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SÉRIE DOCUMENTS DE TRAVAIL DT-CAPES N° 2004-16
LES FONDEMENTS DE L'ENTREPRENEURIAT AU BURKINA FASO
Décembre 2004
Basga Emile DIALLA, Sociologue / emile_dialla@yahoo.fr
1595, Avenue Charles de Gaulle, 01 BP 1919 Ouagadougou 01 Burkina Faso Tél. : 50 36 96 14/32 – Fax : 50 36 96 33 – courrier@capes.bf – www.capes.bf
CAPES
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SOMMAIRE
Rubriques Page
AVERTISSEMENT..................................................................................................................................3
Introduction ...........................................................................................................................................4
1. Etat des lieux des entreprises au Burkina Faso ............................................................................5
1.1 Le concept d’entrepreneuriat ........................................................................................................5
1.2 Les entreprises burkinabè : état des lieux ...................................................................................7
2. Fondements de l’entrepreneuriat au Burkina ..............................................................................18
2.1 Les approches psychosociologiques de l’esprit d’entreprise .................................................18
2.2 Les déterminants motivationnels de l’entrepreneuriat au Burkina Faso................................20
2.3 Principales contraintes au développement des entreprises ....................................................23
Conclusion...........................................................................................................................................23
Bibliographie .......................................................................................................................................24
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AVERTISSEMENT
Le Document de Travail du Centre d’Analyse des Politiques Economiques et Sociales (CAPES) est
constitué des travaux de recherche (travaux semi-finis, drafts d’articles, communications diverses…)
des experts du Centre, qui les soumettent de la sorte au débat scientifique.
Les auteurs des travaux publiés dans la Série Document de Travail sont entièrement
responsables de leur contenu.
Le Document de Travail paraît chaque fois que des travaux sont reçus à la direction du Centre.
4
Introduction En Afrique, la question de l’entrepreneuriat a fait l’objet de nombreux débats. Très souvent,
on a parlé de l’absence d’un véritable esprit d’entreprise en Afrique, incriminant au passage
certaines caractéristiques culturelles africaines qui seraient incompatibles avec l’esprit
d’entreprise. Cependant, sur la base de témoignages d’explorateurs, de données d’archives
disponibles et de recherches d’historiens et d’anthropologues (Hien, 2002), il est démontré
que les sociétés indigènes possédaient non seulement un sens commercial aigu, mais
également la capacité de le rendre opérationnel. Ces investigations indiquent que des
formes de capitalisme commercial, incluant les marchés, la monnaie et le crédit, étaient
répandues depuis longtemps dans l’Afrique pré-coloniale et se sont même étendues, durant
la période coloniale, aux cultures d’exportation, aux cultures maraîchères pour les villes en
croissance, aux transports, à la production industrielle et de services modernes.
En termes de recherche, le thème de l’entrepreneuriat reçoit depuis plusieurs décennies une
grande attention dans la plupart des pays développés, alors que les investigations sur ce
thème sont rares en Afrique, même si elles connaissent un développement depuis quelques
années (Hien, 2002).
En effet, jusqu’à la fin des années 80, l’entrepreneuriat en Afrique n’a pas intéressé les
chercheurs ; mais suite aux injonctions des institutions financières internationales (celles de
Bretton Woods en l’occurrence, à savoir la Banque mondiale et le Fonds monétaire
international) imposant la libéralisation économique aux gouvernements des pays en
développement, avec le secteur privé comme moteur de développement, l’intérêt pour
l’entreprise est né. Pour ces institutions financières, la Banque mondiale notamment,
l’entreprise privée a été, et ce pendant longtemps, le chaînon manquant au développement
socio-économique de l’Afrique (Ouédraogo, 1999).
Au Burkina Faso, il a fallu attendre la libéralisation opérée à travers les programmes
d’ajustement structurel du début des années 90 pour voir se développer des initiatives de
promotion du secteur privé comme moteur de développement.
Le but principal de cette réflexion, qui s’appuie sur des recherches documentaires1, est
d’explorer les fondements de l’entrepreneuriat au Burkina Faso, c’est-à-dire les facteurs qui
déterminent l’aptitude à entreprendre.
Les objectifs spécifiques de l’étude visent à :
- esquisser un état des lieux des entreprises au Burkina Faso ;
- déterminer les facteurs qui fondent l’entrepreneuriat au Burkina.
1 L’essentiel des recherches documentaires, y compris quelques données statistiques de l’INSD et de la Chambre de Commerce, a été effectué par Firmin NANA, un étudiant en sociologie, lors de son bref stage d’un mois au CAPES.
5
1. Etat des lieux des entreprises au Burkina Faso Cette section commence par un bref examen du concept d’entrepreneuriat pour
ensuite esquisser l’état des lieux des entreprises burkinabè.
1.1 Le concept d’entrepreneuriat
Les différents travaux réalisés dans ce domaine ont proposé de nombreuses
définitions sans qu’aucune d’elles ne fasse l’unanimité ; mais l’on s’accorde
généralement que le terme d’entrepreneuriat renvoie au concept angliciste
d’entrepreneurship et renferme essentiellement trois notions : l’entrepreneur,
l’entreprise et l’esprit d’entreprise (Julien et Marchesnay, 1996)2.
Sans remonter jusqu’aux premiers auteurs qui se sont intéressés à ces notions
(Cantillon, 1755 ; Say, 1803 ; Mill, 1848), au risque de nous engluer dans des
problèmes définitionnels, nous retiendrons tout simplement avec Ouédraogo (1999)
que l’entrepreneur est un chef d’entreprise, que l’entreprise soit formelle ou
informelle. Le concept d’entrepreneur ici englobe surtout les créateurs et/ou
propriétaires d’entreprise. L’entrepreneur a été diversement défini dans la littérature
et le Tableau 1 ci-dessous, inspiré de Ouédraogo (1999), nous dresse la synthèse
des différentes approches descriptives de l’entrepreneur.
L’entreprise est le domaine d’intervention de l’entrepreneur. Elle peut être
considérée comme une unité ou organisation autonome produisant des biens et
services marchands qui seront commercialisés en vue de faire du profit. En somme,
l’entreprise est un lieu de création de richesses.
L’esprit d’entreprise est l’aptitude créative de l’individu, isolé ou au sein d’une
organisation, à identifier une opportunité et à la saisir pour produire une nouvelle
valeur ou le succès économique3. En d’autres termes, c’est cette aptitude de
l’individu ou d’un groupe social à s’engager dans une sorte d’aventure pour créer
quelque chose de neuf avec tout ce que cela peut comporter comme risques.
C’est la combinaison de ces trois éléments qui traduit la notion d’entrepreneuriat, ce
vaste champ d’activités où se mêlent à la fois opportunité, sens des affaires, prise de
risques, innovation, invention et créativité, intuition, persévérance, sens de
l’organisation, etc., pour aboutir à la création de richesses.
