse,etencoremoinsenpublic.
—Bon,fait-ilentoussotant.VoiciPacificPark.J’adoraiscetendroitquandj’étaispetit,j’aienviedetelefairedécouvrir.
Jen’arrivepasàmedépartirdemonsourirenidurougeàmesjoues.Nousdescendonslapromenadeausonapaisantdel’océan,souslesoleildusoir,enparlantdece
qui nous entoure, ravis de la compagnie de l’autre. Nous tentons de comprendre pourquoi lesmontagnesrussessontpeintesenjaune,nouscommentonslescamionsderestaurationouencorelapositiondesbancs.Pourquoicelui-cifaitfaceàl’océantandisquecelui-làesttournéverslaville?
—Cetrucmefichaitlesjetons,m’avoue-t-ilenarrivantdevantl’entréeduparc.Au-dessusde lagigantesqueenseigne«PACIFICPARK»se tientuneénormepieuvreviolette.
Tylerenfoncelesmainsdanssespochesetpasserapidementlagrille.—Enfait,ilmefaittoujourslemêmeeffet,jecrois.—Aha!Tun’espassidurqueçafinalement!—Est-cequ’ungrosdurt’avoueraitqu’ilaimeàlafolielabarbeàpapa?dit-ild’unevoixaiguë.Nous nous approchons d’un stand de pop-corn, glaces et, bien sûr, barbe à papa. Tyler, tout
sourire,metendmonbâton.—Tuessûrquetuadoraiscetendroitavant?Plusmaintenant?Ilsecontented’avalerunebouchéeenlevantlesyeuxauciel.—Ilfautqu’onfasselesmontagnesrusses,marmonne-t-ilenguisederéponse.Jesuisdeplusenplusravie.Nousnousarrêtonsàunbancsouslagranderoue,quej’observetourneràl’infinienmangeant.—Eden…Jen’enparleraiàpersonne.C’estplussimplesion,euh…gardeçapournous.Pitié,
dis-moiquetusaisgarderunsecret.—C’estlecas.Cependant,cettesituationmemettrèsmalàl’aise.Jeneveuxpasdevoiragirendouce,mentiret
inventerdesexcuses.Maispourlemoment,illefaut.—Etjesaisquetoiaussitupeuxgarderunsecret.Tusemblesenavoirdestas.Avecunsouriredeguingois,ildévorelafindesonbâtonqu’iljetteavantdedésignerlesrails.—Allez,onyva.Sa persistance à ne jamais répondre à mes questions me frustre. Cependant, son silence est
révélateur. Il ne répond jamais parce qu’il sait que j’ai raison. Il sait que je comprends ce qu’ilvoudraitmecacher.
Nouspassonsdoncnotremardi soir à faire laqueueàdesattractionsdegamins, enchantés. Jevaismerappelerchaquemanègeetchaqueinstantdecettesoirée.Jemerappellerailerirehystériquede Tyler quand j’ai cru quema ceinture était cassée dans Pacific Plunge, qu’il s’est penché pourm’aideretquenosmainssesonteffleurées.JemerappelleraisescommentairessarcastiquessurleWestCoaster,quandlesgenshurlaientaumoindrevirage.Jemerappelleraiquandiladitquel’océanétaitbeaudepuislehautdelagranderoue,alorsqu’ilneregardaitmêmepasl’océan.Ilmeregardait,moi.
Ilesttardquandnousquittonsleparc.Lesnéonsilluminentlecielnocturnetandisquelefluxdetouristess’amenuise.Quandnousarrivonsàlavoiture,quelquesjeunessontentraindeseprendreenphotoàcôté.Prissurlefait,ilsdétalent.
—Çaarrivetoutletemps,meditTylerenmontant.IltapotelevolantdesonAudi.
—Jenesaispas troppourquoi.C’estLosAngeles. IlyadesLamborghiniet toutcegenredetrucsàchaquecoindeBeverlyHills.
Jemeretiensdefaireuneremarque,sanssuccès.—Commenttuaseucettevoiture?Pendantunmoment,ilal’airderéfléchiràlameilleurefaçondemerépondre.—J’aieumonhéritageavantl’heure.Etquandonreçoitautantd’argentd’uncoup,onn’estpas
vraimentraisonnable,non?Jesuisunado,évidemmentquejevaisledépenserdansunecaissedelamort.
Jenesaispass’ilritsincèrementous’ilritdelui-même.—Pourquoituaseutoutçaavantl’heure?Jesuiscurieuse.J’observesafaçondebougerquandilparle.—Parcequeapparemment, l’argentguérit tous lesmaux,fait-ilavecunsoupir.C’estvraiment
beaucoupd’argent.Mamèreestavocateetmonpère…Ildéglutitetjemesensunpeucoupabledelepresseravecmesquestions.Çanemeregardepas,
aprèstout.—Monpèrepossédaitsapropreentreprise.Degéniecivil.Surtoutelacôteouest.L’Oregonfaitpartiedelacôteouest,jemedemandesij’enaientenduparler.—Ças’appelaitcomment?—Grayson’s,fait-ilavecraideur.(Ildétournelesyeux.)Parcequ’ons’appelaitGrayson.Jesaisquejemarchesurdesœufs,maisj’aimeconnaîtrelesgensenprofondeur,comprendrece
quilesaconstruits.SurtoutTyler.—Avantledivorce?Ils’enfoncedanssonsiège.—Avantledivorce,jem’appelaisTylerGrayson.Mamèren’apasvouluqu’ongardesonnom.Jenesaisquerépondre.Peut-êtreparcequejesuistropabsorbéeparseslèvres.Jeretiensmon
souffle.Ilseredresseetposesurmongenouunemainquimedonnedesfrissons.Ils’humecteleslèvres.
C’estdelatorture.—Jepeuxt’embrasserencore?murmure-t-ilsansmelâcherdesyeux.Jefaiscommelui:jeneluirépondspas.Néanmoins,jemepenchesurluiententantdenepasme
disloquerunejambe.Jel’enfourche, ledoscontrelevolant.Moncœurpalpitecontresontorse.Cen’estpasidéal,maisçasuffit.
Sans lamoindrehésitation, ilprendmonvisageentresesmainsetm’embrasseavecfermetéetdouceuràlafois.Seslèvresremuent,commedansl’urgence.C’estencoremieuxqu’hier.C’est luiquicontrôle lebaiser,et ilmefaitdeschosesdont jenesoupçonnaismêmepasl’existence.Plus ilm’embrasse,moinsjemesenscapabledemepasserdecetteeuphorie.
Ses lèvres descendent surmon cou, je passe lesmains dans ses cheveux. Ses baisers dansmanuquemelancentdesdécharges jusqu’auboutdesdoigts.Lentementmaisfermement, j’inclinesonvisageverslemien.Jem’approchedesonoreille,lecœurauborddel’implosion.
—Tun’asmêmepasbesoindedemander.
22
Sansréfléchir,Tyleretmoisommesrentrésàlamaisonensemblelanuitdernièreetnousavonsdûprétexterqu’ilétaitpassémechercherenvoiture.Ellanousacrus.ElleademandéàTylersi lasoiréeavecTiffani s’étaitbienpassée, àquoi il a répondupar l’affirmative. Idem pourMeghan etmoi.
Puisnousavonséchangéunregardcompliceaufondduquelsecachaitnotresecret,unsecretquin’appartientqu’ànous.
Monpèrecommenceleboulotplustardcematin;àmonretourdujogging,jeletrouveentraind’errerdanslamaison.Jesuisépuisée.J’avaisprévudetrouverunnouveautrajetdanslaville,maisj’aifiniparcourirsurlefrontdemerentreSantaMonicaetVenice.J’aiécoutélebruitdesvaguesduPacifiqueaulieudemamusique.Presquerelaxant,malgréladouleurdel’effort.
—Tuparsàquelleheure?jedemandeenentrantdanslacuisineaprèsmadouche,lescheveuxrelevésenchignon.
Ilfourreunepilededossiersdanssasacocheetattrapesesclés.—Toutdesuite.J’aiuneréunionimportanteavecnosfournisseursetçanedéco…çanerigole
pas.—Tupeuxmedéposeràlapromenadeenpartant?Jerêved’uncaféfumantmaislamachined’icin’estpasàlahauteur.Etj’ailesjambessiraides
quejenemevoispasmarcherjusqu’àThirdStreet.TylerestausportavecDean,quantàElla,elleaemmenéJamieetChaseàlachasseauxautographes.Apparemment,BenAffleckseraitdanslecoinaujourd’hui.
Monpèrebougonne.—Bon,alorsviens.Jemeprécipiteàl’étagepourenfilermesConverseetprendredel’argent.Monpères’impatiente
enbas.Stresséetmalàl’aise,ilm’emboîtelepasjusqu’àlaLexus.Ildonnel’impressiond’êtresurlepointdefondreenlarmessionluiadresselaparole,alorsjedécidedemetaire.Unsilencequinedurequedixminutes.
—Alors,faitmonpèreens’éclaircissantlavoix.Tupassesunbonété?—Pasmal.Euphémismedel’année.Cetétéestunrêveéveillédontjenesemblepasvouloirsortir.Toutce
quis’estpassécesdernièressemainesestsinouveau,simaletpourtant…siexcitant!
—Iciceseraparfait,dis-jeendésignantletrottoirdeSantaMonicaBoulevard.Jedescendsmaisavantquej’aierefermélaportière,monpèresepencheversmoi.—Soisprudente.L.A.n’estpasaussisûrequePortland.—En fait, le tauxdecrimes sexuels àPortlandadépassé lamoyennenationale.Bonnechance
pourtaréunion.Monpèreécarquillelesyeuxmaisjerefermelaportièresansmeretourner.Sacàl’épaule,jeme
dirigeversTheRefinery, lepetit caféqui fait desboissons au caramel à sedamneroùRachael etMeghanm’ontemmenéeaudébutdesvacances.L’endroitestassezcalme,seuleunedemi-douzainedeclientssirotentleursboissonsfumantesenlisant,devantleurordinateur,ouavecdesamis.
Aucomptoir,laserveusemesourit.Lemenuderrièreelleestécritàlacraie,j’adore.—Qu’est-cequecesera?—UnSkinnyVanillaLatte,trèschaud,avecsupplémentcaramel.Jeposecinqdollarssurlecomptoirenmesentantcoupablededemanderunsupplément.Maisça
fait desmois qu’Amelia essaie deme convaincre qu’on a le droit de se faire plaisir de temps entemps.
—C’estparti.Jevousl’apporte,fait-elleenmerendantlamonnaie.Jem’installeàunepetitetablecontrelemur.J’adoreobserverlesgensautourdemoi.Jemepose
des questions sur leur vie.Où ont-ils grandi ?Combien de frères et sœurs ont-ils ?Quel est leurparfumdeglacepréféré?
Etsurtout,jemedemandesileurétéestaussicompliquéquelemien.—Voilà pour vous, dit la serveuse en posant unmugdevantmoi, quelquesminutes plus tard.
Bonnedégustation.J’attendsqu’elledisparaissederrière lecomptoirpourprendreunegrande lampée.Maboisson
estbrûlantemaisçam’estégal,elleestexcellente.JedénichemesécouteursdansmasacocheetmetsLaBreveVitaavantdefermerlesyeuxpour
m’absorberdanslamusique.Jesuiscontented’avoiratterriparhasardàleurconcert.Leursparolessontprofondes;leschansonsparlentdeserreurspasséesetdenotreavenir.Danslaplupart,lepontestenitalien.
Soudain,jeperçoisdumouvementdevantmoi.J’ouvrelesyeuxetmeredresseensursaut.—Salut.—Tum’asfaitpeur!Cen’estqueDean.Ilal’aird’avoircouruunmarathonetdes’êtreévanouiavantd’atteindrela
ligned’arrivée.—Désolé.Jecommandaisuncaféetjet’aivue.—Tusorsdelasalledesport?—Çasevoittantqueça?fait-ilens’essuyantlefrontdureversdelamain.—Non.Uneidéemetraversel’esprittandisquejebois.—Tylerestavectoi?jedemandeenobservantlesalentoursenquêted’unepaired’yeuxvertset
d’unetouffedecheveuxnoirs.—Non,ilestpartiàMalibufairelustrersavoiture.—Oh.Çanemesurprendpas.—Qu’est-cequetuécoutes?fait-ilensepenchantpourregarderl’écrandemontéléphone.Pas
possible!—Ilssonttropbien.—C’estlaquelle,tapréférée?—Ah,difficileàdire,jedisenconsidérantlestroisalbums.Jecroisquec’est«HoldingBack».
Deancroiselesbras.—Incroyable.—Quoi?Ilmeregardedansleblancdesyeuxavecunsourirediscret.—C’estaussimapréférée.—Elleestvraimentgéniale.—C’estclair.Ilal’airravideresterplantélààmeregarderboiremoncafé.Finalement,ils’assoitetsortun
billetdecinqdollarsdesonportefeuille.—Jet’offretoncafé.Cinqdollarspourremboursertesfrais.Tescinqdollars.J’examinelebilletfroissé.Ilyaquelquechosegriffonnéaudos.«ARGENTESSENCEEDEN».
Çaalors.—Tul’asgardé?Ettuasécritdessus?—Pournepasoublierdetelerendre.—Maisjen’enveuxpas!—Dommage.Avecunsourirepenaud,ilfermemesdoigtssurlebilletetrepoussemamain.Jefinisparlerangerenrigolantetretourneàmoncafé.Deansoufflesurlesien.—Tufaisquoiaprès?—Jevaissûrementrentrer.ÀSantaMonica,jeprécisedevantsonairperplexe.PasàPortland.—C’estcequimesemblait.Tuasbesoinqu’onteramène?L’undesavantagesd’êtrenouveauenvilleetdenepasavoirdevoiturec’estqu’onn’amêmepas
besoin de demander, les gens vous le proposent par pitié. De toute façon, je n’aimême pasmonpermis.
—Siçanetedérangepas.—Aucunsouci.Viens.Jeterminemoncafé,attrapemesaffairesetlesuisàl’extérieur.Lecielensoleillédecematina
finiparsecouvrir.—Oùestpassélesoleil?—Contrairementàcequetoutlemondecroit,lapluieexisteenCalifornie.Il attendun creuxdans la circulationpourm’entraîner de l’autre côté de la route à sa voiture.
Commenta-t-ilfaitpoursegarersuruneplaceaussiminuscule?—C’estrare,maisilarrivequ’ilyaitdestempêtesd’étéquidurentaumoinsunejournée.Elles
débarquentdenullepartetsontsuperdenses.—Çanemefaitpaspeur.Lapluie,c’esthuitmoissurdouzeàPortland.—Quellehorreur.Nousparlonsdefutilitésdurantletrajet:lapluie,laneige,lescafésetlesparfumsdenappage.
J’adorelecaramel,pourDeanc’estlacannelle.Monhumeursedégradeenconstatantl’absencedelavoituredeTylerdansl’allée.Jenel’aipasvudepuiscematinetilcommenceàmemanquer,aussipathétiquequecesoit.
—Mercidem’avoirramenée…unefoisdeplus.J’ailesjouesrougesquandilmeditqu’iln’yaaucunproblème,etsoudainuneidéebrillanteme
traversel’esprit.Tellementbrillantequej’enpleurederire.Jefouilledansmasacochepourattraperlefameuxbilletdecinqdollarsgriffonnéetleplacesurletableaudebord.
—Pourl’essence,jedis.Deanpartd’ungrandrire.
—Àlaprochaine!La voiture de Tyler n’est peut-être pas là, en revanche la Ranger Rover, oui. Ce qui signifie
qu’Ellaestici.Lamaisonestsilencieuse.Danslesalon,Ellaestassisesurlecanapédevantunepiled’albumsphotos.
—Alors,vousavezrencontréBenAffleck?Sesyeuxbleusselèventsurmoietellerefermed’uncoupl’albumqu’elletient.—Ilyavaitbeaucoupdemonde,etbeaucoupdevoitures.J’aiditauxgarçonsquejen’allaispas
payerleparking.Ducoup,jelesaidéposéschezleurscopainsàlaplace.—Turegardesquoi?— Oh, rien. De vieilles photos. Il n’y avait personne alors je me suis dit… je suis allée les
chercheraugrenierpourlesregarderenvousattendant.Lesgarçonsdétestentquejesortelesphotosd’euxbébés.
Elleétouffeunrireencaressantlacouvertureabîméedel’album.—Jepeuxvoir?Jemefaisuneplaceparmilesalbumssurlecanapé.Ellarouvrelesienentrenous,presquenerveusement.—Ça,c’estàlanaissancedeChase.Plusieursphotosmontrentunnouveau-néencouverturebleuedansunlitd’hôpital.Danstoutes,
Chasepleure,presqueviolet.Lespagessuivantesrévèlentd’autresphotosàl’hôpital,maiscettefoislenourrissonestdanslesbrasd’unefemmed’âgemûrquejeneconnaispas.Danslasuivante,ilestpassédanslesbrasd’unhommedumêmeâge.
—Lesgrands-parentsdesgarçons,m’informe-t-elleavecraideur.Je commence à remarquer des espaces vides aux contours estompés, comme des photos
manquantes,puisEllas’esclaffedevantunepage.—Bonsang,j’avaislescheveuxlongs.Chase semble avoir quelques semaines de plus, il ouvre de grands yeux alertes dans les bras
d’uneElla plus jeune, aux longs cheveux blonds, prise en flagrant délit de fou rire.Elle a l’air sijeune, si heureuse, si insouciante. Comme si, à ce moment-là, sa vie était parfaite. Un enfants’accrocheàsonjoggingviolet.Sescheveuxblondsm’indiquentquec’estJamie,ildoitavoirtroisans.
—C’estunpeubrutdedécoffrage,s’excuse-t-elleenprenantunautrealbum.Çac’estl’albumdeTyler.
Voilàquim’intéresse.Jem’installeunpeuplusconfortablementetregardeavecaviditél’albumnoir qu’Ella ouvre. Vide. Elle tourne quelques pages. Vides. Au bout de la sixième page, noustombonssurdeuxphotos.Unbébéminusculedansunecouveuse,sipetit,sifragileetsirose.
—Ilétaitprématurédequatresemaines.Ilestnéenjuinaulieudejuillet.—Jenesavaispas.Nousfeuilletonsd’autrespagesvidesjusqu’àunclichéd’Ellasurunlit,dansunepiècesombre,
Tyler lovéàsescôtés.Ellea l’airencoreplus jeune,presqueuneado,peut-êtreunandeplusquemoi.Elleporteunequeue-de-chevalnégligéeetal’airépuisée.Jem’abstiensdetoutcommentaire.
SurladernièrepageTylerestunpeuplusvieux,ilestdeboutetporteunminusculesmokingnoir.Ilfaitungrandsourireàl’appareiletjesourisàmontour.Iln’apaschangé.
—C’étaitàmonmariage.C’estunpeubizarredel’entendredireçaalorsquejesuislafilledesonnouveaumari,maistout
celam’intéressebeaucoup.—Tut’esmariéequand?
—À vingt et un ans. C’est Tyler quim’a amenée à l’autel, parce que je ne parle plus àmesparents.Iln’avaitquequatreans,maisilaadoré.
Ellerefermel’album.—C’esttout?Seulementhuitphotos?—Avant,ilétaitrempli.Tylerenabrûlébeaucoup.—Brûlé?—Ilafaitunfeudans le jardin.Ilnevoulaitpas lesgarder.Je l’ai laisséfaire, j’aicruqueça
l’aideraitàsesentirmieux.Elleattrapeunnouvelalbumsansme laisser le tempsdeposerd’autresquestions.Cedoitêtre
celuide Jamie,mais à cemoment-là, laported’entrée s’ouvre.Nousnous attendons àvoirTyler,maisc’estunevoixféminine,reconnaissable,quiretentit.
—Ella?—Jesuislà,Tiffani!crieElla.Qu’est-cequ’elleficheici?—Ah,salutEden,faitTiffanienentrantdanslesalon.—Salut.J’aidumalàsoutenirsonregard.J’ai l’impressiond’êtreundealerdedroguefaceàunagent
fédéral.—Tylerestlà?Ellamepassel’albumetserelèveendéfroissantsesvêtements.—Jenel’aipasvudelamatinée.Tul’asappelé?Ilestpeut-êtreencoreàlasalledesport.—Jel’appelledepuishiersoir.Ilm’ignore.Etd’ailleurs,enparlantd’hiersoir,oùétait-il?Àcemomentprécis,mon cœur s’arrête debattre,mon sangne fait qu’un tour. Je n’ai qu’une
choseen tête : ona complètement foiré.PourquoiTyler a cruquecette excuse fonctionnerait ?Etpourquoiai-jeapprouvé?
Jem’apprêteàdécédersurplacequand laported’entrées’ouvreànouveau.Cette fois,c’est lapersonnequenousattendions.Savoixgraveleprécède.
—Qu’est-cequetufaislà?—Oùétais-tuhiersoir?demandeTiffani,glaciale.J’aperçoisunepartiedesonvisagepar-dessusl’épauledeTiffani.Ildéglutitrapidement.—Jetel’aidit.J’étaisaveclesgarçons.—Tyler,intervientElla.(Jelevoisjurermentalement.)Tum’asditquetuétaisavecelle.Oùes-
tualléhiersoir?—Oh,maisqu’est-cequeçapeutfaire?JeretiensmarespirationquandEllasetourneversmoi.Jesensquejevaisdevenirbleue.—Eden,oùest-ilallé?Tous les yeux se braquent surmoi.Ceux d’Ella sont sévères, ceux deTiffani furieux, quant à
Tyler,ilal’airdemesupplierdenepastoutfairerater.— Hum, il m’a déposée chez Meghan et puis il a changé d’avis. (Pitié faites que je reste
cohérente.)Iladécidéd’allervoirlesgarçonsàlaplace.—Tuvois?faitTylerens’avançantversTiffaniquilerepousse.—Nem’adressepaslaparole.Eden,suis-moi.Ilfautqu’onparleavecRachaeletMeghan.Tout
desuite.Je cède à son regardmenaçant.Ellem’attrape par le poignet pourme faire sortir du salon en
bousculantTyler.Je l’aperçois serrer les poings avant de sortir. Je n’ai même pas le temps d’enfiler mes
chaussures,onmetraîne,piedsnus,jusqu’àunevoiture.
Unefoisinstallée,elleéclateensanglots.Latêtedanslesmains,ellepleurecontrelevolant.Deslarmesanarchiquesquiluicoupentlesouffle.
—Çava?Jem’enveuxàlaseconde.Évidemmentqueçanevapas.Jeluifrotteledosmaisçan’apasl’air
demarcher.—Qu’est-cequ’ilya?Après quelques nouveaux sanglots, elle finit par lever la tête. Elle démarre, encore essoufflée.
Toutsonmascaraacoulé.—Tunevaspaslecroire.RachetMegnousretrouventchezmoi.Ilfaut…ilfautjustequejevide
monsac.Le silence s’installe.Heureusement qu’elle habite à côté. Je ne supporterais pas ses pleurs dix
minutes de plus. Ces dixminutes-là, en revanche, je les passe le ventre noué. Je suis sûre qu’ellepleureàcausedeTyler.
LesvoituresdeRachaeletMeghansontdéjàlàetlesfillesseprécipitentversnousàlasecondeoùnousnousgarons.
—Tiff!Ças’estmalpassé?demandeRachaelenlaprenantdanssesbras.Rappelle-toiquec’estmonvoisin,jepeuxmeglisserchezluipourl’émasculerpendantlanuitquandtuveux.
C’estbienlafautedeTyler.Est-cequ’elleestencolèreparcequ’ill’alaisséetomberpourvoirsespotes?Çameparaîtridiculedepleurerpourça.Cedoitêtreplusgrave.
—Combiendefoisont’amiseengarde?demandeMeghanenluiprenantlamainpourlaguiderdanslamaison.Tusaisquecen’estpaslapremièrefois,Tiff.
—Lesautresfoisc’étaitdesrumeurs.Làilyaunepreuve!—Unepreuvedequoi?jedemandeàleursuite.—Pourl’amourduciel,Eden,suisunpeu,mechuchoteRachaelavecunregardnoir.Çanerépondpasàmaquestion.Tiffanis’écroulesursonlit.—Reprendsdudébut,luiditdoucementMeghan.Nous sommes assises sur le bord de son matelas, comme si elle était la reine et nous des
servantes.D’ailleurs,c’estunpeuça.—Jevousaidéjàraconté.J’allaisprendrelecourriercematinetj’aicroiséAustinCameronen
voiture.Ils’estarrêtéetilm’ademandésij’avaisaimémanuitavecTyler,etiln’arrêtaitpasdefairedesclinsd’œilcommelegrosperversqu’ilest.Jen’aipascomprisalorsilm’aditqu’ilnousavaitvussurlajetée,lanuitdernière.Maismoijen’étaispasàlajetée.
C’est très simple, je ne respire plus. Je suis bouche bée.Ce n’est pas à cause deTyler qu’ellepleure.
C’estàcausedemoi.—TuasditàAustinquecen’étaitpastoi?demandeRachaelenluitapotantlegenou,commesi
çaallaitlaréconforter.—Évidemment.Ilétaitsûrd’avoirvuTyler«prendresonpied»danssavoiture,surceparking
pourri.Ilacruquec’étaitmoi,puisquejesuissacopine.—Ilneteméritepas,ditMeghan.Tiffanifermelesyeuxetpousseunsoupir.—AustinareconnulavoituredeTyler,iladitqu’illareconnaîtraitlesyeuxfermés.C’étaitsa
plaqued’immatriculation.Maisiln’avuqu’unesilhouettedefille,pasdedétails.Avecunrâledefrustration,elledonneuncoupdepoingaupremieroreillervenu.— Pourquoi il a fallu qu’il mette des vitres teintées ? Je croyais que c’était interdit, et je
commenceàcomprendrepourquoi.Çafaitlejeudesinfidèles!C’estmafaute,toutestmafaute.
—Ilm’aditqu’ilétaitaveclesautres,maisiladitàsamèrequ’ilétaitavecmoi!C’estqu’unsalementeur!
Àcoupsdepoing,elledétruittoutcequiluipassesouslamain.Jen’osemêmepasimaginersaréactionsiellesavait.
—Ilétaitentraindesetaperunegarcependanttoutcetemps!Çamerendmalade.Jevaisvomir.—Ilfautquetucassesaveclui,Tiffani,ditRachaelcommesielles’adressaitàunegaminede
troisans.Tiffaniseremetàpleurer,lescheveuxdevantlevisage,ets’essuielesjouesavecsacouverture
quinerestepassèchetrèslongtemps.—Jenepeuxpas!J’aibesoindelui.—Peut-êtrequ’Austinn’apasbieninterprété?jesuggère,tantbienquemal.Malgrémagorgesèche,jefaisdemonmieuxpourparlernormalement.Faiscommesiderien
n’était.Rachaelmelanceunregarddésapprobateur.—Eden,jesaisqu’ilestdetafamilleettout,maiss’ilteplaît,neledéfendspas.—Maisnon.Jemesensminusculeetàlavérité,cen’estpasTylerquejedéfends,c’estmoi.NousécoutonsTiffanividersonsacpendantvingtbonnesminutesjusqu’àcequ’ellesecalmeun
peu.Jemetaisdepeurdemetrahir.RachaelsuggèredifférentesméthodesdevengeancetandisqueMeghanproposequenoussortionsmangeruneglace.Tiffanirefusesousprétexteque«sijedeviensgrosse,ilauraencoreplusenviedemetromper».Est-cequ’elleestentraind’insinuerquelesfillesplusgrossesnesontpasattirantes?Quelesgarçonsnevontpasverslesfillesquiontdesformes?Jenesaispas,maisentoutcasçam’énerve.
Finalement,elledécidequ’elleveutdormiretnouscongédie.Elleabesoinderesterseuleetmoijesuisraviedepouvoirenfinsortirdelà.Rachaelmeproposedemeramener,m’épargnantainsidedevoirtraverserlequartierpiedsnus.
—Appelle-nouss’ilsepasseautrechose,ditMeghandevantlaporte,àTiffaniaffaléesursonlit.Tiens-nousaucourant.
—D’accord.Est-cequejepeuxparleràEdenuneseconde?Je considère l’idée de supplier les filles de nepasme laisser seule avec elle,maisRachael ne
m’enlaissepasletemps.—OK.Jet’attendsàlavoiture,Eden.Lesilenceretombedanslachambre.LavoixdeTiffaniestétoufféeparsacouverture.—Cequ’onseditdanscettepiècerestedanscettepièce.Interdictionderapporterquoiquecesoit
àTyler.—Pas de problème. J’espère que ça va aller, dis-je en observant avec envie l’escalier dans le
couloir.—Non.Mais,Eden?—Oui?Lesyeuxgonflés,elleseredresseetcroiselesjambes,l’airpincé.Uneexpressionquejenelui
connaissaispaspassedanssesyeux,unéclatétrangeetsiperçantqu’ilmedonnedesfrissons.—Jesaisquetun’étaispasavecMeghanhiersoir,puisquej’étaisavecelle.
23
Àmon retour à lamaison,Tylerm’attenddans l’entrée, bras croisés. Il a l’air sur le point demontersurlering,prêtàmettresonadversaireK.-O.Saufquejenesaispascontrequiilsebat.
Ils’avanceversmoi,poingsserrés.—Qu’est-cequ’elleadit?Qu’est-cequetuluiasdit?Plusdetraced’Ellanidesalbumsphotosdanslesalon.—Oùesttamère?—PartiechercherChase.Maintenant,dis-moicequis’estpassé.Devantsestraitsdurs,j’essaiedecomprendrecequisepasse.Jesuisterrifiée.—Onnousavushiersoir.AustinCameron…Ill’aditàTiffani.—Tudéconnes?Dansunaccèsd’adrénaline,ilsemetàfairecraquersesarticulations.—Jevaisdémontercetteespècedeconna…—Personnenesaitquec’étaitmoi,dis-jeenmetordantlesdoigts.Elleestbouleversée,Tyler.Maispasseulement,elleestaussifurieuse.J’ail’impressionqu’ellenoussoupçonne.Ellesaitque
Tyleretmoiavonsmentiàproposd’hiersoir,etmalgrémesminablestentativesd’explication,ellem’afaitcomprendrequ’ellecomptaitdécouvrircequejecache.Quandj’ypense,j’auraissûrementputrouverunemeilleureexcusequecellequejeluiaiserviesouslapression:monpèreetEllanemelaissentsortirques’ilssaventquejevaisdansunendroitsûr.Convaincant?PaspourTiffani.Jenevaisplusjamaispouvoirlaregarderenface.
Lesilences’installe.Tylers’apaiseetdesserrelespoings.Ducoindel’œil,jelevoissefrotterlanuque.
—Jevaism’enoccuper.Bon,elleesténervée,j’aicompris,maisjepeuxmefairepardonner.Jevaisluidirequej’aicommisuneterribleerreur,jevaisluifaireuncadeau,ellevaoublierettoutserabienquifinitbien.Après,onpourras’occuperdureste.
Jeresteinterdite.—Maisnon,toutnefinitpasbien!Riennevabien,Tyler!Ilfautqueças’arrête.—Quoi?—Ça!dis-jeennousdésignant.Je n’aurais jamais dû laisser quoi que ce soit arriver.Maintenant, je suis dedans jusqu’au cou.
Troisséancesdebaisersdetrop.
—Tuasunecopine,Tyler.Jerefused’êtredanscetteposition.—Çan’arriverapas,conclut-ilfermement.Puis,avecunsourire,ils’avanceversmoi.Lachaleurdesapeaumedonnelachairdepoule.Il
m’attirecontreluipourm’embrassermaisjelerepousse.Surpris, ilouvrelesyeuxetmelanceunregardmauvais.
Maisàquoiilpense?Ilestcomplètementcinglé.—Turigoles, là?Cen’estvraimentpaslemoment.Mêmesi tupouvaisgarantirqu’elleneva
riendécouvrir,etc’estloind’êtrelecas,jeneferaispasça.C’esthorsdequestion,dis-jeavecunebouledanslagorge.
