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Mères avant tout ? L’image des femmes dans la SecondeGuerre mondiale à travers la presse de la Libération
Charlène Voreppe
To cite this version:Charlène Voreppe. Mères avant tout ? L’image des femmes dans la Seconde Guerre mondiale à traversla presse de la Libération. Histoire. 2012. �dumas-00778525�
Charlène VOREPPE
Mères avant tout ?
L'image des femmes dans la Seconde Guerre mondiale à travers la
presse de la Libération
Volume I
Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales »
Mention : Histoire et Histoire de l'ArtSpécialité : Histoire des relations et échanges culturels internationaux de l'Antiquité à nos joursParcours : Recherche
Sous la direction de Madame Marie-Anne MATARD-BONUCCI
Année universitaire 2011-2012
Charlène VOREPPE
Mère avant tout ?
L'image des femmes dans la Seconde Guerre mondiale à travers
la presse de la Libération
Volume I
Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales »
Mention : Histoire et Histoire de l'ArtSpécialité : Histoire des relations et échanges culturels internationaux de l'Antiquité à nos joursParcours : Recherche
Sous la direction de Madame Marie-Anne MATARD-BONUCCI
Année universitaire 2011-2012
Remerciements
Je tiens tout d'abord à exprimer ma gratitude à Marie-Anne Matard-Bonucci pour
avoir accepté de suivre cette recherche. Tout au long de l'année, ses conseils m'ont
encouragé et m'ont permis d'enrichir mon travail
Je remercie tout particulièrement Fabrice Virgili, pour l'attention qu'il a porté à
mon sujet. Sans son aide, je n'aurais pas eu accès à des sources primordiales pour mon
mémoire (Les Allobroges septembre 1944), sans compter que tout ces travaux m'ont été
d'une aide précieuse.
Mes remerciements vont également à Monsieur Antoine Cogitore qui depuis
quelques années soutient mes études et les suit avec un grand intérêt.
J'ai une pensée pour mes amis et ma famille qui m'ont soutenu dans cette année à
la fois difficile et si enrichissante. Un grand merci surtout pour ma mère qui a eu la
patience de me soutenir tout au long de ce travail.
Sommaire
INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 5
PREMIÈRE PARTIE : L'ENGAGEMENT DES FEMMES DANS LA GUERRE FRANCO-FRANÇAISE SOUS L'OCCUPATION ALLEMANDE ...................... 16
CHAPITRE 1- LENDEMAIN DE LA GUERRE : LES FEMMES N'ÉCHAPPENT PAS À L'ÉPURATION ....................................... 17
I. Les différentes visions de l'épuration dans la presse ....................................................................... 18
II. La dédramatisation de l'épuration sommaire par la presse ............................................................. 27
III. Les arrestations et les jugements de femmes ................................................................................ 32
CHAPITRE 2- LES RÉSISTANTES FRANÇAISES ENTRE OUBLI ET HÉROÏSME ................................................................ 43
I. Oubli des résistantes dans la presse de la Libération ? .................................................................... 44
II. Des héroïnes récompensées mais sous-estimées ............................................................................ 48
III. Une image féminine de la Résistance ........................................................................................... 55
CHAPITRE 3- L'ENGAGEMENT MILITAIRE DE FEMMES POUR LA LIBÉRATION DE LA FRANCE ....................................... 63
I. Les Forces Françaises Libres et les armées alliées recrutent des femmes ....................................... 63
II. L'insurrection nationale : une réussite strictement parisienne ? ..................................................... 68
III. Les usages politiques de la notion « d'insurrection nationale » ou de « soulèvement du peuple » entre 1945 et 1947 ............................................................................................................................... 74
DEUXIÈME PARTIE : PRISONNIÈRES ET DÉPORTÉES : UN FLOU LEXICAL AUTOUR DE LA VICTIMISATION DES FEMMES .................................. 84
CHAPITRE 4- L'IMAGE DE LA DÉPORTATION ET DE LA TORTURE DANS LA PRESSE DE LA LIBÉRATION ......................... 85
I. Le flou lexical à la Libération .......................................................................................................... 85
A/ Un vocabulaire confus autour de la notion de « camp» ................................................................. 86
II. De la Libération de Paris à la libération des camps : la découverte de la barbarie nazie. .............. 90
III. La presse et les débats sur le rapatriement .................................................................................... 95
CHAPITRE 5- LES FRANÇAISES FACE À LA DÉPORTATION .................................................................................. 102
I. Héroïsme des communistes déportées ........................................................................................... 102
C/ L'héroïsme des communistes dans les camps de concentration ................................................... 108
II. La vision de la déportation des femmes par leurs propres témoignages ...................................... 110
III. Le rapatriement des femmes ....................................................................................................... 121
CHAPITRE 6 – PRÉÉMINENCE DE LA BARBARIE NAZIE : DES INTERROGATOIRES DE FEMMES AUX MASSACRES DE CIVILS ................................................................................................................................................................ 130
I. L'usage de la torture pour faire parler les résistantes ..................................................................... 131
II. Des destructions de villages aux massacres de civils ................................................................... 136
TROISIÈME PARTIE : LA VIE QUOTIDIENNE POUR LES CIVILS SOUS L'OCCUPATION ............................................................................... 145
CHAPITRE 7 : LA POPULATION SINISTRÉE À LA LIBÉRATION .............................................................................. 146
I. Les bombardements de Normandie ............................................................................................... 146
II. La spécificité de l'Alsace et de la Lorraine ................................................................................... 152
CHAPITRE 8 – LES PROBLÈMES DU QUOTIDIEN DÛ À L'OCCUPATION ................................................................... 161
I. La solitude des femmes .................................................................................................................. 161
II. Le ravitaillement, une angoisse quotidienne ................................................................................ 172
CHAPITRE 9 – LA LIBÉRATION, UNE RÉVOLUTION POUR LES FEMMES ? ............................................................... 183
I. L'image ancrée de la ménagère et de la mère au foyer .................................................................. 183
II.La citoyenneté féminine en France : une conquête de la guerre? .................................................. 193
CONCLUSION .............................................................................................................................................. 206
4
Introduction
« Si on avait fait l'autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand,
Mme Viardot, etc, on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l'homme,
des clitoris un peu parents de nos verges »1.
Ces propos tenus par Edmond de Goncourt en 1893 souligne la peur que suscite le
début de l'émancipation des femmes au cours du XIXe siècle. Paradoxalement, à peine
cinquante ans plus tard, en 1945, le prix littéraire crée par monsieur de Goncourt est
remporté par une femme : « Elsa Triolet »2. En quelques années, des évolutions
considérables de la place des femmes dans la société française sont donc décelables. Mais
est-ce que ces mutations sont perçues par la population elle-même? Cette femme n'est-elle
qu’une exception ? Le contexte des deux guerres mondiales a-t-il été une cause directe de
ces évolutions ?
C'est à partir de ces questions que notre regard s'est porté sur l'histoire des femmes
dans la Seconde Guerre mondiale. Depuis la Révolution française, la femme est reconnue
comme ayant des droits civils ce qui ne fait pas d'elle une citoyenne à part entière.
D'ailleurs, le code Napoléon de 1804 prive la femme mariée de sa capacité juridique, elle
redevient mineure et dépendante de son époux à qui elle doit obéissance. Toutefois, il
semble que les femmes n'aient pas conscience de l'injustice de cette loi et ne la respectent
pas toujours, comme le confirment les femmes qui travaillent sans demander préalablement
l'autorisation à leur mari3. Elles restent malgré tout les reines du foyer dans l'entre deux
guerres. D'ailleurs, après la Première Guerre Mondiale, les femmes entendent s'imposer
dans les décisions politiques de leur pays, mais l'acquisition de leur citoyenneté restera
peine perdue4. Malgré cet échec, le XIXe siècle et la Première Guerre mondiale ont été, en
parallèle de l'urbanisation et de l'industrialisation, des moteurs de la professionnalisation
des femmes, même si celles-ci restent centrées sur des activités dites féminines et rarement
en dehors du foyer. Ce qui nous intéresse alors est de savoir quelles ont été les nouveaux
changements après la Seconde Guerre mondiale ?
1 PERROT Michelle, « Le XIXe siècle était-il misogyne », L'Histoire, n°160, novembre 1992, p.36.2 L'Humanité, 3 juillet 1945 « Elsa Triolet prix Goncourt ». Le Figaro, 3 juillet 1945 « Le prix Goncourt est décernée à Elsa Triolet ».3 BARD Christine, Les femmes dans la société françaises au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001, p.43.4 GOLDMANN CASTERMAN GUINTI Annie, Les combats des femmes XXe siècle, Paris, Casterman, 1996, p.53.