2 Cités par Hien (2002), L’entrepreneuriat féminin au Burkina Faso : une étude exploratoire, CDS Research Report. 3 www.europa.eu.int/scadplus/leg/fr
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Tableau 1 : Synthèse des différentes approches descriptives de l’entrepreneur
Ecoles de pensée
Objet Postulat Comportements et compétences
Phase ou étape
concernée
L’école du ‘‘grand personnage’’
L’entrepreneur a une aptitude intuitive (un sixième sens. Ses qualités sont innées (il est né avec).
Sans cette intuition innée, l’entrepreneur ressemblerait au commun des mortels.
Intuition, vigueur, persévérance, et estime de soi.
Phase de création.
L’école des caractéristiques psychologiques
Les entrepreneurs ont des valeurs, des attitudes et des besoins singuliers qui guident leurs comportements.
Les gens se comportent conformément à leurs valeurs. Le comportement résulte des tentatives de satisfaire les besoins.
Valeurs personnelles, prise de risques, besoin d’accomplissement et autres.
Phase de création.
L’école classique
La caractéristique principale du comportement entrepreneurial est l’innovation.
Le processus est l’aspect le plus important. La propriété de l’entreprise est moins importante.
Innovation, créativité et invention.
Phase de création et de décollage.
L’école du management
Les entrepreneurs sont des organisateurs d’entités économiques. Ce sont des gens qui gèrent, organisent et qui en assument les risques.
Les entrepreneurs peuvent être formés aux fonctions techniques du management.
Planification, gestion des hommes, budgétisation, etc.
Phase de décollage et maturité.
L’école du leadership
Les entrepreneurs ne sont que des leaders. Ils ont une aptitude à adapter leur style aux besoins des gens qu’ils dirigent.
Un entrepreneur ne peut réaliser ses objectifs tout seul ; il dépend des autres.
Motivation, conduite et gestion des hommes.
Phase de décollage et maturité.
L’école de l’intrapreneurship
Les compétences entrepreneuriales peuvent être utiles dans des grandes organisations complexes.
L’activité entrepreneuriale contribue à la construction de l’organisation.
Aptitude à exploiter les opportunités, prise de décision.
Phase de maturité.
Source: Ouédraogo (1999), [reprenant Cuningham J.B. & Lischeron J. ‘‘Defining entrepreneurship’’, Journal of Small Business Management, January, 1991, p.47].
7
1.2 Les entreprises burkinabè : état des lieux 1.2.1 Les entreprises
En 1998, l’Institut National de la Statistique et de la Démographie (INSD), à l’issue
d’un recensement industriel et commercial, a élaboré un fichier- répertoire des
entreprises du Burkina Faso. Ce fichier regroupe les entreprises du Burkina Faso
dont le chiffre d’affaire est supérieur ou égal à un million (1 000 000) de francs CFA,
et a concerné douze villes du pays.
Même si ce fichier ne capture pas de manière exhaustive toutes les entreprises, il
nous donne un aperçu général sur la situation des entreprises au Burkina. Le
tableau ci-dessous indique qu’environ 2719 entreprises à chiffre d’affaire variant
entre un million de FCFA et plus sont réparties dans les grandes villes de
Ouagadougou et Bobo-Dioulasso et dans dix autres du pays. Ces entreprises sont
inégalement réparties ; ainsi, plus de la moitié (1597) de celles-ci sont à
Ouagadougou, 637 à Bobo-Dioulasso, et 126 à Koudougou. Les neuf autres villes,
en fonction de leur taille et de leur situation socio-économique, se partagent
inégalement les 359 entreprises restantes.
Tableau 2 : Répartition des entreprises ayant un chiffre d’affaire supérieur ou égal à 1 000 000 FCFA dans 12 villes du Burkina Faso
Villes
Oua
gado
ugou
Bob
o-D
ioul
asso
Ban
fora
Déd
ougo
u
Dor
i
Fada
Gao
ua
Kay
a
Kou
doug
ou
Oua
higo
uya
Pô
Tenk
odog
o TOTAL
Nombre d’entreprises
1597 637 62 52 20 43 20 61 126 65 13 23 2719
Des données plus récentes sont fournies dans une brochure présentant le «Fichier
Néré» installé dans le système informatique de la Chambre de Commerce,
d’Industrie et d’Artisanat du Burkina Faso (CCIA-BF). Ainsi, jusqu’en fin juillet 2004,
le pays comptait 22 000 entreprises actives. Par ailleurs, le fichier indique qu’à la
même période, 30 466 entreprises étaient immatriculées au Registre du Commerce
et 15 321 au service des Impôts ; 12 800 entreprises étaient abonnées à la
SONABEL, 26 000 à la SONAPOST et 57 174 à l’ONATEL. Ces différentes
entreprises interviennent dans divers secteurs d’activité.
1.2.2 Les secteurs d’activité
Les secteurs d’activité des différentes entreprises sont caractérisés par leur
hétérogénéité, leur diversité. Le répertoire des entreprises (INSD, 1998) ci-dessus
8
cité, révèle l’existence de 27 secteurs d’activité dans lesquels interviennent les 2719
entreprises répertoriées. Ces 27 secteurs ne sont pas représentés dans toutes les
12 villes. Tandis que certaines villes regroupent la plupart des secteurs d’activité des
entreprises (Ouagadougou : 26, Bobo-Dioulasso : 22), d’autres, par contre,
atteignent difficilement les 10 secteurs (Pô : 06, Kaya : 8). Par ailleurs, certaines
activités attirent plus d’entreprises que d’autres. En effet environ 967 unités
travaillent dans le secteur du commerce détail dont la plupart se trouvent à
Ouagadougou (496) et à Bobo-Dioulasso (266). Le commerce détail réunit ainsi le
plus grand nombre d’entreprises. La restauration et l’hôtellerie viennent en seconde
position avec environ 281 entreprises exerçant dans ces domaines. En somme, sur
la base du répertoire INSD de 1998, on peut identifier huit (8) secteurs d’activité
majeurs dans le paysage des entreprises au Burkina Faso, regroupant chacun au
moins 100 entreprises, dont le chiffre d’affaire se situe entre 100 millions de FCFA et
plus. Ce sont les secteurs du commerce détail (967 entreprises), de la restauration -
hôtellerie (281), des services sociaux et connexes fournis à la collectivité (255), des
services fournis aux particuliers et ménages (216), des bâtiments et travaux publics
(184), des affaires immobiliers et services fournis aux entreprises (169), du
commerce gros (156) et de la fabrication d’ouvrages en métaux, machines et
matériels (102).
Le Tableau 3 ci-dessous présente les différents secteurs d’activité des entreprises
du Burkina Faso.
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Tableau 3 : Répartition des secteurs d’activité des entreprises à chiffre d’affaire supérieur ou égal à 1.000.000 FCFA, dans 12 villes du Burkina Faso à partir du cinquièmerecensement industriel et commercial (INSD, 1998).