—Allez.Onvatrouverunesolution.Ilnesouritplus,maisilatoutdemêmel’aircontentdelui.Jemeretournedansl’escalier.—Comment,Tyler?Onn’aquedeuxoptions.—Deuxseulement?—Deux.Jerevois lemascarasous lesyeuxdeTiffanietsesoreillersmouillésde larmes.Lui, iln’ena
rienàfaire.—Tudoislaquitter.—Non.Impossible.—Pourquoipas?Ilprendsontempspourrépondre,commes’ilallaitignorermaquestion.—Parcequec’estpluscompliquéquetunelecrois.Tiffaniest…Bon,laissetomber.Jesens,malgrémafrustration,qu’ilnevautmieuxpasinsister.Alorsj’attendsqu’ilpoursuive.—C’estquoil’autreoption?—Onfaitcommes’iln’yavaitrienentrenous.Ça fait mal, mais je sais que c’est la seule solution logique. S’il veut rester avec Tiffani, on
redevient demi-frère et demi-sœur, rien de plus. Pas de flirts secrets, pas de baisers volés, pasd’allusionssexuelles.S’ilveuttoutça,alorsilnerestepasavecTiffani.Parcequelesdeuxenmêmetemps,ças’appelletromper.
—Engros,fait-ilencroisantlesbras,sijecasseavecTiffani,jepeuxêtreavectoi?C’estelleoutoi,c’estça?
Ilal’airfouderage.Jenecroispasquecesoitcontremoi,maisplutôtcontrecettesituation.Moiaussi.
—Tuasl’airsurpris?Çameparaîtévidentcommeultimatum.Tuauraisdût’endouter.Les deuxmains sur la tête, ilmarmonne dans sa barbe puis fait volte-face et disparaît dans la
cuisine.Pourmapart,jegrimpel’escalieràgrandspasetclaquelaportedemachambre.Quelquessecondesplustard,jemeprendsdéjààdouter.Jemeposedesmilliardsdequestions.
Laplusgrandedetoutes:pourquoisuis-jeattiréeparTyler,déjà?Jenetrouveaucuneréponseacceptable.C’estmal,c’esttout.Pourcommencer,jesuisattiréepar
mondemi-frère.Laseulepenséequequelqu’unledécouvrem’estinsupportable.Onseraitlespariasde lasociété.Maiscequimedéconcerte leplus,cesont toussesdéfautsque jedevraishaïrsansyparvenir. Comment un type qui se fiche à ce point de tout peut-il me fasciner autant ? Je devraisdétester son arrogance et son égocentrisme. Mais je n’arrive plus à le mépriser, malgré sesremarques déplacées, tous les joints qu’il fume, tout l’alcool qu’il ingurgite, parce que je suis àprésent convaincue que ce n’est qu’une façade. Il y a autre chose, quelque chose de fascinant sousl’image du mauvais garçon qu’il essaie de faire gober. Je crois que je suis en train de tomberamoureuse.
Siseulementc’étaitfaux.
Uninstantplustard,EllaetChasesontderetour.Ellapasselatêtedansmachambrepourvérifierquejesuislàcarlamaisontropsilencieuselametmalàl’aise.Avecunpetitrirefeint, jelalaisseallervoirson trèsscandaleuxfilsaîné.Jene l’aipasentendurentrerdanssachambremais iladûavoirlemêmeréflexequemoi,puisqueleursvoixrésonnentderrièrelemur.
IlssedisputentpendantquelquesminutespuisEllabaisselesbrasetlelaisse.C’estleurroutinequotidienne : elle tente de percer ses défenses, il hurle contre elle, elle bat en retraite. Encore etencore.
Ellerevientunpeuplustardpourmeforceràdescendredîner.Jen’aipaslechoix,jelasuisdanslacuisine.PapaetChasesontdéjàinstallésàleurplacehabituelleetTylerestlà,évidemment.
—Tuasfaim?faitmonpèreendesserrantsacravate.—Non.C’étaitbientaréunion?JesensleregardnoirdeTylermetranspercerdepartenpart.—Pastropmal.Elladéposedestraversdeporcsurlatable,provoquantunhaut-le-cœuràTyler,etposeunemain
surl’épauledemonpère.—Dave,tuasditqueças’étaittrèsbienpassé.Illuioffrelemêmegenredesourirequ’ilfaisaitàmamèreavant,quandonétaitheureuxtousles
trois.Cespetitsgestess’étaientarrêtéslongtempsavantledivorce.—Hmm,oui,laréunions’esttrèsbienpassée.—Tantmieux,jeconclus.Tylerselèveenfaisantcrissersachaise,avecunegrimacededégoût.—Jenepeuxpasresterlà.Jemontedansmachambre.—Maistonassiettearr…—J’aidestrucsàfaire.Jelaferairéchaufferplustard.Ilpartsansseretourner.—Bon,deuxenfantsdemoins,faitEllaavecunsoupir.Chase,enrevanche,sembleapprécierl’idée.—Plusdeviandepourmoi!s’écrie-t-il.Le dîner à quatre se déroule bizarrement. Je parle avec Chase tandis quemon père et Ella se
racontentleurjournéeendétail.JerefileunoudeuxtraversàChaseendouce.Toutsepassebien jusqu’àceque le téléphonesonne.Monpèreva répondreet revient,clésde
voitureenmain.—C’étaitGrace,Jamieesttombésursonpoignet.Elleditqu’ilestpeut-êtrecassé.Ilvautmieuxy
aller.—Ohnon,c’estpasvrai,pasencore!—Çavaaller.Viens,onvalechercher.Ellavérifielacuisinepours’assurerqueriennevaprendrefeupendantsonabsence,puisellese
tourneversmoi.—Est-cequeTylerettoipouvezgarderunœilsurChase?—Allez-y,dis-jeavecunsignedetête.Ellesuitmonpèrejusqu’àlavoiturequ’ildémarreàlahâte.Bientôt,onn’entendplusrienque
Chasequilapelasaucebarbecuedanssonassiette.—Pasmalcestraversdeporcs,hein?dis-jeendébarrassantlatable.—Tropbien!fait-ilenjetantledernierosdanssonassiette.—Jamiesecassesouventlepoignet?—Non,dit-ilenm’aidantàdébarrasser.C’estTyler,d’habitude.—Oh.Jelecroyaisplussolidequeça.
Lacuisineestrangéeendixminutes.Jevérifiequelaported’entréeestverrouilléeetChaseseplantedevantlatélé.MaintenantqueTyleretmoisommespresqueseuls,c’estlebonmomentpouraller lui parler. Je ne sais pas si c’est contremoi ou contre lui-même,mais il est en colère, et jepréfèrelevoirdebonnehumeur.
Jeletrouveassisauborddesonlit,têtebasse,mainsjointes.—OndoitgarderChase,luidis-jepoursignalermaprésence.Jamies’estcassélepoignet.Ilselèved’unbond,paniqué.—Qu’est-cequis’estpassé?Oùest-il?Qui?—Hein?—Jeveuxdire…Comment?Ilal’airauborddel’évanouissement,ilfautqu’ilsedétende.—Jecroisqu’ilesttombé.Ilparaîtquetut’escasséletien,toiaussi,grosdur.Mablaguetombeàl’eau.Ilal’airaussifurieuxquechoqué.—Quit’aditça?—Euh,Chase.Qu’est-cequinevapas?Pourquoiest-ildanscetétat?Ils’avanceversmoi.—Qu’est-cequ’ilt’aracontéd’autre?—Rien,jesoufflesoussonregardperçant.Unautrepas.—Tuessûre?—Arrêtedeflipper.Oui,sûre.—Tusaisquoi?J’enaimarre,fait-ilensedirigeantdanssasalledebains.J’enaimarredevous.
J’enaimarredetesquestionsdébilesetdespleurnicheriesdeTiffani.Là,toutdesuite,jen’enpeuxplus.
Ils’accrocheauborddulavabo.—Tut’énervespourrien,dis-jeenm’approchantdeluidanslapièceétriquée.—Faisgaffeàlaporte,leverrouestpété.On dirait qu’il va arracher le lavabo du mur, alors je pose une main sur son bras, mais il
tressailleets’écarte.—Ilmefautunedose.Il ouvre son armoire à pharmacie et s’empare d’une liasse de billets sur l’étagère du haut. Je
remarqueuntasdeflaconsdepilulesetcachetsétalésunpeupartout.Maiscen’estpasmonproblèmenuméroun.
Jememetsentraversdesoncheminpourbloquerlaporte.—N’ypensemêmepas,j’articule.Ilsepenchecontremajoue.—Eden.Il.Me.Faut.Une.Dose.Toutdesuite.—Parcequelacokevaarrangertoustesproblèmes,c’estça?—Eden.Bouge tes jolies petites fesses de là avant que jem’énerve pour de bon. Je dois voir
Declan.—Horsdequestion.Àmontourd’êtrefurieuse.Commesiladrogueétaitlasolution.C’estpitoyable.Qu’est-cequ’il
croit?J’aiunproblème,allonsleréglerendétruisantmavie?Ladrogue,çanesertqu’àretarderleproblème.
Ilécrasesapaumecontrelemuràquelquescentimètresdemonoreille.—Tun’asrienàdire!
Cequ’il ignore, c’est que c’est bienmoi qui décide, parce que sans s’en douter, ilm’a révélécommentl’enempêcher.Tandisqu’ilestoccupéàmefixerdesonairpincé,j’attrapelaporteetlarefermesurnousdeux.Jem’appuiedetoutmonpoidsjusqu’àentendreunclic.
Leverroupété,commeiladit,vientdedevenirmonmeilleurami.
24
Un silence tendu s’installe dans la minuscule salle de bains. J’ai le cœur prêt à imploser. Lalumière des néons révèle chaque émotion qui passe dans les yeux verts deTyler.Une étincelle desurprisebrilleaumilieudesonindignation.
—Tudéconnes?Il chercheenvainune fenêtrequin’existepas, commesi fixerassez longtemps lesmursallait
faireapparaîtreuneissue.Maisendehorsdecesquatremursetd’uneporteverrouillée,iln’yarien.—Non.Jem’impressionnemoi-mêmed’avoir,enunquartdeseconde,prislabonnedécision,celledene
paslaisserpartirTyler.Jemefichedemeretrouverauborddelaclaustrophobieetderesterbloquéeici pendant des heures. Peut-être que la seule solution pour sortir est de démonter les joints oud’enfoncerlaporte,peut-êtreallons-nousdevoirattendreicitoutelanuitqueledépanneurvienneànotresecours,oupeut-êtrequejem’enfiche,toutsimplement.
Tyler,enrevanche,nes’enfichepasdutout.Sonuniquepréoccupationestdesortird’ici,etcetteportecoincéeestleseulmoyen.Ilmecontournepoursecouerlapoignéeavecvéhémence,envain.
—Laissetomber,jedisenétudiantlesveinesdesesbras.Iltiresurlapoignéeencoreuninstantavantd’accepterlefaitquecesoir,ilneverrapasDeclan
Portwood.Lesdeuxmains sur la nuque, il observe le plafond en respirant profondémentpour se calmer.
J’aime sa façon de soupirer, sa façon de fermer les yeux, quand ses épaules et sa poitrine sesoulèvent.Quandilreprendenfinsesesprits,ilsetourneversmoi,indignéeténervé.
S’ilattenddesexplicationsoudesexcuses,ilpeuttoujourscourir.—Jesuisdésoléedenepasenavoirrienàfaire,jeluidis.Ilvafalloirquetutrouvesunautre
moyendetedistraire.Unealternative.Unequinetetuerapas.Iljetteunnouveaucoupd’œilàlapièceetfinitpartrouversonrefletdanslemiroir.Ilnepeutpas
soutenirtrèslongtempslaflammedanssespropresyeux.—Tuétaisentraindedevenirmadistraction.Maisapparemment,c’estimpossible.Que répondre ?Lesmotsneparviennentpas à sortir demabouche. J’inspire à fondet, quand
j’arriveenfinàarticuler,mavoixestdouce,commesinousrisquionsd’êtreentendus.—Enquoijesuisunedistraction?Illèvelesyeuxavecappréhensionetcherchelaréponse.
—Parcequeturendsleschosesunpeuplusfaciles.Parcequejemeconcentresurtoiaulieudetoutlereste.
Sesparolesmeparalysent.—Alorsn’arrêtepas,jedisd’unevoixtremblante.Sanstropsavoircequejefais,jem’avanceverslui.C’estcequimeparaîtbien.Ilrespirefortetclignedesyeuxmaisneseretournepas.Jesaiscequ’ilveut.Sapeauestaussi
brûlantequelefeudanssesyeux.—Concentre-toisurmoi,jechuchote.—Alorsdistrais-moi.Délicatement, il saisitmamainsur sa joueet la repousse.Sesdoigtsglacéscontrastentavec la
chaleurdesonvisage.Deuxopposés,commeluietmoi.L’atmosphèreestdevenuecalme,passéedubruitausilence.Jechuchote,depeurderomprecette
tranquillitéréconfortante.—Onpeutparler.Onn’ajamaisvraimentparlé.—D’accord.Parlons.Ledoscontre laportede ladouche, ilglisse jusqu’à terre,étend les jambesetbaisse la tête.À
quoipense-t-il?Àmoi?—Est-cequ’onpeutparlerdeTiffani?jedemandeaveclaplusgrandeprécaution.Calmement,
cettefois.Laseulementiondesonprénomattiselatension.Uneétrangeétincellepassedanssesyeux.—OK.Àmontour,jem’assoiscontrelaporte,faceàlui,lesgenouxcontrelapoitrine.—Pourquoitunelaquittespas?Tunel’aimespas.Tul’asdittoi-même.Sesyeuxbalayentmonvisage,descendentsurmoncorpspuisremontentàmesyeux.Est-cequ’il
vamedirelavéritéouest-ilentraindegagnerdutempspourtrouverunnouveaumensonge?—Jenepeuxpascasseravecelle.—Pourquoi?Cette histoirem’agace. Àmoins qu’elle ne luimette le couteau sous la gorge, je ne vois pas
pourquoi il ne pourrait pas mettre un terme à cette relation inutile, dont il a l’air de se ficheréperdument.
Ilsefrottelesyeuxetbougonne.—Tiffanisaittrèsbienfairesemblantd’êtrelafillelaplussympadumonde.Maiscen’estpasle
cas.Situlacontraries,ellesetransformeenpsychopathe.Elleensaitbeaucouptropsurmoi.Jenepeuxpasprendrederisque.Dumoinspaspourlemoment.
—Commentça,enpsychopathe?Qu’est-cequ’ellesait?—C’est…Avecuneexpressiondouloureuse,ilplaquesesmainscontrelecarrelage.—Parexemple:enjanvierdernier,elleaentendudirequetouslesmardisjedéjeunaisavecune
autrefille.C’étaitn’importequoi,maiselleestdevenuefolle.J’avaispassédeuxsemainesàbossercommeundinguesurunedissertedelittératurepourfairemontermamoyenne,etelleaditauprofquec’étaitellequil’avaitécrite.J’aiétéexclupourtricherie.Lemêmejour,elleaenvoyéune-mailàmamèreensefaisantpasserpoursamèreàelle,pourluidirequ’elles’inquiétaitparcequejefumaisdesjointsdanslesous-soldulycée.Çac’estvrai,maisiln’yaqueTiffaniquilesache.Mamèrenem’apasadressélaparolependantpresqueunmois.Àcemoment-là,jevoulaisquitterTiffani,maisellem’afaitcomprendrequejen’avaispasintérêt.Alorsjenel’aijamaisfait.Rompren’estpasuneoptionacceptable.Elleatropd’emprise.
—Qu’est-cequ’ellesaitd’autre,Tyler?
J’essaiedecomprendrecequ’ilmeraconte.D’abord,jen’arrivepasàimaginerTiffanicapabledetoutça,etpuisjemerappellesonregardcematin,quandellem’aditqu’ellesavaitquejementais.Ellem’aterrifiée.Enfait,jecroisTyler.Cettefillealepotentield’unepsychopathe.
Tyleradumalàmeregarderenface.—Tuterappelleslepremierjourdesvacances?Lechangementdesujetmeprenddecourt.—Oui.Monpèremegonflait,lebarbecueétaitpourriettuasdébarquépourmettrelebazar.—Voilà.J’attendsqu’ils’esclaffe,maisrien.Enfait,ilal’airdeplusenplusmalàl’aise.—J’étaissuperénervé.—Pourquoi?Je me rappelle avoir surpris une dispute avec Ella cette nuit-là. Il avait l’air furieux dès son
arrivée.—J’étaisencolèrecontreTiffani,fait-il,lesyeuxsurlecarrelage.Ilyauntrucquejevoulais
faire,j’ypensaisdepuisunmoment,etellel’adécouvertcesoir-là,fait-ild’unevoixéraillée.J’ai l’impression qu’il ne compte pas me dire de quoi il parle, mais de toute évidence, c’est
quelquechosedontiln’estpasfier.—Elleaditqu’ellen’enparleraitàpersonnedumomentquejerestaisavecellejusqu’àlafindu
lycée.C’estpourçaquejeluiaicolléauxbasquesaudébutdel’été.Tusais,chezAmericanApparel,toutça…
Ilrougit,gêné,maisçam’estégal.Jesuiscontenteque,pourunefois,ilsoitsincèreavecmoi.—Tantqu’elle est satisfaite et que jene cassepas avecelle, ellenedira rien, c’est commeça
qu’elle fonctionne.Eden,elle faitduchantageauxgenspourqu’ils aillentdans son sensetqu’ellepuisseavoir l’air cool.Ellem’aditquequandelle étaitpetite, elle étaitmartyriséeà l’école,doncj’imagine qu’après le divorce de ses parents et son déménagement, elle voulait s’assurer quepersonneneluimarchesurlespieds.Elleveutêtremieuxquetoutlemonde.Etm’avoiravecelle,çaflatte son ego. C’est pour ça que je suis coincé dans cette pagaille. Je déteste ça, ajoute-t-il engrommelant.
—Ehben.C’esttoutcequejepeuxdire.Tylerneveutpasdutoutêtreavecelleetilneditpasçapourme
ménager.Ilestréellementpiégédansunesituationinextricableetjecroisquejen’aifaitqu’empirerleschoses.
—Jenesaispasquoidire.—Jenevaispaslaquitter,dit-ilenmeregardantenfin.Unregardtriste.Jesuisdésoléepourluietjenesaismêmepasquelconseilluidonner.—Dumoinspasencore.C’esttroprisquépourlemoment.—Alorsqu’est-cequ’onvafaire?Jefaisdemonmieuxpourcomprendrelegarçonàl’airgraveenfacedemoi.Sousmesfesses,le
carrelagegelén’aplusaucuneimportance.—Personnenedoitavoirdesoupçons.—Surquoi?—Surnous.Ilpasseunemaindanssescheveuxentirantsurlebout.C’estunemaniequ’ila,jecroisqueçale
réconforteunpeu.—Ilfautsecomporternormalementjusqu’àcequ’ontrouveunesolution.C’estaussiuneraison
denepascasseravecTiffani.Lesgenssedemanderaientpourquoi.Doncpourlemoment,elledoitresterdanslecoin,parcequeTiffanietmoi,c’estlanorme.
—Maisc’estmaldeluifaireça.Jeme la rappelleenpleurscematin, effondrée sous lepoidsde sadouleur.C’estnousqui lui
avonsinfligéça,etmêmesiçameparaîtàdesannées-lumière,çanefaitquequelquesheures.Elleestpeut-êtreencoredanslemêmeétat,pendantqueTyleretmoisommesenéquilibresurunelimitequinedevraitpasêtre franchie.Peut-êtreest-ilpiégédansunerelationforcéeavecTiffani,maisçanenousdonnepasledroitd’agirdanssondos.
—Eden.Parle-moid’autrechose.Parle-moidePortland.Jem’assoisentailleur,mainsjointes,perplexe.—TuveuxquejeteparledePortland?—Jeveuxque tumeparlesde toi, fait-il lesyeuxvifsetbrillants.Dis-moiquelquechoseque
personnenesait.Lalueurdesincéritéaumilieudufeudesesyeuxmerévèlequejepeuxluifaireconfiance.Je
metsunebonneminuteàmedécider.Iln’yaqu’unepersonne,Amelia,quiconnaissemonsecret,etai-jevraimentenviededoublercenombre?Tylerhochelatêtecommepourmeconvaincredesauterd’unefalaise,alorsjecède.
Jedoisinspirerprofondémentplusieursfoispourrassemblermoncourage.Lavérité,c’estquejeneveuxpasadmettrecequisepasse.
—J’adorePortland.C’estgénialdegrandirdanscetteville,jedisavecunsouriretristecommesijemerappelais«lebonvieuxtemps»,commediraientmesgrands-parents.J’avaistroismeilleuresamieslà-bas.Amelia,AlyssaetHolly.
—Avais?—Oui.J’avaistreizeansquandmesparentsontdivorcéetçaaététrèsdur.Mamèrepleuraittout
le temps,monpèren’étaitpas làet jenesavaispasquoifairepour la réconforter,c’étaithorrible.Vraiment,vraimenthorrible.
Jem’arrêteuninstant.Lesmotssuivantsontdumalàsortir.—Jemesuismiseàmangerbeaucoupparcequej’étaismaletpendantmonannéedetroisième,
j’aiprisdupoids.AlyssaetHollyavaientbeaucoupdechosesàdireàcepropos.Tylerscrutemoncorps,cequimefaitperdremamaigreconfianceenmoi.—Tun’espasgrosse,dit-ilbrutalement,commeagacéquej’aiepulesuggérer.—C’estparcequejecours,Tyler.Il a l’airdevouloir liredansmespensées.Avecprécaution, ilvient seplanterdevantmoi.Ses
mainssurmesgenouxmefonttressaillir.—Continue.Ledésirdel’embrasserainterrompulefildemespensées.Jem’efforcedepoursuivre.—Ellesonttoutfaitpourquejemesentemal.C’est la vérité. Alyssa et Holly m’ont traitée de la pire manière pendant un an, lançant des
remarquesnarquoisesdanschaqueconversation.C’estàcaused’ellesquejemesuisretrouvéedansunespiraleinfernale.
—Deuxdemesprétenduesmeilleuresamiesmetraitaientdegrossetouslesjours,alorsjemesuismiseàcourir.Jeneleurparleplus,maisellescontinuentàcracherdansmondos,apparemment.C’estdifficileparcequeAmelia,elle…elleesttoujoursamieavecelles.Pourtantellem’atoujourssoutenue.
—Eden,fait-ilpourattirermonattention.C’estpourçaquetudistoujoursquetun’aspasfaim?Jesuisébahiequ’ils’intéresseautantàmoi.Mêmemonpèren’apasremarqué.Maisbon,luic’est
normal,ilatoujoursétéégoïste.—Tut’enesrenducompte?—Seulementmaintenant.
Sesdoigtsparcourentmescuisses.—Pourinfo,jenesuispasdutoutd’accordaveccesfilles.Etjesuisdésoléqu’ellest’aientfait
subirça.Latêtetoujoursbaisséetandisqu’ilcontinueàtracerdesdessinssurmescuisses,ilmeregarde
parendessousavectantd’intensitéquejesuccombeàlasensationdesapeaucontrelamienne.Ildoitsentirmesépaulesserelâcher,ildoitsentirmoncorpsentiersedétendreàsoncontact,etil
doit partager mes pensées, parce que ses doigts s’arrêtent, ses mains saisissent mes cuisses, il sepencheenavantetm’embrasseavecfougue.
Jenesaispaspourquoij’adorequ’ildominelasituation.Ilfaittoutleboulotpendantquejemelaisse aller à l’extase et au flotd’adrénaline. Je commenceàm’habituer à la façondont ses lèvress’emboîtentdanslesmiennes.Mesbrassejettentd’eux-mêmesautourdesoncouetjesouriscontreluiaumilieudubaiser.J’aimequecettesensationcommenceàêtrefamilière.
Auboutdequelquessecondes,sesmainsdesserrentmescuissespours’aventurerailleurs,dansun endroit nouveau et risqué. Le baiser ralentit alors qu’il caresse l’ourlet de ma chemise, dansl’attentedemaprotestation.Maisjeneveuxpasqu’ils’arrête.Jeresserremesbrasautourdesoncouetl’embrassedeplusbelle.
Ilsaisitlemessage.Ilm’enlaceparlataillesousmonvêtementetsamainremonteàmonsoutien-gorge, laissantmoncorps frissonnantd’excitation. Jene saispas comment il faitmais soudain, samainglissesousladentelleetsaisitmonseind’unmouvementagile.Ils’écarteuninstantpourmeregarderdanslesyeux,avantd’embrasserlalignedemamâchoire.Sonpoucecaressemonsein,sapeau est froide et pourtant exaltante.Bientôt, son autremain rejoint la première et je commence àm’inquiéterdemonapparence.Lesyeuxmi-clos, j’observe leplafonden laissantTylerembrassermoncouetcaressermesseins.Jen’aijamaiseubeaucoupdechancedececôté-là,surtoutcomparéeàTiffani.J’ail’impressionparanoïaquequ’ilvapoufferàtoutmoment.Maisçan’arrivepas.
Soudain,Tyler pousse un soupir quimepicote la nuque. J’attire à nouveau sonvisage vers lemien, nos regards se croisent avant que nos bouches se rencontrent. Nous retenons notre souffle,incapablesdecontenirlessouriresquipointentaucoindenoslèvres.
Nousnedevrionspasêtreentraindenousembrassersurlesoldesasalledebains,sesmainsnedevraientpassebaladersurmoncorps,etjenedevraispasadorerça.
Lanaturescandaleusedenosactesnefaitquelesrendreplusexcitants.Etçan’enaqueplusdevaleur.
25
Tyler et moi sortons de notre confinement dans la salle de bains deux heures plus tard. Nosparentsnesontrevenusavecunfilsaupoignetfracturéquepourentrouverundeuxièmequiattenddésespérément leur retour en se demandant pourquoi on l’a laissé seul. Ella, furieuse, pensait quej’avaisfailliàmamissiondebaby-sitteretdisparu.Maisilsontfiniparnousdécouvrirau-dessusdeleurstêtes.Ilafalluracontern’importequoipournousensortir.
—Jenesaispascequis’estpassé,ai-jementiàtraverslaporte.—Moinonplus,aajoutéTyler.—J’allaislechercheretj’aitrébuchécontrelaporte.Encoreunmensonge.Àmescôtés,Tylerréprimeunfourire.Papa a appeléM. Forbe, le dépanneur du quartier, qui se fichait pasmal de son service client
puisqu’il ne s’est pointé à la porte qu’au bout de quaranteminutes. Trente dollars et beaucoup demanœuvrespourdéverrouillerlaserrureplustard,noussommesenfinsortis,penauds.
Nousnenoussommesplusparlédelasoirée.Pasparcequejenevoulaispas,maisparcequ’ilapassé plus d’une heure au téléphone avec Tiffani. À travers le mur fin comme du papier de noschambres,jel’entendaiss’efforcerdeprendreunevoixdoucepourlasupplierdeluipardonnerson« erreur de parcours », qui « est arrivée sur un coup de tête » et qu’il « n’avait absolument pasprévue ». Mensonge après mensonge il a fabriqué une histoire à propos d’une fille de seconded’Inglewood qu’il avait rencontrée en allant voir ses potes et qui voulait voir sa voiture. Et cettegaminedequinzeansavaitterminésursesgenoux.Légèrementtiréparlescheveux,maisTiffaniagobé.Ilavaitl’airsicontritquej’aifaillidéfoncerlemurpourluidemanderàquoiiljouait.Maisjemesuisrappeléquecetteseconded’Inglewood,c’étaitmoi.
Résultat,hiersoirjemesuiscouchéepartagée.Unemoitiédematêtesenoyaitdanslaculpabilitétandisquel’autreflottait,dangereusementamoureusedeTyleretdessecretsenfouisenlui.
Parcequ’ilsembleraitquej’aieréussiàdevenirl’und’entreeux.
— Et c’est pour ça que les Anglais sont beaucoup mieux que tous ces crétins d’Américains,annoncefinalementRachael,aprèsundiscourscomparatifdecinqminutessurlesdeuxnationalités.
D’aprèselle,lesBritanniquesontdesaccentsmignons,utilisentdesmotsmignonsetsont,sommetoute,mignons.C’estsonargumentdechoc.
PourMeghan,lesmeilleurssontlesFrançais,parcequ’ilsvousembrassentsurlatourEiffeletvousmurmurentdes«jet’aime1»enpartageantunebouteilledevin.
Malgrécesfantasmesdecopainseuropéensparfaitementclichés,jem’esclaffe.NoussortonstoutjusteduRefineryetjeresteunpeuenretrait,àobserverleslignesdutrottoir,lattebrûlantenmain.
Rachaelseretourneavecimpatience.—Eden,c’esttoiquitranches:BritanniquesouFrançais?Elles me regardent toutes les deux comme si j’allais annoncer le vainqueur de l’élection
présidentielle.Jehausselesépaules.—Français.Dégoûtée,Rachaeltournelestalonsets’éloigned’unpasthéâtral.Meghanmeconfirmequej’ai
faitlebonchoixetnousrattraponsnotreamiequisembles’enremettre,finalement.—OndoitattendreTiffàBroadway,nousrappelle-t-ellequandnoustournonssurlapromenade,
àl’angledeThirdStreet.Ildoitfaireaumoinscentcinquantedegrésaujourd’huietdestasdegenssontdesortieshopping.
JenesaispasoùestBroadwayalorsjemecontentedelessuivredansThirdStreet.Chaquefoisquejeviensici,jeremarquedenouveauxmagasins,commeRipCurl,etJohnnie’sNewYorkPizzeria,quial’airadorableavecsondécoritalienetquimerappelleDean.
Rachaels’arrêtedevantlavitrined’unH&Metremonteseslunettesdesoleilsursatête.—Tropmignonnecettechemise,commente-t-elle.Puisellerechausseseslunettesetseremetenroute,Meghanetmoisursestalons.Ondiraitqu’en
l’absencedeTiffani,c’estRachaelquidevientautomatiquementlameneusedugroupe.Çanedurerapaslongtemps,puisqueTiffaninevapastarder.
LapromenadeseterminesurSantaMonicaPlace,uncentrecommercialhautdegammeremplideboutiquesdecréateursoùlesfillesm’ontdéjàamenéeplusieursfois.NousdépassonsNordstrometnousnousattardonsàl’angledeBroadwayetdeSecond.Meghanseplaquecontrelesvitrinesdumagasin, les yeux plissés sous le soleil et Rachael, bras croisés, tape du pied en examinant lacirculation.Jemedemandeuninstantcequ’ellecherche,maisj’aibientôtmaréponse.
Auboutdequelquesminutes,elleseredresse.Del’autrecôtédelarue,unevoitureblanche,vitresbaissées,vientdesegarer.Tyler.Jemecrispe.Latensionentrenousestsifortequ’ilm’estpresqueinsupportabledemetrouverprèsdelui,surtoutsousleregardvigilantdenosamis.
—Pourquoiellesourit?demandeMeghan,unemainsurlatête,entreRachaeletmoi.—Parcequ’elleestcinglée,répondRachael.Frustrée,jeserrelesdents.Tiffaniestsurlesiègepassager.LapremièrechosequeTylerm’ait
ditecematinquandjemesuisréveilléec’estqu’ilallaitlavoir,alorscen’estpasunesurprise.Ils restent un moment à discuter dans l’intimité de la voiture. Tyler arbore une expression
perplexe tandis que Tiffani, dos à nous, remue les mains en parlant. Si seulement je pouvais lesentendre.Illuiadresseunsourirefauxetellesepenchepourl’embrasser.
—Elleestcinglée!s’exclameRachael,attirantl’attentiondespassantsautour.C’estvraimentunemaladementale!
JepenselamêmechosedeTylermaisjemegardebiendeledireàvoixhaute.Ungenrededéclicseproduitenmoi,permettantàunevaguederagedesedéverserdansmes
veines.Cen’estpasdelajalousie,jenesuispasjalouse.Maissi.Jemanqued’écrasermongobeletentremesdoigts.Lecouverclesauteparterre,laissants’échapperunedélicatevolutedefumée.
Pour finir,Tyler repousseTiffani.Ellegloussecommeunepré-adoenchaleur, commesi elleétaitànouveauamoureusedelui.C’estcequim’énerveleplus.Elledevraitlehaïr.Ilsnedevraient
pasarranger leschosesetêtreencoreensemble,maisc’est tout l’inverse.QuandTiffanisortde lavoiture,elleseprécipiteversnous,unsourirejusqu’auxoreilles.