5
Ce mémoire s'attache donc à déterminer, la vision que la société française avait des
femmes pendant la Seconde Guerre mondiale, à travers l'image que la presse de la
Libération reflétait d'elles. Notre recherche s'inscrit à la fois dans l'histoire politique et dans
l'histoire culturelle, puisque la presse est une source d'histoire politique tout comme objet
d'histoire culturelle. En effet, l'histoire politique marquée au départ par l'événementiel et
les études institutionnelles chez les Méthodiques est abandonnée par l'Ecole des Annales
pour une histoire économique et sociale. Elle connaît alors un renouveau dans les années
1970 et 1980, où le réveil nationaliste accroît la demande d'histoire politique. Ce nouvel
attrait va se conjuguer avec l'apport d'une approche culturelle et l'influence de la
sociologie. De nouvelles questions vont ainsi être développées telles que l'opinion
politique ou l'histoire des penseurs et des intellectuels. La première étude marquante avant
ce renouveau est celle d'André Siegfried, Tableau politique de la France de l'ouest IIIe
République, en 1913. La renaissance de l'histoire politique place la presse comme une
source première à prendre en compte. Ces études se développent, parallèlement à
l'épanouissement de l'histoire culturelle. En effet, l'histoire culturelle domine le champ
universitaire depuis les années 1990. L'Ecole des Annales avait, déjà, tenté une première
approche par l'histoire des mentalités avec Marc Bloch (Les rois Thaumaturges) et Lucien
Febvre (Le problème de l'incroyance au XVIe siècle). Puis l'histoire culturelle s'est
développée grâce à la prise en compte, dans les années 1970, de la sociologie, de
l'ethnologie et surtout de l'anthropologie. Elle est définie par Pascal Ory comme « celle qui
assigne l'étude des formes de représentation du monde au sein d'un groupe dont la nature
peut varier et qui en analyse la gestation, l'expression et la transmission », c'est à dire
l'histoire sociale des représentations. Toutefois, les études sur la presse existent depuis les
années 1960 mais connaissent leur réel renouveau à partir des années 1990, lorsque les
historiens prennent conscience de l'intérêt de l'étude de son contenu mais également des
analyses sur son lectorat. Le dépouillement des archives de presse demande donc une
méthode spécifique basée sur des fiches de dépouillement conduisant à une analyse
quantitative, plus ou moins poussée développée par les spécialistes Kaiser et Bélanger.
Par ailleurs, pour comprendre le but de cette recherche, il est nécessaire de spécifier
les restrictions que nous sommes obligés d'appliquer au terme de « femme » dans ce
mémoire. En effet, nous ne pouvons pas envisager ici une étude de la représentation, dans
la presse française, de toutes les femmes du Monde, par ailleurs, dans un pays de forte
immigration comme la France, à partir des années 1930 où un grand nombre de Juifs
6
étrangers livrés aux premières persécutions sont venus se réfugier, il serait incohérent de
parler des « Françaises » au sens strict5. De plus, étudier la vision des femmes dans la
société française de la Seconde Guerre mondiale sans évoquer le rôle des Allemandes,
Anglaises ou Américaines sur le sol français n'est pas envisageable. Cependant, certains
exemples de femmes telles que la Reine d'Angleterre ou Eva la maîtresse d'Hitler, ne
seront pas pris en compte, n'apportant rien à l'étude. Tout autant que les héroïques
étrangères dans leurs propres pays comme les Soviétiques ou les Espagnoles seront
présentées en tant qu'exemples supplémentaires, mais ne constitueront pas le cœur de notre
analyse. Ainsi, par «femmes », nous entendrons, tout au long de ce mémoire, les
résidentes du territoire français de la Métropole, l'Outre Mer constituant une possibilité de
recherches à part.
L'histoire des femmes est donc le cœur de notre recherche, même si Paul Veyne les
qualifie en 1976 de « peuples qu'on dit sans histoire parce qu'il s'agit tout simplement de
peuple dont on ignore l'histoire ». En effet, l'historiographie des femmes ne s'est
développée en Europe qu'à partir des années 1970. Jusqu'à la troisième génération des
Annales, leur place était restreinte à la sphère familiale6. Pour que l'histoire des femmes se
développe il a donc fallu, outre leur émancipation, que les femmes trouvent une place au
sein du milieu universitaire, ce qui s'instaura après les bouleversements de 1968 dans la
société française. Ainsi les premiers travaux d'histoire de femmes sont des travaux
d'historiennes7. L'histoire sociale est le premier domaine prenant en compte les femmes
comme objet d'étude, suivi rapidement par des recherches sur les rapports de domination et
le milieu industriel. Lorsque les études envisagent enfin une histoire du « privé », le
problème des sources s'impose rapidement, ce qui permet de mieux comprendre pourquoi,
au départ les historiens du genre ont privilégié des études à partir de statistiques et de
documents fiscaux. Après les années 1970, les historiens commencent donc à prendre en
compte de nouvelles sources telles que les journaux intimes, la correspondance... Le terme
habituel de « femme » devient un terme pluriel, où les recherches tendent à montrer des
similitudes et des différences entre elles. C'est d'ailleurs le terme au pluriel que nous
utiliserons pour notre recherche afin de souligner des comparaisons entre les femmes et
non pas de définir une vision purement linéaire des Françaises. Le risque est de tomber
dans l'extrême inverse: d'une histoire sans les femmes passer à une histoire qu'avec les
5 BARD Christine, Les femmes dans la société françaises au 20e siècle, Paris, Armand Colin, 2001, p.96 BARD Christine, Les femmes dans la société française au 20e siècle Armand Colin p.77 GUBIN Eliane Choisir l'histoire des femmes, p.46
7
femmes. Ce problème est rapidement mis en évidence par les féministes, qui ont dénoncé
“l'histoire d'un seul sexe”8. Afin de parer à ce problème épistémologique, plusieurs
concepts ont été proposés. Dans les années 1970, les théoriciennes françaises du féminisme
radical utilisent l'idée de « classe », puis les sociologues féministes françaises préfèrent
parler de « rapports sociaux de sexe ». Toutefois, c'est la notion de « genre » qui a percé
dans le milieu universitaire. Importé de l'anglais et de la sociologie, ce terme est né aux
Etats-Unis avec « les Gender Studies ». En France, il fut développé par Christine Planté,
Eleni Varikas et Michèle Riot-Sarcey9. Ce courant renvoie donc à l'idée de catégorisation
des sexes, on étudie les rapports entre les hommes et les femmes pour arriver à une histoire
totale et sans distinction sexuelle. Aujourd'hui, les historiens parlent parfois d'histoire
mixte mais les études sur la masculinité reste assez rares, ce qui peut laisser paraître d'une
certaine manière l'histoire des femmes comme une histoire déconnectée des autres sujets
d'études. L'histoire du genre après s'être diffusée par l'histoire sociale a du mal à s'imposer
dans l'histoire politique et culturelle. La presse féminine qui aurait pu devenir une source
première de l'histoire culturelle reste peu étudiée depuis Evelyne Sullerot en 196610.
Cependant les guerres, laissant envisager des ruptures avec le quotidien, apparaissent
rapidement comme une source d'inspiration privilégiée pour les historiens du genre, ce qui
est d'ailleurs le choix de notre étude.
La période de la Seconde Guerre mondiale a d'ores et déjà fait l'objet de multiples
recherches. Elle recoupe à la fois l'histoire militaire, l'histoire de la Résistance, de la
déportation ou bien encore de la collaboration, cependant, nous n'accorderons pas d'étude
spécifique, ici, à l'historie militaire car elle ne concerne pas directement notre recherche.
Or, c’est justement cet aspect qui a fait l’œuvre des plus nombreux travaux. Au lendemain
de la Guerre, l'histoire de la Résistance et de la déportation auraient pu être au cœur de la
recherche historique, du fait de la prolifération des témoignages, mais l'opinion publique a
rapidement refoulé l'image de ces récits et s'est plongée dans l'oubli. Le résistancialisme a
alors dominé les mémoires en imposant aux Français une image d'unité nationale derrière
le général de Gaulle. Il faut attendre le livre de Robert Paxton La France de Vichy 1940-
1944, publié en 1973, pour que le passé refoulé refasse surface et que le mythe de la
Résistance massive s'écroule, en même tant que l'idéalisation de Vichy. La question de la
8 Ibid p.549 BARD Christine « Le genre » dans DELPORTE Christian, MOLLIER Jean-Yves, SIRINELLI Jean-François, Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, PUF, Paris, janvier 2010, P.360 à 364.10 Ibid P.360 à 364
8
France dans la collaboration est alors une nouvelle perspective de recherche, tout comme
sa responsabilité dans la déportation des Juifs. Toutefois, les travaux directement centrés
sur la collaboration restent peu nombreux, mais l'histoire de la Résistance prend une autre
forme. L'histoire de la Résistance idéalisée perd de sa vigueur au profit d'une histoire
beaucoup plus complexe où la France divisée a de plus en plus d'importance. En 1962,
Henri Michel s'impose alors comme le pionnier de l'histoire de la Résistance et par la
même occasion comme l'initiateur de l'histoire du temps présent. Aujourd'hui, on peut citer
plusieurs grands historiens de la question tels que Laurent Douzou ou Olivier Wieviorka.