VILLES
SECTEUR D’ACTIVITE Oua
gado
ugou
Bobo
-Dio
ulas
so
Banf
ora
Déd
ougo
u
Dor
i
Fada
Gao
ua
Kay
a
<Kou
doug
ou
Oua
higo
uya
Pô
Tenk
odog
o TOTAL
Agriculture et chasse 3 2 1 - - - - - - 2 - - 8Sylviculture et exploitation forestière 1 - - - - - - - - - - - 1Extraction minerais métalliques 3 - - - - - - - - - - - 3Fabrication de produits alimentaires, boissons, tabac 32 18 5 2 - 2 - 1 1 2 - - 63Industries des textiles, habillement, cuir 29 13 1 - - - - - 2 1 - - 46Industries des bois et fabrication d’ouvrages en bois 15 5 4 - 1 - 1 - 5 1 - - 32Fabrication de papier et articles en papier, imprimerie etédition
34 7 - - - - - - - 1 - - 42
Industries chimiques et fabrication de produitschimiques
17 7 - - - - - - - - - - 24
Fabrication d’ouvrages en métaux, machines etmatériels
66 20 1 2 1 4 1 1 4 1 1 - 102
Autres industries manufacturières 5 1 - - - - - - 2 2 - - 10Electricité, gaz, vapeur 4 - - - - - - - - - - - 4Installation et distribution d’eau 2 1 - - - - - - - - - - 3Bâtiments et travaux publics 129 23 1 1 2 5 2 3 10 6 - 2 184Commerce gros 127 9 3 2 1 1 1 3 5 - 2 2 156Commerce détail 496 266 18 29 6 18 6 33 63 20 4 8 967Restaurants – Hôtels 123 90 12 5 5 5 5 11 8 11 4 2 281Transports entrepôts 33 12 2 5 1 - 1 - 2 1 - 1 58Communications 15 1 1 - - - - - 4 - - - 21Etablissements financiers 8 1 - - - 1 - - 1 1 - - 12Assurances 5 - - - - - - - - - - - 5Affaires immobiliers et services fournis aux entreprises 121 38 1 1 - 4 - - 2 1 - 1 169Services sanitaires et services analogues 18 5 - - - - - - - - - - 23Services fournis aux particuliers et aux ménages 133 56 8 - 1 1 1 4 5 4 1 2 216Services récréatifs et services culturels 14 - - 2 1 - 1 1 - 1 - 2 22Services sociaux et connexes fournis à la collectivité 158 60 4 3 1 2 1 1 12 10 1 3 255Fabrication des produits minéraux non métalliques 06 1 - - - - - - - - - - 7Industries de métallurgie de base - 1 - - - - - - - - - - 1Total 1597 637 62 52 20 43 20 61 126 65 13 23 2719
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1.2.3 Statut juridique des entreprises
Le statut juridique détermine la nature légale qui confère à l’entreprise sa
personnalité (INSD, 1998). Les statuts les plus couramment rencontrés sont :
- les entreprises individuelles
- les sociétés d’économie mixte
- les associations de personnes
- les sociétés à responsabilité limitée
- les sociétés d’Etat
- les sociétés anonymes
- les établissements publics à caractère industriel et commercial
- les groupements d’intérêt économique
- les sociétés en noms collectifs.
Certaines entreprises, en vertu de leurs caractéristiques, ne correspondent pas aux
statuts ci-dessus cités et ne peuvent donc pas être classées. Sur la base d’un
comptage manuel, il ressort que les statuts rencontrés le plus souvent sont les
entreprises individuelles, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés
anonymes, les associations de personnes. L’entreprise individuelle est le statut
dominant, regroupant plus de la moitié des unités burkinabè. Sur un échantillon de
200 entreprises retenues dans la ville de Ouagadougou, environ 142 ont un statut
juridique d’entreprise individuelle. A Bobo-Dioulasso, 70 sur 110 sont des
entreprises individuelles.
1.2.4 L’entrepreneur burkinabè
Sur la base des recherches documentaires et à ce stade de la réflexion, il est
impossible de donner le nombre exact d’entrepreneurs exerçant sur le sol burkinabè.
Toutefois, le fichier CCIA-BF (2004) a identifié environ 202 groupements et
associations professionnels au Burkina. Mais quelles sont les caractéristiques de
l’entrepreneur burkinabè ? Sur ce point, les différentes recherches sur
l’entrepreneuriat au Burkina ont ébauché des typologies. Ainsi, pour Labazée
(1988)4, les grands commerçants, les fonctionnaires reconvertis dans les affaires,
les professionnels disposant d’un savoir-faire acquis sur le terrain et les jeunes
4 Cet auteur a mené des enquêtes de 1981 à 1984 sur le monde des affaires dans l’ex-Haute-Volta.
11
diplômés en gestion, sont les personnages les plus courants du monde des affaires
burkinabè.
Les grands commerçants burkinabè sont constitués de commerçants de première
génération et de ceux de deuxième génération.
Les commerçants de première génération ont débuté leur activité professionnelle
avant les indépendances. Leurs traits communs, c’est qu’ils appartiennent à la
religion musulmane, n’ont bénéficié d’aucune formation scolaire, ont été formés aux
techniques commerciales soit dans un établissement familial, soit dans une unité de
type artisanal. Si dans les années 1960 les commerces qu’ils tiennent ont prospéré,
les commerçants de première génération ont connu des fortunes diverses, certains
ayant connu une expansion alors que d’autres ont régressé.
Les commerçants de deuxième génération, pour la plupart, ont commencé leur
activité après les indépendances. Parmi eux, quelques uns ont bénéficié d’une
formation scolaire et des connaissances techniques comptables de base.
La deuxième catégorie d’entrepreneurs est le groupe des fonctionnaires, constitué
de trois sous-groupes que sont les investisseurs influents, les fonctionnaires
reconvertis et les fonctionnaires en poste.
Les investisseurs influents sont composés d’anciens membres de la haute hiérarchie
administrative. Ils ont reçu une formation universitaire et leur passage à la fonction
publique leur a permis d’avoir une bonne connaissance de la vie économique
nationale et d’acquérir des compétences en matière d’organisation.
Quant aux fonctionnaires reconvertis, ils disposent d’une formation scolaire ou
universitaire spécialisée. Ces derniers ont aussi profité de leur capital- relations et
des compétences techniques acquises dans leur ministère ou organisme contrôlé
par l’Etat. Ils sont les plus grands bénéficiaires des mesures d’aide et d’encadrement
aux entreprises nationales, dont l’objectif était à partir des années 70 le soutien au
secteur productif.
S’agissant des fonctionnaires en poste, ils se composent de membres de la fonction
publique en exercice. La particularité de ce sous-groupe d’investisseurs est qu’ils ont
gardé des attaches avec l’administration tout en étant des promoteurs discrets
d’entreprises qui leur rapportent des revenus plus élevés que leurs traitements de la
fonction publique.