Jecontinuedeboiremonlatte,tropabsorbéeparmongobeletpourdirequoiquecesoit.MaisjeremarquequeTyleresttoujourslà.Ilm’asûrementvue,luiaussi.Ilmesouritderrièrelepare-brise.Unsourired’excusesincère,commes’ilétaitcontentdemevoir.Jemeprendsàsourireàmontour,interrompueparTiffaniquiarrivedemoncôtédutrottoir.
RachaeljettesongobeletàlapoubellepourmontreràTiffaniàquelpointelleestscandalisée.—C’estquoitonproblème?DerrièreTiffani,lavoituredeTylerseremetàvrombir,souslesregardsbéatsdesadmirateurs.
Tiffani, en revanche, est toujours là.Sonsourirecontinuede s’élargir etmoi jecontinueà siroterinnocemment mon latte. Mais je suis loin d’être innocente. En fait, je suis la personne la pluscoupableàdeskilomètresàlarondeetjen’aiplusdecafédansmongobeletdepuisaumoinsvingtsecondes.
—Quoi?faitTiffani,enouvrantdegrandsyeux.—Ça!s’écrieRachael.Jen’arrivepasàcroirequetuluiaiespardonnécommeça!LesouriredeTiffanisetransformeenmoueboudeuse.Ellenousregardesousseslongscils.Le
contrasteavecseslitresdelarmesdelaveilleestsaisissant.—Ils’estexpliqué,Rachael.—Ettoitucroisàsesconneries?—C’estpasdesconneries.—Quandest-cequetuasachetécesac,Tiffani,intervientMeghan,soupçonneuse.Ilestnouveau,
non?C’estunsacencuirmarronbrillant,frappédumonogrammeVuitton.—Ehbien…,commence-t-elle,penaude.C’estTylerquimel’aacheté.—C’estbiencequejepensais,rétorqueMeghan.Maintenantonsaitqu’ilsuffitd’unsacàmille
dollarspouracheterlepardondeTiffaniParkinson.Cettedernière ritàgorgedéployée,maispasmoi.Jemordsmongobeletpourm’empêcherde
direunebêtise,sifortquejelepercequasiment.—Ilauraitpufairedondecetargentauxbonnesœuvres,commenteRachael.Jesuisd’accordavecelle.Lessans-abrisferaientmeilleurusagedecetargentqueTiffaniavec
sonsacencuir.—Onsavaittousquetuallaisluipardonnertôtoutard.—EttoituauraispuarrêterdetetaperTrevorilyasixmois,rétorqueTiffani.Onsavaittous
quetuallaiscraquerpourlui.Meghan étouffe un rire. Pendant un instant, Rachael reste bouche bée et semble avoir oublié
commentfairedesphrases.Jepensequ’elleestfurieuse,maisellesecontentedepousserunsoupir.—Trèsbien,souffle-t-elle,tupeuxpardonneràTyler.—Merci pour ton accord. Bon, est-ce qu’on peut aller au centre commercialmaintenant ? Je
tueraispourunsundaeJohnnyRockets!Jem’impressionne d’avoir réussi à tenirma langue jusqu’àmaintenant. Je finis par jetermon
gobelettandisquenousretournonssurnospas.—Dépêche,Eden,appelleMeghanquim’attendàl’entréeducentrecommercial.Jem’exécuteàcontrecœur.SantaMonicaPlaceestunendroitdestinéauxriches.Pasdifficilede
s’enrendrecompte,iln’yaqu’àvoirtouscesgensravisdedilapiderleurfortune.Del’hommeencostumedevantlavitrineHugoBossàlafemmeenrobeéléganteettalonsquilorgnesurunemontreMichaelKors,tousontdel’argentàdépenser.Tylernefaitpasexception.
Santa Monica Place est un centre commercial en extérieur, constitué de quatre grandes ruesconvergeantversuneplaceovaleentouréedemagasinsglamour.Jenemesenspasàmaplacedanscetendroitcomplexe,uniqueetmoderne.Nousempruntonsl’escalatorpouratteindreledernierétageoùnousattenduneterrasseouverte,etnousnousmettonsdanslaqueueduJohnnyRockets.Encoreunechaînedefast-foodsquin’existepasdansl’Oregon,parcequeapparemment, iln’yariendansl’Oregonàpartlapluie.Onn’estjamaisàcourtdepluielà-bas.
Tiffanicommandeun trucappeléSuperSundae,MeghanetRachelunPerfectBrownieSundae,tandisquej’optepourdel’eau,toutsimplement.
—Lesgarçonsnousrejoignent,faitTiffanisansleverlesyeuxdesontéléphone.Elleenvoiedestextosenengloutissantsaglace.—Ilsontenfindécidécequ’onfaitsamedi.—Yaquoi,samedi?Ce sont mes premières paroles depuis que j’ai décidé que les Français étaient mieux que les
Anglais.Tiffanirelèvelatêteetm’observeunlongmomentavantderegardersescopines.—Elleestsérieuse?—Lasoiréeplagede l’année,ditRachaelendécrivantdescerclesavecsacuillère.LAfêtede
l’été.—Oh.J’avaleunegrandegorgéedemoneau.—Ilsontunpermispourprivatiserlamoitiédelaplage.Jen’enaipasgrand-choseàfaireetjenesaispasdequielleparle,maisellecontinue.—C’estcenséêtreinterditauxmoinsdevingtetunans,mais,tusais…toutlemondeyva.Iln’y
apasdeportesàlaplage,lesvigilesnepeuventpascontrôler.—Desvigiles?—Ilyapasmaldebagarres,enchaîneTiffani.Etonnepeutpasboirelà-bas,vuquec’estunlieu
public.Saufsituveuxtefairearrêter,commebeaucoup.—Donc, reprend Rachael, il faut boire avant d’y aller. Pas être complètement bourrée, hein,
sinonturisquesd’attirerl’attentionetdetefairevirerparcequetuesmineure.Tiffanireposesonportablepourattirersonsundaeàelleetmelanceunregardbizarre.—Jenecroispasqu’Edennousposeradeproblèmesdececôté-là.—C’est-à-dire?Rachaeletellepouffent.—C’estjustequetun’espasfranchement…,commence-t-elleavecunrictus.—Pasfranchementquoi,Tiffani?Unmilliarddemotsmepassentparlatête.Pasfranchementcool?populaire?sociable?jolie?
End’autrestermes,pasfranchementcommeelles?—Imprudente,dit-elleenavalantunecuillerée.Imprudente?Moi,jenesuispasimprudente?Unpeuplusetj’imitelesgloussementsdeMeghan.
Oh,Tiffani,jepeuxt’assurerquejesuissacrément«imprudente».Siellessavaient.—Oùétais-tumardisoir?demandeTiffanidevantmonsilence.—Mardi?J’étaisavecTylersurlajetée.Ellesaitparfaitementquejen’étaispasavecMeghan.—Oui,mardi.Pourquoimeredemande-t-elle?Elleveutmeprendrelamaindanslesac,commesielleespérait
quejecrachelavéritél’airderien,devanttoutlemonde.
Rachaelmefixeaussi.Lapressions’accentue.J’ailesmainsmoites.MeghanglousseànouveauetjecommenceàmedemandersiJohnnyRocketsn’auraitpasglisséquelquesgrammesd’herbedanssonbrownie.Elleestmortederire.
—Oùest-cequetuesalléeenvrai?insisteTiffani.—Ohnon!s’écrieRachaelensepenchantpar-dessuslatable.TuétaisavecJake!—C’estcequejepensaisaussi,faitTiffani.Soulagement.C’étaitdoncça.Moiquivivaisdanslaterreurqu’elleaittoutdécouvert…Maiselle
n’yestpasdutout.—Peut-être,dis-jeavecunpetitsourire.Jedétournelesyeux.Mieuxvautqu’ellespensentquej’étaisavecJakeplutôtqu’avecTyler.Rachaelestprêteàsejeterpar-dessuslatable.Ellesecouelatête,incrédule.Jenepeuxpasluien
vouloir,moinonplusjen’ycroiraispas.—Vousêtesallésaubout?Raconte,Eden!Meghans’esclaffeetnousnoustournonsverselle,interdites.Elle finitpar fermer lesyeuxenmurmurantuneexcuse. Jenem’étaispasaperçuequependant
toutcetemps,elleenvoyaitdesSMS.—Maispourquoiturisàlafin,Meg?faitTiffani,pincée.—Désolée.J’écrisàJared.Ilestvraimenttropmarrant.—C’estqui,ça,Jared?—LetypedePasadena:celuidelaplage.Ilvientavecsespotessamedi.—Maparole,Edenettoivousêtesvraimentdébiles,faitRachaelenlevantlesyeuxauciel.Vous
parlezàdesmecsetpasunedevousnepenseànousraconter?—TunenousasjamaisrienditsurTrevor,lataquineTiffani.Onnel’adécouvertqueparceque
MegesttombéesurvousdansunechambrechezJason,l’annéedernière.—Laissetomber,souffleRachaelavecundemi-sourire.Lesgarçonsdébarquentunpeuplustard,àmongrandsoulagement.Çafaituncertaintempsque
nousécoutonsMeghannousfairelalistedecequ’elletrouvehilarantchezJaredetellecommenceàradoter.
JeremarquequeDeans’estplacéentreTyleretJake.Jenecomprendstoujourspascommentcesdeux-làpeuventêtreamis,puisqu’ilssedétestent.Ilsarriventnéanmoinsàsecomporternormalement.Ilstirentdeschaisesjusqu’ànousetTylers’installeprèsdeTiffani,maispastropprès.Ilnecroisejamaismonregard.
—Alorspoursamedi,commenceJake,onadécidéd’allerchezDeanavantlafête.—Unefêteavant lafête,ajouteDeanennousscrutantpourvoirsinoussommespartantes.On
s’occupedel’alcool.—Vous,lesfilles,vousessayezdevousfairebelles,termineJake,contentdelui.Rachaelluibalancesacuillèreàlafigure,qu’ilesquived’uncentimètre.—Abruti,murmure-t-elle.—Tusaisquejerigole,bébé.—Nem’appellepascommeça!Jerestemuettependantqu’ilssechamaillent.D’unepart,jesuisgênéequelesfillescroientque
j’aicouchéavecJakeilyadeuxjours,etsurtout,jefaisdemonmieuxpourn’avoirl’airderienavecTylerdanslecoin.Tropderegardsdeviendraitsuspect,aucunsoulèveraitdesquestions.Aprèstout,c’estmondemi-frère.Jeluijetteunœildetempsentempsenespérantqu’ilfassedemême,maisçanefonctionnepas.Ilesttropoccupéàfixerlatable,figé,pendantqueTiffaniluicaresselebras.Ellen’apas l’airdes’enrendrecompte.Elle luiattrape lementonpour l’embrasser,mais il s’écarteetelleneréussitqu’àluifaireunbisousurlajoue.Aprèsquoiilbaisselatêtesansjamaislarelever.
Je cherchedu soutien auprès deMeghanqui est retournée à sesSMShilarants avec Jared.Lesgensdecegroupem’agacenttousautantqu’ilssont,saufDean.Ilsembleaussiexcluquemoi.
—Ilssonttarés,articule-t-il.Jemerappellelebilletdecinqdollarsqu’ilagriffonné,maislavoixdeRachaelinterromptlefil
demespensées.—Eden,tudevraisallertebaladeravecJake,m’encourage-t-elle.Allez,lestourtereaux!Perplexe,Jakesemblesurlepointdedemandercequisepasse.Finalement,ilselèveetmefait
signeendésignantl’escalator.—Eden?Rachaelestrayonnante,Dean,légèrementexcédé,etTylerlèveenfinlatête.Ilmelanceunregard
noir.—Onrevient,jemarmonneavantdelesuivresansattendreleurréponse.Lesmainsdanslespoches,Jakes’appuiecontrelarampedel’escalator.—Alors,çava?—Oui,oui.Jen’aipasspécialementenviedeluiparler,surtoutaprèsavoirignorésesmessagesdepuispas
maldetemps.J’espéraisqu’ilallaitlaissertomber.Nousneserionspasdanscettesituationgênantesitelavaitétélecas.
—Çafaitlongtempsqu’onnes’estpasvus,jeluidis.—M’enparlepas.—J’aiétéassezprise.—J’avaiscompris.Latensionestpalpable.Nousnousbaladonslelongdelarambardedeverrequibordel’étageen
regardantlesgensfourmillerentrelesmagasinsenbas.Brascroisés,Jakes’appuiecontrelerebord.Jefaiscourirmesdoigtssurlemétal.
—Tusaisquejerentrechezmoilemoisprochain,n’est-cepas?jedisenluijetantuncoupd’œilencoin.
Ilnemeregardepas.Cen’estpastoutàfaitcequeRachaelavaitentêtequandellenousaenvoyésfaireuntourensemble,maisc’estl’occasionrêvéedemettrelespointssurlesI.
—Oui,jesais.Faitesqu’ilneprennepasmalcequejevaisdire.—Bon.Doncpeut-êtrequ’onpourraitsimplementêtreamis?Ilhausselesépaules,concentrésurungroupedefillesplusbas.Jemedemandes’illesconnaît.—Commetuveux,Eden.Detoutefaçoniln’yauraitjamaisrieneudesérieux.C’étaitjustepour
passerdubontemps,situvoiscequejeveuxdire.Jem’écartedelarambarde,incrédule.—Ahd’accord.—Quoi?fait-ilcommesiderienn’était.Jecroyaisquetulesavais.Tyleravaitraisonsursoncompte.«Unpeudebontemps»,c’estàçaquemarcheJake.—C’estlecas.Maisjen’ycroyaispasjusqu’àmaintenant.Pourquoisuis-jeencolère?Jedevraisplutôtêtreraviedemedébarrasserdelui,etencoreplus
qu’ilnesevexepas.Detoutefaçonjenecroispasm’êtrejamaisimaginéeaveclui.Nousnesommesqu’amis.Sanslesfameuxbénéficesauquelilcroitavoirdroit.
—D’accord,tantmieux.Tum’asoffertunChick-fil-A,alorsmerci.—Parfait,dit-ilenriant.LetrucavecJake,c’estqu’ilal’aird’êtrequelqu’undebien,maisjemedemandes’iln’estpas
complètementdifférentquandleschosesnevontpascommeilvoudrait.
Commejenesaispasquoirépondreetqu’ilsembleavoirfinideparler,jedécidederetourneràl’escalator.Ilmesuitjusqu’àlaterrasse.D’unemanièreoud’uneautre,TiffaniaréussiàmontersurlesgenouxdeTyler.Onpeutdirequ’ellesaitpasserl’éponge.Lesmainsenfoncéesdanslespoches,levisagevidedetouteexpression,Tylernepartagepassonenthousiasme.
Rachael soulève un sourcil interrogateur que je prétends ne pas remarquer en attrapant mabouteille d’eau. Tiffani se désolidarise de Tyler et nous finissons par avoir enfin une vraieconversationdegroupeausujetdelasoiréedesamedi,quelalcoolacheteretquiseraàlaplage.Jemecontentedesecouer la têtede tempsen tempsetd’appuyercequeditRachaelenespérant faireillusion.
Cesoir-là,deretouràDeidreAvenue,j’aipasséledîneràtriturerlegratindepâtesd’Ellapuisjesuisalléecourir,avantdem’effondrerdansmonlit.
Jenesaisplustrop,maisjesuisquasimentsûrequ’avantdem’endormir,jepensaisàTyler.Dumoinsc’estàluiquejepensaispendantquejecourais.Impossibledemelesortirdelatêtedetoutelajournée.Quandils’estgaréaucentrecommercialavecTiffanietsonnouveausacquiluiacoûtéunefortune.Quandil l’aembrasséecommes’ilnem’avaitpasembrassée laveille.Quandilm’asouriaprès.Safaçondetoutgardersecret,denousgardersecrets.Jen’arrêtaispasd’ypenser.
Jemeréveilled’uncoupdansmachambreplongéedansl’obscurité.Lesyeuxmi-clos,jeregardelemur tandisquederrièremoi, laportegrince.C’est cequim’a réveillée. Jegrommelle sousmacouverture.
—Tudors?Tyler.Maportesereferme.Plusmaintenant,c’estsûr.Jenebougepasd’unpouce.Sespasétouffésavancentsurletapis.—Non,jechuchote.Quelleheureest-il?—3heures.Jel’entendssoufflerderrièremoietsoudain,macouverturesesoulèveetilseglissedansmon
lit.—Jepeuxdormiravectoi?Mespaupièreslourdesserefermentmaisj’esquisseunsourirefatigué.Commejenerépondspas
toutdesuite,ilsemetàbalbutier.—Enfin,paspourcoucheravectoi,justedormir,enfintusais,dormir,quoi.Sonhaleinemechatouillelanuquemaissoncorpsnetouchepaslemien.—Jesais,jedis.Lesilenceretombe.Jen’entendsquenosdeuxrespirationsdésynchronisées.Quand j’inspire, il
expire,c’estpresqueunrythmejusqu’àcequesonsouffleralentisse.C’estàcemomentquejesenssapeaunueettièdecontremondos,sontorsemusclémaisconfortable,seslongsdoigtssurmonbras.Jefrissonne.
—JesuisdésolépourTiffani,medit-ilàl’oreille,enpassantunemaindansmescheveux.—Pasautantquemoi.—Laisse-moiletempsd’arrangerça,supplie-t-il.J’essaiedetoutarranger.—Toutquoi?—Eden,aucasoùtun’auraispasremarqué,jefaisvraimentn’importequoi.Ils’écartepoursetournerdel’autrecôté,alorsjedétachelesyeuxdumuretjemetourneàmon
tour.J’observeletatouagesursonomoplateetjeposeundoigtdessus.—Jediraisplutôtquetuesperdu.—Commentça?
—Oui,jecroisquetuespaumé.—Qu’est-cequitefaitcroireça?Jetracesontatouagejusqu’aubasdesondosavantderemontersurl’autreépaule.Unbrasautourdelui,jefermelesyeux.—Parcequetun’asaucuneidéedecequetufaisnid’oùtuvas,jechuchote.Quelquesinstantsplustard,jemerendors.Età7heuresdumatin,iladisparu.
1.*Enfrançaisdansletexte(N.d.T.).
26
—Jesuistropcontente!couineRachaeldepuissondressing.Nous sommes samedi soir et je l’entends faire crisser les cintres avant de débouler dans sa
chambreensoutien-gorgesansbretelles,untasdehautsàlamain.—Bonalors,lequel?Jemeredressesurlescoudes,allongéesursonlit,tandisqu’ellemelesprésenteunàun.—Leblanc.—Tuasraison!fait-elleaprèsuninstantderéflexion.Ellebalancelerestedesvêtementsentasdansuncoindesachambreavantd’enfilerletee-shirt
blanc. Il s’accorde parfaitement avec la longue jupe rouge cerise pour laquelle elle a mis vingtminutesàsedécider.
—Tuessûrequeçava,cettetenue?Jeporteune jupepatineusevertpâleetunbustierblancqui, avouons-le, rendmapoitrineplus
impressionnantequ’ellenel’estenréalité.J’aiempilédestasdebraceletsàmonpoignet,maisjemesensencoreunpeutropcommune.
—C’estunefêtesurlaplage,articuleRachaelcommesielleparlaitàunegaminedetroisans.Tuessupersexy.J’adorecehaut,dit-elle,affairéeàenfilerdessandalesmarron.
—C’estparcequec’estletien.Je souris tout demême. Peut-être, pour une fois, suis-je sexy, et peut-être que j’aime ça. J’ai
l’impressiondefairepartiedugroupe.Rachael se relèvepour s’admirer dans lemiroir sous toutes les coutures. Je lui dis qu’elle est
magnifiquemaiselleéclipsemoncomplimentenrougissant.—OnvaêtrelesdernièresarrivéeschezDean,dit-elleaprèssatroisièmecouchedegloss.Tues
prête?—Rachael,jesuisprêtedepuistrenteminutes.—Pasfaux.Ellesaisitsapochettemarronpuisseprécipitesurmoipourmetirerhorsdulit.—Souviens-toi,dit-elled’untongrave,bois lepluspossiblechezDean,parcequ’unefoisà la
plage,c’estterminé.Plusd’alcool.L’idéed’uneduréelimitéepours’alcoolisersemblelapaniquer.—Pigé.
J’enfilemesbaskets,jettemonsweatgrissurmesépaules:jemetiensprêteàaffronterlabrisemarine.
—Allons-y.Danslacuisine,Dawn,entrainderangerlescourses,nouslanceunregarddésapprobateur.—Maman,minaudeRachaelentripotantsescheveux,tupeuxnousemmenerchezDean?—Rachael,tusaisquejeneveuxpasquetuaillesàcettesoirée.Tun’asmêmepasl’âge.—MaisMaman!Toutlemondeyva.Tuveuxquejepassepourunenulle?C’estcequejesuis
pourtoi?Unenulle?Sestalentsd’actricemefontrire.Dawnsemblesedemandersielledoitêtreunemamancoolou
unemamanstrict.Elledoitopterpourlapremièreoptionpuisqu’ellepousseunsoupirvaincu.—Neboispastrop.Toinonplus,Eden.Tesparentssaventquetuboisdel’alcool?—Mesparentssontdivorcés,dis-je,impassible.RachaelritauxéclatsmaisDawnsedécompose.Elleneposeplusdequestionsetheureusement,
sinonjeseraisforcéedeluidirequeoui,monpèreetEllasontaucourantquejevaisàunesoiréepouringurgiterautantd’alcoolquejepeux.Enfait,ilsmecroientaucinéma.
Elles’essuiesursonpantalonpuisposeunemainsursonfront,commepoursoulagerlemaldecrânequenousluiavonsdonné.
—Attendez-moiàlavoiture.Jevaischercherlesclés.Nousnousprécipitonsdehorsavantqu’ellenechanged’avis.Rachaelenprofitepourvérifierson
maquillagedans le rétroviseur.De l’autrecôtéde la rue, lavoituredeTylerest toujours là.Est-cequ’ilestentraindesepréparer,avecceparfumBentleydébilequeTiffaniaimetant?Jegrincedesdentsetmetourneversmonrefletdanslavitredelavoiture.Rachaelafaitdubonboulot:jesuissibienmaquilléequej’aidumalàmereconnaître.
—Lecoupdudivorce,c’étaitparfait,faitRachaelpar-dessuslavoiture.—Jevaisl’utiliserplussouvent.Dawn arrive à reculons. Quand nous sortons de l’allée, je commence à me sentir nerveuse.
Bizarre. Je suis déjà allée à pas mal de soirées depuis mon arrivée pourtant, ce soir, j’ai uneappréhensionparticulière.Peut-êtreparcequec’estungrosévénement,oupeut-êtreparcequenoussommesmineuresetquenousallonsessayerdenousincrusterparmidesadultes.Oualors:j’yserai,TyleryseraetTiffaniaussi.C’estça.
Le trajet ne prend que cinqminutes. Une fois devant la maison, je m’aperçois que je ne suisjamaisalléechezDean.Jenesavaismêmepasqu’ilétaitduquartier.Savoituregaréedevantmefaitrepenseràl’histoiredel’essence.DawnseretourneversRachael,inquiète.
— S’il te plaît, ne te saoule pas. Tu as encore quatre ans avant d’avoir vingt et un ans, alorsestime-toiheureusequejetelaisseyaller.Soisresponsable.
—Jesais,Maman,faitRachaelavecunsoupirthéâtral.—Toiaussi,Eden,soisprudente.—Merci,dis-je,presquesarcastique.Un instant, j’ai peur qu’elle ne me trouve insolente. Finalement, Rachael sort et je la suis en
faisantsigneàsamère.—Mamèrecrainttrop,s’excuseRachael.Jenetrouvepas.Mamèreauraiteulamêmeréaction.— Elle me fait le même cinéma chaque fois que je sors. Comme si elle voulait me faire
culpabiliser.Elle me tire la langue parce que je ris sous cape. Arrivée sous le porche, j’ai les mains qui
tremblent.Lamusiqueetlesriresrésonnentàl’intérieur.—Jefrappe?
—Hein?Maparole,Eden…Allez,entre.Sansattendrequejeposed’autresquestionscrétines,elleouvrelaporteavecunsourireradieux.Nous entrons directement dans le salon ; la cuisine est en face de nous. Dans la musique
assourdissante,jescrutelapiècepoursavoirquiestdéjàlà.Toutlemonde,ondirait.Rachaelavaitraison :noussommes lesdernières.Autourde l’îlotde lacuisine, legroupemarqueunepause. Ilssontentraindesefairedesshots.
—Ilétaittemps!s’écrieJaketandisqueDeanlescontournepournousrejoindre.Unverredanschaquemain,Meghanparvientànoussourireentrechaquegorgée.Jakeestavec
deuxtypesquejen’aijamaisvus.Jemedemandecequ’ilsfontici.—Allezlesfilles,prenezlerythme!faitDeanavecsabière.—Net’enfaispaspournous.Onboitvite,rétorqueRachael.Jesuissurlepointd’objecter.SiRachaelauntrucàreteniràmonsujetcetété,c’estquejesuis
une très mauvaise buveuse. Je trouve que l’alcool a mauvais goût et boire vite m’est quasimentimpossible.Laplupartdutemps,j’aidumalàl’avalersansavoirunhaut-le-cœur.
—Oui,onboitsupervite,j’ajoute.Deanlèveunsourcilperplexe.—Onallaitjoueràlaroulette.Nouslesuivonsjusqu’auplateauderoulette.Lesverresontl’airdégoûtants.Ilscontiennenttous
unemixturedifférente.—Eden,jecroisquetuneconnaispaslesgarçons,faitDeanenmetendantunebouteilledebière
auxagrumes.Heureusementqu’ilnem’arienproposédeplusfort.Ildésignelesdeuxinconnusquilèventla
têtepourmesaluer.Ilyaungrand,plusgrandqueTyler,quial’aird’envouloiràtoutlemondeetqui pourrait tous nous aplatir d’un coup.L’autre, plus râblé, porte une casquette sur une touffe decheveuxbruns.
—C’estJackson,m’informeDean.Etlegrand,c’estTJ.—Çava?faitTJ,avantdereprendresaconversation.— Ils sont dans l’équipe. Jacksonestwidereceiver etTJcornerback. Tu savais que je joue au
footballaméricain?Jesuislinebacker.Milieu,pourêtreexact.Tuaimeslefoot?C’est la première fois que je l’entends prononcer autant de mots. Enfin, balbutier, plutôt. Il
enchaînelesphrasessanss’arrêter.—Dean,tuboisdepuiscombiendetemps?Illèvetroisdoigts,penaud.—Troisheures?Onpeutdirequevousprenezcettefêtetrèsausérieux.Jeluitapotel’épaulepuiscontournel’îlotpourm’attraperunepaille.Nousnesommesqueneuf
etpourtantlamusiqueetlesvoixsontdeplusenplusfortes.D’ailleurs il y a deux personnes que je n’ai pas encore vues. Tyler et Tiffani. Peut-être ne
sommes-nouspaslesdernièresfinalement?Mais derrière la fenêtre de la cuisine, deux silhouettes attirentmon attention. Tyler et Tiffani,
évidemment. Ils neme voient pas les observer avec une grimace de dégoût. Tyler est en train defumerpendantqueTiffanis’agrippeàsontorsecommesielles’accrochaitàlavie.C’estunpeulecas,enfait.
Je posema bouteille. Personne neme remarqueme glisser par la porte-fenêtre, sauf Tyler etTiffani qui se taisent d’un coup. Tiffani pince les lèvres, agacée par mon intervention dans leurmerveilleuseromance.SiseulementMeghanétaitlàpourpoufferderire.
—Tupeuxretourneràl’intérieur?m’ordonne-t-ellesansmêmefairesemblantd’êtregentille.Etnouslaissertranquilles,parexemple?
—Fiche-luilapaix,grommelleTyler.Tiffaniestaussisurprisequemoi.Elle lui lanceunregardassassinet reportesonattentionsur
moi.Sanstenircomptedesonvisagedéformé,jedésignelejointdanslamaindeTyler.—Qu’est-cequetufais?—Détends-toi,c’estqu’unecigarette.—C’esttoutcequetuvasfumercesoir,n’est-cepas?Descigarettes?Ilsecontentedem’observeravecnonchalanceentirantunelatte.—Situeslàpourm’interroger,sœurette,tupeuxretourneràl’intérieur.J’ignoreTiffaniquis’esclaffe.AutourdeTyler,toutsebrouillederrièrelafumée.Iln’avaitplus
utilisécetoncondescendantavecmoidepuisdessemaines.J’aienviedeluimettreuneclaquemaisses yeux se durcissent tandis qu’il inhale une autre bouffée. Soudain, je comprends : il joue lacomédie. C’est ce qu’il fait tout le temps. Il a remis son masque de gros dur qui lui donnel’impressiondemaîtriserlasituation.Évidemment,puisqueTiffaniestlà.Ilnepeutpassepermettredeluirévélercequ’ilestréellement:perdu.Complètementetparfaitementperdu.
—Onvajoueràlaroulette,jedisavecraideur.Sivousvoulezjouer,venez.—Jejoue!annonceTiffanienouvrantdegrandsyeux.Elle s’écarte de Tyler en chancelant. Jeme demande quelles sont ses priorités dans la vie. Je
dirais,dansl’ordre:lessacsVuitton,lesshotsdetequilaetmondemi-frère.Tylerestoccupéàalternerentresabièreetsacigarette.—Tuviens?—Çanesevoitpas?fait-ilsurlemêmetonhautain.Dépitée,jerejoinslesautres.Toutlemondeestrassembléautourdelaroulette,commedesvautours.Jakes’amuseàjongler
aveclesbilles.Plutôtimpressionnant,vusonétat.Ilnousfaitsigned’avancer.JemeglisseentreRachaeletDeanenattrapantmabièreaupassage.Deanpasseunbrasautourde
mesépaulesensirotant lasienne. Ilmeserreunpeu tropfort. Jake lance labille.TJet Jacksonsemettent à marteler la table du poing, faisant voler les verres à shots, mais Jake attrape le sien etl’avaleculsec.
—Ahmaisc’estquoicetruc?crache-t-ilaprèsavoiringurgitéleliquidemarron.TJestmortderire.—Delabouedujardin!Furieux, Jake le bouscule pour aller recracher dans l’évier. Il est sur le point de vomir quand
Tylerfaitsonentrée, lesmainsdanslespoches, leregardvide.Ilrejoint le jeu,cethorriblejeudel’inconnu. J’ai encore plus les jetons qu’il y a une minute. Qui sait quelles blagues encore pluscruellescestypesontbienpuconcocter?
— Je suis impatient d’être à la plage ! me hurle Dean dans l’oreille. Je suis super, hyperimpatient!
—Ilfautvraimentqu’onsedépêchedeboire,chuchoteRachaeldansmonautreoreille.Génial.Jemesuismiseentreunivrogneetunefutureivrogne.—MêmeMeghanadel’avancesurnous!C’est vrai. Je ne sais pas depuis combien de temps les autres sont là,mais ils sont en train de
passerd’éméchésàfranchementsaouls.Soitilsboiventdepuisledébut,soitilsboiventtrès,trèsvite.Sans doute un peu des deux. Je jette unœil àmes amis – plusTJ et Jackson – hystériques et toutsouriresdevantlaroulette,commesic’était lemeilleurmomentdeleurvie.Tous,saufTyler.IlsetientunoudeuxpasderrièreTiffani,commes’ilcraignaitde la toucher.Et ilme regarde.Moi,etseulementmoi.
J’angoisse.Tylernesaittoujourspascommentgérercettehistoire,etlegrandsouriredeTiffanidonnelamesuredesonautoritésurchacundenous.J’aienviedelesoublierunpeu.SijeréfléchistropàmasituationavecTyler,jevaisgâchermasoirée.
Agrippéeàmabouteille, jeme forceàprendre l’air leplusenjouépossibleetme tourneversRachael.Tiffaniveutducool,jevaisluiendonner.