L'histoire de la déportation, elle, reste encore un sujet sensible. Les premiers témoignages
ont, sans le vouloir, participé à la pédagogie de l'horreur déployée par les Alliés lors de
l'ouverture des camps. Ainsi, s'est imposée chez les contemporains une saturation des
témoignages. L'emballement pour les « lieux de mémoire », dans les années 1970, va
contribuer à l'élaboration d'un travail mémoriel sur la période de la Seconde Guerre
mondiale. La déportation va ainsi, peu à peu, entrer dans les recherches, même si, comme
l'explique la spécialiste Annette Wieviorka, ces études restent encore parfois faibles et
suscite des débats d'interprétations telles que sur la question de l'origine du génocide Juif.
Notre sujet s'intègre donc à la frontière de ces deux domaines de recherches: les
femmes et la période de la Seconde Guerre mondiale à la Libération. L'histoire des femmes
dans cette période est un domaine assez peu développé. En effet, l'histoire des résistantes,
des déportées, des collaboratrices ou ne serait-ce que de leur quotidien sous l'Occupation
n’est pas au cœur des travaux des historiens. Les résistantes et les déportées sont elle-
mêmes les premières historiennes de leur histoire, étant donné que leurs témoignages
furent nombreux mais longtemps ignorés, comme l'a souligné Germaine Tillon « depuis
treize ans, j’espère que quelqu'un écrira l'histoire de notre organisation de résistance, afin
de ne pas être obligée de le faire moi-même»11. Les femmes dans la Résistance
apparaissent d'abord sous la forme de « femmes d'exception », sans étude de leur rôle plus
discret au sein des mouvements. Aujourd'hui, des études ont commencé à prendre en
compte les petits riens de la participation féminine à la Guerre qui ont eu des conséquences
considérables. On peut citer par exemple les travaux de Christine Bard, l'ouvrage de
Margaret Collins Weitz Les combattantes de l'ombre. Histoire des femmes dans la
Résistance ou encore celui de Dominique Veillon Vivre et survivre en France 1939-1947.
D'ailleurs, Christine Bard a consacré tout un article à « l'histoire des femmes au défi de la
11 TILLON Germaine « Première résistance en zone occupée. Du côté du réseau Musée de l'Homme-Haut-Vildé », Revue d'histoire de la Deuxième Guerre, 1958.
9
déportation »12 dans lequel elle tente de définir une approche historiographique du sujet.
On peut en retenir que la déportation n'est pas au cœur de l'historiographie des femmes car
l'univers concentrationnaire est un monde asexué. Il n'y a pas de traitement différencié
entre les sexes. Ainsi lors de l'effondrement du résistancialisme en France, l'histoire passe à
côté des femmes dans la guerre et d'autant plus des femmes déportées, ce que confirme les
propos de l'historienne: « aucune thèse (achevée) sur les résistantes en France... Encore
moins sur les déportées ». D'ailleurs, l'ouvrage référentiel de David Rousset L'Univers
concentrationnaire n'évoque à aucun moment le camp de femmes de Ravensbrück. Tout de
même, en 1997, le concours national de la Résistance et de la Déportation a proposé
comme sujet « les femmes » ce qui souligne une prise de conscience de leur spécificité
durant la Guerre. Cependant, en ce qui concerne les femmes dans la collaboration, les
études restent toutes aussi pauvres, même si des approches sur la répression qu'elles ont
subie à la Libération sont des références dans ce domaine: Alain Brossart Les tondues: un
carnaval de moche et Fabrice Virigili La France "virile". Des femmes tondues à la
Libération. Au final, l'historiographie des femmes dans la Seconde Guerre mondiale reste
dans l'ombre de celles des hommes. Au lendemain de la guerre, la modestie des femmes a
caché leur rôle, d'autant plus que la prédilection pour le résistancialisme a privilégié les
recherches sur les actions armées de la Libération. De grandes perspectives peuvent donc
encore émaner de ce lien entre femmes et Seconde Guerre mondiale, mais ce qui nous
intéresse dans ce mémoire est d'étudier cette représentation des femmes dans les
mentalités, à travers la presse de la Libération.
En plein cœur de la Libération de Paris, la presse reparaît au grand jour le 21 août
1944, début de notre dépouillement, qui s'achève le 21 janvier 1946, date de
l’officialisation dans la presse de la démission du général de Gaulle de la tête du
gouvernement. Afin d'étudier plus en profondeur les évolutions des mentalités, nous
compléterons cette étude par des sondages au cours des années 1946 et 1947. Le contexte
est donc d'un intérêt primordial pour comprendre notre recherche. La France étant occupée
depuis 1940, l'euphorie de la Libération conduit à un renouveau politique et idéologique.
Selon les régions, les Français eux mêmes n'ont pas tous vécu l'Occupation de la même
manière. En effet, la vie en Alsace Lorraine, en zone nord, en zone sud ou encore dans les
zones de combats sur le littoral sont loin d'être identiques. De plus, après novembre 1942,
l'invasion de la zone Sud par les Allemands va de nouveau bouleverser les quotidiens et
12 BARD Christine, « L'histoire des femmes au défi de la déportation », Histoire@Politique , Politiques, culture et société, N°5, mai-août 2008, P.1.
10
marquer une évolution nette dans la collaboration de Vichy. 1942 est une période cruciale
pour les Allemands qui voient leur hégémonie à l'Ouest s'affaiblir dans la bataille de
Stalingrad, d'autant que parallèlement les Américains débarquent en Afrique du Nord (dans
la nuit du 7 au 8 novembre 1942). L'arrivée des Américains va modifier les stratégies et les
relations de de Gaulle avec les Britanniques. En effet, les Etats-Unis vont soutenir un autre
homme au détriment de de Gaulle (dont ils se méfient): Henri Giraud. Ces clivages ont des
rôles clés dans les décisions politiques pour l'après guerre. En juin 1944,le président
Rooselvet confiait encore au général Eisenhower qu'il disposerait des pleins pouvoirs
lorsque ses troupes auraient pris pied sur le sol de France13. Cependant, dès l'été 1944, les
tensions s'amoindrissent, étant donné que le Comité Français de Libération Nationale a su
prouver ses compétences : le 10 janvier 1944 dix-huit commissaires de la République sont
désignés, le 28 mars Koenig est nommé délégué militaire auprès du haut commandement
alliés, puis le CFLN impose sa force en devenant le 3 juin le « Gouvernement Provisoire
de la République Française », qui sera officiellement reconnu par les Etats-Unis et quinze
autres pays en octobre. Dès 1943, les réflexions sur la politique à appliquer à la Libération
se font de plus en plus intenses, conduisant après de nombreux débats entre l'Assemblée
Consultative et le CFLN, à l'adoption le 15 mars 1944 de la charte du Conseil National de
la Résistance qui doit servir de base à toute la politique d'après-guerre. A la Libération, les
deux forces politiques qui se font donc face sont les communistes et ceux que l'on peut
dénommer comme les gaullistes, même si l'homogénéité est loin de l'emporter bien que des
tendances communes soient décelables. Le Parti communiste français est donc le premier à
se reconstituer dès le 31 août 1944, sous la direction de Jacques Duclos, interim de
Maurice Thorez14. Dès septembre, le parti compte 205 323 adhérents alors que les autres ne
sont pas encore officiellement rétablis. En Avril, les militants communistes sont plus de
500 000 pour atteindre leur maximum de 800 000 en 1946. Afin d'établir une vision
d'ensemble de ces nombreux adhérents, des femmes dans la guerre, nous avons choisi de
nous confronter aux articles du quotidien communiste l'Humanité.
L'Humanité fut crée par Jean Jaurès le 18 avril 1904 sous les termes suivant « c'est
par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les
intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du
13 KASPI André [dir], La libération de la France : juin 1944- janvier 1946, Paris, Perrin, 1995, p.54.14 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, 2. De l'Occupation à la Libération, Paris, Seuil, 2000, 2 volumes, p. 456.
11
monde »15. Lors du congrès de Tours en décembre 1920, l'Humanité devient le porte-parole
des idéaux de la classe ouvrière en se positionnant sous la direction du Parti communiste
français. Dès les prémices de la Seconde Guerre Mondiale, l'Humanité voit sa publication
suspendue. En effet, suite au pacte germano-soviétique, le quotidien est interdit le 26 août
1939. Après avoir envisagé une publication sous le titre La nation française qui aurait été
dirigée par Georges Cogniot, le projet fut abandonné et l'Humanité reparaît sous forme
clandestine à partir du 26 octobre. Ses objectifs, présentés dans un interview de Maurice
Thorez dans la presse étrangère, consistent en priorité à abolir la légalité de la bourgeoisie
et dénoncer l'impérialisme anglais et français, tout en critiquant l'antisémitisme nazi vu
comme une diversion au choc des classes16. Son conflit d'opinion avec les Etats-Unis dû à
son attrait pour le communisme, lui fait passer sous silence certains sujets d'actualités
primordiaux. Par exemple, lors de la bataille de Pearl Harbor, les Américains
n’apparaissent que très brièvement dans les articles. A la Libération, le quotidien se vend à
plus de 320 000 exemplaires et atteint une moyenne de 423 000 exemplaires par jour en
1945, ce que le responsable depuis 1918, Maurice Cachin, considère comme un véritable
succès. Les recettes du journal vont donc être très fructueuses dans ces années là, toutefois
le bénéfice sera justement utilisé dès 1947 pour combler les déficits qui vont faire surface
compte tenu des bouleversements politiques de la Guerre Froide et des difficultés
structurelles de la nouvelle presse à survivre.