12
La troisième catégorie, les artisans et professionnels de métier, est composée de
quelques anciens artisans, anciens employés de compagnies européennes, et
quelques techniciens compétents ayant acquis leur savoir-faire sur le tas et qui ont
réussi à s’insérer dans le milieu des affaires.
La dernière catégorie d’entrepreneurs, les gestionnaires professionnels, est un
groupe marginal parmi les promoteurs nationaux. Il s’agit de jeunes diplômés en
gestion et qui ont tendance à rechercher en priorité un poste dans le secteur public.
De cette typologie, l’auteur relève que les deux groupes clés d’entrepreneurs sont
formés par les fonctionnaires reconvertis et les commerçants.
Tableau 4 : Typologie des entrepreneurs burkinabè GROUPES
D’ENTREPRENEURS CAPITAL- COMPETENCES CAPITAL- RELATIONS ACCES AU CAPITAL
ECONOMIQUE ET AUX MARCHÉS I. GRANDS COMMERÇANTS
- De première génération Dans le cadre de la famille, accumulation des connaissances nécessaires aux échanges interafricaines.
Utilisation possible, voire contraignante, des réseaux de solidarités familiales, ethniques ou religieuses.
Accumulation d’un capital monétaire de départ au moyen d’opérations spéculatives personnelles.
- De deuxième génération Idem + accumulation de compétences scolaires, connaissance des techniques comptables de base.
Utilisation possible des réseaux de solidarités familiales, ethniques et/ou religieuses.
Apport familial servant de capital de départ, utilisation possible de crédit bancaire.
II. FONCTIONNAIRES
Investisseurs influents Accumulation de compétences de haut niveau utilisables pour la gestion d’entreprises modernes.
Accumulation d’un capital de relations au plus haut niveau de l’appareil d’Etat, notamment les décideurs.
Utilisation possible de ce capital- relations pour obtenir un soutien financier et logistique efficace : crédits, subventions, marchés, etc.
Fonctionnaires reconvertis Accumulation de compétences professionnelles dans un domaine spécifique de l’activité économique.
Accumulation d’un capital de relations au sein d’un ministère, d’un organisme public ou parapublic.
Utilisation possible de capital- relations pour soutiens financiers et logistiques dans l’activité prévue.
Fonctionnaires en poste
Accumulation de compétences permettant le contrôle d’activités commerciales et, plus rarement, manufacturières.
Existence d’un réseau relationnel avec les fonctionnaires en poste, mais sous-utilisé compte tenu du caractère discret des placements.
Utilisation d’avantages catégoriels pour constituer un capital initial et obtenir un financement externe + placements nécessairement discrets, excluant l’utilisation maximale du réseau relationnel des fonctionnaires.
III. ARTISANS ET PROFESSIONNELS DE MÉTIERS
Accumulation de compétences professionnelles acquises sur le tas ou dans le cadre d’une formation scolaire.
Connexion accidentelle à un réseau de relations facilitant l’accès au crédit et aux marchés importants.
Capital monétaire limité, acquis par emprunt familial ou épargne personnelle ou collective.
IV. GESTIONNAIRES D’ENTREPRISE
Accumulation de compétences de haut niveau dans le domaine de la gestion des entreprises commerciales et industrielles.
Début de carrière dans la fonction publique aux fins de constitution d’un capital de relations personnelles. Utilisation d’un tel capital quand il existe (ex. : fils de fonctionnaire).
Gestion de fonds non personnels ou utilisation du crédit bancaire.
Source : Labazée (1988), p.130-131.
13
L’élément explicatif de la typologie de Labazée est l’accumulation de compétences
et d’un capital de relations, tandis que l’accès au capital économique et l’insertion
dans les marchés sont des résultantes.
Pour Labazée (1988), l’unité de chaque groupe ou sous-groupe d’entrepreneurs
provient de l’histoire particulière des entrepreneurs. En effet, les enquêtes menées
par cet auteur montrent la diversité des trajets personnels et, par dessus tout, des
différences fondamentales de comportement et d’attitudes relatives à la génération
d’un projet puis à sa gestion, relatives aussi au type de relations nouées tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de l’entreprise. Mieux encore, ces comportements et
attitudes différents révèlent non pas de simples discordances de formation
professionnelle (compétences et lacunes propres à chacun des groupes composant
la catégorie des investisseurs nationaux), mais des modes distincts d’accès au
capital.
C’est justement à partir de ce critère que se constituent, puis se hiérarchisent les
groupes et sous-groupes de promoteurs.
Des investigations plus récentes sur l’entrepreneuriat burkinabè ont été menées par
Ouédraogo (1999), dans le cadre d’une thèse de doctorat. Il analyse la situation à
travers un modèle quadridimensionnel qui a l’avantage d’être un schéma de
réflexion intégrateur, prenant en compte l’entrepreneur, son environnement, le
processus de création de l’entreprise et le type d’entreprise créé. C’est par cette
approche qu’il a exploré les déterminants de la création d’entreprises au Burkina
Faso.
A travers le tableau ci-dessous, il dresse une typologie des entrepreneurs burkinabè.
Ainsi, il a identifié quatre types d’entrepreneurs : les créateurs artisans (constitués
d’anciens ouvriers du secteur informel), les créateurs self-valorisateurs, subdivisés
en valorisateurs de compétences (anciens techniciens supérieurs, ingénieurs) et en
valorisateurs d’expérience (anciens ouvriers du secteur moderne), les créateurs
opportunistes (anciens fonctionnaires, étudiants et cadres du secteur privé) et les
créateurs persistants (commerçants).
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Tableau 5 : Ebauche d’une typologie des créateurs d’entreprises au Burkina Faso
Créateurs ‘‘self-valorisateurs’’Types de créateurs
CaractéristiquesCréateurs‘‘artisans’’
Valorisateurs decompétences
Valorisateursd’expérience
Créateurs‘‘opportunistes’’
Créateurs‘‘persistants’’
Trajectoireprofessionnelle
anciens ouvriers etapprentis du secteurinformel
anciens technicienssupérieurs, ingénieurs
anciens ouvriers,anciens agents demaîtrise en général dusecteur moderne
anciens fonctionnaires,anciens comptabled’entreprise, cadre ouagent administratif,employé commercial,étudiants
commerçants oupropriétaires d’autresentreprises dansd’autres secteurs
Décision planifiée circonstancielle plus ou moins planifiée circonstancielle planifiéeMotivations dominantes Etre son propre
patron, à la limitecréer son emploi
Valoriser sescompétencestechniques
Valoriser l’expérienceacquise pendantplusieurs années detravail
Exploiter une opportunité,perte d’emploi,insatisfactionprofessionnelle
Besoin de diversificationdes activités
Expérience Moyenne Relativement faible Très longue Pas d’expériencepréalable dans l’activitéde l’entreprise
Pas d’expériencepréalable dans l’activitéde l’entreprise mais forteexpérience dans lesaffaires
Lien entre la trajectoireprofessionnelle etl’activité de l’entreprise
Lien direct Lien direct Lien direct Lien indirect ou aucunlien
Pas de lien direct
Capital de départ Faible Moyen Moyen Elevé Très élevéSecteurs d’activité Menuiserie métallique
et du bois, couture,coiffure et esthétiqueféminine, dépannageélectricité et froid
Maintenanceinformatique etélectronique, BTP
Industries mécanique,mécanique automobile,BTP, imprimeries
Nettoyage,assainissement, BTP,industries agro-alimentaires
Hôtellerie, transport,boulangeries
Mode de financement dela création del’entreprise
Epargne personnelle,aide de la famille
Epargne personnelle,financement à partirdes premiers contrats
Epargne personnelle Epargne personnelle,financement à partir despremiers contrats
Epargne personnelle,emprunts bancaires
Source : Ouédraogo (1999), p.409.