—C’estparti,buvons.—JesaisoùlesparentsdeDeanplanquentlesmeilleurstrucs,mechuchoteRachael.Ellem’attrapelepoignetetm’entraînedansuncouloirplusfrais,oùlamusiqueestmoinsforte.—Ilssontlà?—Qui?—Sesparents.—Àl’étage.Nousdébouchonsdansunepiècesombreetfroide.Mamainrencontreunevoiture:noussommes
danslegarage.—Oùestlalumière?marmonneRachaelentâtonnantjusqu’àl’interrupteur.JedécouvreàcôtédemoiuneBMWnoiredontjem’écarterapidement.Ilyadescartonsempilés
danslescoinsetlesmurssontcouvertsdetrucsdefootballrougeetblanc.Maillotsdefootencadrés,drapeauxetbannièresentoutgenre,etmêmeunevitrinerenfermantdescasquesdorés,desballonsetdestasdephotos.
— Son père est un fan des 49ers de San Francisco, rigole Rachael en dansant jusqu’auxrayonnagesoùsetrouvel’alcool,aufonddelapièce.
Ellelesexamineavecsatisfaction.—Jetel’avaisdit!Quantàmoi, jescrute lesphotos.Sur l’uned’elles, je reconnaisDeanavecquelquesannéesde
moins,drapédansunmaillotdes49ers,unecasquetterougesurlatête.Àsescôtés,unhomme,vêtupourlacirconstance,poseunemainsursonépaule,unhot-dogdansl’autre.Sûrementsonpère.Ilssont à l’entrée du Levi’s Stadium. Les photos de ce genre sont nombreuses. On dirait qu’ils ontdocumentéchaquematchdes49ersauquelilsontassisté.
L’undesclichésattiremonattention.Ilyaquatrepersonnes:Deanetsonpèredansleurpositionhabituelle,etàcôtédeDean,ungarçondumêmeâgequelui,environdouzeans,auxcheveuxnoirsetauxyeuxverts.
—Nousallonsboirecette tequilaetnousallons laboiredirect, sansselet sanscitron,déclareRachael,têtehaute,unebouteilledeCazadoresenmain.
Jeluilanceunregardsceptiqueetdésignelaphoto.—C’estTyler?Ellesepenchepourmieuxvoir.—Maparole,maisc’estunfœtus!LeTylerdelaphotoarborelemêmemaillotqueDean,maispaslamêmeexpression.Ilal’air
soucieuxetneregardemêmepasl’appareil.Ilesttournésurlecôtémalgrélebrasdesoncopainsursonépaule.Peut-êtrequ’ildétesteles49ers?Peut-êtrequ’ilestfandesChargers?ÀcôtédupèredeDeansetrouveunautrehomme.Lescheveuxnoirs,iltourneledosàl’appareilcarildésignelenompersonnalisésursonmaillot:GRAYSON.
Oh. Le père de Tyler. C’est la première fois que je le vois, ou dumoins un bout de lui. J’aisoudainbesoindevoirsonvisage.
—C’estsonpère,là?—LepèredeDean?demandeRachael,occupéeàouvrirlabouteille.Oui.—Non,l’autre.C’estlepèredeTyler?
Ellevérifiedenouveaulaphoto.—Oui.PlusTylervieillit,plusilluiressemble.Dumoinsdecequejemesouviens.Ildoitêtre
supervieuxmaintenant,avecunebarbeettout.Onaledroitdeseraserenprison?—Aucuneidée.Cette imagem’intrigue.Deanet sonpèreont l’air tellementheureux…Tandisqu’àcôtéd’eux,
c’est tout le contraire.Tyler et sonpère se tiennent à l’écart l’unde l’autreetTyler a l’airvideetabattu.Pourquoi?
—C’estquoileproblèmedeTyleravecsonpère?Jesaisqu’ilyauntruc,maisquoi?—Jenesaispas.C’esttaboudanslegroupe.OnneparlepasdupèredeTylersaufsionaenvie
demourir,toutcommeonneparlepasdeMSTdevantMeghanparcequesaplusgrandephobiec’estdeseréveilleraveclachlamydia.
—Ilaétéadopté?—Hein?Elleréfléchituninstantàl’éventualité,avantdesecouerlatête.—Non,sûrementpas,c’estsonportraittoutcraché.Tropderessemblance.Allez,viens.Ilfautse
magnersinononvaêtreàlatraîne,fait-elleenagitantlabouteille.—OK,OK,jesuisprête.—Tuvasavoirl’impressiond’êtreenfeu,maisonserasaoulesendeuxsecondes.Alorsprends
toncourageàdeuxmainsetavale.Crispée, jeme préparementalement. La dernière fois que j’ai bu de la tequila, j’ai dû courir
recracherdansl’évier.Etilyavaitduseletducitron.—Bonsang.Allez,c’estparti.Rachaelavaleunegrandegorgéeavantdeseplierendeux,mainsurlabouche,enmepassantla
bouteille.—OhmonDIEU!Ellesecouelatêteengrimaçant.Jesuissurlepointdemedéfiler.Pourquoim’infligerunetelletorture?Rachaelagitesesmains
devantsabouche.Qu’est-cequejefabrique?MaislesparolesdeTiffaniaucentrecommercialmereviennent.Pasdesouciavecmoi,jenesuispasuneimprudente.
AlorsjeserrelabouteilledeCazadores,penchelatêteenarrièreetengloutisautantdetequilaquepossible.Mabouches’enflamme.Latequila,çaressembleàdel’urineetçaaungoûtdegasoil.
Jefaispasserletoutavecunegorgéedebièrequipassecommedel’eau,encomparaison.Etjecontinue à boire, boire et boire jusqu’à terminer la bouteille. Puis je m’écroule contre le mur,épuisée,àboutdesouffle.
—Encore,faitRachaelenm’arrachantlatequiladesmains.Je parviens à suivre lemanège et au quatrième tour, j’arrive à saturation.À la seconde où la
tequilatouchemalangue,jerecrachetoutsurlaportièredelaBMW.—Eden!Rachaelpartdansunfourired’aumoinstroisminutes.Jesuishorrifiée.Deanvamehaïr, sesparentsvontmepoursuivreen justiceet jevais finiren
centrededétentionpourmineurs.— Qu’est-ce qu’elle fiche ici, cette voiture ? je m’exclame, exaspérée et rouge comme une
pivoine.—C’estungarage!—Jecroyaisquec’étaitunsous-sol!Aumilieudeséclatsderire, jeperdsl’équilibreet jenepensequ’àunechose: latequila,c’est
vraimentdelasaleté.
JesavaisqueRachaeltenaitmall’alcool,maisj’ignoraisquemoiaussi.Manquerledînern’étaitpeut-êtrepasl’idéedusiècle.Jecroisquejecommenceàcomprendrecetteblague.Unetequila,deuxtequilas,troistequilas,quatre…pattes!
Et pour cause :Rachael se roule par terre,morte de rire, incapable de se relever, ravie d’êtreétaléelà,commeunphoquesurlabanquise.
—Ilfautcontinuer!dis-jeententantdelareleversansyparvenir.Àlaplace,jem’écroulesurelle.—Oui,oui!Continue!fait-elle,hystérique.—C’estquoi,lasuite,bébé?dis-jeenreniflant.Toutcelaestsihilarant,sidécomplexé,si imprudent. Jenepeuxpasm’enempêcher.Allongée
surledosàcôtédeRachael,j’observeleplafond.—Cegarageesttellementbeau.Rachael ne s’arrête plus de rire. Les yeux fermés, elle ne fait aucun bruit, j’entends juste sa
respirationsaccadée.—Onestfolles.Je me redresse sur les genoux en m’efforçant de reprendre mon sérieux. Quinze minutes à
enchaînerlesshotsdetequilaetnoussommescomplètementmortes.Remarquable.—Ilfautcontinuer!C’esttoiquim’asditdeboireautantquepossible.Avec un regain d’énergie, elle se relève en s’accrochant au rétroviseur de laBMW.Sobre, je
m’inquiéteraisd’abîmerlavoiture,maisjenesuispassobreetçam’estcomplètementégal.—Jägermeister!Elleattrapeunebouteillenoiresurl’étagèreetmelatend,enchantée.—Àl’overdosed’alcool!Quinzeminutesetdeuxshotsmortelsplustard,jemedemandecommentj’aipuêtreassezstupide
pourboireautantensipeudetemps.C’estlegenredechosescontrelesquelleslesparentsetlesprofsnecessentdenousmettreengarde.Maistoutlemondes’enfiche.Personnenesepréoccupejamaisdes conséquences, parce que entre lemoment où l’on boit et les effets, ça semble toujours être lameilleureidéedumonde.CequiexpliquelaprésencedeRachaelsurlecapotdelavoiture,entraindechanterl’hymnenationalaveclaCazadorescommemicro.
—Eden,c’esttropbiendesesaouleravectoi,annonce-t-elleavecunepetiterévérence.Elleestenjupeetsoutien-gorgeaprèsavoirjetésonhautpar-dessusbord.Toutàcoup,lamusiquedevientplusforteetquandjedétournelesyeuxdeRachael,jecomprends
quelaportedugarages’estouverte.Deanestlà,brascroisés.Nouscessonsimmédiatementderire,pétrifiées,unrictushonteuxauxlèvres.
—Rachael,descendsdelavoiture,s’ilteplaît.Elles’assoitsurletoitpourselaisserglisserenréprimantunéclatderire,maistombesurlecôté
etatterritparterre.Labouteillesebriseetjepouffetandisqu’elleronchonnetoutengloussant.—Bonsang,Rachael.Faisgaffeauverre,faitDean,trèssobreparrapportànous.Ils’avancepourl’aideràserelever,dégoûté,puissemetàlarecherchedesonhaut.—Onvayaller.Ilesténervéetmoijenepeuxm’empêcherderiredansuncoinpendantqu’ilrhabilleRachael.—Tuasbubeaucoup?Ellemefaitsignesansrépondre.JedéposeavecprécautionlabouteilledeJägermeisterparterre
etcontournelavoitureenévitantleregarddeDean,quisoupireetnouspousseverslesalonoùJaketientlaported’entréeouverte.
—Qu’est-cequevousfichiez?demande-t-il.Nouséchangeonsunregardenpouffant.Impossibledenousarrêter.
Deanéteintlamusiqueetcrieàsesparentsquenouspartons.JesuisRachaeljusqu’àunminivan.J’entendsMeghanm’expliquerquelecousindeDeanaacceptédenousemmener,mêmes’iln’yapasassezdesiègespourtoutlemonde.Nousnousentassons–Rachaeldoits’asseoirsurmesgenoux–avecDean et Jake. Je suis trop saoule pourme préoccuper de Tyler et Tiffani, l’un sur l’autre àl’arrière. Lui regarde par la vitre et, quand je lui jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, jem’aperçoisqu’ilestleplussobred’entrenous.Ilsentmonregardetmelerend.
Je suis aux anges. Devant mon sourire bancal, vu mon état, il fronce les sourcils d’un airréprobateur,ouinquiet,jenesaispas.Ilseretourneverslavitresansmelaisserletempsdetrancher.
Jepasselerestedutrajetàfairedesblaguesetàrire,encoreetencore.Jemesensenconfiance:tout lemondeestaussiéméchéqueRachaeletmoi.D’ailleurs,nousnesommespaséméchés,noussommesivresetc’esttrèsagréable.
27
Toute lapartiede laplageprèsde la jetéeaétéferméepour l’occasion ; lesroutesaussi,et lepérimètreestsurveillépardesvigiles.
À notre sortie du minivan, l’atmosphère électrique vibre de musique et de voix. Une scène,flanquéedegrossesenceintesnoires,surlaquelleunDJfaitsonset,sedresseaumilieudusable.
—Sil’und’entrevousnousfaitvirer,jeluicasselatête,nousmenaceJake.Saufsivousêtesunefille,danscecasjenevousparleplusjamais.
Surcesmots,nouspassonslesbarrièresdesécurité,têtesbasses.Jemedemandesij’ail’airaussisaoulequeje lesuis.J’espèrequenon,sinonjevaismefairesortirencinqminutes.Nouspassonssansencombreaumilieudelafoule.Jepensaisquenousallionsresterensemble,maisavecunsignedetête,lesgarçonss’éloignent,mêmeTyler.
—Ilfautabsolumentqu’onsebaigneàpoil!lanceRachaelpar-dessuslamusique.Deshommesnonloindenousl’entendentetl’encouragent.—Ilnefautsurtoutpasqu’onsebaigneàpoil,rétorqueTiffani,enfusillantlestypesduregard.Ellenousentraînedanslafouleetjemanquedemetordrelachevilletellementjesuisalcoolisée.LesabledanslesConverse,c’estlaplaie,alorsjelesretireetlesattrapeparleslacets.Jesecoue
latêteenmusique,bousculéedetouscôtésparlesfêtards.Toussontmajeurs,maisçanemedérangepas.
—Jaredestlàavecsespotes!nouscrieMeghanensetouchantlescheveux,paniquée.Àquoijeressemble?
—Àquelqu’unquicherchelesproblèmes!faitRachaelavecperspicacité.—Parfait!Ellenousenvoieunbaiseretdisparaîtdanslafoule.Jedoutequ’ellereviennedesitôt.J’agitemeschaussuresenl’airsouslesregardsnoirsdesgensautour,probablementparcequeje
menacedelesfrapperauvisageàchaqueinstant,maisjemesensbientroplibreetinsouciantepourm’excuser.Etparmiracle,jedanse:demanièresauvageetfrénétique,certes,maisjedanse,cequiestplutôtrare.LeDJpassede lahouse, tout lemondelève lesmainsen l’air, j’ai la têtequi tourneetmêmel’océansemetàtanguer.
Jem’amusecommeunefolle, jusqu’àcequeTiffaninoussaisisse,Rachaeletmoi,par lebras.Ellen’apasl’airdes’amuserautantquenous.
—JevaischercherTyler,fait-elle,trèsénervée.
—Noooon!protesteRachael.Resteavecnous!—Jedoisgarderunœilsurluiaprèscequis’estpassél’andernier.Souslesoleilencorebrûlantdusoir,jeplisselesyeux,meschaussuresauboutdesdoigts.—Qu’est-cequis’estpassél’andernier?—Edens’ilteplaît,arrêted’agitercestrucsdanstouslessens.Ellem’arrachemesConversedesmainsenregardantavecdégoûtlesparolesécritessurlescôtés.—Tuesridicule,essaiedetecomporternormalement.Bon,amusez-vousbientouteslesdeux.Rachaelhausselesépaules,tandisqueTiffanisefrayeuncheminhorsdelafoule.—Qu’est-cequis’estpassél’andernier?jerépète.LescontoursdeRachaeldeviennentflous.—Tyleraprisdestrucslouches,medit-elleàl’oreille.Ils’estévanouietonatouscruqu’ilétait
mort,maisaprèsils’estmisàconvulseretons’estdit«Ohmerde,iln’estpasmort»,etvoilà.Onl’aramenéchezTiffanietelleapleurétoutelanuitparcequ’àcausedelui,elleétaitpasséepouruneidiote.Elles’estenferméedanslasalledebains,alorsonestrestéspours’assurerqu’ilallaitbienetças’estarrangé.C’étaithyperflippant,etTiffaniapeurqu’ilrefasseuntrucdanscegenre.
Denouveauessoufflée,ellesetaitetprendunegrandeinspirationexagérée.Sij’étaissobre,jem’inquiéteraisetpartiraisàlarecherchedeTylermoiaussi,mais…non.J’en
veuxàTiffanidesepréoccuperdesaréputationplusquedelaviedesoncopain,maisjeretourneàmadanse,commeRachael.
Leproblèmequandonestsaoul,c’estqu’onperdtoutenotiondutemps.J’ail’impressionquedixminutes ont passé mais le ciel qui s’obscurcit m’indique qu’il doit déjà être tard. Je transpire àgrossesgouttesetquandjetournelatête,jem’aperçoisquejesuisseule.Rachaeladisparu.
—Oh,dis-jeavecungloussement.De plus en plus claustrophobe, j’amorce une sortie de la foule en dansant. On me lance des
regardscurieux.C’estévidentquejesuistropjeunepourêtrelà.Loin de la scène, certains se baladent sur le sable par petits groupes, d’autres donnent tout ce
qu’ilsontpourdraguerdesfilles.Quandlafoules’amenuise,jem’arrêteuninstantpourrespirer.Jen’aiplusd’énergie.Prèsdemoi,unebagarreéclate.Unvigile seprécipiteenhurlantetparvientàtraînerlesdeuxtrouble-fêteàl’extérieurdupérimètre.
C’estàcemomentquelasolitudesefait ressentir.Durantuneseconde, lapaniques’emparedemoi et j’attrape mon téléphone dans la poche de mon sweat. Sauf qu’il y a un problème. Pas detéléphone.
Je fouille l’autre poche,mon soutien-gorge,mes chaussures. Pas de téléphone, et pas d’argentnonplus.Toutadisparu.Mesaffairesontputomberetêtreensabléessixpiedssousterre,oualorsonm’a tout piqué.Quoi qu’il en soit, je n’ai aucunmoyen de joindre quelqu’un. Encore une fois, sij’étaisdansmonétatnormal,j’auraisassezdebonsenspourcomprendrequecen’estpaslafindumonde et que lamaisonn’est qu’àquaranteminutesdemarche.Mais je ne suis pasdansmonétatnormal,alorsc’estlafindumonde.
Jefondsenlarmes.Monsweatresserréautourdemesépaules,jeregardelesable.J’aipeurqu’onnes’aperçoivequejesuisentraindepleurercommeunegamine.
—Bonsang,Eden.Lavoixdouceetfamilièrestoppenetmessanglots.Jelèvelatêtepourdistinguer,àtraversmes
yeuxmouillés,Tylerquis’approche.Jem’essuielesyeuxdelamanchedemonsweatenfaisantattentionànepascauserplusdedégâts
àmonmascara.—Tiffanitecherche.Tacopine.—Maispourquoitupleures?
Sesyeuxémeraudemerappellentlacouleurdesalgues.Leslarmesmontentànouveau,jemedétourne.—Toutlemondeestparti.Tiffani,Meghan,Rachael…Montéléphoneaussi.Tylersaisitmonbrasetmedétailledelatêteauxpieds.—Tuesencoresaoule?—Ettoi?—Plusmaintenant.Ildéfaitleslacetsdemeschaussuresetlesposeparterre.—Remets-les.Ilyadesdéchetspartout.Ila raison, laplageestcouverted’emballagesdenourriture,decanettesécraséesetdemégots.
J’aidanséparmitouscesdétritus.J’enfilemesConversepleinesdesableà lahâte.MaintenantqueTylerestlà,jemesensensécuritéetjeluisourissousmonmaquillagecatastrophique.
—Tonpèrevatetuer,marmonne-t-il.Ilréfléchit.Jen’avaispasprévudeluicauserdesennuis,maistoutàcoup,jesensmesbatteriesrechargéeset
prêtesàfaireànouveaulafête,alorsjemedégageetm’éloignedelui.Jem’arrêteàquelquesmètresetme retourne avec un sourire espiègle. Ilm’observe, soucieux, tandis que les gens passent entrenous.Quandiln’yapluspersonne,jemejetteparterreetmerouledanslesablejusqu’àlui.Çanefonctionne pas très bien et je termine ma course, les jambes emmêlées et l’épaule possiblementdisloquée.J’entendsdesriresautourdemoi.
—Relève-toi,ordonneTylerenmesoulevant.Qu’est-cequejeviensdetediresurlesdéchets?—Maisj’adoooorecetteplage.J’ailatêtelourde.Tylerm’empêchederetomberenmetenantparlesépaules.—Jereviensl’annéeprochainejustepourcettesoirée!—Tureviensl’annéeprochaine?Devantsonairsérieuxetpressant,l’alcoolsembles’évaporerinstantanémentdemonorganisme.—Jenesaispas.Çadépendsimonpèreveutbiendemoiounon.— J’espère qu’il voudra bien.Moi en tout cas, c’est sûr,murmure-t-il, sesmains toujours sur
moncorps.Monbref instant de sobriéténedurepas et jeme remets à tanguer entre sesbras sans le faire
exprès. J’entends à peine ce qu’il me dit. Je danse, vaguement consciente que j’ai l’air tout à faitidiote.
—Tutefaisremarquer,souffleTylerenm’enlaçantplusfortpourm’empêcherderemuer.Tuvasnousfairerepérer.
—Maisj’aivingtetunans!Jegigotesoussapoigne,cequimefaitglousserdeplusbelle.—Bonsang,peste-t-il.Ilsedétourne,yeuxclos,puis,déterminé,ilmecontourneet,d’unmouvementsouple,mecharge
sursondos.—Ilfautquetudessaoules.Mesbrasautourdesoncousontprobablemententraindel’étrangler.Ilmetientparlescuisses,
mesjambesautourdesataille,etilavanceavecunetelleaisancequej’ail’impressiond’êtrelégèrecommeuneplume.Latêtesursonépaule,jerespiredanssoncou.
—Troy-James!appelle-t-ilens’arrêtant.Curieuse, je lèvela têtepourdécouvrir troispersonnesquiseretournentversnous.Deuxfilles
et…TJ.Le typedechezDean,qui joueau foot.Troy-James.Quand je fais la relation, jeme senssoudainextrêmementintelligente.
—Çava?faitTroy-James,ouTJ.Sonexpressionsévèreadisparu, ila l’airdes’amuser.Logique,puisquedeuxfillesplusâgées
sontàsescôtés.Ellesm’adressentdesregardscompatissants.—J’aibesoindetonappartement,ditTylersansdétour.TuestoujourssurOceanAvenue?—Mec…C’estquoitesprojets,là?demande-t-ilenéchangeantdesregardsaveclesdeuxfilles
qu’ilsembleavoirséduites.—Jevaislafairedessaouler,sinonsonpèrevalatuer.—Mec,tugâchesmesplans.—Onpeutallerchezmoi,intervientl’unedesfilles.Surce,TJsortsesclésqu’illanceàTyler.Aussisimplequeça.—Tuleslaisserassouslepaillasson.Puisils’éloigneaveclesfilles.Tylerseremetenmarcheet jem’aperçoisquenousquittonsla
fête.—Pourquoionvadans sonappartement ?dis-jedans sachemise, incapablede relever la tête.
Pourquoiilaunappartement,d’ailleurs?—Parcequetuesentraindetemettrelahonte,fait-ilavecunéclatderire.Etsesparentssont
millionnaires.Ilsluiontachetéunappartpoursesseizeans.Quifaitcegenredetrucs?—Desmillionnaires.Ilritànouveau.Quitterlafêtenemedérangepas.J’aidéjàperdumontéléphone,monargentetmesamislà-bas.
Àprésentquel’alcools’évaporeetquelesoleilsecouche,jen’aiqu’uneenvie:rentreràlamaison.Cequin’estpasuneoptionenvisageableenl’état.Heureusementquec’estTylerquis’estportéàmonsecours.SiJake,Dean,oumêmeMeghan,avaienttentédemefairesortir,jecroisquejemeseraisbattue.
—Tupeuxmereposer,tusais,dis-jeauboutdedixminutes.J’aipeurdeluifairemal.—Pourquetutefassesrenverserparunevoiture?Iltraverselarouteprudemment.Onentendencorelamusiqueprovenantdelaplage.—Maisturateslafête,jeproteste.Sans répondre, ilmeporte jusqu’àune résidencepeupléed’appartementsetd’hôtels surOcean
Avenue. Ce sont des bâtiments qui donnent sur la plage et que j’ai vusmille fois en faisantmonjogging.Arrivésdevantunpetitimmeuble,ilmeporteavecprécautionjusqu’auperronetmereposeparterre.J’ailesjambesquiflageolent.
—Commenttutesens?—Embarrassée.Mondernierverredated’ilyatroisheures.Jecommenceàmerendrecompteàquelpointj’ai
étéridicule.JemerappelleavoircrachésurlavoituredesparentsdeDean.Tylermefaitentrerdansunhallsomptueux,auparquetlustré.—Onesttouspassésparlà,dit-ilpourmeréconforter.—Commel’annéedernière?Jenevoulaispasêtreméprisante,jesuisjustecurieuse.Toujourscurieuse.Ils’arrêtenetetseretourneversmoiavecuneexpressionsévère.Jemeprépareàl’explosion,qui
n’arrivepas.Ilsecontentedem’entraînerdansl’ascenseur.—206,dit-ildoucement.Sesdoigtsautourdemonpoignet,ilévitemonregardpendantlamontée.L’appartement206setrouveàl’avantdel’immeuble.J’observelepaillassonavecleplusgrand
intérêt. Apparemment, la tequila rend réceptif à l’art des paillassons. On me pousse dans
l’appartement.C’estvraimenttrèsbeau.Parlesverrières,lalueurducouchantilluminelesalond’unemagnifiqueteinteorangée.Onne
voitçaquesurdesimagesphotoshopées,engénéral.Maisici,leshautesfenêtresdonnantsurlaplagecapturentl’essencedelabeauté.Jeresteébahiequelquesinstants.
—Tiens,faitTylerderrièremoi.Boisça.Maintenant.Ilmecolleunverred’eaudanslamain.Cen’estquequandj’avalequejemerendscompteàquelpointjesuisdéshydratée.Jeletermine
enuneseconde.—Assieds-toi,fait-ilendésignantlecanapédumenton.Ilmepoussepourquej’obtempère.—C’esttellementbeau,dis-je,unefoisassise.Jem’étendssurlescoussins,lesyeuxsurlesfenêtres.Entendantl’oreille,onentendencoreles
vibrationsdelamusique.—Tunetrouvespas?—Si.Jambes croisées, je l’observe remplir à nouveau le verre à l’évier. Il me l’apporte avant de
s’essuyerlesmainssursonjean.Lecalmedelapiècecontrasteaveclafêtequifaitrageenface.Assisàquelquescentimètresde
moi,Tylermeregardeboire.—Ilfautquetudormes.C’estétrange,cetteinversiondesrôles.D’habitude,c’estmoiquim’occupedelegérer.—Viens.Ilmeprendmonverreetmefait lever.Ilneremarquepasquejetressaillequandilmetouche.
Délicatement,ilmetientparlataille,aucasoùjeperdraisl’équilibre.—Çavaaller?—Oui.Ilserreunpeuplusfortmamainetm’emmènejusqu’àunepetitechambre.Presquesansm’enapercevoir,j’ôtemeschaussuresetjemedirigeversl’énormelitquioccupe
toutl’espace.Tylerpasseunemainsousmesgenouxetmesoulève.Il a de si beauxyeux, si fascinants qu’il est impossibledenepas être attiréepar sonvisage, à
quelquescentimètresdumien.Ilnemeregardepas,maisjesenssoncœurs’emballer.Puis,presqueaussivitequ’ilm’asoulevée,ilmedéposesurlelitettirelesdraps.
—Jevaistechercherdel’eau,fait-ild’unairtimide.J’observelapiècependantsonabsence.Jeposelesyeuxsurunmiroiraumuretrestecoite.Je
suishideuse.Mescheveux,quej’aimisuneheureàlisser,sontrevenusàleurétatinitiald’ondulationagrémentéedenœudsetdesaleté.Mêmetraitementpourmonmaquillage.J’aiperduundemesfauxcils.J’arrachel’autrequejecollesurlatabledenuit.
—Tiens.Jesursaute.Tylerestderetouravecunverrepleinàrasbord.—Del’eauetdusommeil:leseulmoyendedessaoulerenlimitantlagueuledebois.Avecunpetitrire,ilvafermerlesrideaux.—Tudevraisappliquertesconseilsparfois.Laprochainefoisquetuesivre,jeterépéteraiça.Ilseretourneenréprimantunsourire.—Repose-toi,Eden.Jefinisparcéder.Aprèstout,ilaraison.J’aivraimentbesoindedormir.Accrochéeauxdraps,
j’enfouislatêtedansl’oreiller.Jem’apprêteàfermerlesyeuxquandjeremarquequeTylersemble
hésitersurlepasdelaporte.Jelèvelatêtepourmieuxlevoir.—Turetournesàlasoirée?—Jenesaispas.Tiffanidoitêtreentraindemechercherpartout.—Oh.—Jetelaissedormir.Sonsourireestl’undeceuxquej’adore.Sincère,tendreetrassurant.Jemetournedel’autrecôté.Ilmemanquedéjà.Jeveuxqu’ils’allongeprèsdemoi,commela
nuitoùils’estglissédansmachambre.Jeveuxsavoirqu’ilestlà,avecmoi.Jeveuxsentirlachaleurdesapeau.C’esttoutcedontj’aibesoin.
Jecroisquec’estàcemomentprécisquejecomprendsquejel’aime.
Jeme réveille quelques heures plus tard dans une chaleur insupportable, en sueur. J’engloutismonverred’eaudevenutiède.
—Commenttutesens?Dans la pénombre, je distingue la silhouette de Tyler près de la fenêtre. Quand les miens
s’habituentàl’obscurité,j’arriveàvoirsonvisage.—Mieux.C’estvrai.Lapiècenetourneplusetmespenséessemblentànouveaucohérentes.Leseulsouci,
c’estquej’aitropchaudettrès,trèssoif.—Quelleheureilest?—3heures.Ilémetunrirepresqueinaudible.Ilaouvertlesrideauxet,depuislelit,j’aperçoislecielnoiret
lalune.Onentendencorelamusiquedelaplage.—Lafêtebatsonplein.—Tun’yespasretourné?—Non, fait-ildansunmurmure. J’avaispeurque tu temettesàvomir.Et ilvautmieuxque je
resteloindetoutça.Cen’estpasqu’ilaitl’airextrêmementheureuxd’habitude,maislàilsembletriste,malàl’aiseet
vulnérable.Épuisé,peut-être.Jem’agrippeauverre.—Qu’est-cequinevapas?—Rien.Lesyeuxdanslevague,lescoudesappuyéssursesgenoux,iljointlesmains.—Jesaisqu’ilyaquelquechose.Jeboissanslequitterdesyeux.J’aipeurderaterundétail,uneétincelled’émotion,surtoutqu’il
estdouépourfairesemblant.—Qu’est-cequinevapas,Tyler?Sesépauless’affaissent.—C’estjusteque…—Quoi?—Àcettepériode,l’annéedernière…—Tuasfaitunecrise,jetermine.Rachaelm’araconté.Àcausedeladrogue.—Contente-toideboiretoneau.Il se lève, le visage assombri, tandis que jem’exécute. Jeme lève àmon tour. J’ai les jambes
raides.—Pourquoitufaisça?
Illèvelesmainsensignededésespoir.Jerecule,depeurdelemettreencolère.—Pourquoitumedemandesencore?—Parcequejeveuxlavérité.—Jetel’aidéjàdonnée,tavérité.Lacolèrequimonteenluicoloresesjoues.—Jelefaispourmedistraire.—Dequoi?Jecrieàmoitié,parcequej’enairasleboldeneriensavoirdelui.— C’est ce que je veux savoir, Tyler. Je veux savoir pourquoi tu as besoin de toutes ces
distractionsdébiles.Les gens comme Tyler ont une raison. Personne n’agit jamais de la sorte uniquement pour
s’amuser.Personne.—C’estplusfacilecommeça,souffle-t-il.—Maisquoi?Ilserrelesdentsetlespoings,sesveinesgonflent.Jepeuxpresquel’entendreréfléchirpendantle
longsilencequis’ensuit.—Arrête,Eden,fait-il,d’unevoixaussidoucequemenaçante.—Quej’arrêtequoi?Jem’approcheensoutenantsonregardetm’efforcedeneplusbattreenretraite.Jevaisdécouvrir
lavérité,etcenesontpassesregardsfurieuxquivontm’enempêcher.—Arrêted’essayerdemecomprendre.Ildécoupechaquesyllabe, fermement.Son regardnoirme rappelle laphotodans legaragede
Dean.Cellequilemontreavantunmatchdes49ers.Celleavecsonpèreàl’autrebout.Ilmefaitpenseràunpuzzled’unmilliondepièces.Unmorceaudevéritéàlafois,c’estcequ’il
faut.—Tyler,49ersouChargers?—C’estquoicettequestiondébile?Lechangementde sujet le laissemuet.Je rêveoù elle vient depasser de fille pénible à fande
foot?—49ers,dit-il.Jenecomprendspas.Çanecollepasaveclaphoto.—J’aivuunephotochezDean.Detonpèreettoi,avantunmatchdes49ers.Commentçasefait
quetuavaisl’airaussirenfrogné,situesunfan?—Deanétaitcenséplanquercettephoto,fait-il,incrédule.—Répondsàmaquestion.Jecommenceàm’impatienteretj’yvaisauculotparcequetoutcommenceenfinàs’emboîter.—Qu’est-cequin’allaitpascejour-là?Ils’empareduverresurlatable.Illeserresifortquej’aipeurqu’iln’explose.Puisilsedirige
verslafenêtreetonn’entendplusquelesvibrationsdistantesetsarespirationlourde.Derrièrelespalmiersquibordentl’avenue,ondistingueleslumièresdelajetéeetlagranderoue
quitournesansarrêt.Étrange,c’estpourtantlemilieudelanuit.Dosàmoi,Tylerbaisselatête.—Quies-tu,Eden?Tun’espascenséemecomprendre.Personneneledoit.L’atmosphères’esttransformée.Abattu,Tylereffleurelebordduverre.Jeneveuxplusparler.Je
veuxobserverchacundesestraits,chacundesesdéfauts,danslesilence.Jeveuxvoirsamâchoiresecontracterquandilréfléchit.Jeveuxqu’ilmefasseassezconfiancepourmeconfiersespensées.Jeveuxvoirenlui,pourlecomprendre,pourl’accepter.