En parallèle, afin d'avoir une vision plus représentative de l'ensemble de l'opinion
française, et non pas que communiste, nous avons étudié le Figaro. Existant depuis 1826,
devenu quotidien dès 1866, il est le plus ancien titre de presse français. Sous la
Restauration, il est un petit périodique satirique, mais très rapidement il abandonne ce
premier rôle pour se rapprocher de l'opinion politique du gouvernement17. Il évolue alors
entre le libéralisme et le conservatisme, se définissantt lui même comme un grand journal
de droite. Sa continuité tout au long de ces deux siècles d'existence se fige autour de son
attrait pour la littérature. La période qui nous concerne est un moment crucial pour la
destinée du journal. En effet, le Figaro ne va pas se saborder tout de suite lors de
l'Occupation. Du 12 juin au 16 juin 1940, il déménage à Tours, puis à Bordeaux avec
James de Coquet à sa tête, avant de s'installer à Clermont Ferrand lors de l'arrivée des
15 DELPORTE Christian, PENNETIER Claude et SIRINELLI Jean-François L'Humanité de Jaurès à nos jours, (actes du colloque "L'Humanité, de Jaurès à nos jours" les 1er et 02 avril 2004 ), Paris, Le nouveau Monde, 2004, p.11.16 Ibid, p.187.17 BLANDIN Claire [dir], Le Figaro : histoire d'un journal, Paris, Nouveau monde éditions, 2010, p.
12
Allemands sur la côte Ouest. De juillet 1939 à avril 1940, la diffusion du Figaro chute de
48%18. Toutefois, Pierre Brisson reprend la tête du journal le 13 août (après son évasion) et
le transfère à Lyon, devenue une ville de repli pour de nombreux organes de presse. La
censure se faisant de plus en plus lourde ce fut une lutte perpétuelle pour le Figaro, qui
sera suspendu à plusieurs reprises, la censure l'estimant comme « le plus anglophile des
journaux »19. Les éditoriaux du journaliste Wladimir d'Ormesson sont les premiers accusés.
Il va devoir se cacher dès novembre 1942. Ce mois de novembre 1942 est une date
fatidique pour toute la presse française. En effet, de nombreux journaux discutent de leur
sabotage collectif après le débarquement en Afrique du Nord. Ainsi, avec l'ajout des
pressions de la censure, Pierre Brisson envoye une lettre d'adieu à ses abonnés, le 5
décembre 1942, stoppant ainsi la publication jusqu'au 23 août 1944. Grâce à l'ordonnance
d'Alger du 22 juin 1944 qui fixe les limites des journaux pouvant être publiés ou non, après
la guerre, le Figaro peut en toute légalité reprendre ses activités. En effet, sont interdits
tous les journaux parus après le 25 juin 1940 en zone Nord et après le 26 novembre 1942
en zone Sud. Ces dates permettent alors au Figaro de reparaître, alors que le Temps,
sabordé le 29 novembre, est interdit. Ce choix peut certainement s'expliquer par le fait que
le Général de Gaulle n'a pas pardonné à ce dernier son enthousiasme pour le Maréchal
Pétain20. Ainsi à la Libération, Pierre Brisson, directeur du quotidien depuis le 28
septembre 1941 et membre du conseil d'administration depuis novembre 1943, va pouvoir
profiter du vide laissé par la collaboration de nombreux journaux de droite. D'après les
chiffres donnés par Claire Blandin, le numéro du 27 août 1944 fut tiré à 91 000
exemplaires et dès le mois d'octobre, le quotidien atteint plus de 200 000 exemplaires,
chiffres en perpétuelle augmentation les mois suivants21.
Enfin, afin d'avoir une vision plus large des mentalités françaises nous avons
également pris en compte des quotidiens régionaux. La presse régionale n'a pas échappé
aux interdictions imposées par l'ordonnance d'Alger, les trois grands quotidiens en place
pendant la guerre sont supprimés22. A la Libération, les deux grands mouvements de
Résistance dans les Alpes: le Front National et le Mouvement de Libération Nationale se
regroupent alors pour former l'organe commun des Allobroges23. A l'automne 1944, les 18 BLANDIN Claire, Le Figaro deux siècles d'histoire, Paris, Armand Colin, 2007, p.140.19 Ibid p.145.20 D'ALMEIDA Fabrice, DELPORTE Christian Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Barcelone, Flammarion, 2010.21 BLANDIN Claire, Le Figaro deux siècles d'histoire, Paris, Armand Colin, 2007, p.169.22 Le Petit Dauphinois, La Dépêche Dauphinoise et Sud-Est.23MONTERGNOLE B. La Presse Grenobloise de la Libération 1944-52, Presses Universitaires de Grenoble, 1974, P.24.
13
Allobroges se rapprochent nettement du Parti communiste français, ce que tend à critiquer
le M.L.N. qui veut faire paraître son propre journal d'obédience socialiste. Le Comité
Départemental de Libération Nationale envisage d'accepter la proposition du M.L.N., ce
qui provoqua une forte contre-offensive du Front National. En effet, dans la région
grenobloise au lendemain de la guerre, les communistes sont très influents. La parution
d'un nouveau journal d'influence socialiste serait un échec pour eux. Après de longues
controverses, entre les deux mouvements, le 9 janvier 1945 est finalement signé un
protocole d'accord pour le projet d'un journal commun24. En effet, la situation n'était pas
favorable aux socialistes pour imposer leur propre quotidien, la domination communiste
était trop forte. Le titre reste les Allobroges mais figure en sous-titre dans la manchette le
Dauphiné Libéré. Le comité de rédaction regroupe quatre membres, deux par mouvement
et la Direction Générale de la Publication est confiée à monsieur Dorey ancien déporté en
Allemagne. Toutefois, cette entente ne durera que huit mois, du fait des divergences
d'opinion sur de nombreux thèmes. Ces huit mois de collaborations sont vécus comme un
échec pour le M.L.N., mais en réalité cet essai lui a permis de gagner une renommée, grâce
à la figuration du Dauphiné Libéré dans la manchette des Allobroges, et de la création d'un
groupe complet de journalistes et techniciens. D'ailleurs, la parution du Dauphiné Libéré, à
partir du 7 septembre 1945, va être mal vécue par les Allobroges, qui outre la nouvelle
concurrence, voient une grande partie de leurs journalistes et la quasi totalité des chefs
d'agence choisir le nouveau quotidien25. Cette parution est appuyée par le préfet de l'Isère,
Albert Reynier, soutenant le journal du M.L.N. depuis l'automne 1944, pour faire
contrepoids à l'influence communiste. Parvenant, à stopper la grève des ouvriers
imprimeurs, soutenue par le Front National, la décision ministérielle est sans appel. Ainsi il
est conclu que « la cohabitation et l'impression de deux journaux dans les même locaux
sont possibles car le matériel est suffisant, à condition de procéder à une meilleure
organisation des services et à une augmentation légère de personnel »26. Après des débats
sur son titre le M.L.N. fait donc paraître son journal sous le titre Dauphiné Libéré en
mettant en évidence sa volonté de vérité, de loyauté et de clarté, en dénigrant au contraire
les ambitions communistes. Malgré les locaux communs, les Allobroges et le Dauphiné
Libéré parviennent à se partager le lectorat, on peut noter sur ce point que les ventes
majoritaires du Dauphiné Libéré se trouvent dans le quartier plutôt aisé d'Alsace
24Ibid P.54.25Ibid P.79.26Ibid P.71.
14
Lorraine27. Le Dauphiné Libéré et des Allobroges, nous permettent d'enrichir notre
recherche par des exemples régionaux concrets et établir une corrélation avec la presse
nationale de la proportion de sujets traitant des femmes dans la Seconde Guerre mondiale.
les Allobroges ne sont toutefois qu'utilisés en complément, afin d'étudier plus
particulièrement certains faits dans la presse régionale tels que les tontes à la Libération ou
le retour des déportées, étant donné que le Dauphiné Libéré ne paraissait pas encore de
son propre chef à ces périodes là (septembre 1944 et printemps 1945).