15
A la suite de Filion (1997, p.138) qui soutient qu’« A ce jour, on n’a pas encore établi
un profil psychologique scientifique absolu de l’entrepreneur », ceci en critique aux
études empiriques focalisées sur les caractéristiques psychologiques de
l’entrepreneur, Ouédraogo (1999) fait remarquer que l’entrepreneur ne peut être
étudié de manière isolée, indépendamment de ses interrelations avec son
environnement. L’entrepreneur est avant tout un produit social. La création de
l’entreprise sera la résultante des valeurs éducatives, de la culture, de l’itinéraire
scolaire et professionnel de l’entrepreneur.
Sur la base d’un échantillon de 208 entrepreneurs, Ouédraogo (1999) esquisse un
portrait des promoteurs d’entreprises au Burkina. Il prend en compte des variables
comme l’âge, l’origine sociale, le niveau d’instruction, la religion, l’ethnie, le statut
matrimonial, le sexe, la trajectoire professionnelle.
Très schématiquement, ses investigations donnent les enseignements suivants :
D’abord, les entrepreneurs burkinabè sont relativement jeunes quand ils créent leur
entreprise. La moyenne d’âge est estimée à 31,70 et la majorité des fondateurs
avaient moins de 35 ans au moment de la création de leur entreprise (Cf. Tableau 6
ci-dessous).
Tableau 6 : Répartition des créateurs selon l’âge à la création de l’entreprise
Tranche d’âge Fréquence absolue Fréquence relative (%)18 – 24 41 20,4 15 – 29 45 22,4 30 – 34 48 23,9 25 – 39 33 16,4 40 – 44 17 8,5 45 – 49 9 4,5 50 et plus 8 4 Total des répondants 201 100
Ensuite, les entrepreneurs burkinabè dans leur majorité (45,4%) sont d’origine
paysanne, avec 94,3% d’eux dont la mère était ménagère au moment de la création
de l’entreprise (Tableaux 7 et 8 ci-dessous). L’auteur en conclue que l’éducation
familiale reçue, surtout les valeurs morales (persévérance, vivre du fruit de ses
efforts) auraient été déterminantes dans la décision d’entreprendre.
16
Tableau 7 : Profession du père au moment de la création de l’entreprise
Profession du Père Fréquence absolue Fréquence relative (%) Fonctionnaire 48 24,5 Cultivateur 89 45,4 Ouvrier 4 2 Employé d’entreprise 5 2,6 Commerçant 23 11,6 Indépendant, entrepreneur 26 13,3 Cadre d’entreprise 1 0,5 Total des répondants 196 100
Tableau 8 : Profession de la mère au moment de la création de l’entreprise
Profession de la mère Fréquence absolue Fréquence relative (%) Fonctionnaire 8 4,1 Ménagère 175 94,3 Cultivateur 1 0,5 Commerçante 10 5,2 Total des répondants 194 100
Puis, les entrepreneurs burkinabè, pour la plupart, n’ont pas été scolarisés ou ont
échoué à l’école (Cf. Tableau 9) ; environ 52,3% des entrepreneurs qui ont été
scolarisés n’ont pas atteint la classe de 3ème, tandis que 69,3% ont quitté l’école
avant la classe de terminale. En plus, 60,6% des entrepreneurs burkinabè ont acquis
les connaissances de base de leur activité par le biais de l’apprentissage sur le tas
(Tableau 10) ;
Tableau 9 : Dernier diplôme obtenu avant la création de l’entreprise
Diplôme obtenu Fréquence absolue Fréquence relative (%) Aucun diplôme 72 35,4 CEPE 48 23,4 BEPC 27 13,2 BAC (enseignement général) 6 2,9 Licence – Maîtrise 12 5,9 DEA – DESS – Doctorat 6 2,9 CAP 15 7,3 BEP – BAC technique 3 1,5 BTS – DUT 8 4,4 Diplôme d’ingénieur 5 2,4 Diplôme professionnel 2 1 Total des répondants 205 100
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Tableau 10 : Type de formation par rapport à l’activité actuelle
Type de formation Fréquence absolue Fréquence relative (%) Aucune formation 29 13,9 Apprentissage sur le tas 126 60,6 Formation scolaire 18 8,7 Formation professionnelle 35 16,8 Total des répondants 208 100
Egalement, la sphère des entreprises semble être la chasse gardée des musulmans
et des catholiques qui s’y retrouvent avec des proportions quasi égales (46,9 et
46,4). L’ethnie Mossi est majoritairement représentée (64,9%) dans le monde des
affaires. Le fait que ce groupe ethnique représente 48% de la population nationale
peut expliquer en partie ce score.
De plus, 71% des entrepreneurs étaient mariés à la création de leur entreprise et
certains d’entre eux estiment avoir eu un soutien considérable de leur épouse ; 15%
des entrepreneurs sont des femmes et interviennent dans les secteurs d’activité
comme la coiffure, la confection et la haute couture, l’industrie agro-alimentaire.
Quelques unes sont dans les bâtiments et travaux publics.
Enfin, la trajectoire professionnelle s’est révélé être déterminante dans la création de
l’entreprise. En effet, près de 56% des entrepreneurs enquêtés ont exercé des
activités subalternes (ouvriers, apprentis) avant la création de leur entreprise
(Tableau 11) ; 66,5% des entrepreneurs estiment avoir une expérience dans
l’activité actuelle de leur entreprise avant la création de celle-ci, traduisant ainsi un
lien direct entre leur profession antérieure et l’activité actuelle (Tableau 12).