Jeleveux.
Jechuchotesonnom,envain.Ilnemejettequ’unrapidecoupd’œil.—Tyler.Fais-moiconfiance.S’ilteplaît.Ilsecouelatête,paupièrescloses.—Nemeforcepasàteledire.Jemeglisseentreluietlafenêtre,maisilneregardedéjàplusdehors,oùlanuitcontinuesans
nous.Délicatement,jeposeunemainsursontorse.—Jet’enprie.Quand ilouvre sesyeuxémeraudeavecune lenteur infinie, j’enai le soufflecoupé. Ils sont si
grands,sidoux,sitristes…Jel’aivufurieux,cruel,vulnérable,maislà,c’estau-delàdetout.Là,j’yvoisl’impuissance.
—Monpèreestunsalaud.J’aiditàtoutlemondequ’ilestenprisonpourvoldevoiture,maiscen’estpasvrai.
Il tourne la tête pour trouver le courage de continuer, puis il ose prononcer desmots qui nem’avaientjamaistraversél’esprit.
—Ilestenprisonpourmaltraitanceàenfant.Cesparolesdouloureusesàentendremecollentlachairdepoule.Lamaltraitanceàenfantestun
termequinedevraitjamaisdeveniruneréalité.J’ensuisatterrée.Ilrefermelesyeuxetcen’estquemaintenantquejecomprendscequ’iladûluiencoûterdeprononcercesmots.
—Surtoi?Ilacquiesce.Touslesdétailsquej’aicollectésjusqu’àprésents’emboîtentd’uncoup.Jenepeuxplusbouger,
seulementpenser.Voilàpourquoiilfaisaitlatêtesurcettephotographie.Voilàpourquoiiladéjàeulepoignetcasséetqu’ils’estmisencolèrequandjel’aiévoqué.Voilàpourquoiils’estdébarrasséd’autantdephotos.Voilàpourquoiilabesoindedistractions.Évidemment.
C’estsilimpide,maintenant.—EtJamieetChase?—Non,seulementmoi.—Tyler,je…Quelque chose en moi se brise à l’idée qu’il ait pu traverser une telle épreuve. Ma voix se
craquelle,jenepeuxpascontinuer.Unemainsursapoitrine,jesenssoncœurpalpiter.—Jesuisdésolée.—J’arriveplutôtbienàcachertoutça.Il s’écarte de moi tandis que la colère, alimentée par la souffrance, remplace son abattement
précédent.—Personnenelesait.PasmêmeTiffaniouDean.—Pourquoituneleurasriendit?—Parcequejeneveuxpasqu’onmeprenneenpitié.Ilsedirigeàl’autreboutdelachambreets’agrippeàlatabledechevet.—Lapitié,c’estpourlesfaibles.Jeneveuxpasêtrefaible.C’estfini,lafaiblesse.Ilassèneungrandcoupdepoingaumeubleavantdeseretourner,furieux.—C’estcequej’aitoujoursété.Faible.Parlafenêtre,souslecielnoir,lagranderouetournetoujours.Jecommenceàcomprendre.—Tun’étaispasfaible.Tuétaisunenfant.Il revientversmoipour s’asseoirdosaumur,complètementdéfait.Une foisdeplus sacolère
s’estmuéeenvulnérabilité.—Tusais,jen’aipastoutdesuitecompris,dit-il,leregardfixe.Jen’aijamaiscomprisceque
j’avaisfaitdemal.
Jeme retiensdeposerdesquestions etm’assieds en tailleurdevant lui. Il veutque je l’écoute,alorsjemetais.
Ilparletrèslentement,commes’ilpesaitchaquemot.—Mamèreetmonpère…Ilsétaientencoreadosquandilsm’onteu.J’imaginequ’ilsn’avaient
aucuneidéedecequ’ilsfaisaient.Ilsétaientobsédésparl’idéedeconstruireleurcarrière.Monpèreavaitcetteboîtedébiledontjet’aiparlé.
—Grayson’s.—C’estça.Iltoussoteetentouresesgenouxdesesbras.—Audébut,çaabienmarché.Maisauboutdequelquesannées,j’avaishuitans,çaacommencéà
secorser.Monpèreavaitunsalecaractère.Unsoir,mamèretravaillaittard,ilestrentréàlamaisonsuperénervéetils’estdéfoulésurmoi.Jen’airiendit.J’aicruquec’étaitexceptionnel.Maisaprès,sesemployésontcommencéàpartirunparun,çalestressait,alorsils’enprenaitàmoi.Çaarrivaitdeplus enplus souvent.C’est passéd’une fois par semaine à tous les soirs. Ilmedisait que je nepouvaispasfairecequej’aimaisparcequejedevaismeconcentrersurl’école.Ilvoulaitquej’entredansunegrandeuniversitépournepas ratermacarrièrecomme lui.Moi, jenevoulaispasd’unegrandecarrièrenid’unegrandeuniversité,maisjepassaistouteslesnuitsenfermédansmachambreàtravailler,pourqu’ilnesefâchepas.Jemedisaisquesijefaisaisdemonmieuxceseraitsuffisant.Mais ça ne l’était jamais. Tous les soirs, ilmontaitmemettre une raclée. Tous les soirs. Pendantquatreans,ajoute-t-ildansunmurmure.
—Jesuisdésolée.Jelesuissincèrement.Personnenemérited’êtretraitécommeça,surtoutparunparent,laseule
personnecenséevousprotégeretvousaimer.Çamerendmalade.Ilhausselesépaules.—Mamèreétaittellementoccupéequ’ellenes’enestpasdoutéeuneseuleseconde.Elles’enveut
maintenant.Elle essaie demepunirmais ça nemarche pas parce qu’elle n’insiste jamais. Je croisqu’elleestterrifiéededevoirêtresévère,tuvois?Maiscen’estpassafaute.Parfois,elleremarquait.Ellemedemandait,«Tyler,qu’est-ilarrivéà tonvisage,cette fois?»Alors j’inventais. J’avais levisageenfléàcausedusportàl’écoleoujem’étaiscassélepoignetentombantdansl’escalier.Jemesuiscassétroisfoislepoignetenunanuniquementparcequemonpèreadoraitvoirs’ilpouvaitleplieràl’envers.
—Pourquoi tun’as riendit ? jechuchote,depeurdebriser le silence fragile.Est-cequemonpèreestaucourant?
—Parcequej’avaispeurdelui,avoue-t-ilfroidement.Ilsepasselesmainsdanslescheveuxetjeremarquelafaçondontsesyeuxs’assombrissentdès
qu’ils’énerve.—Jenepouvaisrienfaire.Leseulquinesoitpasaucourant,c’estChase.Ilétaittropjeune.Ma
mèrenevoulaitpasl’effrayer.Toutlerestedelafamilledétestemonpère.—Ças’estarrêtéquand?—J’avaisdouzeans,fait-ilenselevant.Jamieestmontéunsoiretill’avumefrapper.Ilaappelé
les flics, ilétait tout jeune.Monpèreaétéarrêtécesoir-là. Iln’yapaseudeprocèsparcequ’ilaplaidécoupable,doncçanes’estpassu.J’aigardéçasecret.Jefaissemblantquetoutvabien.
Avecunsoupirappuyé,ilsemetàfairelescentpasdanslachambre.—Jeledétesteàmort.Jelehais.Unanaprèsça,j’aicommencéàcroirequ’ilexistaituneraison.
J’aicruquejeleméritaisparcequejenevalaisrien.Jelecroistoujours.Jen’arrivepasàallerdel’avant,parcequec’estimpossibled’oublier.Pathétique,maisvrai.Jesuissousantidépresseurs,mais
jenelesprendspasparcequejepréfèreboireetmedéfonceretqu’onnepeutpastoutfaireenmêmetemps.Ettusaisquoi,Eden?Tuasraison.Jesuisperdu.Jesuiscomplètementpaumé.
Jemelèveàmontouretjeguettelesémotionsdanssesyeux.Ellessesuccèdentàlavitessedelalumière.
—Cesdistractions,c’estmadrogue!hurle-t-il.C’estplusfacilecommeça,parcequequandjesuisbourréoudéfoncé,j’oubliequemonpèrenepeutpasmeblairer!
Enproieàunecrisederage,ils’empareduverreetlejettecontrelemur.Jefaisunbondenarrière.Lefracasmetransperce.Lesbrisdeverres’éparpillentetTylerreste
immobileàlesregarder.Vidé,ils’effondresurlelit.—Jelehais,crache-t-il.Quand il regarde à nouveau par la fenêtre, j’en profite pourm’approcher de lui.Malgré son
visagedéforméparlacolère,jesaisqu’ilestbouleversé.Jel’entendsdanssavoix,jelevoisdanssesyeux.
Ilfaitnoir,lamusiquedelaplagedisparaîtaveclafindelafête.Lalunequiflotteau-dessusdel’océanilluminelevisagedeTyler.Nosregardsserencontrent.
Jefrissonne.Cen’estpaslefroid,c’estlanervosité.Ilsoutientmonregard,nerveuxluiaussi.Jemedemandes’ilcroitquejevaislebombarderdequestions.Cen’estpasmonintention.Loindelà.
Jeprendssonvisageentremesmainsetm’assiedssursesgenoux.Ilnebougepas,ilnerespirepas.Jecroisquejenerespirepasnonplus.J’approchemeslèvresdessiennes,sanslestoucher.Nousrestonsainsiquelquesinstants.C’estréconfortantetterrifiantàlafois.Jesaisqu’ilattendquejemepenche,jeleveuxégalement,maispasencore.J’attendsjusqu’àsentirsonsoufflecontremajoue.
—Mercidemefaireconfiance.Etjel’embrasse.Dans l’obscurité et le silence, quelque chose se produit. Je ne sais pas ce que c’est,mais je le
ressens.Moncœurs’emballe,desfrissonss’emparentdemoncorps,j’ailachairdepouleetjesensleslèvresdeTylercontrelesmiennes.Pleines,humidesetimpatientes,commetoujours.Ilcanalisesacolère…endésir.Cedésirpourcequenousvoulonstouslesdeuxmaisquenousnepouvonsobtenir.
Il sent la bière et le tabac,mais çame captive.C’est familier, c’est lui, c’est le goût qu’il a. Ilm’embrasse lentement,passe lamainsousma jupeet jepressemapoitrinecontreson torseen luicaressantlevisage.Lesmusclesdesesbrassecontractenttandisqu’ilmesoulèvepourmecouchersurlelit.J’ailecorpsgelé,tétaniséquandsamainglisselelongdemacuisse.Uninstant,j’aipeurd’être paralysée, mais mes lèvres sont encore capables de l’embrasser. Ce n’est que la peur del’inconnu.
Malgré l’angoisse, je refuse deme détacher de lui. Son baiser s’intensifie, s’accélère, alors jelâchesonvisageet retiremonsweat.Puis j’agrippeson tee-shirt. J’essaiemaladroitementde le luiretirer sans briser notre étreinte. Il le remarque et, avec un petit rire, le genre de rire sincère etcommunicatif,ilsemetàgenouxetlejettederrièrelui.Jerougisdevantlesreliefsdesesabdos.Est-ceque je rêve?Tylerasaplaceparmi lesmannequinsAbercrombie&Fitch.Pasdansun litavecmoi.
Ilembrassemaclavicule,unemainsurmataille,l’autresousmajupe.Seslèvresparcourentmapeau tandis que je joue avec ses cheveux. Le menton appuyé sur son front, je tente de respirercalmement. Jen’ai jamaisétéaussiexcitéeniaussinerveusede toutemavie. Je frissonnesoussesdoigtsquicaressentladentelledemonsoutien-gorge.J’appréhendetellement,j’ail’impressionquejevaisvomir.
Ilabeaucoupd’expérience,comparéàmoiquin’aitoujourspascomprispourquoilesgarçonsaiment tant lespoitrines.Jemeposedesmilliardsdequestions.Quanddois-jebougermesmains?Oùlesposer?Est-cequejedoisattendrequ’ilfassequelquechoseoudois-jeprendrelesdevants?
Est-cequ’ilveutquejegémisse?Est-cequejedoisgémir?Jenemevoispasdutoutgémir.Est-cequejesuiscenséefairequelquechose,là?Déboutonnersonjeanouembrassersanuque?
Arrêteça,Eden.Sa bouche remonte dans mon cou, ses mains explorent mon corps jusqu’à mes joues, qu’il
caressedupouce.Jevoudraisqueçanes’arrêtejamais,mêmequandmarespirations’emballe,quejeresserremesmainsdanssescheveuxsanslevouloiretquemondossecambre.
Heureusement, Tyler me guide sans un mot tout le restant de la nuit. Même quand j’hésite,paralyséeparcequ’ilvapenserdemoncorps,ils’arrêteetattendquejemedécideàcontinuer.Etmêmequandildéfaitmonsoutien-gorge,mêmequandilsedébarrassedesonpantalon,mêmequandilcherchedanssonportefeuille,ilneditpasunmot,etçameconvientparfaitement.J’aimelesilenceassourdissant de cette première expériencemaladroite avec la personnepourqui j’éprouve tant desentiments.
C’estcequirendtoutcelasupportable.C’estparcequejesuisaveclui.Pas Jake, pas Scott leMorveux, Tyler. Le garçon auxmille secrets et auxmille faiblesses, le
garçonquim’afaitassezconfiancepourmelesavouer.Jelerespectepourcetteraison.Il luienacoûtédemedirelavérité,maisjen’enaiqueplusenviedelui.Jeneveuxpasqu’ils’arrête.Tyleretmoi…Toutenluim’attiretellement!Jenedevraispasmesentircoupable.Cen’estpasmal.Nousn’avonsaucunliendesang.
Mais je sais que si l’on découvrait la vérité, on nous jugerait. Je ne peuxmême pas imaginercommentenparlerànosparents.Commentannonce-t-onàuncouplemariéqueleursenfantssortentensemble?Commentçamarche?
Pour l’instant, il n’y a pas de retour en arrière possible. Rien ne changera le gémissement deTylerdansmonoreille,rienn’effaceramesonglesdanssondos,rienneferaoubliernoshanchesquiremuentensemble.
Tylerm’apeut-êtrerévélésessecrets,maismaintenant,ilenaunnouveau.
28
Quandjemeréveille,lelendemainmatin,jenemesenspasspécialementchangée.Ilparaîtqu’onest censé se sentir différent ;mais jeme sens exactementpareil que laveille, saufque j’aimal aucrâne.Jenesouffrepaslemartyreetjen’aipasenviedepleurer,pasplusquejenesautedejoie.Unmatincommelesautres,unenouvellejournéequicommence.
J’ailagorgesèchecommesij’avaispasséplusieursjoursdansledésert,etlavoixrauquequandj’appelleTyler.Encoreunechosequejevoyaisdifféremmentquandonvientdeperdresavirginité:jecroyaisqu’onseréveillaitlelendemainmatinprèsdeceluiqu’onaime.
Lapaniquem’envahit.Peut-êtreTylerest-ilparti.Peut-êtrem’a-t-ilabandonnéeicicarilregrettecequis’estpassé.L’appartementesttropcalme.Tylerdevraitêtreàmescôtés,commedanslesfilms,m’embrasserlefront,joueravecmescheveuxoumemurmurerdesmotsdoux,enfin,quelquechose,quoi!
Lesrideauxontétéànouveauxtirés,sibienquejenesaispass’ilfaitjourounon.Agrippéeauxdraps,jejetteunœilaumiroir.Jesuisentièrementnue.Horrifiée,jemecouvre.Laportes’ouvreavecdifficultésurlamoquetteduveteuse.Tylerlapousseetentre,unpeupâle.
Jesuissoulagée.Ilesthabilléetunpetitsouriredansesurseslèvres.—Jevenaisteréveiller.Ses yeux sont d’un vert très léger, il est calme. C’est un détail que j’ai remarqué au fil des
semaines. Yeux mornes et pâles : vulnérable. Normaux : crétin prétentieux. Sombres et animés :furieuxaupointdepouvoirtuerquelqu’un.
—J’aicruquetuétaisparti.J’aipeut-êtreunpeusurréagi.Tylernemetraiteraitpasdecettefaçon.Dumoinsjel’espère.—Jenesuispasunenfoiréàcepoint,fait-il,surpris.Ildétournelesyeux,commesij’avaisblessésonego.—Tun’asrienàcraindre.Semblantsoudainserappelerlaraisondesaprésence,ildéposemajupeaupieddulit.—Tiens,fait-il,rougeetleregardfuyant.—Çava?—Désolé.Jesuis…Jenesuispasvraimenthabituéà…Ondevraitpeut-êtreparlerde,euh,cette
nuit.
Lesdrapsserréscontremoi,jesouris.Ilestsisûrdeluientempsnormal…Levoilàbalbutiantetincapabledemeregarderenface.Soudain,uneidéemetraversel’esprit.
—J’aiéténulle?—Non, non, fait-il avec un tout petit rire. Je voulais plutôt dire du point de vue de… tu sais,
qu’est-cequ’onestmaintenant?Nouséchangeonsunregardappuyé. Ilsemordille la lèvreenretenantsarespiration.Pour tout
dire, jen’enaipas lamoindreidée.Maintenant, lasituationestpluscompliquée,plusréelleetplusintense,voilà.
—Jenesaispas.Qu’est-cequetuveuxqu’onsoit?—Jenesaispastrop,fait-ilenpoussantunsoupirpensif.Répondsàmaquestion:est-cequetu
regrettesdel’avoirfait?Commentpourrais-jeregrettercequejedésiraissiardemment?—Non.Ettoi?—Tusaisbienquenon.Nouveausouriresincère,deceuxquimeferonttoujoursfondre.—Onva bien finir par trouver.Mais pour lemoment, habille-toi, il faut qu’on y aille.Troy-
Jamesvientd’appeler,ilarrive.Jenebougepas.—Tupeux,euh,melaisseruneseconde?—Ondiraitquejenet’aipasvuenue,metaquine-t-il.Dépêche-toi,ajoute-t-ilenquittantlapièce.J’attrapemajupequej’enfilesouslesdraps,tropmalàl’aisepoursortirdulit.Quandjemelève,
lachambresemetàtourner.Unemainsurlefront,jesoufflelentement.J’ail’impressionquemonsangestunpoisonquimedétruitdel’intérieur.
Danslacuisineouverte,Tylerestaffairéàjeteruntasdemorceauxdeverreàlapoubelle.Par-dessuslecomptoir,lesoleilbaignelesalonentierdelumière.Toutestrangé,immaculé,commesinousn’avionsjamaismislespiedsici.Iladûnettoyerpendantquejedormais.
—Jenousaiappeléuntaxi.Jesaisquec’estbizarre,maisjenepeuxpasvraimentdemanderàunpotequ’onnousramènesansnousexposerauxquestions.Ilfautavoirl’airnormal,tutesouviens?Letaxi,c’estanonyme.Ildevraitarriverd’iciuneminute.
—Oùsontmeschaussures?JenesaisplusoùontatterrimesConverse.Pasdanslesalonentoutcas.—Jenesaispas,maisilfautqu’onyaille.—Mais,meschaussures…Jeneveuxpaslesavoirperdues.MesConversepréférées,surlesquellesj’aiécritlesparolesde
machansonpréférée…Cellesquejemetsaulycée,pourfairelescourses,etàdesfêtessurlaplageoùjesuisivreetoùjeveuxembrassermondemi-frère.
—Jet’enachèteraidesnouvelles.Allez,viens.Ils’impatienteàlaporte.Quandjelerejoins,ilfermeetglisselaclésouslepaillasson.Lecarrelageétincelantmegèlelespieds,jem’engouffredansl’ascenseursansattendre.Tylerme
suitavecunsouriremoqueurjusteavantquelesportesnesereferment.Ilnemequittepasdesyeux.—Ilnefautpasenparlerànosparents.—Ilnefautenparleràpersonne,jeprécise.Mêmesinous rions, je suis tendue. J’aienviede souffler jusqu’àcequemort s’ensuive.Voilà
commentrésumercettesituation:untrès,trèsgrossoupir.Nousn’avonsaucuneidéedecequenousfaisons.
Tyler doit devinermon inquiétude parce qu’ilme prend lamain, comme hier. Je regarde nosdeuxmainsentrelacées.J’aimebien.Luisecontentedesourireetderesserrersesdoigts.
Dans un coin dema tête, une penséeme travaille. Peut-être n’allons-nous pouvoir en parler àpersonne,peut-êtrepasserons-nousnotretempsànousmurmurer«chut,c’estunsecret».Garderlesecretestdifficile,maispasautantquelerévéler.Nousneseronsjamaisgagnants.
Quandnoussortonsdel’immeuble,j’hésiteunesecondeàmarcherpiedsnusavantdelesuivrejusqu’autaxi.Laconductriceestunefemmed’âgemûrquinousgratified’unsourirefatigué.
Malgrélacirculationfluidedudimanchematin,nousmettonsvingtbonnesminutesàarriveràlamaison.Elledoitcroirequenoussommesnaïfs,oucomplètementaveugles.Elleprendaumoinscinqmauvaistournantsendisant«oups,c’estpascelui-là!»Jelafusilleduregarddepuislesiègearrièretandisquelecompteurtourneetquejerevois,encoreetencore,chaquedétaildelanuitdernièredansmatête.QuandjedésigneleprixàTyler,ilsecontentedehausserlesépaulesetdepayer.
Noushésitonsdevantlamaisonsanssavoircommentgérerlasituationavecnosparents.J’ail’airmal-en-point,meschaussuresontdisparuetjedoisprobablementempesterl’alcool.
—Oùtuleurasditquetuallais,hier?demandeTyler.—Aucinéma.—Quelleoriginalité.—C’estquoitonexcuseàtoi?—Aucune.Jesuissortiendouce.—Passurprenant.Ilrigolemaisjetteuncoupd’œilnerveuxàlamaison.Paslechoix,ilvafalloirentrer.J’aimerais
pouvoirmeteniréloignéedemonpèreetd’EllaetmecacherquelquepartavecTylerpendantqu’ilmeracontesavie.Ceseraitparfait.
Danslesalon,Ellaestentraind’examinerdespapiers.Installédansunfauteuilavecsonpoignetcassé,Jamieprendunairpincé.C’estlapremièrefoisquejelevoisdemauvaisehumeur.
—Dave,ilssontrentrés,ditEllasansleverlesyeux.J’espéraisqu’elleneremarquepasnotrearrivéemaladroite,maiscequ’onditsurlesparentsest
vrai:ilsontdesyeuxderrièrelatête.Tyleral’airtendu.Ilaplusl’habitudedecessituationsquemoi,ethonnêtement,j’espèrequ’ilva
parleràmaplace.Sij’essaiedem’expliquer,jevaismerateretsortirn’importequoi,commequandTiffanim’aentenduedireàEllaquej’étaisavecMeghanetquetoutm’estretombédessus.
Monpèredébarquedanslesalonenjoggingettee-shirt.Sanssasempiternellechemise-cravate,ilestmoinsintimidant,ondiraitmongrand-père.
—Qu’avez-vousàdirepourvotredéfense?aboie-t-il,plusénervéqued’habitude.—Euh…lefilmétaitsympa?Tylermelanceunregardquidit:«inutiledetefatiguer».—Vousétiezàlafêtesurlaplage.EllareposesespapiersetlèvelesyeuxtandisqueJamienousobserve,amusé,pourvoircomment
nousallonsnoussortirdecepétrin.Cen’estpasdrôledutout.Notreabsencederéponseest révélatrice.Oui,nousavonsmentietoui,noussommesallésà la
fêtedelaplagesansêtremajeurs.Pourmadéfense,ilnesepassejamaisriendelasorteàPortland.Commentpouvais-jerefuserunetelleoccasion?Jevaistenterd’amadouermonpèrepoursauvernosfesses.Jememetsàpleurer.
—Mesamism’yontemmenéeaprèslecinéma,jedisentredeuxsanglotsexagérés.Jenesavaismêmepascequec’était!
Mavoixrauque,elle,n’estpassimulée.Jemeursdesoif.
Tylern’afficheaucuneexpression.Jenedéfendsquemoi-mêmeetapparemment,jenesuispastrèsdouée.
—Moij’ysuisallédemonpleingré.Qu’est-cequetucomptesfaire?M’enfermerpendantcinqans?
Monpère semblenepas savoirquelproblèmegérer enpremier :mes larmesdecrocodileoul’insolencedeTyler.Ilnechoisitpas.
—Oùétiez-vouscettenuit?Jemerappellecequ’aditTylersurEllahiersoir,soninquiétudequandils’agitdelepunir.Mon
pèreenrevanchen’aaucunproblèmepourdéclencherlesdisputes.—OnadormichezDean,inventeTyler.Cen’estqu’unelégèredéformationdelavérité.Noussommesbienalléschezquelqu’un,saufque
cen’étaitpasDean,etquenousn’avonspasvraimentdormi,àproprementparler.—Relax,c’estl’été.—Oh,excusez-moi.J’avaisoubliéquec’étaitl’été,cequiveutdirequevouspouvezfairetoutce
quivouschante.Mesexcuseslesplussincères.Jamieétouffeunrire.J’aimeraisluidiredelafermer,maismonpèren’apprécieraitpas.Etpuis,
ilestsympa.Pourundemi-frère.—Cen’estpaslapremièrefoisquetudécouches,Eden.Jefaiscoulerquelqueslarmesdeplus.Ilalescheveuxplusgrisqu’ilyaunmois,quandilest
venumechercheràl’aéroport,etplusilsemetencolère,plusilal’airvieux.Comparéeàlui,mamèrefaitvingtetunans.
—Ondortlesunschezlesautres,c’esttout,jedis,plusthéâtralementqueprévu.Lapremièrefoisquejenesuispasrentrée,jem’étaisendormiechezJakeaprèsl’avoirembrassé
devantLeRoiLion.Hiersoir,j’étaistropcaptivéeparlapeaudeTyler,tropcharméeparlesondesavoix,tropamoureusedetoutsonêtre.
—Cen’estpascequejeveuxdire!—Alorsquoi?Ilnetrouvepasderéponse,alorsilsetourneversTyler.—Tuesingérable,iln’yariend’autreàdire.Montedanstachambre.Dégagedelà.IllanceunregardentenduàJamiequicomprendlesignaletselèvepourpartiràsontour.—Çameva,faitTyler.Quand ilcroisemonregard, son rictusnarquois semueensourire rassurant,commepourme
diredenepasm’inquiéter,quetoutvabiensepasser.IlattrapeavecprécautionlebrasdeJamiepoursortirdelapièceetmurmure:
—Commentvatonpoignet,frérot?J’aimeraisêtrecommelui.J’aimeraisêtrecapabledefairesemblantquetoutn’estqu’unevaste
blague.J’aimeraismemettretellementdanslepétrinquemefairehurlerdessusdeviendraitlecadetdemessoucis.J’aimeraisnepasêtrelà,exposéeauxquestionsetàladéceptiondemonpère,aveccespauvreslarmesquicoulentsurmonmaquillagedégoulinant.
Jeviensdecomprendrequemonpèren’apasuneoncedecompassionenlui.J’auraisdûm’endouter.Chaquefoisquemamèreallaitmal,ils’enfichait.Chaquefoisqu’ellepleuraitàcausedelui,ils’enfichaitencoreplus.Iln’enajamaisrieneuàfaire.
Alorsj’arrêtelecoupdessanglotsetjeleregardedroitdanslesyeux.—Alors?Ella,quisemordille les lèvressansriendire,nebougepasd’unpoucedepuis lecanapé.Jene
sais pas si je devraism’en réjouir ounon, je n’ai pas encoredéterminé si elle était dugenre à semettreàhurleraussiouplutôtàmedéfendre.
—Eden,jenet’aipasfaitveniricipourquetupuissessortirendouceetmementir.J’explose.—Alorspourquoitum’asfaitvenir?Tuvoulaisqu’onaillefairedushoppingensemble?Qu’on
fassedesmarshmallowsgrillésautourd’unfeudecamp?Quoi,Papa?Qu’est-cequetuespérais?Jenourrisunerancœurinfinie.Jesuislàdepuissixsemainesetiln’apasfaitlemoindreeffort
pourarrangerleschoses,iln’amêmepastentédes’excuserdenousavoirabandonnées,Mamanetmoi,etd’avoirattendutroisanspourmerevoir.Etilveutrevenirdansmaviemaintenant?Ilveutjoueraupèreavecmoi?
—Jecroisqu’ilfautsecalmerunpeu,intervientElla.Leplusimportant,c’estqu’ellesoitlà.Çayest, je croisqu’elleest legenredemèrequi,noncontentedenepas se soucierquevous
disparaissiezsansunmot,vaaussiprendrevotredéfenseaprèscoup.—Exactement.Jesuislàetjesuisvivante,etTyleraussi,maissiçapeutaider,jesuisdésolée.Je
suisdésoléedenepasêtrerentréehier.Monpèren’acceptepasmesexcuses.Ilmeregardecommeunpèrenedevraitjamaisregardersa
fille,commes’ilnepouvaittoutsimplementpasmesupporter.Àcemomentprécis,jelehaisdetoutmonêtre.
—Pourquoitumeregardescommeça,Papa?C’estquoitonproblèmeavecmoi?—Jen’aiaucunproblème.IljetteunœilàElla.Ellesecontented’ouvrirdegrandsyeux.—C’estpourçaquetunem’aspasparlépendanttroisans?Parcequetun’aspasdeproblème
avecmoi?Jenesaispasd’oùmeviennentcesmots.Cesontdespenséesquisesontrassembléesaufinfond
demonespritdepuissondépart.Maintenantquejesuisfollederage,ellessedéversentd’uncoup,sansquejepuisselesarrêter.Jevoislerougeluimonterauxjoues.
—C’estpourçaquetuesparti?Parcequetun’asaucunproblème?—Çasuffit!Ilnepeutpasaffronter lavérité. Ilnepeutpasaffronter lefaitqu’ilestunpèreminable,parce
qu’il croit toujours avoir raison. C’est pour ça qu’il se disputait tout le temps avecMaman. Rienn’étaitjamaissafaute.
—Tun’asmêmepasessayédefaireuneffortavecmoi.J’avancedequelquespas,latêtehaute,déterminée.—Tun’asmêmepasdit que tu étaisdésolé.C’est lapremière choseque tu auraisdûmedire
quandjesuisdescenduedel’avion.—D’accord,Eden,jesuisdésolé.Jesuisdésolédenepasavoirétélà,fait-ilpasdutoutsincère.
Voilà.Tuescontente?—Àquoiçasertmaintenant?Tuastroisansderetard.Jeveuxleblesser.Jeveuxlefaireculpabiliser.Maisilaseulementl’airénervé.—Tuesexactementcommetamère,tulesais?Ellaestabasourdie.—Heureusement.Parcequejamaisjenevoudraisêtrecommetoi.Ilesttempsdedéguerpir.Ilsaitquejesuisfurieuseetqu’ilvaluifalloirpasmald’excusespour
quejeluipardonneunjour.IltourneunregardglacialversEllaetj’enprofitepourmedirigerverslaporte.—Nonmaisçanevapas,Dave?souffleElla.Rattrape-la!D’accord,ellen’estpasrentréedela
nuit, mais tu crois vraiment que tu vas pouvoir arranger les choses avec ta fille en jouant lesarrogants?