Le choix de ces journaux nous permettent donc de travailler sur des opinions
politiques et idéologiques totalement différentes. Ces contrastes engendrent à la fois des
paradoxes et des similitudes nous conduisant aux questions suivantes : En quoi la
représentation de ces femmes dans ces organes de presse peut-elle établir une ambiguïté
entre l'idéal français, dans les mentalités des années 1944 à 1947, de la mère au foyer et
l'engagement de protagonistes féminines dans le conflit ? En quoi le contexte de la
Libération et les opinions politiques ou idéologiques des journaux ont-ils pu influencer
l'image retranscrite des femmes ? Au final, ce qui va articuler ce mémoire est de
comprendre si la représentation des femmes dans la Guerre a vraiment permis de rompre
avec la vision traditionnelle de l'ordre social. Ont-elles perçu une évolution concrète de
leur place dans la société ? Voulaient-elles elles-mêmes voir des changements dans leur vie
ou attendaient-elles un retour pur et simple à leur quotidien d'avant guerre ?
Face à la multitude de problématiques que posent notre recherche, nous tâcherons
d'avancer des réponses en commençant par opposer la représentation que les journaux
donnent des résistantes face aux collaboratrices, ce qui nous conduira à nous questionner
sur la victimisation des femmes dans la presse à travers l'image de la Déportation et des
tortures. Pour terminer, nous centrerons notre regard sur le quotidien des femmes, de
l'Occupation à 1947, et l'image que ces quotidiens reflètent alors d'elles, en nous attachant
tout particulièrement à la nouvelle acquisition de leur citoyenneté.
27Ibid P.72.
15
Première partie :
L'engagement des femmes dans la guerre franco-
française sous l'Occupation allemande
16
Chapitre 1- Lendemain de la Guerre : les femmes n'échappent pas à l'épuration
Dès 1941, la presse clandestine de gauche comme de droite a publié des listes de
noms de collaborateurs1. Le mot « épuration » est employé pour désigner le processus
longuement mûri dans la clandestinité, qui prône une purification pour l'avenir de la
France2. Par ailleurs, certains résistants, considérés comme extrémistes, sont passés aux
actions armées et ont pratiqué des exécutions sommaires. Toutefois, une législation tend
rapidement à se mettre en place afin d'éviter les débordements excessifs et d'assurer que les
collaborateurs n'échappent pas à la Justice. Or, comme le rappel Peter Novick : « Nullum
crimen sine lege, nulla poene sine lege »3, ce qui signifie que la promulgation de lois pour
juger les collaborateurs après leurs méfaits est impossible. Ainsi, pour éviter tout
législation rétrospective, les lois déjà en vigueur ont été interprétées en considérant le
gouvernement de Vichy comme illégitime, comme le souhaitait le général de Gaulle.
Seule l'ordonnance du 26 juin 1944 instaure quelques modifications en instituant
« l'Indignité Nationale »4. Il ne s'agit pas d'une nouvelle peine juridique dont l'aspect
rétroactif serait impossible à justifier mais d'une nouvelle « situation », un nouvel « état »
définit en ces termes « est coupable d'indignité nationale […] tout Français qui aura
postérieurement au 16 juin 1940 soit sciemment apporté en France ou à l'étranger une aide
directe ou indirecte à l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'unité de la nation ou
à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ces derniers »5. Malgré de vives contestations
les Cours de Justice sont crées (selon l'article 75 et les suivants du Code Pénal) auxquelles
se rattachent les Chambres Civiques réservées aux jugements des cas d'« Indignité
nationale ». Ces dernières, ne jugeant pas un délit, n'ont que deux possibilités :
l’acquittement ou la dégradation nationale (à vie ou temporaire)6. Le fait de dégradation
nationale signifiait l'exclusion du droit de vote et de l'éligibilité à une fonction d'élu,
l'élimination de la fonction publique, la perte de son rang dans les forces armées,
l'exclusion de fonction de direction dans des entreprises ou des banques, ainsi que dans les
industries de la presse et de la radio, l'exclusion de toute fonction dans les syndicats et les
1 NOVICK Peter, L'épuration française 1944-1949, Paris, Balland, 1985 (1er édition anglaise 1968), p.64.2 BARUCH Marc Olivier [dir], Une poignée de misérables : l'épuration de la société française après la Seconde Guerre Mondiale, Paris, Fayard, 2003, p.31.3 Ibid « nul crime sans loi, nul crime sans châtiment » p.230.4 Ibid p.236.5 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues à la libération, Paris, Payot et Rivages, 2000, p.21.6 KASPI André [dir], La libération de la France : juin 1944- janvier 1946, Paris, Perrin, 1995, p.206.
17
associations professionnelles, l'exclusion des professions du droit, de l'enseignement et du
journalisme, l'exclusion d'entités liées à l'Etat telles que l'Institut de France, l'interdiction
de garder ou de porter des armes. Toutes ces conséquences ne pouvant être dissociées les
unes des autres. Pour les grands procès tels que celui de Pétain (en juillet 1945) et Laval
(en octobre 1945), est instituée la Haute Cour de Justice, dissociée à présent du Sénat7 .
Elle est souveraine et aucun appel n'est possible, seule la grâce présidentielle peut
dissoudre le jugement, ce qui fut le cas pour Pétain. Après la Seconde Guerre mondiale,
malgré les vives critiques faites à la presse elle reste le meilleur média accessible pour
savoir l'avancée de ces procès et les nouvelles arrestations. Ainsi elles donnent des
informations sur l'image des femmes dans la collaboration et c'est ce que nous allons tenter
de voir dans ce chapitre.
I. Les différentes visions de l'épuration dans la presse« La réalité dont la presse rend compte est la réalité qu'elle observe […] elle ne
peut pas tout dire, et ne dit que ce qu'elle sait voir »8, cette citation de l'historien Cayrol
Roland souligne le fait que la presse de la Libération a une fonction d'information qui
connaît évidemment les limites classiques de la presse, auxquelles s'ajoutent celles des
circonstances de guerre, mais également une fonction d'expression d'opinion. Les deux
sont difficilement dissociables. Ainsi, les articles soulignent les divergences d'opinions
d'un journal à l'autre sur l'épuration. En effet, il s'agit d'un phénomène qui pose débat dès la
Libération. Cependant, n'oublions pas que les articles ne reflètent pas toujours l'opinion de
l'ensemble du lectorat même si chaque quotidien tend à refléter la majorité de celui-ci.
Attachons-nous donc à étudier quel est le point de vue des quotidiens sur l'épuration.
A/ L'Humanité prône la vengeanceA la Libération, les Français gardent en mémoire l'image de l'Humanité
clandestine, le journal du Parti communiste français qui a continué la lutte sous
l'Occupation. Cette image est d'ailleurs mise en avant lors de l'exposition sur la presse
clandestine communiste qui débute le 25 novembre 1944 : « cette exposition témoignage
irréfutable de la participation des communistes à la lutte sacrée pour la libération
nationale »9. Le Parti communiste français (PCF) se présente donc comme le parti martyr-
résistant, ce qui explique son engagement féroce dans la mise en œuvre de l'épuration et de
7 Garder l'institution ancienne de la Haute Cours sous l'autorité du Sénat signifierait reconnaître que la IIIe République existe encore, ce qui n'est pas concevable pour de Gaulle et le Gouvernement Provisoire.8 CAYROL Roland, Les Médias, presse écrite, radio, télévision, Vendôme, PUF, 1991, p.15.
9 L'Humanité, 25 novembre 1944 « La presse clandestine du parti communiste pour la libération de la France ».
18
la condamnation des bourreaux. Dès l'invasion de l'URSS, en juin 1941, les communistes
se mirent à parler des futurs châtiments, surtout envers les responsables de Vichy, auxquels
l'Humanité s'est toujours opposé du fait de son interdiction et de l'anticommunisme de
l'Etat française. A l'inverse, les communistes ont conservé une attitude ambiguë, avant juin
1941, avec les Allemands. En effet, l'Humanité clandestine continua à préconiser la
fraternisation avec les Allemands, en soulignant la culpabilité anglo-française dans la
défaite et critiquant de Gaulle comme « un réactionnaire à la solde des impérialiste
britanniques »10. Cette attitude premet le relâchement de trois cents communistes internés,
rien qu'au cours des six premiers mois de l'Occupation. Toutefois, les communistes ont
voulu écarter ce souvenir et se sont engagés pleinement dans la Résistance. Ainsi dès que
Paris est libéré, l'engagement de l'Humanité est claire : « des dizaines de milliers de mères,
de femmes, de sœurs, de fiancées françaises crient vengeance »11. La vengeance est une
notion très explicitée par les membres du journal. Pour les communistes, la « chasse aux
traîtres » doit avant tout être synonyme de cette vengeance des milliers de morts français,
telle que le souligne la conclusion d'un article en août 1944, décrivant les tortures infligées
à des communistes dans l'affaire Brossard : « Les Français qui liront ces lignes doivent
exiger qu'aucune pitié ne s'exerce en faveur de ceux qui n'en ont pas eu »12. D'autres
articles très descriptifs sur les tortures de patriotes communistes sont publiés tout au long
du mois d'août 1944, avec à chaque fois des appels à la vengeance. Ces articles, s'appuyant
sur les tortures infligées, sonnent comme des justifications de leur haine envers les
collaborateurs, (ce qui est très clair le 24 août 1944 par exemple13). Le terme de « traître »
revient très souvent à partir de septembre 1944 et jusqu'en 1947: par exemple, le 2
septembre 1944 on peut lire « Mobilisation de toutes les forces pour la guerre châtiment
des traîtres confiscation de leurs biens » et le 17 avril 1947 « Le traître Paul Faure
conseiller national de Pétain ». Au total sur la période étudiée, on retrouve le terme
mentionné trente-trois fois uniquement dans les titres des articles. Le terme est employé
pour désigner ceux qui ont trahi leur nation française (ainsi que deux articles sur des
traîtres Belges). Le « traître » est donc le français qui s'est plié devant l'ennemi occupant et
qui mérite une peine exemplaire: le 3 septembre 1944 « Le mot d'ordre de la Mutualité :
Libération totale du sol de la Patrie ; Châtiment impitoyable de tous les traîtres », les 24 et
10 NOVICK Peter, L'épuration française 1944-1949, Paris, Balland, 1985 (1er édition anglaise 1968), p.49.11 L'Humanité, 21 août 1944 « La fuite des traîtres » p.2.12 L'Humanité, 27 août 1944 « Frappé par cinq tortionnaires enchaîné pieds et mains » p.2.13 L'Humanité, 24 août 1944 « Héroïques femmes de Paris ! Le parti communiste français vous ouvre ses rangs », s'ouvre par « Mort au assassins ! Châtions les tortionnaires ! » et se conclut par « répandre la haine sacrée contre les bourreaux à croix gammée ».