Tableau 11 : Profession antérieure à la création de l’entreprise Profession Fréquence absolue Fréquence relative
(%) Ouvrier 92 45,1 Apprenti 22 10,8 Fonctionnaire 18 8,8 Commerçant 11 5,4 Cadre administratif d’entreprise 3 1,5 Comptable 9 4,4 Employé administratif 10 5,4 Technicien supérieur / ingénieur 10 4,9 Agent de maîtrise 5 2,5 Employé commercial 11 5,4 Elève, Etudiant 12 4,6 Total des répondants 204 100
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Tableau 12 : Lien entre profession antérieure et l’activité actuelle de l’entreprise
Type de lien Fréquence absolue Fréquence relative (%)
Lien direct 135 66,5 Lien indirect 23 11,3 Aucun lien 45 22,2 Total des répondants 203 100
Ainsi donc, indépendamment des facteurs innés, la valeur des entrepreneurs tient
d’abord à leur formation, c’est-à-dire à ce qu’ils ont appris dans la période antérieure
à leur établissement et dont ils ont ensuite tiré profit pour créer et diriger leur
entreprise (Somé, 1995).
Mais qu’est-ce qui peut pousser le burkinabè à entreprendre ? En d’autres termes,
quels sont les fondements de l’entrepreneuriat au Burkina Faso ? C’est ce qui sera
esquissé dans la section ci-dessous.
2. Fondements de l’entrepreneuriat au Burkina Cette section débute avec un bref examen de quelques approches théoriques de
l’entrepreneuriat et des motifs liés à la création d’entreprise, avant de se pencher sur
les déterminants motivationnels de l’entrepreneuriat au Burkina Faso. Elle dégage
également quelques contraintes au développement des entreprises au Burkina.
2.1 Les approches psychosociologiques de l’esprit d’entreprise
Plusieurs théories ont été élaborées pour expliquer les fondements de l’esprit
d’entreprise, mais à la suite de Ouédraogo (1999), nous n’en examinerons que deux
qui nous semblent les plus pertinentes : l’approche psychologique de Mc Clelland et
celle culturelle de Weber. Ces approches se sont surtout intéressées aux
caractéristiques personnelles de l’entrepreneur et à l’influence de la culture et du
milieu social sur l’esprit d’entreprise.
2.1.1 La théorie du besoin d’accomplissement de MC Clelland
Les théories psychosociologiques de l’entrepreneur prennent leur source dans celle
du besoin d’accomplissement de Mc Clelland dont l’essentiel est issu de son
ouvrage, ‘‘The achieving society’’, publié en 1961. Pour cet auteur, il existe des
facteurs endogènes, à savoir des valeurs humaines et des motivations qui poussent
les individus à saisir et exploiter les opportunités économiques, au-delà de certains
facteurs exogènes (opportunités économiques, climat social) pouvant expliquer la
croissance économique. Le besoin d’accomplissement (the need for achievement)
selon Mc Clelland apparaît comme la mère des motivations, et se définit par le désir
de mieux faire, non pas pour le prestige, la reconnaissance sociale ou l’argent, mais
19
pour répondre à un besoin inné de réalisation personnelle. Pour l’auteur, il existerait
une corrélation positive entre le besoin d’accomplissement et le niveau de
développement économique d’un pays.
L’approche de Mc Clelland a inspiré beaucoup d’auteurs qui se sont intéressés aux
motivations et aux profils psychologiques des entrepreneurs.
2.1.2 La thèse wébérienne Max Weber, dans son livre ‘‘L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme’’ publié
en 1964, s’est intéressé à l’influence de la culture et du milieu social sur l’esprit
d’entreprise. A travers cet ouvrage, il fournit un exemple de l’influence de la culture
(par le biais de la religion) sur l’activité entrepreneuriale et le développement de
l’entreprise. Il soutient que le premier essor du capitalisme est principalement lié aux
principes du Calvinisme. Sous l’influence du Calvinisme, le travail se transforme et
passe d’une technique de survie, un moyen primitif de dégager du profit, en un
‘‘instrument de salut’’ dont se sert l’homme et qui le sert. Une fois sacralisé, le travail
se sécularise pour devenir, à terme, une fin en soi. Egalement, sous l’impulsion du
Calvinisme, on note l’émergence de nouvelles formes de comportements individuels
fondées sur l’assiduité, la fidélité et la responsabilité dans tous les domaines. Sur le
plan social, le Calvinisme somme l’individu de vivre modestement et simplement. En
outre, pour les disciples de Calvin, la voie du paradis passe par la prospérité ici-bas ;
le résultat, c’est l’accumulation tous azimuts du capital. Et puisqu’il y a interdiction de
s’adonner au luxe que permet d’acquérir le capital, on n’a d’autre recours que de
réinvestir en permanence. Pour Weber, les conséquences de ce nouveau système
moral auraient rendu possible la transformation qualitative et quantitative d’une
manière de vivre jusqu’alors inconnue qui, à son tour, donnera forme et sens au
développement du capitalisme. Cet auteur met donc l’accent sur les aspects
culturels de l’entrepreneuriat. Ainsi, les conditions culturelles constituent le moule
dans lequel sont coulées les aptitudes entrepreneuriales, la culture servant de
conducteur et l’entrepreneur étant le catalyseur. L’esprit d’entreprise ne se résume
donc pas uniquement à un attribut individuel comme tend à le faire Mc Clelland, il
serait modelé par l’environnement culturel.
Certains sociologues se sont intéressés aux groupes (minorités raciales ou
ethniques) comme pépinières d’entrepreneurs. Pour eux, ce sont les groupes
marginaux qui produisent des entrepreneurs dans une société qui manque de
traditions entrepreneuriales. D’autres par contre se sont intéressés au rôle des
idéologies nationalistes.
20
Il ressort de cette présentation que le champ théorique de l’entrepreneuriat semble
s’être constitué à partir de trois disciplines : la sociologie, la psychologie et
l’économie. Ouédraogo (1999) fait remarquer qu’en dépit de cette triple origine, les
recherches dans le domaine de l’entrepreneuriat se sont davantage orientées sur les
caractéristiques psychologiques des entrepreneurs.
Tout en s’inspirant de ces approches de l’entrepreneuriat, Ouédraogo (1999) s’est
appesanti sur l’analyse des éléments motivationnels de l’esprit d’entreprise au
Burkina Faso.
2.2 Les déterminants motivationnels de l’entrepreneuriat au Burkina Faso
Dans sa thèse, Ouédraogo (1999) a dressé un listing des motivations les plus
couramment évoquées. Ces motivations, tel que le spécifie le tableau ci-dessous,
sont : le souci d’indépendance et d’être son propre patron ; le besoin d’avoir juste
une activité, un emploi ; l’utilisation de son expérience à son propre compte ; le désir
d’innover, de proposer quelque chose de nouveau ; le besoin d’avoir un statut social
respectable ; le besoin de gagner beaucoup d’argent et faire fortune ; l’insatisfaction
par rapport à l’emploi précédent ; le souci d’aider et soutenir la famille ; le désir de
créer des emplois ; le besoin de réinsertion au Burkina Faso après une émigration à
l’étranger ; le besoin de diriger les hommes ; le goût du risque ; la perte d’emploi ;
l’exploitation d’une opportunité.