— Hé, je n’ai rien fait, moi. C’était ton idée de l’amener ici. Bon sang, les ados, quelcauchemar… Quand elle rentrera chez elle et que Tyler sera à New York, on pourra peut-êtreretrouverunevienormale.
Jem’arrêteàlaporte,interloquée.Ai-jebienentendu?Monpèrem’ainvitéeparcequeEllaleluia suggéré ?Ça ne devrait pasme surprendre, ça ne devrait pasme fairemal et pourtant… Jemeretourne.
—Tuneveuxpasdemoiici?IlsouvrentdegrandsyeuxetEllaselève.—Eden,tunedevaispasentendreça,tonpèreneveutpasdireque…Jemefichepasmaldeleursexcuses.—EtpourquoiTylervaàNewYork?—Pourrien,fait-elleavecunregardnoiràmonpère.Cen’estcertainementpasrien,mais jesuis lassedeposerdesquestionssans jamaisobtenirde
réponse. J’ai l’impressionquemoncœurva imploser.Mamanavait raison àproposdemonpère.C’estunsalecon.
J’enfoncelesmainsdanslespochesdemonsweat,cequimerappelleunefoisdeplusqu’onm’avolémesaffaires,etjesorsentrombe.J’ailatêtequitourne,ilmefautdel’eau,unedouche,etTyler.Jepeuxenobtenirdeuxsurtrois.
Pfff.J’aibesoindem’éclaircir les idées,desortirdecettemaisonetdeprendre l’air.J’aibesoinde
courir.Jemedoucheraienrentrant.JeparleraiàTylerenrentrant.D’abord,ilfautquejemevidelatête.
Jeréprimemonenviedevomirenmemettantentenuedesportpuisj’attrapeunebouteilled’eauàlacuisineetjesorsparlepatiopourévitermonpère.
Jeparsverslenord,cettefois,àuneallurerégulière.Jeneveuxpasretournerverslaplage.Jeveuxdécouvrirunendroitdifférent.Trèsvite, jemeretrouvedans lequartierdePacificPalisades.Souslesoleilardent,monmaldecrânecommenceàs’estomper.
Lanuitdernièrearenducettesituationpluscompliquéequ’ellenel’étaitdéjà.Maintenant,Tyleretmoimarchonssurdesœufs.Sionsefaitprendre,onestmal.
C’estlebazartotaldansmoncerveau.Dansunmondeparfait,Tyleretmoineserionsenaucuncasreliésparuncertificatdemariage.Dansunmondeparfait,Tyleretmoin’aurionspasàagirendouce, en blessant des gens pendant que nous tombons amoureux. Dans un monde parfait, je mevanteraisauprèsd’Amelia.Maiscemonden’estpasparfait.Loindelà.
De retour à la maison, quarante minutes plus tard, toujours pas sobre et plutôt essoufflée, jem’arrêtenetsurlapelouse.
LavoituredeTiffani est garéedevant.Oh,oh.Nous sommesdimanchematin, ils ne sevoientjamaisledimanche.
J’avance,raide,sanssavoirsic’estàcausedusportouparcequequelquechosecloche.Jeferaisbiendemi-tourpourcourirhuitcentmillekilomètresdeplus.Jedépasse trèsvite lesalonoùmonpèreetEllasontprobablemententraindedébattredelameilleurefaçondesedébarrasserdeleursrebellesd’enfants.
J’aiàpeineatteintlepalierqueTiffaniémergedemachambre,Tylersursestalons.Il tentedel’arrêtermaisellesedégage.
—Ahtiens,lavoilà.Justeàtemps,fait-elle,acide.Derrièreelle,Tylersecouelatête,unemaindanslescheveux.—Àtempspourquoi?Jen’aipasenviedesavoir,àvraidire.Tyleral’airinquietetçasecomprend.
Jen’aijamaisvuTiffaniaussi…mauvaise.—Ilfautquejevousparle,àtouslesdeux,etaucasoùçaneseverraitpas,jesuishorsdemoi,
fait-elleenserrantlespoings.Jesuisàçadet’encollerune,Tyler.—Qu’est-cequej’aifait,encore?Ilrecule,justeaucasoù.—Qu’est-cequetuasfait?Tuessérieux?Danslejardin.Toutdesuite.Ellemedépasseenmebousculantcontrelemur.C’estquoisonproblème?—Merde,faitTyler,unemaincontresonvisage.Enbasdel’escalier,Tiffanilanceunregardappuyéverslesalonoùsetrouventnosparents.—Jepeuxvousparlerdehorsoujepeuxvousparlerici,dit-elleàvoixbasse,etcroyez-moi,il
vautmieuxpourvousquecesoitdehors.Ellesait.Ellesaittout,bonsang.Lamêmepenséetraversel’espritdeTylerquimelanceunregardpaniqué.Cetteconfrontationne
pouvaitpastomberplusmal.Jesuisenlendemaindecuite,ensueur,épuiséeetj’ail’airéchappéededésintox.Oui,àcepoint.
Je ne vais jamais sortir d’ici vivante. Est-ce qu’il est trop tard pour ces huit cent millekilomètres ?Tylerme pousse à contrecœur dans l’escalier. Il a les bras raides, les poings serrés.Nousfinissonsparnousexécuter.
—Aloooors,faitTiffani,unefoisdanslepatio.—Alors…,répèteTyler.—Alorscematin,j’aireçuunmessagedeTJ.J’essaieden’avoirl’airderien.J’essaiedenepasavoirl’aird’avoircouchéavecsoncopain.—Ettusais,jecommenceàenavoirvraimentmarrequ’onviennemeparlerdenosébats,Tyler,
parcequelamoitiédutempscen’estpasmoi!—Dequoituparles?—Necommencepas,Tyler.Tais-toi.Noschancesderesteramiessontentraindes’amenuiser.—TJafaituneblaguecommequoions’étaitbienamuséshiersoir,parcequesachambreétait
dansunbazarpaspossible,etnoussavonstouslesdeuxquejen’étaispasavectoi.—Attends.Mapuce,jen’aicouchéavecpersonne,j’aijusteoubliéderangeraprès…—LAFERME!Elle n’a plus la patience de composer avec ses mensonges. Les yeux clos, elle respire
profondémentavantdesetournerversmoiavecunsourire.—Eden,tunevoulaispasrécupérerteschaussures,parhasard?Touts’arrête.Moncœurflanche,mesmembresseraidissent,jesuisglacée.Impossibledesortir
lemoindremot.—Commentas-tu…?jechuchote.—ParcequeTJm’ademandési j’avaispasséunebonnenuit,etpuis iladitquej’avaisoublié
mesConverse.Ilm’ademandécequesignifiaientlesphrasesécritesdessus.Jemerappelletrèsbient’avoirvuelesagitertoutelasoirée.Cellesaveclesparolesdessus,n’est-cepas?Aufait,tunevaspaslesrécupérer.Jeluiaiditdelesjeterpourmoi.
—MaisTylerestmon…—Demi-frère?Oui,jesais.Elleestauborddeslarmes.Elles’essuielesyeuxdureversdelamain,seredresse,rajusteson
sweat.—Jeviensdepasserunedemi-heureàyréfléchir.Jemedisais«maisnon,ilssontdelamême
famille».Maisj’aivuClueless,OK?Tusais,quandChertombeamoureusedesondemi-frère?Je
nesuispasBÊTE.Voilà.C’estçalasensationdesefaireprendrelamaindanslesac.C’estl’enfer.Tyler et moi restons muets. Nous ne nous sommes pas préparés à ce qui est en train de se
produire.Cen’étaitpascenséarriver,lavériténedevaitpasêtredécouverte.J’ail’impressiond’êtreauJugementdernier.JemesenssiminusculefaceàTiffani…Jen’arrivepasàregarderTyler.J’ailanausée,alorsjetournelatêteverslebarbecueprèsdelapiscine.
Siseulementjepouvaisrembobinerl’étéjusqu’àmapremièresoiréedanscetteville,lesvoisinsentassésdans le jardin, le barbecuegrésillant etmonpère, avec ses blaguespourries. Je veux toutrecommencer,maiscettefois, jene tombepassous lecharmedemondemi-frère.Cettefois, jeneveuxpasmeretrouveraumilieudecettepagaille.
—Tun’aspasvraimentcouchéavecJake,heinEden?Tiffaniestvraimentenlarmescettefois,deslarmesdecolère:lespires.—Non.—C’étaittoi,cettenuit-là,surlajetée.J’ail’impressiondemourir.Laculpabilitémeconsume.J’aitoujoursrefuséd’êtreunementeuse
etvoilàcequejesuisdevenue.—Tun’esqu’unesalementeuse.—Jesais.Jesuismoiaussiauborddeslarmes.Jeneveuxpasêtrelà.JeveuxêtreàPortlandavecmamère
etAmelia.Jeveuxdormirjusqu’àmidi, jeveuxregarderdesrediffsdemessériespréférées.Jeneveuxpasdeça.
—Jesuisunementeuse.Jesuisunegarce.Jesuislapireamiedumonde.Toutàcoup,Tylervientseplacerdevantmoi.Ilestrestélongtempssilencieux.Qu’a-t-ilbienpu
préparercommedéfense?—Tusaisquoi,Tiffani?Jeneveuxmêmepasêtreavectoi.J’aiperdutroisansdemavieparce
quetum’asfaitduchantagepourquejereste.Faiscequetuveux.Disàtoutlemondecequetusaissurmoi.Tefairegarderlesecretnevautpasl’effortdedevoirtesupporter.C’estfini.Traîne-moienjustice,dénonce-moiauxflics.Jem’enfiche.J’enaimaclaque.
Ça,jenem’yattendaispas.Lasemainedernière,ilm’expliquaitqu’ilétaitimpossibledecasseravecelle.Elleavaitlepouvoirdeledétruire,etmaintenant…Ondiraitqueçaluiestégal,ilveutjustes’éloignerd’ellelepluspossible.
—Toutçac’esttafaute!mehurle-t-elle.Inconsciemment,jemerapprochedeTyler,cequin’arrangerien.—Jemefichequevoussoyezfrèreetsœur,alorsquec’estvraimentdégoûtant.Maisnon,levrai
problème,c’estquetuastoutfichuenl’air.Jemesensencoreplusmal.Jeluiaivolésoncopain.Sanslevouloir,maisquandmême.J’avance
verselle.Malgrétoutessesremarquesblessantes,jesuistoujoursmortedehonte.—Tiffani,jenevoulaispas…Tylermefaittaired’ungestedelamain.—C’estfini,mapuce.Ildésigneleportailavecunhaussementd’épaules.Ilsemontresidurquejemesensmalpour
elle.Siellen’étaitpassurlepointdemetuer,jelaprendraisdansmesbras,commel’amiequejesuiscenséeêtre.
—Maistunepeuxpasmequitter!hurle-t-elle,frustréeetsanglotante.Tylers’esclaffe.Enfait,ilsemoqued’elle.Ilnedoitpasavoirenregistrélefaitqu’elleconnaît
notresecretetqu’elleatouteslesraisonsdelerévéleràtoutlemonde.
—Pourquoi?Parcequejeneseraipluslàpourtedonnerl’aircool?Parcequetunepourrasplusmecontrôler?
—ParcequejesuisENCEINTE,Tyler!L’atmosphères’épaissit,onsuffoque.Tylerestlivide.Lesoufflecourt,Tiffanipleuredoucement,
douloureusement.Maintenant,jevaisvraimentvomir.—Quoi?finit-ilpararticuler.Les joues mouillées de larmes, le cœur brisé, elle recule. Je ne peux pas le supporter. J’ai
l’impressionqu’onm’amiseK.-O.,toutestflouetbrouillé,commequandonvientdeseréveiller.J’entendslaporte-fenêtrecoulisser,maisjesuistropabasourdiepourregarder.—Qu’est-cequisepasse,ici?demandelavoixd’Ella.Tyler reste muet. Il est en état de choc. Il regarde Tiffani, bouche bée, assailli d’émotions
diverses.Quandjelèvelesyeuxverslaporte,Ellaetmonpèresontlà.Jesaiscequ’ilspensent.IlssedemandentpourquoiTylera l’airdefaireunecrisecardiaqueetpourquoiTiffanisedirigevers leportailenlarmes.
Elles’arrêteuninstant,ravalesessanglotsetregardeElla.—Ilfautquevoussachiezqu’ilestaccroàlacoke!crie-t-elle.Etils’estmisàdealeraussi!—Salegarce!grogneTylersortidesatranse,tandisqueTiffaniclaqueleportailderrièreelle.La révélationme fait l’effetd’unebombe.C’étaitdoncgrâceàçaqu’elle le retenait.C’était ce
dontTylerparlaitquandnousétionsenfermésdanslasalledebains.C’estcequ’elleadûdécouvriraudébutdesvacancesetc’estpourcetteraisonqu’ilestarrivéaussifurieuxaubarbecue.C’estpourçaqu’ilévitelesennuisaveclapolice.
Parcequ’ilpourraitatterrirenprison.S’il y avait encore une possibilité que cette journée empire, la voilà. Il y a beaucoup trop
d’informationsàtraiterd’unseulcoup:lavéritésurTyleretladrogue,lavéritésurTiffaniet,pirequetout,lavéritésurTyleretmoi.
—Tyler,ditlentementElla.Jet’ensupplie,dis-moiquej’aimalcompris.Unemainsurlapoitrine,ellesort,monpèreàsescôtés.—S’ilteplaît,jet’ensupplie,dis-moiquec’estfaux.Jeretiensmarespiration.Lerevoilàparalysé.Ilestsansdouteassaillid’unmilliondepenséesen
mêmetemps.Finalement,ilbaisselesyeux.—Siseulement.Ellaporteunemainàsabouche,enlarmes.Ellesetourneversmonpèreetenfouitlatêtecontre
sapoitrine.Étrangement,cedernierlaprenddanssesbrassansunmot.Çanel’empêchepasd’avoirl’airfuribond.
Tylerrelèvelatêteavecuneexpressiondouloureuse,lamêmequelanuitdernière.—Maman,nepleurepas.Jenesuispasunjunkynirien.C’estjusteque…enfin…çam’aide.Ellamurmurequelquechosed’inaudible.—Maman,souffledeuxsecondes.Ilavanceverssamèretoujoursdanslesbrasdemonpèreetparvientàposerunemainsurson
épaule,maisellesedégage.—J’aidit:va-t’en.—Quoi?—Va-t’endecettemaison.Tout lemondesefige.Monpèren’encroitpassesoreilles :Ellachassesonfilsde lamaison.
Tylerestsansvoix,seslèvresbougent,maisriennesort.Quantàmoi,j’aivraiment,vraimentenviedepleurer.Ilnepeutpasêtrechassécommeça.SurtoutaprèslabombelâchéeparTiffani.
—Tudisçasérieusement?Ellas’écartedemonpèreens’essuyantlesyeux.Elleesteffondrée.—Tyler,s’ilteplaît.Va-t’en.Jen’enpeuxplus,fait-elleenéclatantensanglots.J’échangeunregardavecTyler.Nousnenousattendionspasàça.Onestdimanche.Ledimanche,
ilnesepasserien,normalement.Lesmainsdans lespoches,complètementabattu, ildépassenosparents.Jemedéracinepour le
suivre.Jemefichedecequemonpèreauraàdire.Je le rattrape en haut de l’escalier d’où Jamie et Chase nous observent avec de grands yeux
curieux. Ont-ils entendu ? Ils nous laissent passer jusqu’à la chambre de Tyler. La porte claquederrièrenous.
Prèsdulit,jel’observeextraireunsacmarindesonétagèreenfaisanttomberleblaserdeDeanparterre.Illedégagedupassaged’uncoupdepied.Ils’affaireainsiquelquesminutesàremplirsonsacsansdireunmot.
Jedécidedebriserlesilence.—Oùtuvasaller?Impossibled’imaginerlamaisonsansluietseshistoiressurlebacontouslesmatins.Impossible
d’imaginerlachambrevoisinevide.Impossibled’imaginerneplusvoirsonsourirequandnousnouscroisonsdansl’escalier.
Ilmejetteunbrefcoupd’œilenenfilantlabretelledesonsac.—Aucuneidée.ChezDean.Peut-être.Jenesaispas.J’ailatêteenvrac.Jelesuisàlasalledebains,sanslelâcherdesyeux.—Tut’esmisàdealer?—Çanefaitpastrèslongtemps,fait-il,têtebasse.Ladéceptionm’emporte.Lasituationétaitdéjàgrave,maintenantlevoilàdanslemilieucriminel
jusqu’aucou.—Pourquoi?Dostourné,ilsecouelatêtecommes’iln’avaitpaslaréponse.—C’estfacilede…d’êtreentraînélà-dedans.Tiffaniesttellementénervée,jesuissûrqu’elleva
medénoncerauxflics.—Jen’arrivepasàcroirequ’ellesoit…Jen’arrivemêmepasàlediretantc’estincroyable.Dieumerci,Ellan’estpasencoreaucourant,
elleauraitfaituneattaque.—Moinonplus.Aumomentoùilouvreleplacard,ilseplieau-dessusdestoilettes,unemaincontrelemur,pris
d’unhaut-le-cœur.Çadoitêtrelechoc.J’airessentilamêmechose.—Merde.—Jenesaispasquoidire,Tyler.C’estlavérité.Commentluidirequetoutvabiensepasseralorsquetoutestentraindepartiren
vrille?Jeluifrotteledosmaisjemesensbête.Sonex-petitecopineestenceinteetmoi,jeluifrotteledos.
—Commentonvafaire?—Quoi?—Nous.Qu’est-cequ’onvafaire?EtTiffaniettoi?Ilaunnouveauhaut-le-cœur,maisriennesort.Finalement,ilseretourneversmoi,etilal’airde
s’envouloir.—Jenesaispas.Jedoisd’abordtoutremettreauclair.—Moinonplusjenesaispas.
Maisj’ailecœurlourd.TyleretTiffanisontànouveauliés.Etmoidanstoutça?Tylerterminesonsac.Ilalaisséquelquesflaconsdanslecabinet,jesaiscequ’ilscontiennent.—Prends-les,s’ilteplaît,dis-jeendésignantlesantidépresseurs.Tutesentirasmoinsmal.Ilréfléchituninstant:antidépresseursoudrogues?Devantmonairdésespéré,ilattrapelestrois
flacons blancs. Je ne peux qu’espérer qu’il en fera bon usage. Peut-être parviendra-t-il à se sentirmieux?
Il s’apprête à partir.Nous nous regardons un longmoment. Il est très pâle, on dirait qu’il estmalade depuis des semaines. Ses yeuxmornes plongés dans lesmiens, ilme prend dans ses bras.C’estlapremièrefois.Nousnoussommesbeaucoupembrassés,onamêmecouchéensemble,maisnousnenoussommes jamaisprisdans lesbras.Nousn’avons jamaispartagéun telmoment,monvisage enfoui contre sa poitrine, son menton posé sur ma tête. Si seulement cela pouvait être lepremierdebeaucoupd’autres…
Ilappuieseslèvresfroidescontremonfrontetmurmure:—Jevaisréglertoutça.Quandils’écarte,ilal’airterrifié.Iln’aaucuneidéedecequ’ilfaitetmalgrélesapparences,il
estauborddesebriser.Avec un dernier signe de tête, il se dirige vers la porte. Je reste là, engourdie, à le regarder
franchirleseuilsansseretourner.—J’espèrequetuvasyarriver,dis-jeavantqu’ildisparaisse.
29
Deuxjourspassent.Deuxjoursquejen’aipasvuTylernineluiaiparlé,deuxjoursqu’Ellabroiedunoir,deuxjours
oùriennesembleêtreàsaplace.Parfois,Ellademandeàmonpèresonavissur l’endroitoùpeutbien se trouver Tyler. Ce à quoi il répond invariablement qu’il l’ignore. Parfois, elle dit que lechasser était la pire chose à faire, parcequ’elle nepeut plusgarder unœil sur lui.Elle pensequemaintenant,ilaencoreplusderaisonsdesedroguer.Jepréfèrecroirequ’ellesetrompe.J’aiassezconfianceenTylerpourespérerqu’ilcomprennelesignald’alarme.Unechanced’arrangersavie.JamieetChase,enrevanche,nesemontrentpasaussicompréhensifs.Jamies’estdisputéavecsamèrehier soir. Il l’accused’être injusteet tropsévère.Cematin,Chaseaditqu’iln’aimaitpasquand lamaisonétaitaussiennuyeuse. IlvoulaitqueTyler l’emmènefaireun tourenAudi.Chaseadore lesvoitures.Maisaujourd’hui,sonfrèren’estpaslàpourfaireronflersonmoteur.
Je l’imagine devant chez Dean et j’ai soudain envie d’aller y faire un tour. Je ne vois paspourquoijen’auraispasledroitdelevoir.Iln’estqu’àcinqminutes.Jepourraispeut-êtredemanderàRachaeldem’yconduire.
JetraverselapelousepourrejoindrelaNewBeetlerougequim’attenddansl’alléedeRachael.Cettedernièreestentraindeserecoifferquandjemeglisseàl’intérieur.
—Toi,onpeutdirequetun’espasàchevalsurleshoraires,melance-t-elle,toutsourire.— Désolée. Vraiment, vraiment désolée. Trois minutes de retard c’est terrible. Tu devrais
m’envoyeraubûcher,ôdéessetoute-puissante.EllelèvelesyeuxaucielcommelefaitAmeliaet,pendantuneseconde,j’ailemaldupays.—Bonalors,lespotinsdesamedi?L’inquiétudeetlapeurqueTiffaniaitdéjàcommencéàrépandrenotresecretcommeunetraînée
de poudrem’envahit.Rachael est au courant. EtMeghan, et Jake, et Dean. Tout le monde est aucourant.
—Allez,raconte!TuesrentréeavecJake?Peut-êtrequ’ellenesaitpas,oupeut-êtrequ’ellefaitsemblantpourpouvoirpilerd’uncoupetme
hurler«MENTEUSE!»Jenel’aipasvuedepuissamedi.Aprèssagueuledeboisdetroisjours,ellem’aappeléepourme
proposer d’aller prendreun caféparcequ’elle nem’avait pasvue«depuis deux ans», selon elle.J’auraisdûmefaireporterpâle.
Je finis par répondre à sa question avec un petit « non », avant de m’intéresser au paysageennuyeuxquimedevientfamilier.
—Ettoi?Elles’agrippeauvolant.—J’aidormichezTrevor.—Justedormi?—Entreautresactesinavouables,glousse-t-elleavantdepousserunsoupir.Jeveuxjustequ’ilme
demandedesortiravecluiunebonnefoispourtoutes.Jemesensmalpourelle.ElleneparlequedeTrevordepuisledébutdel’été,mêmes’iln’estque
son«mecdesoirée»,selonTiffani.—Lesmecssonttouspareils,luidis-je.Etjecommenceàlecroiremoi-même.Trevor,parexemple.Ilesttrèsgentilquandilestsaoul,maisaufond,iln’estprobablementrien
d’autrequ’unchienenrut.Deuxièmeexemple:Jake.J’avoue,jesuistombéedanslepiègeaudébut;maisenfindecompte,ilnecherchaitqu’unnomdeplusàajouteràsaliste.Dernierexemple:Tyler.IltraitemallesgensetilamisTiffaniencloque.
Cesderniersjours,lamoutarden’afaitquememonteraunez.Jamaisjenel’auraiscrucapabledecommettreunetelleerreur.Pluslaréalités’imposeàmoi,plusellemefaitmal.Tylervadevenirpapa.Ilesttropjeuneettropirresponsable,ilnepourrajamaisgérer.
RachaelcritiqueTrevorpendanttoutletrajetjusqu’auboulevard.Ilestsexy,maisc’estuncon.Ilpeut être vraiment adorable, mais c’est un con. Ses parents adorent Rachael, mais c’est un con.ArrivéesdevantleRefinery,j’ensaisassezsurluipourpouvoirluivolersonidentité.
—Jesuistellementénervée,conclutRachael.Elleserequinqueunpeuquandellecommandesoncappuccino.Nousnousinstallonsàunetable
enboisprèsdelafenêtresurleboulevard.—Oh,j’allaisoublier!Ellefouilledanssonsacpourensortirmesvingtdollarsetmontéléphone.—Tuasdûleslaisserchezmoiavantd’allerchezDean.Jeviensdelesretrouversousmonlit.—Turigoles?J’aicruquejem’étaisfaitvoleràlaplage!J’enaipleuré!Elleéclatederireetdéposemontéléphonesansbatteriedevantmoi.Quandlaserveuseapporte
notrecommande,majournées’illumine.—Bon, j’attends de te parler de ça depuis cematin.La grosse nouvelle !Tyler etTiffani ont
cassé!Tuycrois?exploseRachael,lesyeuxécarquillés.Enfin,jeluidisdepuisdesannéesquec’estqu’uncon…désolée,jesaisquec’esttonfrèreetjesaisquejesuiscenséeêtreaussisonamie,maisfranchement,ill’atraitéesupermal.
Elleagitelesmainscommeunjournalisteannonçantunscoop.Dansunsens,çal’est.—Qu’est-cequ’ellet’adit?Luia-t-elle raconté laversion longue,cellequim’inclut?Passonssur le faitqu’elleprenne le
partideTiffani.D’accordTylernel’apastrèsbientraitée,maisquipourraitluienvouloir?Ellelecontrôlaitetilnevoulaitpasêtreavecelle.
J’écouteRachaelensirotantmonlatte.—Elleestpasséechezmoihiersoir.C’estluiquiacassé.Tunetrouvespasçadingue?C’était
dimanchematin,jecrois.—Oui,j’étaislà.Jedétournelesyeuxpourexaminerleflotdespassants.Rachael,quantàelle,estobsédéeparla
nouvelle.—Ill’aencoretrompée,tulecrois,ça?
Jereporteimmédiatementmonattentionsurelle,enserrantmonmug,paniquée.—Ellet’aditquiétaitlafille?—Non.Tulesais,toi?Ouf.—Non.Unefillequivientd’uneautreville,ilmesemble.Pourvuqu’ellenedevinepaslaculpabilitédansmesyeux.— Je n’arrive pas à croire que c’est lui qui l’a quittée, ça aurait dû être l’inverse. Elle était
tellementénervéequ’elleatoutditàsamère,pourlacoke.Cen’estpaslaseulechosequ’elleluiaitdite.—Oui,ils’estfaitvirerdelamaison.—Jesais,c’estpourçaque jen’arrivepasàcroirequ’elle le laissehabiterchezelle, fait-elle
avantdeboireunelonguegorgée.—Quoi?—Quoi,quoi?—IlestchezTiffani?Ilm’aditqu’ilallaitchezDean.Lanouvellemeporteuncoup.JesaisquelasituationdeTylerestdélicate,maisjenepensaispas
qu’ilallaitsejetersifacilementdanssesbras.J’ailecœurserré.—Ehbieniln’estpaschezDean,çac’estsûr.Moiaussij’aitrouvéçabizarre.Maistuconnais
Tiffani.Elleest tellementpossessivequ’elleadû luipardonner.Ellene supportepas l’idéequ’uneautre fille puisse être avec lui. Elle dit qu’ils vont finir par se remettre ensemble. C’est débile !Pourquoiseremettreavecuntypeinfidèle?Elleestcinglée.
—Elleestenceinte,Rachael.Lesmotsmeglissentdelabouchesivitequejememetsàpaniquer.Cen’estpasàmoiderévéler
l’information.Peut-êtrequeTiffanivoulaitenparlerelle-mêmeàsesamies.Rachaelmanquedetomberdesachaise.Soncafééclabousselatablequandelledéposesonmug
avecfracas.Puis,abasourdie,ellesepencheversmoi.—Quoi?—Elleluiaditdimanche,jemurmure,prised’unhaut-le-cœuràcetteidée.Aprèsqu’ilacassé
avecelle.Plusj’ypense,plusc’estlogique.Biensûrqu’ilestchezelle!C’estcequiarrivequanduncouple
seretrouveavecunenfantsurlesbras.Ilsfonttablerasedupasséetrestentensemble.—Elledoitluipardonneretildoitretourneravecelle.—C’estdingue!chuchoteRachaeltrèsfort,avantdesereculer.Perplexe,elletentededigérerl’information.—Attendsdeuxsecondes.ChezDean,samedi,elleabudel’alcool.J’essaie de me remémorer tout ce qui s’est passé chez Dean avant que je me saoule dans le
garage.Ellearaison.Tiffaniétaitplusqueraviedesejoindreaujeudelaroulette,cequin’auraitpasdûêtrelecassielleétaitenceinte.Elleétaitdéjàéméchéequandjeluiaiparlédanslejardin.
—Attendsdeuxsecondes,répèteRachael,undoigtenl’air.Tudisqu’elleluiaditçajusteaprèsqu’ilarompu?
—Oui,genre,cinqsecondesplustard.Ellepousseunlongsoupir.—Tunecroispasque…?Sonsous-entendumefrappeaussifortqu’unetonnedebriques.Tiffaniment.—Oh,non.
—Classique,fait-elle,sonindexmanucurécontresabouche,commesiellevenaitd’élucideruncrime.Turacontesautypequetuesenceinte,commeçailestobligéderesteravectoi.
—TucroisqueTiffanienseraitcapable?—Jevoudrais croirequenon,maisquand il s’agit de rester avecTyler, ellene reculedevant
rien.Ilestprécieuxàsaréputation.Jel’aidéjàdit,elleestcinglée.Ouencore,selonlestermesdeTyler,c’estunepsychopathe.Jenecroispasqu’elleaitunevraie
maladiementale,maisdesérieuxproblèmes,ça,oui.Ilfautqu’ellesoitbienatteintepourtenterunetellemanœuvre.
—Jesaiscommentenavoirlecœurnet!s’exclameRachael.Jenesaispascequisetramedanssatêtemaisjesensquec’estridicule.—Tusaisqu’onvatouschezelle,vendredi?—Jenesuispasinvitée.Je me tourne vers la rue. Je n’étais même pas au courant, donc c’est que je ne suis pas la
bienvenue.Etjenepeuxpasluienvouloir.—Maissi.Tun’asplustonportabledepuisquelquesjours,ellet’asûrementenvoyéunmessage.
Soiréefilm.Jeserrelesdentspourm’abstenirdetoutcommentaire.Rachaelnecomprendpas.Jesaisqueje
ne suis pas invitée. Tiffani me déteste. Mais évidemment, si je le lui dis, elle va me demanderpourquoi,etjen’aipasenviederépondreàcettequestion.
—Donc,vendredi,continue-t-elleenselevant,ilfautqu’ondécouvresiellementounon.Etjesaiscommentonvas’yprendre.
Deretouràlamaison,jerechargemonportableetdécouvrevingt-neufsappelsmanquésdemonpèresamedisoirettroisdemamèrecesderniersjours.Quelquesmessagesd’Ameliam’expliquentqueLandonSilvermann’apasarrêtédeluienvoyerdesSMSdepuisleurflirtàl’arrièredesonpick-up,maisqu’ellepassesontempsàl’envoyerbaladerparcequ’iln’est«plussongenre».Ilyadeuxmois,ellebavaitsurluidanslescouloirs.
PasunseulmessagedeTiffani.Pasétonnant.RiendeTylernonplus.Étonnant.Jeneluiairienfait,quejesache.Jesaisqu’ilestperdu,maisçaneluidonnepasledroitdeme
mettredecôtéjusqu’àcequeleschosessoientréglées.Jenem’enfichepas,moi.Jeveuxsavoirs’ils’accroche.J’essaietoutdemêmedenepasmelaisserabattreparsonsilence.Ilapeut-êtrebesoind’unpeud’air.
Commetoutelafamilleestpartierendrevisiteàdesamisauboutdelaville,j’ailamaisonpourmoitouteseule.Pendantquej’erredanslacuisine,jedécided’appelermamère.Depuisseizeans,ellen’a jamaispassévingt-quatreheures sansmevoir. Jene sais pas comment elle a survécu àun étéentier.
Letéléphonedelamaisonnerépondpas.Elledécrocheàlatroisièmesonneriedesonportable.—Maisquevois-je!Mafillepréféréeestvivante!Lachaleurdesavoixestirremplaçable,unechaleurquimeferaitsourirecontreventsetmarées.