19
25 septembre 1944 « Les alliés déclarent : La justice sera rendue avec une fermeté
impitoyable »14. En effet, le mot « collaboration » est progressivement devenu un
synonyme de compromission et de trahison15. Ainsi, avant que « l'épuration » soit acceptée
clairement comme terme juridique et législatif la presse clandestine préférait déjà
l'expression « châtiment des traîtres »16.
De plus, l'Humanité va rapidement contester les jugements considérés comme trop
lents et trop cléments. Le premier article dénonçant les peines jugées trop clémentes est
paru le 27 septembre 1944 « les scandales de l'épuration deux complices de Laffont sont
libérés ». Rapidement ce genre d'articles s'accumulent et s'étalent tout au long de l'année
1945, comme le montrent ces quelques exemples : le 31 octobre 1944 « Stéphane
Lauzanne échappe aux châtiment mérité ! », les 28 et 29 janvier 1945 « Maurras l'assassin
vivra ! », le 27 juin 1945 « Après une ignominieuse (sic) plaidoirie, verdict de honte :
Georges Claude n'expiera pas ! ». Tout un vocabulaire se développe dans ces articles avec
à plusieurs reprises «scandaleux verdict », « on épargne », « la Mort! »... Les communistes
prônent la vengeance et donc des sanctions de peine de mort et non pas des châtiments de
travaux forcés. On trouve encore en 1946 et 1947, quelques articles critiques sur les peines
infligées aux collaborateurs tels que celle de Bunau-Varilla le 4 janvier 194617, ou, un an
plus tard, celle de l'éditorialiste Guy Crouzet18. Mais la critique la plus courante, faite par
l'Humanité aux responsables de l'épuration, est leur lenteur : le 4 octobre 1944 « Sanctions
plus rapides abolition des iniquités de Vichy demande la Commission de Justice du
CNR », les 22 et 23 octobre 1944 « l'épuration doit être plus rapide », le 23 février 1945
« Par 169 voix contre 14 l'Assemblée Consultative manifeste son mécontentement des
lenteurs de la justice ». Nous ne pouvons citer ici qu'une partie des articles de cet
argumentaire du PCF, mais ils soulignent leur volonté que nous avons déjà cité de se placer
comme le parti martyr-résistant cherchant à punir les traîtres français, qui ne sont en aucun
cas des communistes. Ainsi, montrer du doigt les traîtres permet également aux
communistes de se laver les mains de leurs actions antérieures à juin 1941, comme le dit
Peter Novick « Le parti communiste faisait la chasse à des fantômes parce que lui-même
14 L'Humanité, 24 et 25 septembre 1944.15 BARUCH Marc Olivier [dir], Une poignée de misérables... op. cit. p.19.16 Ibid, p33.17 L'Humanité, 4 janvier 1946 « Bunau-Varilla l'un des traîtres du « Matin » ne sera pas fusillé ! La Cour de Justice le condamne aux Wx forcé à perpétuité ».18 L'Humanité, 19 et 20 janvier 1947 « Guy Crouzet éditorialiste hitlérien des « Nouveaux Temps » s'en tire avec les travaux forcés ».
20
était pourchassé par le fantôme de son passé qui ne voulait pas le laisser en paix »19. Pour
donner du corps à leur « chasse aux traîtres », l'Humanité désigne explicitement deux
catégories de collaborateurs, mis en relation : les « trusts »20 et les « vichyssois ». Pour les
vichyssois, les accusations sont très explicites lors des procès relatés de Esteva à Laval, en
passant par Pétain, mais des critiques antérieures sont déjà notables, comme le 22 mars
1945 « Condamnation de Pétain et destruction du vichysme exige la population», ou
encore au mois d'avril 1945, le 26 « Pétain au poteau sans retard inutile ! » et le 30
« Mussolini fusillé... et Pétain dorloté».
Enfin, leur argumentaire sur l'épuration se termine par une opposition entre celle
mise en œuvre à Paris et celle en Province. En effet, dans les premiers mois de la
Libération, les procès jugés efficaces ne se déroulent qu'en Province comme le souligne ce
premier article « L'épuration commence... En Province. Triple exécution à Montauban » le
18 octobre 1944, il est suivi d'une multitude d'autres21 jusqu'à ce que les procès débutent
réellement dans la Seine. Pour finir sur ce point de vue radical de l'Humanité et du PCF de
l'épuration, nous terminerons par une contradiction dont font part des articles du quotidien.
En effet, il est fait mention à plusieurs reprises que le peuple français soutient la férocité de
leur engagement dans la chasse aux traîtres : les 8 et 9 octobre 1944 les lecteurs peuvent
lire : « Epuration, châtiment des traîtres proclame le peuple parisien qui applaudit le
Conseil National de la Résistance dans une imposante manifestation au Vel d'Hiv », le 24
octobre 1944 « Dimanche, journée des Martyrs fut aussi la journée d'affirmation de la
volonté nationale de frapper impitoyablement les bourreaux et les traîtres » , ou encore le
14 juillet 1945 « Peuple de Paris, à 14 heures avec les Etats généraux, de la Concorde à la
Bastille pour la victoire de la renaissance et de la démocratie française sur les trusts sans
patrie, les traîtres au pays et les ennemis de la liberté! ». Toutefois, toute la population
française n'était pas aussi enthousiaste que l'Humanité dans cette justice massive et parfois
excessive. C'est d'ailleurs ce que sous-entend l'article du quotidien le 3 août 1945 écrit par
Florimond Bonte, « Criminel pitié » qui critique les propos du journal Combat où la
« peine capitale » est dénoncée comme abusive22. Ainsi, l'Humanité affirme très clairement
19 NOVICK Peter, L'épuration française...op.cit..., p.285.20 L'Humanité, 4 octobre 1944 « La leçon de la province : châtiment des coupables et essor de la production vont de pair », « Il faut penser à appliquer le programme du Conseil national de la Résistance qui prévoit, en même temps que la nationalisation des grandes industries, la confiscation des biens des traîtres, dont les hommes des trusts sont les principaux spécimens », 24 mars 1945 « l'union contre les trusts ».21 L'Humanité, 27 octobre 1944 « En province des traîtres expient », 16 décembre 1944 « Huit traîtres passés par les Armes » (Aurillac), 14 et 15 janvier 1945 « En province, des traîtres sont condamnés », 17 janvier 1945 «La Cour de Justice de Reims châtie les délateurs quand celle de Paris les épargne ».22 L'Humanité 3 août 1945 « Criminel Pitié » voir annexe B26.
21
son opinion sur l'épuration, elle prône une épuration totale, qui justifie même certains
écarts au cadre purement légal, comme cela est défendu dans l'article du 16 septembre
1944 intitulé « l'épuration », une telle vision a poussé parfois à de lourds excès23.
Toutefois, comme l'exemple de Combat a commencé à nous le démontrer, tous les français
n'envisageaient pas l'épuration d'une manière aussi radicale et c'est ce que nous allons voir
avec le Figaro.
B/ La modération du FigaroDès juin 1940, le Figaro a un rapport à Vichy totalement différent de celui de
l'Humanité. En effet, à l'inverse de l'Humanité étant déclarée illégale, le Figaro a
bénéficié, lui, d'une aide financière importante de la part du gouvernement de Pétain. Il
recevait 250 000 francs par mois, ce qui a accru ses recettes de 15 à 20% 24. D'ailleurs
Lucien Romier directeur du quotidien du 1er juin 1934 à février 1941 était un fidèle
partisan de la Révolution Nationale. Selon lui, « En se plaçant au-dessus des partis, le
maréchal Pétain ne peut agir que dans le sens de l'intérêt général et de la sorte œuvre à
recréer la communauté nationale indissociable [...] de la mise en place d'un régime
d'autorité et de responsabilité »25. En février 1941, il va même rejoindre le gouvernement.