Tableau 13 : Les motivations de la création d’entreprise au Burkina Faso
Items de motivation Fréquences %Etre indépendant, être son propre patron 153 74,3 Pour avoir juste une activité, un emploi 45 21,8 Utiliser à son compte son expérience 118 57,3 Désir d’innover, de proposer quelque chose de nouveau 35 17 Besoin d’avoir un statut social qui inspire respect et admiration 53 25,7 Besoin de gagner beaucoup d’argent et faire fortune 53 25,7 Insatisfaction par rapport à l’emploi précédent 21 10,2 Apporter aide et soutien à la famille 107 51,9 Désir de créer des emplois 61 29,6 Besoin de réinsertion au Burkina Faso après émigration à l’étranger
23 11,2
Besoin de diriger les hommes 11 5,3 Goût du risque 34 16,5 Perte d’emploi 14 6,8 Exploiter une opportunité 19 9,2 Total des répondants 206 100
Source : Ouédraogo, 1999.
21
L’examen des items de motivation les plus cités appelle les commentaires suivants :
Le besoin d’indépendance
Le souci d’indépendance et d’être son propre patron est la première des motivations
des entrepreneurs burkinabè avec 74,3%. Cela viendrait du fait que la plupart des
entrepreneurs ayant travaillé comme subalternes, il leur arrive, après un certain
nombre d’années d’expérience, d’éprouver le besoin de s’épanouir en volant de
leurs propres ailes ; ce besoin d’indépendance peut être d’autant plus motivé si le
subalterne a eu des frictions avec un patron jugé trop autoritaire ou cupide.
Le désir d’utiliser son expérience à son propre compte
Ce motif vient en deuxième position (57,3%) et est compatible avec les données
établissant un lien direct entre la profession antérieure et l’activité actuelle du
créateur d’entreprise. Les acteurs réalisent à un moment donné que les
compétences acquises par l’expérience peuvent leur permettre d’avoir leur propre
affaire. Ainsi, la trajectoire professionnelle des entrepreneurs est déterminante dans
le processus de création d’une entreprise.
Le souci d’apporter aide et soutien à la famille
Cet élément de motivation à créer une entreprise (51,9%) renvoie à l’altruisme
communautaire qui caractérise les groupes sociaux dans les pays en
développement. La motivation individuelle dans un tel contexte est d’œuvrer avant
tout au bien-être de sa collectivité, de son groupe ethnique ou de sa famille, tant il
est vrai que la réussite individuelle est très souvent partagée dans une certaine
mesure avec la communauté.
Le désir de créer des emplois
Si le désir d’aider sa famille est une motivation importante, il est alors logique que la
création d’entreprise soit un moyen d’offrir des emplois aux membres de la famille.
Le désir de créer des emplois enregistre un score non négligeable de près de 30%.
Le besoin d’avoir un statut social respectable
Il est étonnant que le statut d’entrepreneur, tant par le prestige social qui lui est
attaché que par les avantages économiques qu’il procure, n’enregistre qu’un score
modéré de 25,7% ; on note aussi que le désir de faire fortune, qui peut conférer à
l’individu le prestige social, enregistre le même score.
Avec la montée de l’individualisme et la valorisation de l’image de l’individu à travers
parfois des comportements ostentatoires, on s’attend à ce que des motivations liées
au prestige et à la fortune soient largement citées par les entrepreneurs enquêtés.
Mais en tenant compte du contexte social burkinabè où la modestie est perçue
22
comme une grande qualité, la tentation est grande de penser que les répondants ont
caché leur réel sentiment à ce niveau et exhibé plutôt des attitudes socialement
désirables.
Dans la même foulée, le besoin de diriger les hommes qui traduirait une certaine
soif du pouvoir enregistre le plus faible score (5,3%). Le statut d’entrepreneur
confère à l’individu, fortune, prestige et pouvoir. L’encadré ci-dessus illustre cet
aspect.
Encadré : L’exercice du pouvoir dans l’entreprise : le cas d’El Hadj Oumarou Kanazoé
L’efficacité du style de commandement pratiqué par El Hadj Oumarou Kanazoé, dans une entreprise employant des milliers de salariés et où aucun mouvement syndical n’a pu voir le jour, provient incontestablement de la relation implicite entre son pouvoir de promoteur et son autorité morale et confessionnelle.
Dans le style de commandement adopté par El Hadj Kanazoé, on retrouve de façon incontestable de nombreuses similitudes avec le pouvoir entendu au sens traditionnel. En effet, il est difficile d’exprimer le rayonnement et l’ascendant d’un homme qui, à tous les échelons, est considéré comme exceptionnel et force le respect. Pour le personnel de chantier, Oumarou Kanazoé est celui devant lequel on s’incline naturellement lorsqu’il rend visite. Il est aussi celui qu’on pourra, exceptionnellement, contacter si l’on rencontre un problème grave. Le sentiment dominant parmi les travailleurs (simples employés ou cadres de l’entreprise) est bien celui d’une situation d’infériorité hiérarchique au sein d’une même communauté de références.
El Hadj Kanazoé est chef d’entreprise, mais son autorité est celle d’un véritable chef coutumier. Il est le promoteur, le chef, le papa ; il incarne l’entreprise dans toutes ses dimensions. Tout le personnel est tenu dans une position d’infériorité hiérarchique radicale. On se prosterne pour le saluer. On s’adresse à lui par une tierce personne, etc. C’est lui qui règle les problèmes personnels des agents et crée cette solidarité donnant ce sentiment d’appartenance à une communauté. Tous les agents sont des exécutants et n’ont de pouvoir que par délégation.
Le pouvoir de type féodal qu’El Hadj Kanazoé détient au sein de son entreprise n’est pas provoqué ou créé par la position sociale au sein des hiérarchies coutumières. Il n’est pas héritier d’un pouvoir conféré par l’organisation sociale moaaga. Les responsabilités qu’il occupe dans les instances religieuses et les associations régionales ou ethniques ont été au contraire acquises à partir de sa réussite économique. Son succès en tant que promoteur l’a élevé au rang d’enjeu, et sa participation aux associations renforce la puissance économique et sociale de ces dernières.
Source : Labazée (1988), Entreprises et entrepreneurs du Burkina Faso. Vers une lecture anthropologique de l’entreprise africaine, Karthala.
Egalement, il est surprenant que dans un contexte burkinabè marqué par les
restructurations et les privatisations des années 90 ayant occasionné des
licenciements, la perte d’emploi n’ait pas été une motivation suffisante pour les
entrepreneurs. L’explication possible est que toute personne ayant perdu son emploi
ne se métamorphose pas systématiquement en entrepreneur. En effet, un licencié
du secteur public par exemple, en vertu de sa trajectoire professionnelle de
23
fonctionnaire ou agent administratif, se reconvertit difficilement en entrepreneur, un
secteur qui a ses exigences et ses contraintes.