Jel’appréciedeplusenplus.—Maman,jesuistaseulefille.—C’estpourçaquec’estsifacile.Commentçasepasse?Horriblementmal,atroce,affreux,c’estn’importequoi.—Bien.
—Etavecl’hommeinfernalquit’afournilamoitiédetesgènes?Je lève lesyeuxaucielenouvrant leréfrigérateur.Ellen’a jamaiscachésessentimentsenvers
monpère.—Pasbien.Depuisdimanche,monpèreestmutique : jenesaispassic’estparcequ’ilm’enveutouparce
qu’il a enfin compris qu’il fallait cesser d’épiermesmoindres faits et gestes.Lapremière option,sûrement.
—Ques’est-ilpassé?Jecoinceletéléphonecontremonépaulepourfouillerdanslefrigoàlarecherched’unepomme.—Rien.Ons’estdisputés.—Àquelsujet?Elleestinquiète.J’entendsunsifflementsurlaligne.Elledoitêtredehors.—Parcequej’aidécouché,j’avoue.Jen’aijamaiseudemalàmeconfier,elleatoujoursétélàquandj’aieubesoind’elle,comme
unemeilleureamie.Jen’aijamaispeurdeluidirelavérité.—Deuxfois.—Pourquoi?Eden?Est-cequejedoistefaireprendrelapilule?Jeresteinterditeuneseconde.C’esttoutmamère,ça:très,trèsdirecte.—Bon,maintenantjevaisraccrocher,Maman,salutets’ilteplaîtnemeparleplusjamais,jene
pourraiplusjamaisteregarderenface.C’étaitcooldefairetaconnaissance,bisou.—Eden!—Oui?Elleritauboutdelaligne.—Excuse-moi.Tuasseizeans,tugrandisetàtonâge,je…—Est-cequ’onpeutchangerdesujet?Lerougeauxjoues,jerincemapommeavantdemeperchersurlecomptoirpourlacroquer.—Hmm,tuprofitesdetonétéaumoins?Voyonsvoir.ÀPortland, j’auraispassémesvacances à essayerdevoirAmelia sansAlyssa et
Holly.C’estplutôtagréabled’échapperàleurspiques.Jemeseraisinscriteàlasalledesport,j’auraispeut-êtremême étudié et jeme serais très probablement éprise du mauvais garçon. L’été à SantaMonicaestunetoutautreexpérience.
—C’estdifférent.—Tut’esfaitdesamis?Voyonsvoir.Tiffanim’a rayéede sa liste donc ça nemarchepas, Jaken’a absolument rien à
offrirunefoissesrépliquesdedragueurépuisées,ilrestedoncRachael,quiremplitlevided’Ameliapourlesvacances,Meghan,quiatoujoursétéadorable,etDean,toujourslàpourmesauverlamiseauxsoirées.EtTyler,biensûr.Mêmesinousavonslégèrementdépassélesfrontièresdel’amitié.Ilyaquelquetemps,déjà.
—Quelques-uns,oui.—Ettuaimescetteville?mepresse-t-elle.Jel’imagineagrippéeautéléphonecommequandelleattenddespotinsouqu’ellehurlesur les
représentantsdecommercequiappellentauxaurores.—Euh,oui?—Eden,est-cequeçateplairaitd’yemménager?J’aibienentendu?Emménager?Commedans«vivreici»?Jeglisseducomptoirpourregarderparlaporte-fenêtre.—Hein?Tuveuxdire,habiterlàtoutletemps?Moi?
—Nous.—Commentça,nous?— J’ai réfléchi, dit-elle en montant d’une octave. Pourquoi ton père peut décider comme ça
d’aller refairesavieailleurs?Pourquoi jenepeuxpas faireça,moi?Pourquoi je suiscoincéeàPortlandalorsque jenevoulaismêmepasyhabiteraudépart? J’étais trèsbienàRoseburg,maisnooon,tonpèrevoulaitvivredanslagrandeville!
—SantaMonica,c’estaussiuneville.—Ouimaisilyaundemi-milliond’habitantsdeplusàPortland,Eden,fait-ellecommesielle
parlaitàl’undesespatients.J’airegardé.—Maispourquoi?Pourquoiserapprocherdemonpère,sielleledétesteàcepoint?—Situveuxduchangement,pourquoinepaspartiravecmoiàChicagodansdeuxans?Ouau
Canada?PourquoiSantaMonica?Jeplantemesonglesdansmapommeavecimpatienceenattendantsaréponse.—Disonsque…pendantquetun’étaispaslà,j’aiparléàquelquespersonnes.Jemesuisinscrite
surunsitederencontres.Mamère… qui drague. C’est un phénomène dont je n’ai jamais été témoin pour la simple et
bonneraisonquependanttroisans,elleaessayédem’enfoncerdanslecrânequeleshommesétaienttousdessuppôtsdeSatan.
—Tumefaisuneblague?Elleritnerveusement.—Non.Cetété,j’aiprisconsciencequejenevoulaispasvivreseulequandtuserasàlafacetque
j’aivraiment,vraiment,besoindemeremettresurlemarché.Jeparleavecuntypetrèsgentildepuisunmois.
Ellemarqueunepausepourvoirsij’aiquelquechoseàdirepuispoursuit.—Ils’appelleJack.Etfigure-toiqu’ilhabiteàCulverCity.C’estàquinzeminutesdelàoùtues.JesaisoùsetrouveCulverCity:c’estlàoùTyleretmoiavonsterminéauposte.—Etdonctuveuxemménagerlà-basparcequetuparlesàuntypedepuisunmois?Çapourrait
êtreunpervers,Maman.—Oh,maisbiensûrquenon,Eden.Ellefaittintersesclésdevoiture.Jemedemandeoùelleestetcequ’ellefabrique.—Jemevoyaisplutôtvenir le rencontrerpourboireuncafé, etpuisonverracommentça se
profile.Quisait?Çapourraittrèsbiensepasser,ettut’esdéjàfaitdesamislà-bas,larentréeseramoinsintimidante.C’estunbonnouveaudépartpourtouteslesdeux.
Moins intimidante ? L’école avec Tiffani, Jake et Tyler ? Je crois qu’il n’existe rien de plusangoissant.
—Jenesaispas,c’estquandmêmeungroschangement.Jejettemapommeàpeineentamée.—Jecroisqueçateferaitdubien.Tun’aurasplusàsupportercesfilles.Cellesavecleursparents
snobs.—AlyssaetHolly.Monventresenoue;jepréfèremeconcentrersurlachaleurdelavoixdemamère.—Jelesaicroisésausupermarchél’autrejour,j’avaisenviedeleurjetermonfiletd’oignonsà
latête,tun’aspasidée.Ellemefaitrire.Ellealacapacitédemefairegloussermêmedanslesplusmauvaisjours,c’est
agréable.—J’ensuissûre.
Auboutdufil,jereconnaislegrincementfamilierdenotreported’entrée.—Bonécoute,c’estjusteuneidéecommeça.Onenreparleraàtonretour.D’accord?J’entendslaporteclaqueret,derrière,detoutpetitsjappements.—C’étaitunchien?—Oh,bonsang,marmonnemamère.C’étaitcenséêtreunesurprise.
30
Levendredi,jecommençaisàenavoirmarredememorfondreenattendantleretourdeTyler.J’avaisenviedelevoir,mêmepourquelquessecondes.Maisilnes’estpasmontrédelasemaine,iln’aréponduàaucundemesmessagesetjenel’aipasvudutout.
Çam’aagacéebienplusquejenelepensais.Cen’étaitpaslogiquequ’ilcoupelesponts.JeluiaiproposédeseretrouverauRefinery(entantquedemi-frèreetdemi-sœur,biensûr),pasderéponse.J’aivouluprendredesesnouvelles,pasderéponse.Jeluiaidemandésiaumoinsilsesouvenaitdecequis’étaitpasséleweek-enddernier,encoremoinsderéponse.Tiffanidoitlefairemarcheràlabaguette.
Tiffani,chezquijem’apprêteàmepointersansinvitation.Tiffani,quivasûrementexploserenmevoyant.—Tusors?medemandeElla.Elledétaillematenuequin’estpaslegenrequ’onenfilepourtraîneràlamaison.—Jesuisprivéedesortie?J’enail’impression,mêmesimonpèren’arienditàcesujet.Detoutefaçon,iln’estpaslàpour
sefaireobéir.—Non.Oùvas-tu?Par la fenêtre, j’aperçois la voiture deRachael qui attend dans l’allée. Elle devrait sortir d’ici
quelquessecondes.Ilpleutdescordesetlecielestsombre,onn’yvoitpasgrand-chose.—Soiréefilm,dis-jesansmeretourner.—Est-cequetusaissi…TusaissiTylerseralà?—Ilseralà.Jen’aiacceptéd’yallerquepourcetteraison.Sileseulmoyendelevoirestdes’inviterchezson
excinglée,alorsjem’yforcerai.Jeveuxjustem’assurerqu’ilvabien.—Iltemanque?demandé-je.Elle réfléchit un instant.Après le départ deTyler dimanche, elle a passé la soirée à fondre en
larmestouteslesdemi-heures.—Oui,dit-elle.Lamaisonestvidesanslui.Jesaisqu’iln’étaitpassouventlà,maisc’estbizarre
quandmême.Je la comprends.Elleparledu silence,de lanourriturevégétariennequepersonnen’a touchée
dans le frigo,elleparlede lachaisevide,à table, tous lesmatins,desonfilsquine rentreplusen
titubantaumilieudelanuitencoreplusperduquelanuitprécédente.—Jemefaisdusoucipourlui,avoue-t-elle.J’appréciequ’elle soit francheavecmoi,commeelle l’aétédepuis ledébut.Ellan’estpasune
mauvaisebelle-mère,malgrémapremièreimpressionenlavoyantparaderdanssonjardinpourmeprésenteràsesvoisins,aubarbecue.Elleétaiténervante,bruyante…Maintenantjemerendscomptequecen’étaitqu’unefaçadepoursedonnerducourage.
J’ai l’impression d’avoir été aveugle durant tout l’été. Si seulement j’avais été capabled’assembler les morceaux plus tôt ! J’aurais dû déceler le problème de Tyler il y a longtemps,j’auraisdûessayerdemieuxcomprendresonagressivitéenverssonpère.PareilpourElla. J’avaistellement envie de la détester que je n’ai pas cherché à la connaître. Mais je commence à lesapprécier,elleetsavulnérabilité.
Jeme détourne pour qu’elle ne remarque pas les larmes quimenacent de couler, trop tard.EtRachaelquinesorttoujourspasdechezelle…
—Tylerm’aparlédesonpère,dis-jedoucement.Jel’entendsprendreunegrandeinspiration.J’aipeurqu’ellenem’enveuilled’aborderlesujet,
mais nous sommes seules à la maison, c’est le bon moment.Mon père a emmené Jamie chez lemédecinpoursonpoignet,Chaseestpartifaireduvélo,etTyler…
—Iltel’adit?Jevaism’asseoirprèsd’Ellaquimedévisageavecstupeur.—Leweek-enddernier,jecommenceenveillantànerienrévélerdecompromettant.Ilm’atout
raconté.—Ilt’atoutdit?Jen’arrivepasàlecroire.Ildétesteenparler.Jesuis…jeveuxjustequ’ilaille
bien.C’esttoutcequejeveux.Jeneveuxpasqu’ilaitdesnotesexcellentes,qu’ilrangesachambreouqu’ilfasselavaisselle,justequ’ilaillebien.Etcen’estmêmepaslecas.
Leslarmesmontentànouveau.Sij’ouvrelabouche,ellesvontcouler.Jemeretiensdetoutesmesforces.Jeneveuxpasqu’ellemevoiepleurer.
Heureusement,ellecontinue.—J’aiparléàplusieurspersonnesqui…organisentdesconférencessurlacôteest.Ilsfontdela
préventioncontre…lesabusdivers.LesorganisateursveulentqueTylerdevienneintervenant.—C’est-à-dire?— Ils veulent qu’il représente lamaltraitancephysique. Il y a d’autres ados pour les violences
conjugales,psychologiques…ilsveulentqu’ilracontesonhistoire,encoreetencore,pendantunan.Jenecroispasqu’ilenseracapable, ildétesteenparler.C’estpourçaquejesuissurprisequ’il tel’aitdit.
Lapluiecontinuedebattrecontrelafenêtre.Tyleraeutellementdemalàmedirelavérité!Jenevois pas comment il pourrait la dévoiler à des étrangers. Mais il rencontrerait des gens qui onttraversélesmêmesépreuves…
—Çapourraitl’aider…d’enparler.—C’estune trèsbonneoccasion,ajouteElla, lesyeuxsur lamoquette,commesiellepesait le
pouretlecontre.Ilvafalloirqu’ilrésolvesesproblèmesd’abord.C’estunpour.Çapourraitêtrelamotivationnécessairepourluifaireabandonnerl’alcooletla
drogue.—EtildevraallervivreàNewYorkpendantunanàcompterdel’étéprochain.Ça,c’estuncontre.Untrès,trèsgroscontre.—C’estçadontparlaitPapalasemainedernière?QuandilaévoquéNewYork?—Jenel’aipasencoreditàTyler.Cen’estpasvraimentlemoment.
Ellem’adresseunsouriretriste.J’aitoujourstrouvéçabizarre,lesgensquisourientalorsqu’ilssonttristes.Unsouriretristeçan’existepas,c’estjusteunsourirecourageux.
—Tuesunetrèsbonnemère.Cesontlesseulesparolesquimeviennentpendantquejel’observesoupeserlasituationdeTyler.
Elles sortent toutes seules. Ella ne veut que ce qu’il y a demieux pour lui et parfois ce n’est passuffisant.Maisaumoins,elleessaie.
Surprise,elleouvrelabouchemaisunklaxondevoiturel’interrompt.Troisfois.—ÇadoitêtreRachael,dis-jeenmelevant.En l’espace de dixminutes, j’ai l’impression dem’être rapprochée d’elle et, pour la première
fois,jelaconsidèrecommemabelle-mère.—Àtoutàl’heure.Ellemerendmonsourireetcettefois,iln’estnitristenicourageux,maissincère.Dehors,Rachaela faitunemarchearrièreet sonmoteur ronfle furieusementdevant lamaison.
Ellebaisselavitre.—Tuétaiscenséevenirmechercher!crie-t-elle.Onperduntempsprécieux!J’aiàpeineletempsd’attachermaceinturequ’elledémarreentrombe.—JeparlaisavecElla.Alors,c’estquoileplan?ajouté-jesansluilaisserletempsdeposerdes
questions.—Nesoispassicurieuse,ordonne-t-elleenmemenaçantdudoigt.Toi,tun’asrienàfaire.Sinon
tuvastoutfairefoirer.Tumelaissesparler.Avecunsoupir,jereculemonsiège.—D’oùvienttoutecettepluie?OnsecroiraitàPortland.Jetapotelavitrepourmedistraire.Rachaelnedoitsurtoutpasvoirquejesuisnerveuse.Etqueje
suispaniquéeau-delàdupossibleàl’idéedemeretrouverfaceàTiffani.Jepassedonclesquarante-cinqminutesdevoitureàagirleplusnormalementdumonde.J’envoie
desmessagesàAmelia,jefouilledanslesCDdelaboîteàgants, j’ajustelechauffageet,biensûr,j’écouteRachael.EllemeparledeTrevorqui,attention,acommencéàajouterdescœursàlafindesesSMS.Ilesttellementadorabletoutd’uncoup,elleenrougit.
Quandnousapprochonsenfindubut, jesuisauboutdurouleau.JecroisquejepréféreraismejeterdanslesbrasdeTiffaniplutôtqued’entendreplusdedétailssurlesépaulesdeTrevor.
Maismonétat initialme revientquandnousnousgarons.LavoituredeTyler est là, à côtédecelledeTiffani,etmerevoilàterrifiée.Jedoislesaffrontertouslesdeuxenmêmetemps.Tiffanivame scalper et je n’ai aucune idée de ce que dira Tyler. S’il décide de m’adresser la parole,évidemment.
Jemedétendsunpeuenapercevant lesvoituresdeDeanetJake.Plusnoussommesnombreux,mieuxc’est.MêmelaprésencedeJakemesembleagréable,là.
—Etsouviens-toi,c’estmoiquiparle,ditRachael.Ellen’avraimentpasdequois’inquiéter.Elleseprécipitejusqu’àlaportequ’elleouvresansfrapper.Cettefillenefrappejamais,jedois
m’yhabituer.Nonseulementjenemesenspaslabienvenue,maisenplusjesuismalpolie.Jelasuisnéanmoinsdanslamaisonoùflotteuneodeurdepop-corn.
JakeetDeansontaffalés sur lescanapésenLdusalon.Meghannevientpascarelleestpuniedepuisleweek-enddernier.Deanseredresseànotrearrivéeetsouritavecunsignedetête.Àpartça,ils ont l’air de s’ennuyer comme des ratsmorts. Jake zappe sans but en soupirant. D’habitude, levendredi,nousallonsàdessoiréestoutcourt,pasàdessoiréesfilm.
Un rire retentit depuis la cuisine àma droite. Tiffani. Elle sort un bol de pop-corn brûlant dumicro-ondesqu’elledéposesurlecomptoir.Elleal’airnormale.Paseffondrée,normale.Logique,
Tyler est à ses côtés, à la regarder tenterdepréparer àmanger. Il essaiede rigoler,mais cen’estqu’unsourireartificielquin’atteintpassesyeux,commed’habitude.
À quoi pense-t-il ? Que compte-t-il faire ? Sont-ils de nouveau ensemble ? Ce serait affreux.Tylervenaitjustedesesortirdesesgriffes,jedétestelevoirdenouveauprisonnier.
Ilsnenousontpasvuesarriver.Jemedirigedanslesalonenmetordantlesmains,incapabledesourire.
Deanadûleremarquer.Sontee-shirtbleufaitressortirsesyeuxmarron.—C’est hyper gênant, chuchote-t-il en désignant la cuisine où Tiffani caresse les cheveux de
Tyler.Ilsontcassémais…Nem’enparlepas.Noussommesaussiperplexeslesunsquelesautres.Ont-ilsrompu?Sont-ils
seulementamis?Depuisleseuil,Rachaellesobserve,incrédule.Ellelèveunpouceverseux.—C’estquoiça?articule-t-elle.J’aidécouvertaufildesjoursqu’elleesttoutàfaitanti-Tyler-et-Tiffani.Noushaussonslesépaulesdeconcert,maismoi,j’aisurtoutenviedecasserlesmurs,d’exploser
latéléetdemettrelefeuauxcanapés.—Rachael!s’écrieTiffani.Elleestaccrochéeàsonboldepop-corn,lesourirejusqu’auxoreilles.Maisçanedurepas.—Eden?—Tuenasmisdutemps,ànousremarquer!s’exclameRachael.Tiffanimefixeavecunairmeurtrier.—Désolée.Sesyeuxpercentdestrousdansmapeau,etmoijedévisagelapersonnequisetientàquelques
centimètresd’elle.Tylermerendmonregard.La tête légèrement inclinée, il semord l’intérieurdes joues. Il est pluspâle, lesyeux sansvie,
commes’iln’avaitpasdormidepuisdesjours.Rachaels’approchedel’escalieretseraclelagorge.—Tiff,onpeutteparlerdeuxsecondes?—Oui,fait-elleamèrement.Ellereposeavecfracaslebolsurlecomptoir.Derrièremoi,Deanobservelascène,Jakeregardelefootetenface,Tyler,entee-shirtetbasde
survêtement, se dirige vers le salon. Il a l’air d’être chez lui, à l’aise.Tiffani grimpe lesmarchesquatreàquatreetRachaelmefaitsignede lessuivre.Jem’exécuteparceque,mêmesiTiffanimeterrifie,jedoissavoirsiellementounon.MaisTylerm’attrapeparlecoude.
—Qu’est-cequetufaislà?chuchote-t-ilàmonoreille.—Jepourraisteposerlamêmequestion.Jelerepousseetletoise,déçue.Sesyeuxsontchangeants,commeleweek-enddernier,maisilse
détournedéjàverssespotes.J’hésite. Je pourrais le rappeler et lui dire qu’ilmanque à Ella, qu’une chance l’attend àNew
York,qu’iln’apasbesoinderestericiàperdresontempsavecTiffani.MaisRachaelhurlemonnomdepuisl’étage,alorsjen’aid’autrechoixquedesuivrelesondesavoix.
Nousn’allonsjamaispouvoirêtreensemble.Brascroisés,Tiffaninousattenddevantsachambre.Ondiraitqu’ellemebloque l’entrée,mais
elleveutjustequenousnousdépêchions.Lapièceestdifférentedeladernièrefois.Ilyadesvêtementséparpilléspartout,ceuxdeTyler.Rachael,biensûr,asonmotàdire.
—Tamèrelelaisseresterici?fait-elleenpoussantunjeandupied.—Oui.Bonqu’est-cequ’ilya?Elleesténervée.Nonseulement je suisdanssachambre,maisenplusnous l’avonsséparéede
Tyler.JeregardeRachaelquilaregarde.Jenecompteriendire,sinon,commeellel’aditelle-même,je
vaistoutfairefoirer.J’attendsdoncavecangoissequ’elleexécutesonplanbrillant.—Jenevaispasêtresubtile,jevaisteposerlaquestionsansdétour.L’atmosphères’épaissit.Sonsacsouslebras,elletapedupiedmachinalement.—Est-cequetuesenceinte?C’estça,sonplanmachiavélique?Cependantçafonctionne.Tiffanirestecoiteuninstantpuisme
fusilleduregard.Ellesaitquejel’aiditàRachael.Jesuislaseulequiaiepulefaire.Ellemetdutempsàrépondre.
Dehors,lapluiecontinuedetombersouslecielgris.—O…oui,parvient-elleàbégayer.—D’accord,faitRachaelenfouillantdanssonsac.Donctun’aurasaucunproblèmeàfairececi,
n’est-cepas?Ellesortdeuxtestsdegrossessequ’elleagitesoussonnez.Tiffaniesttétanisée.Elleécarquillelesyeux,muette,etenfoncesesonglesdanssapaume.—Aucunproblème,couine-t-elled’unevoixtremblante.—Ont’attendici,faitRachaelenluidonnantlesdeuxboîtes.D’unpastraînant,Tiffanisedirigeverslasalledebains.Arrivéeàlaporte,elles’yappuieetse
retourne,enlarmes.—Bond’accord!C’estpasvrai!braille-t-elle.Rachaelesttriomphantemaisjenesuispasd’humeur.Jesuishébétée.Tiffaniabeletbienmenti.
Sapetitescènepathétiquemerendmalade.Combiendetempsvoulait-ellejoueràcepetitjeudevantTyler ? Qu’est-ce qu’elle comptait faire ?Mettre en scène une fausse couche dans l’espoir qu’ilscontinuentàvivreensemblepourtoujours?
—Maisqu’est-cequinevapascheztoi,Tiffani?lanceRachael.Je pense exactement la même chose. Il faut être sacrément méchante et désespérée pour agir
commeça.Lapluieétouffesesreniflements.Moijenepensequ’àTyler,enbas,quiignorecequisepasseet
continuedecroirequ’ilacommisuneerreur.Cen’estpas juste. Ilestprobablementen traindesedemandercommentannoncerlanouvelleàEllaetquefairedeTiffani.
—JevaisledireàTyler,jelâche.J’ai le cœur qui palpite. Je dois lui dire le plus vite possible et je n’ai pas assez confiance en
Tiffanipourlalaisserréparersespropreserreurs.—Ildoitsavoirlavérité.—Non!s’écrie-t-ellesansparveniràm’arrêter.Enbas,lesgarçonsregardentlematchdefootball.—Tyler,ilfautquejeteparle.Toutdesuite.Danslacuisine.Àmavoix,ilcomprendqu’ilsetramequelquechose.Il se lève sous l’œil perplexe deDean etme rejoint à la cuisine, troublé.Derrière lui,Dean a
reportésonattentionsurlatélé.—Tiffanin’estpasenceinte.Ellefaitsemblantpourqueturetournesavecelle.—Quoi?—Ellevientdenousl’avouer!
Ilrestemuetunmoment.J’attends.J’attendsdevoirquelleexpressionvas’arrêterdanssesyeux.J’attendslongtemps.Ses traitssedurcissent, ilserre lespoings,fouderage.Ilestàdeuxdoigtsdefracasser le mur, alors je pose une main sur son épaule pour le réconforter, mais la retire enentendantdespas.
Tiffanidévalel’escalierenlarmesetscrutelesalon.JakeetDeanlaregardent,ébahis.PuiselleseretourneetdécouvreTylerdanslacuisine.
Ellepleureencoreplusfortetseprécipiteverslui.—Bébé,jesuisdésolée,jet’enprie.Jesuistropdésolée!Ill’esquiveetsemetàhurler.—T’esvraimentqu’unepsychopathe!Rachaelapparaîtenhautdel’escalier.DeanetJakeontéteintlatélé.—Jetedéteste!s’écrieTiffani.Maisc’estmoiqu’elleregarde.Etvoilà,ellevarévélernotresecretàtoutlemondeparcequ’elle
n’aplusaucuneraisondesetaire.Je ferme lesyeuxetmeprépareaugranddéballage,maispersonnenedit rien. J’ouvreunœil
prudentetladécouvrequimefixe,lèvrespincées.Uninstant,jecroisquejedécèleunsourire.Ellenevariendire.Dumoinspaspourlemoment.Ellecomptegardernotresecretunpeuplus
longtemps.Etçameterrifie.Puiselleseremetàpleurer,levisagedanslesmains,etremontel’escalierenbousculantRachael.Furieux,Tylerfrappelapaumecontreleplandetravail.—Jemecasse.Elleestcinglée.Enhaut,uneporteclaque.Personnenesaitcommentréagir.Tyler,quantàlui,attrapesesclésde
voitureetsortsansunmot.Lapluietombesurlamoquettejusqu’àcequ’ilclaqueàsontourlaporte.Nousrestonslààessayerd’assimilercequivientdeseproduire.
—Sijecomprendsbien,ilsnesontpasensemble?plaisanteJake.Rachael me lance un regard interrogateur. Je crois qu’elle ne s’attendait pas à ce que
j’intervienne.EllesemblehésiteràallervoircommentvaTiffani.Onentend lemoteurdeTylergronderdans l’allée.MaconversationavecEllamerevientd’un
coup.JenesaispasoùTyleraprévudeserendremaintenant,maisjesaisoùildevraitaller.Chezlui.Jemetsmacapuche.Pourvuqu’ilnepartepastoutdesuite.Sansunmot,jesorsàmontour.La
pluie qui s’abat surmon visageme gèle le nez. J’entendsRachaelm’appelermais je n’y fais pasattention.
Accrochéeàmacapuche,jemeprécipitejusqu’àlavitreteintée,sisombrequejelevoisàpeineàtraverslapluie,etfrappe.Onsecroiraitunmatind’octobreàPortland.
Tylerbaisselavitre.—Monte!Je fais le tour et me glisse en hâte dans la voiture. Vingt secondes dehors et je suis trempée
jusqu’auxos.Jerabatsmacapucheetj’écartelescheveuxdemonvisage.Tylerdébraye.—Tuesprête?—Non.Lesgouttesquitombentsurlacarrosseriemevrillentlesoreilles.—Jevaisretourneràl’intérieur.—Maispourquoituessortie?—Parcequej’aibesoindeteparlerd’abord.Alorsécoute-moi.Déjà:neretournejamaisavec
Tiffani.
Ils’agrippeauvolantenmaugréant.—Qu’elleaillesefairevoir.C’estunetarée.Tyleralesyeuxsurlevolant;sesjouesrougesdétonnentaveclapâleurdeseslèvres.Jeveux
attirersonattention.—Tyler.S’ilteplaît,rentrecheztoietparleavectamère.Elleaquelquechoseàtedireetc’est
vraimenttrèsimportant.—Jenesuispaslebienvenulà-bas.—Jenerigolepas.Jepeuxpresquevoirsespenséestournoyerdanssonesprit.—Écoutecequ’elleaàdire,Tyler.Rentrecheztoietdemande-luideteparlerdeNewYork.—NewYork?—Parleàtamère,Tyler.—D’accord.Ilsepasseunemaindanslescheveuxavecunsoupir,etj’aienviedel’embrasser.Jeveuxmontersursesgenouxcommeladernière foissur la jetée, jeveuxécrasermes lèvres
contre les siennes, comme dans sa chambre avant l’anniversaire deMeghan, et je veux sentir sesmainssurmoi,commesamedidernier.
Jeveuxrefairetoutça,maisjen’yarrivepas.Quelquechosedansuncoindematêtemeditquec’estinutile.Cen’estpasparcequ’iln’estplus
avecTiffaniquenousallonspouvoirêtreensemble.C’estimpossible.Nousnepourronsjamaisêtreuncoupleetçamefaitplusmalquetout.Çafaitplusmalquemonpèrequim’abandonne.Çafaitplusmalquelesremarquescruellesd’AlyssaetHolly.
Cen’estpasdouloureux.C’estunesouffranceatroce.Jen’aipenséqu’àça,cesderniersjours.J’aipenséquejerentraischezmoilemoisprochain.J’ai
pensé que nos parents allaient nous tuer s’ils découvraient ce que nous avons fait. J’ai pensé quec’étaitmaletjen’arrivepasàmeconvaincreducontraire.
Je veux être avec Tyler. Vraiment. Plus que tout au monde. Plus que d’aller à l’université deChicago.Plusqued’êtremince. Je ferais tout pourque ça arrive.Mais çan’arrivera jamais, alorsinutiledeperdrenotretemps.
Tylerremarquemonregard.—Quoi?—Jetueraispourpouvoirt’embrasserchaquejour.Jem’efforcedenepasfondreenlarmes.Mettreuntermeàcetterelationestlameilleurechoseà
fairepourtouslesdeux.Continuerseraittropdifficile.Tropcompliqué.Tropmal.—Tupeux,murmure-t-ilensetournantversmoi.Ilm’examineavecdélicatesse,commes’ilpouvaitbrisermoncorpsrienqu’enclignantdesyeux.—Chaquejour.Çanemedérangeraitpas.—Moinonplus.J’ailagorgesèchetandisquejerassemblemoncouragepourenfinirunebonnefoispourtoutes,
pourqueçafassemoinsmal.—Maisc’estbienleproblème,Tyler.Nous,çanenousdérangeraitpas.Maislesautres?Ilmarqueunepause,uneexpressiondouloureusesurlevisage.Quandilcomprendenfinceque
j’essaiededire,ilretientsonsouffle,blessé.—On s’en fichedes autres, fait-il d’unevoix faible.Onpeut régler tout ça. Ils comprendront.
Peut-êtrepastoutdesuite,maisunjour.Onpeutyarriver.On…onpeutlefaire.Malgréleseffortsqu’ilfaitpourmerassurer,çanefonctionnepas.
—Tyler.Ilsecalmepourm’écouter.C’estlàqueleslarmesrefontsurface,parcequej’aimoi-mêmepeur
d’entendrecequejem’apprêteàdire.—Nousnepouvonspasêtreensemble.C’estlavérité,pureetsimple.Ilserrelesdents,secouelatête,pousseunsoupir,fermelesyeux.Ilrestecommeçauninstant,
pournepass’effondrer.J’essuieleslarmesquicoulentsurmesjoues.Pleurernefaitqu’aggraverlasituation.
Maisjecroisquenoussommesdanslapiresituationpossible,alorsj’ailedroitdepleurer.J’ailedroit de regarder les lèvres tremblantes de Tyler à travers mes sanglots et j’ai le droit d’avoirl’impressiondemourir.J’ailedroit,parcequec’estlecas.Moncorpsestengourdi.Mapoitrineetmoncœurseserrent.
Tylerouvreenfinlesyeux.L’émeraudes’estdélavée,ladouleurdilatesespupilles.Iltrituresescheveux.