Lorsque Pierre Brisson reprend la tête du Figaro, il se présente comme le « défenseur du
Maréchal, qui ne pourra bientôt plus rien faire de cette presse »26, sans oublier que Pétain
est venu en soutien au journal lorsque les suppléments littéraires avaient causé sa
suspension en novembre 194227. A la Libération, même si le quotidien a été obligé de se
saborder, suite à la censure de plus en plus intense, il ne prône donc pas une épuration
violente et souligne qu'avant tout la guerre n'était pas une guerre franco-française mais que
les premiers coupables sont les Allemands. Ainsi, plusieurs articles s'attaquent directement
au peuple allemand:
« Aucun pardon ne saurait jamais être prononcé. [...] Les Allemands peuvent frémir devant la somme de haine qu'ils auront accumulée autour d'eux; ils peuvent se demander combien de leur génération resteront marqués de ce fer rouge... Tous sont complices. Car c'est un peuple à peu près unanime et non telle ou telle fraction de la nation – qui a conféré à Adolf Hitler la souveraine puissance »28.
23 Dauphiné Libéré, 11 janvier 1946 « Un « épuré » de neuf ans », en Italie un enfant est accusé de collaboration pour avoir adhéré à une organisation néofasciste à l'âge de sept ans.24 BLANDIN Claire, Le Figaro deux siècles d'histoire, Paris, Armand Colin , 2007, p.144.25 BLANDIN Claire [dir], Le Figaro : histoire d'un journal, Paris, Nouveau monde éditions, 2010, p.317.26 BLANDIN Claire, Le Figaro deux siècles...op. cit., p.143.27 Ibid, p.150.28 Le Figaro, 22 avril 1945 « Les Martyrs », par Wladimir d'Ormesson voir Annexe C-3.
22
Les responsables du Figaro considèrent donc les Allemands comme complices, tous
ensemble, de la barbarie nazie (« une adhésion totale, une complicité sans réserve »29) et
les décrivent en partie responsables de la Seconde Guerre mondiale et de ses atrocités: « ils
ne sont pas complices du nazisme déchaîné, mais ils le sont, par leur abstention et leur
attentisme, du nazisme naissant »30. Même si un article paraît relativiser cette considération
« les actes conçus, ordonnés et commis depuis plusieurs années, par un grand nombre
d'Allemandes. Tout le monde sait, tout le monde sent qu'il existe en Allemagne, des gens
honnêtes et sans doute même pitoyables qui n'ont pas été solidaire de ces crimes »31, il se
conclût par « les Allemands, dans l'Ensemble, ne semblent pas avoir compris que, même si
leur conscience les laissait en repos [...] ils auraient à rendre compte au monde entier des
actes qu'ils ordonnaient, accomplissaient ou laissaient faire », ce qui sonne comme une
contradiction avec le début et finalement rompt le relativisme premièrement souligné. Le
peuple allemand ne pouvant pas être jugé, les articles sur les procès de criminels de guerre
sont alors nombreux, même si les condamnations à mort ne sont pas mises en évidence
comme dans l'Humanité, le Figaro soutient les peines infligées aux « bourreaux ».
De plus, le quotidien se place comme l'exemple pour la Justice respectable et
officielle contrairement à tout ceux qui défendent les peines excessives et les épurations
sommaires. Dès septembre 1944, cette vision est clairement défendue par un court article
« l'action contre les traîtres doit être mené (sic) avec méthode »32, et surtout par l'éditorial
de François Mauriac33 « la vrai (sic) justice », où il explique qu' « il ne s'agit pas ici de
plaider pour les coupables, mais de rappeler seulement que ces hommes, ces femmes sont
des accusés, des prévenus, qu'aucun tribunal ne les a encore convaincus du délit ou du
crime dont on les charge »34. François Mauriac se place ainsi comme « l'apôtre de la
réconciliation et du pardon »35. Le Figaro rappelle à plusieurs reprises qu'il existe
différentes peines selon les degrés de collaboration. Ces distinctions sont donc nécessaires
à appliquer si le peuple français ne veut pas tomber dans la décadence. Ce point est très
explicite dans l'article de Jean Schlumberger le 7 février 1945 :
« la liquidation des conflits de tendances et de personnes ne s'est pas accomplie du même élan. Il semble que désormais on n'y parviendra plus par des méthodes hardiment expéditives, mais
29 Le Figaro, 17 et 18 septembre 1944 « ce qui condamne l'Allemagne ».30 Le Figaro, 25 avril 1945 « Le chancre » par Jean Sclumberger.31Le Figaro, 18 mai 1945 intitulé « Au delà des châtiments » par Georges Duhamel.32 Le Figaro, 5 septembre 1944.33 Le Figaro, 8 septembre 1944 « La vrai justice ».34 Ibid.35 NOVICK Peter, L'épuration française..., op. cit., p.264
23
seulement par une patiente élucidation des cas particulier, avec ce que cela comporte de garanties de clarté, de plein accord avec le sentiment public"36.
N'oublions pas tout l'aspect religieux de ce point de vue sur l'épuration. En effet, le Figaro
est très proche du Vatican. Plusieurs fois par semaine, on trouve des articles référents au
monde catholique dont la rubrique « Nouvelles religieuses » ou encore des articles
défendant la position de l'Eglise face à la violence et la haine37. Ceci est l'une des
différences les plus lourdes avec l'Humanité qui au contraire condamne le pape comme
fasciste38. Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, l'Eglise s'oppose massivement à la
peine de mort, d'où le fait que pour le Figaro, elle ne doit surtout pas être appliquée à
chaque acte de collaboration.
« la justice dispose d'une ample gamme de peines qu'on peut assez bien dénombrer, même quand on n'est pas spécialiste. Or c'est le mot de mort qui maintenant retentit sans cesse à notre oreille. C'est la peine de mort qui, sans discernement frappe des crimes très divers »39.
Une multitude d'articles vont en ce sens et soulignent leur vision modérée de l'épuration,
tous les citer ici est impossible. Toutefois, un nous paraît particulièrement important, il
s'agit de celui publié lors de l'anniversaire de la Libération de Paris en 1947 par François
Mauriac sur l'esprit de Justice en s'appuyant sur des extraits d'anciens numéro d'août 1944:
« si, dès le premier jour, nous nous sommes montrés les adversaires de l'épuration telle qu'elle était pratiquée, c'est avant tout parce que nous avions prévu qu'elle allait créer des haines inexpiables et dresser les Français les uns contre les autres, peut être pour plusieurs générations »40.
Ainsi, François Mauriac permet au Figaro de se placer au dessus des tensions
gouvernementales par son activité, dès la Libération, pour une Justice équitable sans
précipitation et avec modération. Surtout, il condamne encore très clairement les
communistes qui, eux, ont encouragé les violences excessives, jusqu'à soutenir des
exécutions sommaires41.
Pour finir, sur la vision de l'épuration chez les journalistes du Figaro, il ne faut
pas croire qu'ils ne dénoncent pas les grands procès de Vichyssois, bien au contraire. Après
36 Le Figaro, 7 février 1945 « Combat contre des ombres ».37 Le Figaro, 31 août 1944 « Contre la violence et la haine par le pasteur Marc Boegner » voir Annexe C2, 25 octobre 1944 « Une intervention du pape en faveur des déportés français », 26 décembre 1944 « Le pape et la démocratie », 25 octobre 1945 « Une intervention du pape en faveur des déportés français », 3 et 4 juin 1945 « Le pape forme le vœu que tant d'années de souffrances ne demeurent pas vaines ».38L'Humanité, 21 octobre 1945 « En 1943, les évêques allemands soutenaient encore Hitler dans sa guerre », 16 novembre 1945 « Quels sont ceux qui dégradent l'esprit humain ? », 14 décembre 1945 « Le Vatican centre de la réaction écrit le journaliste soviétique Efimov, 24 août 1946 « Le chef de la Milice enseignait dans un couvent, 19 avril 1947 « l'abbé Vaxillaire dénonciateur de maquis va-t-il sauver sa tête ? ».39 Le Figaro, 12 janvier 1945 « tout jugement sera jugé » par Georges Duhamel.40Le Figaro, 23 août 1947 « l'anniversaire ».41 Le Figaro, 5 juin 1945 « les abus que nous avons déplorés n'ont pas entièrement disparus et que la violence et la passion sévissent encore trop souvent là ou la justice seule devrait s'exercer » in « les arrestations et l'épuration », sous-titre « justice sommaire ».