2.3 Principales contraintes au développement des entreprises
Au Burkina Faso, comme dans la plupart des pays en développement, les
entreprises évoluent dans un environnement contraignant, tant sur le plan
économique (marchés étroits et concurrence forte) que financier (non accès au
crédit), social (obligations parfois difficiles à conjuguer avec une gestion rigoureuse)
ou institutionnel (réglementations et fiscalité inadaptées)5.
2.3.1 L’environnement économique
La faiblesse de la demande solvable est une des contraintes essentielles auxquelles
doivent faire face les entrepreneurs. Beaucoup d’entrepreneurs subissent le marché
sans réelle capacité à le maîtriser.
Les contraintes économiques concernent aussi l’amont de la production, c’est-à-dire
les difficultés d’approvisionnement.
2.3.2 L’environnement financier
La plupart des entrepreneurs n’ont pas accès au crédit bancaire. Les raisons en sont
que le crédit aux petites et moyennes entreprises (PME) est coûteux et très risqué
pour les institutions bancaires, car les garanties présentées sont souvent
insuffisantes et de plus, les PME n’ont généralement pas de statut légal.
2.3.3 L’environnement familial et social
L’entrepreneur est soumis à des impératifs sociaux et familiaux forts, déterminés par
la culture dans laquelle il baigne. Tour à tour ressource ou contrainte pour
l’entreprise, la famille élargie joue un rôle déterminant, mais souvent difficile à
appréhender.
2.3.4 L’environnement institutionnel
Durant ces dernières années, beaucoup de pays ont fait évoluer leurs
réglementations et leur système fiscal dans le sens d’une simplification et d’une
adaptation au cas spécifique des PME. En fait, le problème vu par les entrepreneurs
semble être autant celui de l’absence de retour (infrastructures et services) et de
reconnaissance de la part de l’Etat que celui de l’adaptation du cadre fiscal et
réglementaire.
Conclusion
5 Eléments tirés du rapport d’étude du RAMPE sur ‘‘Les défis de la micro- entreprise en Afrique’’ (2005).
24
Cette petite réflexion a fait ressortir que l’entrepreneur burkinabè n’évolue pas,
comme on l’aurait cru, dans un environnement socioculturel hostile. En effet, le
réflexe communautaire qui caractérise la culture burkinabè n’est pas forcément un
frein à l’éclosion de l’esprit d’entreprise. Le sens des affaires a existé dans nos
sociétés traditionnelles, comme en atteste d’ailleurs l’existence de nos jours de
quelques entrepreneurs de la première génération. Contrairement aux idées reçues,
l’esprit communautaire, dans certains cas, peut être un levier pour l’entrepreneur.
Ouédraogo (1999) estime que la loyauté familiale ou ethnique atténue les rivalités,
interdit les comportements immoraux, induit le dévouement à la cause commune et
la fidélité à l’entreprise. Mieux, certains liens ethniques ou religieux favorisent
l’insertion dans des réseaux de solidarité pourvoyeurs de ressources.
Les métamorphoses actuelles telles que la montée de l’individualisme et la
valorisation de l’image de l’individu (à travers des comportements ostentatoires) sont
citées comme des facteurs favorisant l’éclosion de l’esprit d’entreprise. La réussite
individuelle est très souvent partagée dans une certaine mesure avec la
communauté sur laquelle rejaillit très souvent cette réussite individuelle.
L’entrepreneuriat est un phénomène multidimensionnel, et ne devient pas
entrepreneur qui veut, mais qui a des prédispositions psychologiques, des
motivations et des aptitudes particulières ainsi qu’une expérience professionnelle, le
tout mis en perspective dans un contexte familial, social, économique et
institutionnel tout aussi déterminant.
La problématique de l’entrepreneuriat à l’heure actuelle au Burkina Faso ne doit pas
se poser en termes d’existence ou non d’un esprit d’entreprise, mais plutôt en
termes d’identification des contraintes au développement des entreprises et de
proposition de solutions. Cela pourrait faire l’objet d’une réflexion ultérieure.
Bibliographie Damiba, P. C. (2005), Incitants et blocages à l’investissement dans les PME en Afrique de l’Ouest, Rapport provisoire, Réseau Africain d’appui à la Micro et Petite Entreprise (RAMPE). Fichier Néré de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Artisanat du Burkina Faso, 2004 (Brochure). Fichier national des entreprises et des groupements d’entreprises du Burkina Faso (Fichier Néré de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Artisanat du Burkina Faso, 2004).
25
Filion, L. J. (1997), Le champ de l’entrepreneuriat : historique, évolution, tendances, Revue Internationale PME, vol. 10, n°2, 129-172. Hien, K. F. (2002), L’entrepreneuriat féminin au Burkina Faso : une étude exploratoire (CDS Research Report). INSD (Institut National de la Statistique et de la Démographie), Cinquième recensement industriel et commercial : répertoire - Fichier des entreprises du Burkina Faso, 1998, 453 p. Julien P. A., Marchesnay M. (1996), L’entrepreneuriat, Economica. Konsimbo, E. F. (1991), Difficultés liées à la création et au développement des entreprises au Burkina Faso (Mémoire de fin de cycle IUT, Finance comptabilité, Université de Ouagadougou, 139 p.). Labazée, P. (1988), Entreprises et entrepreneurs du Burkina Faso. Vers une lecture anthropologique de l’entreprise africaine, Paris, Karthala, 273 p. Les défis de la micro- entreprise en Afrique (2005), [Rapport d’étude du Réseau Africain d’appui à la Micro et Petite Entreprise (RAMPE)]. Mc Clelland, D. C. (1961), The achieving society, Princeton N. J. Mill J. S. (1984), Principles of political economy with some applications to social philosophy, London: John W. Parker, p. 32. Monkam, N. (2005), Incitants et blocages à l’investissement dans les PME dans l’espace CEMAC, Rapport d’étude, Réseau Africain d’appui à la Micro et Petite Entreprise (RAMPE). Ouédraogo, A. (1999), Les déterminants de la création de PME dans un pays d’Afrique Sub-saharienne : une analyse quadri-dimensionnelle du phénomène entrepreneurial au Burkina Faso (Thèse de doctorat nouveau régime en sciences de gestion, Université de Caen, France, 503 p.). Smith, N. (1967, ‘‘The entrepreneur and his firm: The relationship between a type of man and type of company’’, Michigan University Press, East Leasing. Somé, S. A. (1995), Entrepreneurs et développement économique français au XXè siècle : l’avènement d’un capitalisme original (Thèse de doctorat nouveau régime de sciences économiques, Université des Sciences Sociales, Toulouse I, France, 356p.). Weber, M. (1964), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon.
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