—Tun’aspasditça,murmure-t-il.Saréactionmeprovoqueunenouvellecrisedelarmesquejen’aipasletempsd’essuyer.—Onnepeutpasfaireça,c’esttout.—S’ilteplaît,Eden,non,supplie-t-ild’unevoixrauque.Onafaittoutcechemin…Tunepeux
pasabandonnermaintenant.—Illefaut.Jemefichepasmald’êtredansunsaleétat.Jebafouillesanspouvoirmecontrôler.—Dis-moicequejedoisfaireetjeleferai.Çamarchera,presse-t-il.Iltendunemainversmongenou.Jerespireprofondément,lesyeuxsursesdoigts.—Nerendspasleschosesplusdifficiles.—J’aibesoindetoi.Sesdoigtscourentjusqu’àmamainqu’ilprenddanslasienneetserresifortquejenepeuxme
dégager.Leslarmesluimontentauxyeux.Jenel’aijamaisvusi…déchiré.—Tunecomprendspas?Tun’espasunedistraction.C’estbienmoi,Eden.Là.Jesuisenvracà
causedetoi,maisjem’enfiche,parcequec’estmoi.Jesuisdansunsaleétat.Etcequej’aimec’estqu’avectoi,j’ailedroitd’êtreenvrac,parcequejetefaisconfiance.Tueslaseulequisesoitjamaissouciéedemecomprendre.Jeveuxêtreenvrac…avectoi.
—Jecontinueraiàmesoucierdetoi,parviens-jeàarticulerentredeuxsanglots.Maisentantquedemi-sœur.
Ilrefusedelâchermamain,commes’ilavaitpeur.—Eden.Etcequis’estpasséceweek-end?On…onafaittoutçapourrien?Toutcetétépour
rien?Nosmainsvontparfaitementl’uneavecl’autre.Monventresenoue.—Pasrien.Onabeaucoupappris.—Cen’est pas juste ! s’exclame-t-il en frappant le volant. Je t’ai tout dit demoi. Je t’ai dit la
vérité.J’aicasséavecTiffanietelledoitêtreentraindemettreaupointsonplanpourdétruiremavieplusqu’ellenel’adéjàété.Maisjem’enfiche,parcequejecroyaisqueçaenvaudraitlapeine.Etjelecroyaisparcequejepensaisàtoi.Tuétaismapriorité.Tusaiscequej’aipenséquandjesuissortidecettemaison?JepeuxenfinêtreavecEden.
Ilmarqueunepausepoursefrotterlesyeuxensoufflant.Puisillâchemamain,etregardedroitdevant.
—Ettuviensmedirequetuneveuxpasêtreavecmoi!
—Tucroisqueçam’enchante?Jelefaisparcequec’estlemieuxpournousdeux.Ilrefusedecroisermonregard.Ilobservesansfinl’alléedeTiffanietlapluie,parcequemême
lamétéohorsdecettevoitureestplussupportablequelatempêtequisedérouleàl’intérieur.— Je ne veux pas te voir sombrer si ça tourne mal. Qu’est-ce que tu feras si nos parents le
découvrentetsemettentànousdétester?Cen’estpaslebonmoment.Onnepeutpasgérerça.Tudoisréparertavie,tudoisalleràNewYorkettun’aspasbesoinqu’onenrajoute.
—Maisqu’est-cequ’ilyaavecNewYork?Pourquoitunemedispas?—Tamèreveutlefaireelle-même.Jesuisunecatastrophesanglotantesurpattes.Jetentederetrouvermonsang-froid.Envain.—Àpartirdemaintenant,ilfautignorernossentiments.Ilfautarrêterça,avantqu’ilnesoittrop
tard.—Sic’estcequetuveux.Situveuxvraiment,vraimentqu’onignoretoutça…alorsmoiaussi,
j’imagine.Faitesquecesoituncauchemar.JeveuxmeréveilleràPortland,quemamèremedisequejen’ai
jamaismislespiedsàSantaMonicaetquejen’aipasdedemi-frèreappeléTyler.Jeneveuxpasquetoutcelasoitréel.Laréalité,çafaittropmal.
Jenesupportepassonregard,pourtantjenepeuxdétournerlesyeux.Sarespiration,plusfortequelapluie,accélèrequandilsepencheversmoi.Jesaisàquoiilpense,etmoiaussij’aienviedel’embrasser.Alorsjelefais,parcequec’estladernièrefois.
Jememetssurlesgenouxpourgrimpersurluietsaisirsanuque.C’estplusfortquemoi,commecettenuitsur la jetéeoùnousnoussommesembrassésdans lamêmeposition.Unefoisdeplus, jeposemeslèvressurlessiennes.
Maiscettefois,c’estunlongetdouloureuxbaiser.Tylermetientserréecontreluietseslèvresemprisonnent lesmiennes durant d’interminables secondes. Ilm’embrasse, encore et encore. Je lesenssoupirercontremoi.Savoirquec’estladernièrefoisfaitmalautantquecelam’apaise.C’estuneconclusion.
Lesondelapluie,noscorpsmoites,mescheveuxpartout,Tylerquiafrôlélacrisedenerfsetmoiquiaiassezpleurépourremplirunepiscine…c’estunetellepagaille!
Çarésumeparfaitementnotresituation.Etpourcetteuniqueraison,c’estparfait.Tylerronchonneens’écartant.Jerefusedelelaisserpartir,alorsjeletiens,sonvisagecontrele
mienetjesoufflecontresajoue.Jegardelesyeuxfermés,j’ignoresiluiaussi.—Demi-frèreetdemi-sœur.Riendeplus.—Riendeplus,confirme-t-ilensereculant,têtebasse.Jelelaisseenfinpartir.Ilremetsesmainssurlevolant.Jecroisqu’ilaccepte.Jeremetsmacapuche,unemainsurlaportière,etj’attendsuninstant,aucasoùildiraitquelque
chose.Commeilrestesilencieux,jesors.Je m’éloigne de lui. De nous. La pluie battante ne m’empêche pas d’apercevoir sa voiture
démarrerentrombe.J’espèrequ’ilvarentreràlamaison.Jerestelà,immobilesouslapluie,danslevent,jusqu’àcequ’ildisparaisseauloin.
L’avantagede lapluie,c’estqu’onnepeutpas savoir sivouspleurezounon.Et là, les larmescoulentsansfinsurmesjoues.Heureusement,quandj’arriveàlaporte,c’estDeanquim’accueille.Unefoisàl’intérieur,jelaissel’eaucoulerdemonvisage,lechignonenbataille.
—Tuesdingue?demande-t-ilenriant.Attends,jevaistechercheruneserviette.Jel’attends,dégoulinante,dansl’entrée.JakeetRachaelontdisparu.Lamaisonsent toujoursle
pop-corn,onentendlecommentateurdefootàlatélé.Deanrevientendépliantunegrandeservietteblanchequ’ilmepassesurlesépaules.J’enfouismonvisagededansetj’ail’impressiondemenoyer.
Sonsourires’estompe.—Çava?—Jevaism’ensortir.Maisc’estfaux.Toutestbrisé.Jenesaispassijevaism’ensortir,maisilnedoitpaslesavoir.Je
hochelatêteversl’escalier.—IlssontavecTiffani?—JakeetRachael?Oui.J’ail’aird’unamiencartonàêtrelàaulieudelasoutenir,maisenfait,
j’allaispartir.—Tuvasoù?—IlyaunautreconcertdeLaBreveVitadanslecentre.J’aimesafaçondebredouillerquandilparledecegroupedontilestfan.Çamefaitrire.—Jecomptaisn’yallerqu’aprèslefilm,maisj’aichangéd’avis.Eh,tum’accompagnes?Situ
asenvie,évidemment.Enfin,tuassûrementautrechoseàfaireettun’aspasl’airdanstonassiette…maisjesuissûrqu’ilspourraientteremonterlemoral.
—D’accord.Jenepeuxréprimerunsourire.Soudain,l’obsessiondeTylerpourses«distractions»prendtout
sonsens.J’essaiedemedistraireavecDean,parcequemoinsonpenseàcequinousdéchire,mieuxçava.
—Jelesadore.—Tuessûre?Têteinclinée,ilprendnotedemonétat.—Cen’estquedel’eau.Jerassemblemescheveuxenqueue-de-chevaltrempéeetjemefichebiendequoij’ail’air.J’ai
lesyeuxetlesjouesenfeu.—Çasècherasurlaroute.Ilestsurlepointdeprotestermaisseraviseetsortsesclés.—Ilfautqueturetourneslà-dessous,ducoup.Alors,jevolelaserviettepourm’enservirdeparapluiejusqu’àsavoiture.Ilmet le chauffage et le troisième albumdeLaBreveVita à fond et fait quelquesblaguespas
drôlessurlaservietteauxquellesjerisquandmême.Enchemin,ilsepenchesurlevolantpourobserverleciel.—Tuvois,j’avaisraisonàproposdelatempête.C’esttoujoursassezfou.—Çadurecombiendetemps?Lesessuie-glacesàfondontdumalàsuivrelerythme.—Toutelajournée.Pasfaciledesavoirexactement.Leconcerta lieuaumêmeendroit jonchédegobeletsqueladernièrefois.Deanm’emmèneau
fonddans l’obscurité, près dumur.Personnene nous bouscule là-bas. J’ai laissé tomber l’idée desécher quand j’ai dû ressortir de la voiture. Mais Dean est trempé, tout le monde est trempé, etpersonnenes’enpréoccupe.
Surscène,legroupefaitunepause.—Ilstravaillentsurunnouvelalbumencemoment.Ildoitsortirenjanvier.Jesuiscommeun
dingue.Çavaêtremortel!Son enthousiasmeme fait sourire, il est adorable, avec ses yeux qui brillent.Mais soudain, il
semblecroirequ’ilseridiculise,alorsiltournelatête,gêné.Nous sommes arrivés juste à temps pour la chanson suivante. Le chanteurmonte aumicro et
regardelafoule,lesyeuxmi-clos.
—Vousêtesnombreuxàavoirbravélesélémentspourvenircesoir,c’estgénial,etc’estencoreplusgénialquevoussoyezavecnous.Onvajouer l’unedemespréféréesdudeuxièmealbum.(Lafoule exulte, Dean ne quitte pas la scène des yeux.) L’histoire de l’écriture de cette chanson, quicommenceàdatermaintenant,estplutôtcool.
Ils’essuielefrontetsemetàfairelescentpassurscène,lesyeuxparterre.—J’avaisunami…appelons-leBobby.Donccepote,Bobby,étaitunsacrétype.Oncréchaitdans
lamêmerésidenceàlafac,etBobbyétudiaitledroit.Etvoussavezquoi?Bobbydétestaitledroit.Bobbyvoulaitjouerdansunecomédiemusicale,maisilcontinuaitledroit,etvoussavezpourquoi?Parcequelasociété,c’estdelamerde.
Ilsecouelatêtepuispoursuit:—Bobbyavécul’enferpourterminersesétudes.Ilagâchéquatreansdesavieàfairequelque
chosequ’ilnevoulaitpasfaire,toutçaparcequependantlelycée,ils’étaitfaitinsulteràcausedesapassion.EtvoussavezcommentsesentBobbymaintenant?Ilenaras lebold’êtrecoincéavecsaconneriedediplômededroit.Alorsqueceuxquivousjugent,vousetvoschoix,aillentsefairevoir.Vous êtes gay ?Allez-y, acceptez-vous !Vous voulezmonter votre propremagasin de peinture ?Allez-y,montezvotremagasindepeinture!Nevousempêchezpasd’êtrevous-même!
Ilrevientaucentredelascèneetnousregarde.—Doncsivousn’avezpasencorecompris,onvajouer«HoldingBack1».Amusez-vousbien.
Tantoamore.Love.J’adoraisdéjàcettechanson, j’avaisdéjàcompris leurmessage,mais lesparolessidirectesdu
chanteurmepermettentde l’apprécier encoreplus. Jem’identifie complètement. Jemedemande sij’aifaitcequ’ilfallait,sijenedevraispascouriràlamaisondireàTylerquej’aifaituneénormeerreur,quejeveuxêtreaveclui.Maisaufonddemoi,jesaisquenousdevonsnousretenir.Iln’yapasd’autresolution.Deslarmesdouces-amèresmereviennentpendantlachanson.
Mon cœur flanche mais je me mords les lèvres, les yeux sur la scène. Le guitariste joue, lebassistelerejoint,puislebatteur,lechanteur,etbientôtlamusiqueretentit,assourdissanteetvibranteautourdenous.J’enailachairdepoule.
C’estlàquejesenslamainchaudedeDeanseglisserdanslamienne.Sonpoucedécritdescerclessurmapeau.Jenesaisquepenser,parcequec’estunesurprise,mais
aussiparcequec’est…réconfortant.Deanatoujoursétéunréconfortpourmoietsij’avaisbesoindeçaàunmoment,c’estbienmaintenant.
Ilalesyeuxrivéssurlascèneetsecouelatêteaurythmedelabatterie.Mais,plusimportant,ilsourit.
1.*Littéralement:«seretenir»(N.d.T.).
ÉPILOGUE
Dixmoisplustard
Sionm’avaitdit,l’annéedernière,quejenetermineraispasmonannéescolaireàPortlandmaisà SantaMonica, je n’y aurais jamais cru. Et pourtantme voilà, en train d’empilermes cahiers debiologiedansmoncasiertoutencherchantmesclésdevoiture.Rachaeldébouleduboutducouloir.
—Etunjourdemoins!s’exclame-t-elleavecunlargesourire.Ellelèvedeuxdoigtsdevantmonnez.Hier,c’étaittrois,avant-hier,quatre.—Plusquedeuxjoursavantlaremisedesdiplômes!—Parlepourtoi.Jefeinsl’agacement.EllecomptelesjoursdepuisNoëletelleadéjàmisaupointsatechniquede
lancerdecoiffedediplômée.Alorsmêmesijenemefaispasàl’idéequ’ellevas’enaller,jelalaisseexulter.
—Quandvoussereztousàl’université,n’oubliezpasvotremeilleureamiequiseracoincéeici.—Tuesnotrepetitbébé,miaule-t-elleenmecaressantlatête.Jem’esquiveavecunregardassassin.Pourvuquepersonnen’aitremarqué.Elleglousse.—Tudoisfaireensortequenotrehéritagepersiste.Jeveuxquetuécrivesmonnomsurtoutes
lescabinesdestoilettespourfairedemoiunelégende.Jeveuxquedanscinqans,toutlemondesachequej’aiarpentécescouloirs.
—Malheureusementpourtoi,toutlemondes’enfiche.Ellemedonneuncoupmaissoudainsonrires’arrêtedansundemi-souriregêné.Jeconnaiscette
expressionparcœur.Jem’apprêteàposerLAquestionquotidienne(etjeconnaisdéjàlaréponse).—Tiffaniarrive,c’estça?Quandjemeretourne,c’estlamêmescènequetouslesjours.TiffanietJake,maindanslamain,
avancentdanslecouloir.Çanemefaitnichaudnifroid.Enfait,ilsformentuncoupleplutôtdécent.Lerestedel’écolesembled’accord:lesfillespassentleurtempsàdireàTiffanicombienellessontjalousesd’elle,ceàquoielleleurrépondparunsouriredepublicité.Ilssontensembledepuisunboutdetemps,maintenant.Tyleraétérayédesalistedes«indispensables»ilyalongtemps.
—Salutlesfilles,ditTiffanitandisqueJakenousadresseunbrefsignedetête.Ilsnes’arrêtentpas;ilsnes’arrêtentjamais,parcequeTiffanietmoinenousparlonstoujours
pas.Nous arrivons à faire bonne figure commeTyler et Jake (même si la tension entre eux s’estaggravée),mais nousne sommespas amies.Rachael etMeghan essaient denousvoir séparément.Heureusement, Tiffani entre à l’université de SantaBarbara. Jake, quant à lui, part pour l’Ohio, à
l’autreboutdupays.Jemedemandecombiendetempsilsvontteniravecladistance.Jeleurdonneunmois.
Ilsflottentdanslecouloirjusqu’àlasortieetRachaelpousseunsoupir.—Voyonsleboncôté,tun’aurasplusàlacroisertouslesjours.C’estleproblèmedefairepartied’ungroupedegensplusâgés.QuandRachael,Meghan,Tiffani,
Jake,DeanetTylervontrecevoir leurdiplômejeudi, jeresteraiseule.Jedoisencoresurmonter laterminaleavant la fac.Jevaisdevoirpassermon tempsavec lesamisque jemesuis faitsdansmapromo,quinesontpeut-êtrepasmesmeilleurspotes,maiscesontdesgenssympas.
Rachaelm’emboîtelepasverslasortie.Heureusementqu’ellevaàl’universitédeLosAngeles.Deanetellesontlesdeuxseulsànepasdéménager.
—TuvoisTrevorcesoir?—Jecrois.Sonvisages’illumineàlaseulementiondesonprénom.Ilssortentensemblemaisçan’empêche
pasRachaeldecontinueràsecomportercommeunemidinette.Quandilestdanslecoin,ellepassesontempsàrougiretsourire.
—Etj’aicruentendreMeghandirequeJaredvenaitlavoircesoir.—Oùest-elle,d’ailleurs?Jenel’aipasvue.Dehors,lesoleildeplombs’abatsurleparkingdésert.Personnenerestetrèslongtempsaprèsles
cours.—Elleadûsécherlescoursaprèsledéjeuner.Nosvoitures sontgarées l’uneà côtéde l’autre, évidemment.Elle jette son sacdans la sienne,
maishésiteunmomentenmeregardantpar-dessusletoit.—Onsevoitdemainmatin,promis?J’acquiesceetellem’envoieunbaiserquejefaissemblantd’attraper.—Amuse-toibienavecTrevor!Levolantdemavoitureestbrûlant,jelemanipuleduboutdesdoigtsjusquesurleboulevard.Parchance,lamaisondemamèresetrouvedanslequartierdeNorthMontana,commecellede
monpère;c’estpluspratiquecommeça.JeprendsDeidreAvenue,dépasselamaisondemonpèrepourvoirquiestlàet,danslerétroviseur,j’aperçoisRachaelsegarerdanssonallée.Onabeaucoupparlé de covoiturage, parce que nous empruntons lemême chemin,mais rien ne s’est concrétisé.C’esttroptardpourcommencermaintenant.
Vitrebaissée,jemetsmeslunettesdesoleiletsecouelatêteenrythmesurlenouveausingledeLaBreveVita,unechansonenjouéequimetournedanslatêtedepuisdesjours.
Devantchezmamère,jesorsdelavoitureenessuyantunfiletdetranspirationdemonvisage.Ilfaitatrocementchaudaujourd’hui.
J’ai toujours trouvé cette maison plus accueillante que celle de mon père. J’en suis tombéeamoureuse depuis que ma mère l’a trouvée, l’an dernier. Elle est petite, avec seulement deuxchambres. J’aimebien le petit porche et la cheminée agréable.On s’y sent bien, c’est parfait pourMamanetmoi.Et Jack,bien sûr. Il a emménagé il y a unmois et je commence àm’habituer à saprésence.
À la seconde où je passe la porte, je suis accueillie par Gucci qui bondit, langue pendue, englissantsurleparquet.Ellemetourneautourpourmereniflertandisquejemebaissepourluigratterlatête.C’estunmagnifiquebergerallemand.C’estMamanquiachoisisonnom.Ellem’aditqueçapouvaitaiderGucciàs’intégreràL.A.J’aimisdutempsàcomprendre.
PilequandMamancommençaitàconsidérerl’idéed’emménagerici,unpostes’estlibéréauSaintJohn’sHealthCenter,unhôpitalenpleincœurdelaville.Lesalaireestmeilleur,leshorairesmoins
prenantsetellen’aplusl’airfatiguéeenpermanence.Ellesourittoutletemps,unecombinaisondeplusieurséléments:Jack,sonnouveauboulotetGucci.
—J’espèrequetuavaisenviedespaghettisbolognaisecesoirparcequec’esttoutcequejemesenscapabledemijoter,souffle-t-elle,avecungrandsourire,enentrantdanslesalon.
Elles’estchangée,maisportetoujourssonchignonstrict.Gucciluisautedessus.—Elleestenformeaujourd’hui,jeconstatetandisquelachiennetentedeluilécherlevisage.Tu
l’assortiecematin?—Non,j’étaisenretard.Elleserelèveenfrottantsonpantalon,etroulesesmanches.—Tupeuxlefairemaintenant?Letempsquejeprépareledîner.Lamétéo est excellente, je n’ai rien à faire, je pourrais en profiter pour passer voir quelques
amis.JelaisseMamanàlacuisineetparsdanslequartieravecGucci.Elletiresursalaisse,c’estellequimepromène,commed’habitude.Unefois, j’aiessayédel’emmenercouriravecmoi,mais j’aifinihorsd’haleineauboutdedixminutes,incapabledelasuivre.J’aidûrentreràlamaisonavantdem’écrouler.
J’atteinsmapremièreétapeenquelquesminutes:lamaisondeDean.Aulieud’entrercommeàmonhabitude,jedécided’êtreinventiveetjel’appellesursonportableenscrutantsafenêtre.
—Eden.Lesondesavoixmedonnelesourire.—Sors.Gucciveuttevoir.Àsonnom,lachiennedressel’oreilleetmeregardeavecdegrandsyeuxbrillants.Deanrigoleauboutdufil,etmêmesij’aientendusonrirehiersoiraucinéma,j’ail’impression
queçafaitdesjours.Jen’enauraijamaisassez.—J’arrive.JetapotelatêtedeGucci.—Bienjoué,mafille.Elles’assiedàmescôtésenagitantlaqueue.Lasueurmepicotelevisage.—Gucci!s’écrieDeanentapantsursescuisses.Il sait que jedétestequand il fait çaparcequ’elle se jette sur lui,manquant chaque foisdeme
déboîterl’épauleavantquejepuisselâchersalaisse.—Avecquitusors?Lachienneoumoi?Avecunsourirenarquois,ilattrapelalaisseetvientversmoi.—Avectoi,sansaucundoute.Ilm’attireà luipar la tailleetm’embrasse.Deana toujoursété tendreet il sourit entrechaque
baiser,cequ’ilfaitencemomentmême.—Tuembrassesmieuxquetonchien,çac’estsûr.—Çam’inquiéteraitquetudiseslecontraire.Derrièrenous,Hugh,lepèredeDean,apassélatêteparlaporteetmefaitsigne.Ilporteencore
sonbleudetravailpleindegraisse,ildoitsortirduboulot.IltientungarageetDeanvacommenceràtravaillerpourluiaprèslelycée.C’estsonannéedecésureavantd’alleràlafac,etjesuisraviequ’ilsoitencoreàSantaMonicapendantquejeterminelelycée.
—Jevienstoujoursaprèsdîner?demande-t-il.—Biensûr.Lemardisoir,MamanetJacknouslaissentlamaison.Mamanappelleçale«marDean».—Parfait.Tiens,ajoute-t-ilensortantsonportefeuille.Ilmetendlebilletdecinqdollarsquenousnouséchangeonsdepuisunandéjà,sousn’importe
quelprétexte.
—Cinqdollarspourm’avoirlaissévoirlechien.Jel’empocheenlevantlesyeuxauciel.—Jevaispasserchezmonpère.Onsevoitcesoir,dis-jeenluidéposantunbrefbaiseraucoin
deslèvres.Guccileregardedisparaîtredanslamaison,j’aidumalàlafairebouger.Nousnemettonsquecinqminutes, enmarchantvite, cequin’estpasunproblèmeavecGucci.
Troisvoituressontgaréesdevant.LaLexus,laRangeRoveretl’Audi.Toutlemondeestlà,mêmeTyler.Monventresenoue.
Avantdepasserlaporte,j’entendsdesvoixetdesriresprovenantdujardin,alorsjefaisletourparleportail.Chaseestdanslapiscine,monpèretented’allumerlebarbecueetJamiejoueavecunballon.Àsavue,Guccisemetàaboyer,jedoislaretenirparlecollier.
—Eden!faitmonpère,contentdemevoir.Nousn’avons jamais vraiment parlé de l’été dernier, et je lui enveux toujours,mais il fait de
groseffortspourquenousnousentendions.Peut-êtrequeçaneseraplus jamaiscommeavant.Oupeut-êtrequeçaprendrasimplementdutemps.Maisaumoins,nousessayons.
—Tuasfaim?Onapréparéunfestin.ÇamerappellemonpremierjouràSantaMonica, l’étédernier,etmapremièrerencontreavec
Tyler.J’ail’impressionqueçafaitdesdécennies.—Mamangèreledîner, luidis-je toutenretenantGucci.Jamie, je t’enprie,planqueceballon
deuxsecondes.Les yeux au ciel, il s’en débarrasse dans la cuisine. Maintenant que Gucci ne risque plus de
l’éclater,jelalaisselibre.Ellesemetàcourirdanslejardincommeunemalade.—Tylerestlà?Jenel’aipascroiséaulycéeaujourd’huietj’aiencoredumalàpasserunjoursansluiparler.Je
medemandecequ’ilfait,àquoiilpense,s’ilaimetoujourslabarbeàpapaetlesparcsd’attractions.—Àl’étage,fait-monpèreenretournantàsonbarbecue.JelaisseGuccisouslasurveillancedeJamieetentredansmadeuxièmemaison.J’aipasséplusde
temps ici cette année etmaintenant, j’ai vraiment l’impression que Jamie et Chase sontmes petitsfrères.Ellaneremplacerajamaismamère,maisjesaisquejepeuxcomptersurelle.Quantàmonpère…ehbienc’estmonpère.Jechangedemaisonunesemainesurdeuxpourpouvoirvivreaveclesdeuxmoitiésdemafamille,parceque,honnêtement,jelesaimetouteslesdeux.
—Eden!Tuvienspourlebarbecue?Ellaestaffairéeàremplirdescarafesdejusdefruits.Elleportesontailleur,elledoitrentrerà
l’instant.Elleareprisletravaildepuissixmois.—Pascesoir.Jepromenaislechien.Tylerestlà-haut,c’estça?—Oui,ilfaitsavalise.Ellesoupiremaissourit.L’idée de son départ me serre la poitrine. Je monte les marches quatre à quatre. L’étage est
silencieuxet lesoleilaveuglant illumine toutes lespièces.Jepousse laportedéjàentrouvertede lachambredeTyler.
Deuxvalisesàmoitiérempliessontsursonlit,lerestedelapièceestvide.Toutadéjàtraversélepaysetl’attenddanssonappartement,danslecentredeManhattan.Ilsortdelasalledebainsavecunpetitsourire.
—Salut.—Salut.Lesilencequis’installeest lemêmequed’habitude.Cen’estpasunsilencegêné. Ilestdevenu
familier.C’estcommesinousavionsbesoind’unmomentpournouscalmer,aucasoùnousferions
oudirionsquelquechosequ’ilnefautpas.Unmomentpourenfilernosmasques,dressernotrefaçadecourageuse,nousconvaincrequenousnesommesplusamoureuxdelapersonneenfacedenous.
J’ignoremespaumesmoitesetmoncœurquis’emballeetjemetourneverslesvalises,avantdereveniràlui.
—TudéménagesàNewYork,tuycrois?Ilafallubeaucoupd’effortspourleconvaincre,maisvoilàquiestfait.Lundi,ilpartàNewYork
pour un an. Il va parcourir la côte est, partager son histoire et peut-être aider les autres. Il a dûtravaillerdurpoursaisircettechance.Ilaobtenuuneexcellentemoyenneàl’examenfinal.Ilnes’estpasdroguédepuishuitmois.Ladernièrefoisqu’ilaélevélavoixsurl’und’entrenous,c’étaitl’andernier.Maintenant que tout le monde connaît la vérité, on dirait qu’on lui a retiré un poids desépaules.Ilabienfalluenparlerquandilalaisséentendrequ’ilpartaitàl’autreboutdupays.Rachaelestunpeuplussympaaveclui,depuis.
—C’estdingue,répond-ilenhaussantlesépaules.Onenvoielavoituredemain,etçaserabon.—Çavafairebizarredenepastevoirpendantunan.Jesuistellementfièredecequ’ilafaitetdetoutcequ’ils’apprêteàfaire.D’unautrecôté,c’est
difficile de savoir qu’il ne seraplus là. J’essaiedemeconvaincredu contraire,mais il représentebeaucoupplusqu’undemi-frère.Commentsuis-jecenséesupporterdeneplusvoirlapersonnequej’aime chaque jour ?Au fond demoi, je sais que ça peut nous aider. Peut-être la séparation nouspermettra-t-elledenoussevrerl’undel’autre?
Ilfermel’unedesvalisesetsetourneversmoi.Ilatoujoursdesyeuxmagnifiques.—C’estlamoinsbonnepartie.Tuasréfléchis,pourl’étéprochain?La semaine dernière, il m’a proposé de venir à New York pour l’été. Les conférences se
terminentenjuin,maisilnerentrerapasavantaoût,doncilveutquejepasselesvacancesavecluidanslaville.Uneidéedangereuse.
—Justenousdeux,merappelle-t-il,enréprimantunsourire.Quand il faitunpasversmoi,moncœuraccélèrecommechaque foisqu’il s’approcheunpeu
tropprès.Jen’aiplusd’air.Duboutdubras,ilfermelaportedesachambre.Nous avons assez bien réussi à ignorer notre attirance mutuelle cette année, et encore mieux
réussi à nous assurer que personne ne la découvre. Et puis, j’ai Dean maintenant. Je devrais meconcentrer sur lui. Mais quelques fois, quelques fois seulement, Tyler et moi oublions de fairesemblant.Commemaintenant.
Ilm’attire à lui et je sens son parfum.Bentley, son préféré. Il n’est pas encore parti qu’ilmemanquedéjà.Jeposelatêtesursonépauleetsamaindescendsurmahanche.Notreétreinteesttoutcequ’il y a de plus normal, j’ai le droit de prendremon demi-frère dansmes bras, et pourtant… latensionsexuellenedevraitpasexister.
Joue contre joue, son souffle chaud caressema nuque. Il serrema taille tandis que ses lèvreseffleurent mon visage jusqu’au coin de ma bouche. Je le sens sourire contre mes lèvres et ilmurmure:
—Àl’étéprochain,Eden.
Remerciements
Merciàmeslecteursquisont làdepuisledébutetontvucelivregrandir.Mercid’avoirrendusonécrituresiagréableetmercid’êtrerestésavecmoisilongtemps.Merciàtoutel’équipedeBlack& White Publishing de croire en ce livre autant que moi. Janne, je te suis éternellementreconnaissante d’avoir voulu conquérir le monde ; Karyn, merci pour tes commentaires et tescompétences ; et merci à Laura d’avoir toujours veillé sur moi. Merci à ma famille pour leursencouragements et leur soutien sans faille, surtout à ma mère, Fenella, qui m’a emmenée à labibliothèque quand j’étais petite – c’est là que je suis tombée amoureuse des livres ; àmon père,Stuart, quim’a toujours encouragée à devenir écrivain ; et pour finir àmon grand-père, GeorgeWest,qui a cruenmoidepuis lepremier jour.Merci àHeatherAllenetShannonKinneard’avoirécoutémesidéesetdem’avoirlaisséeradoter,sansjamaismedemanderdemetaire,mêmesimonenthousiasmeatrèscertainementdûvoustapersurlesnerfs.MerciàNeilDrysdaledem’avoiraidéeà en arriver là.Merci,merci,merci. Et pour terminer,merci àDanica Proe,mon professeur qui,quand j’avais onze ans, a été la première àm’avoir dit que j’avais une plume d’auteur.Merci dem’avoirfaitprendreconsciencequec’étaitexactementcequejevoulaisdevenir.
L’auteur
Estelle Maskame, jeune Écossaise de dix-huit ans, est une dévoreuse de livres et une faninconditionnellederomansYoungAdult.Elleécritdepuisl’âgedetreizeans.DidIMentionILoveYouestsonpremierroman.
Titreoriginal:DidIMentionILoveYouPubliépourlapremièrefoisen2015parBlack&WhitePublishingLtd
Loino49956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse:janvier2016
©EstelleMaskame2015
©2016,éditionsPocketJeunesse,départementd’UniversPoche,pourlatraductionfrançaiseetlaprésenteédition
Couverture:StuartPolsonDesign–Photos:©Shutterstock
ISBN:978-2-823-84341-5
«Cetteœuvreestprotégéeparledroitd’auteuretstrictementréservéeàl’usageprivéduclient.Toutereproductionoudiffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite etconstitueunecontrefaçonprévueparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelaPropriétéIntellectuelle.L’éditeurseréserveledroitdepoursuivretouteatteinteàsesdroitsdepropriétéintellectuelledevantlesjuridictionscivilesoupénales.»