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la guerre, l'ordonnance d'Alger a permis au journal de reparaître, mais les critiques sur ses
liens avec le gouvernement de Vichy planent comme une menace pour sa crédibilité et sa
sauvegarde. Ainsi, il retrace quotidiennement tous les procès des grands collaborateurs
mais mentionne également le déroulement de l'épuration partout en France (on peut même
noter la condamnation d'un clerc le 7 mars 194542). Les hommes de lettres n'échappent pas
à cette épuration et le Figaro fait bien remarquer ce point, malgré leur attachement au
monde littéraire43. Ce que les responsables du journal critiquent n'est donc pas l'épuration
qui est « un mal nécessaire »44, mais la façon dont elle est exécutée au moment de la
Libération.
C/ Le point de vue du Dauphiné LibéréLe Dauphiné Libéré, contrairement aux autres quotidiens étudiés ne paraît qu'en
septembre 1945, il ne peut donc pas exprimer avec la même force la vision de l'épuration
au lendemain de la Libération. Toutefois, en cette fin d'année 1945, comme nous l'avons vu
l'épuration n'est pas finie et cela est bien perceptible dans le journal. Ainsi, malgré les
lacunes au niveau des informations nationales dont peut être victime ce quotidien tel que le
souligne cet article du 3 janvier 1946 « Louis Robier le chef départemental du PPF était
arrêté depuis 6 mois mais Grenoble n'en savait rien »45, le Dauphiné Libéré tient au courant
ses lecteurs de l'avancée de l'épuration, mais en se consacrant plus spécifiquement aux
Cours de Justice locales : Grenoble, Annecy, Lyon et Chambéry. D'ailleurs même si
quelques articles évoquent les procès Parisiens46, le grand procès de Laval n'a aucune place
dans le périodique. Le procès primordial pour le Dauphiné Libéré est celui d'Elach, le 28
septembre 1945 « Le plus grand procès de justice de l'Isère : Elach, allias « lieutenant
sifer » le waffen aux cent crimes reste impassible devant ses 37 premiers accusateurs »47.
Ce dernier était le chef des Jeunes de l'Europe Nouvelle et membre de la Waffen SS. Il est
condamné à mort le 29 septembre pour le meurtre de 200 résistants, sa secrétaire est jugée
le 3 novembre 1945 et le reste de son groupe le 28 août 194648. Le quotidien met donc en
avant des procès qui peuvent plus aisément toucher personnellement les lecteurs. Les
42 Le Figaro, 7 mars 1945 « l'épuration ».43 Notamment, Le Figaro, 1er juin 1945 « l'épuration chez les gens de Lettre ».44 Le Figaro, 12 janvier 1945 « les conséquences politiques de l'épuration ».45 Le Dauphiné Libéré, 3 janvier 1946.46Le Dauphiné Libéré, 9 novembre 1945 « les « collaborateurs » de « L'Echo du Nord » sont condamnés », 7 juin 1947 « La Haute Cour condamne à mort Benoist-Méchin », 19 avril 1947 « Bientôt un grand procès à Paris. L'ex intendant Marty prépare fébrilement se défense ».47 Le Dauphiné Libéré, 28 septembre 1945.48 Le Dauphiné Libéré, 29 septembre 1945 « Verdict attendu : Elach sera fusillé », 3 novembre 1945 « Pierrette Thomassin secrétaire personnelle du sinistre Elachl a été arrêtée » et 28 août 1946 « La sinistre bande d'Elach va expier ses crimes ».
25
procès des miliciens ou de la Gestapo mentionnés ne sont donc pas non plus ceux de Paris
mais ceux de Grenoble49,décrits au sein de la rubrique « A la Cour de Justice ».
En outre, les journalistes du Dauphiné Libéré ne publient pas d'articles exposant
clairement leur opinion sur l'épuration. Toutefois, certains articles permettent très
explicitement de comprendre leur vision de la Justice : le 6 novembre 1945 dans l'article
« Sept condamnations A MORT à la cour de Justice de l'Isère », on trouve la spécification
que des accusés font une demande de recours en grâce, ainsi le 8, un article s'élève
ouvertement contre ces demandes « Les Jurés de la Cour de Justice de l'Isère s'élèvent
contre les mesures de grâces ». Suite à cette prise de position, d'autres textes viennent
confirmer leur choix pour l'application des peines de mort prononcées, par exemple le 19
décembre 1945 « Après Catella, Sterki et Sahli eux aussi grâciés », le 11 janvier 1946
« Condamné à mort par la Cour de Justice de Savoir, Bianchi voit sa peine réduite à 10 ans
de travaux forcés ». Ainsi, la Cour de Justice de l'Isère est gravement opposée aux recours
en grâce, ce qui est soutenu par le Dauphiné Libéré. De plus, les condamnations à mort
sont souvent décidées par contumace50, et se transforment généralement en travaux forcés
lors du procès en présence de l'accusé.
Par ailleurs, le Dauphiné Libéré a des points communs avec l'opinion des
quotidiens nationaux. Un aspect le rapproche directement de l'Humanité, ils sont tout deux
outrés par les procès de résistants qui ont commis des crimes pour libérer la France, et
particulièrement ceux concernant des membres de Forces Françaises de l'intérieur, fondées
depuis le premier février 1944 sous le commandement de Koenig dans le but de regrouper
toutes les forces armées du territoire51. Cette vision de la Justice est clairement critiquée
chez les deux quotidiens, même si cela arrive bien plus tard dans la presse régionale: le 9
janvier 1945 pour l'Humanité52 et le 23 août 1946 pour le Dauphiné Libéré53. Ainsi, on voit
se rapprocher les communistes et les socialistes, même si ces derniers ne veulent aucune
entente officielle avec le PCF. Enfin, le point commun entre ces trois périodiques est la
présence répétée d'articles sur les procès des criminels de guerre. Ils nous rappellent que la
guerre était une guerre contre l'Allemagne, avant d'être une guerre franco-française.
49 Le Dauphiné Libéré, 15 novembre 1945 « Sterki chef de la Gestapo à Aix-les-Bains puis à Annecy est condamné à mort », 6 juin 1947 « Floreck l'un des chefs de la Gestapo de Grenoble sous les verrous ».50 Le Dauphiné Libéré, 20 novembre 1945 « Condamnation à mort par contumace à la cour de Justice de l'Isère », 4 décembre 1945 « La Cour de Justice prononce deux condamnations à mort par contumace », 9 mai 1946 « A la cour de Justice de Grenoble. Une peine de mort par contumace ».51 DURAND Yves, Histoire générale de la Deuxième guerre mondiale, Bruxelles, Complexe, 1997, p.13252 L'Humanité, 9 janvier 1945 « trois héros de la Libération devant la Justice ».53 Le Dauphiné Libéré, 23 août 1946 « Alerte aux Résistants ».
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L'esprit de la Résistance domine déjà sous cet aspect, les collaborateurs n'étaient qu'une
« poignée de misérable »54.
Au final, notre corpus de sources permet d'avoir des points de vue totalement
divers sur l'épuration. Les communistes représentant 205 323 adhérents en septembre 1944
et 785 292 en décembre 194555 soulignent donc une épuration ferme, violente et
impitoyable. Le Figaro, à l'inverse se rapproche d'une opinion modérée et suit l'Eglise
catholique dans sa condamnation de la peine de mort. Pour finir, le Dauphiné Libéré, en
donnant des exemples plus régionaux, souligne la volonté des français de voir les peines de
mort réellement appliquées, ce que confirme une enquête d'opinion faite à l'hiver 1944-
194556. Toutefois, l'épuration décrite ici est légale quelle est l'opinion de la presse sur
l'épuration tacite et quelle place les femmes y trouvent-elles ?
II. La dédramatisation de l'épuration sommaire par la presseL'épuration sommaire est un phénomène qui a touché les hommes comme les
femmes, bien avant la Libération et encore longtemps après. Dès 1943, le durcissement de
la lutte pousse certains résistants à l'action et les tentatives d'assassinats envers les
collaborateurs ou les Allemands s'accumulent57. L'épuration sommaire ne va pas toujours
jusqu'à l'assassinat, par exemple pour les femmes le châtiment privilégié est la tonte. Les
exécutions sommaires ont existé avant la Libération mais restèrent marginales, puis elles
ont explosé à la Libération. Selon Pierre Novick, « il y eut au moins quatre mille cinq cents
exécutions sommaires en France au cours des mois qui suivirent la Libération », avec des
répartitions géographiques diverses58. Beaucoup étaient sans doute innocents et auraient été
graciés par un jugement en règle. Toutefois, les Allemands étant partis, leurs complices
françaises encore présentes sur le sol subirent la violence refoulée depuis cinq années
d'Occupation, ce qui a engendré une plus grande indulgence dans les procès légaux les
années suivantes59. Après un rapide retour au calme, en mai 1945 l'épuration sommaire et
les tontes refirent leur apparition, suite aux mécontentements de la population de la Justice
française trop clémentes et face aux atrocités révélées par la libération des camps et le
54 BARUCH Marc Olivier [dir], Une poignée de misérables..., op. cit. 55 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.176-177.56 NOVICK Peter, L'épuration française... op.cit... p.265.57 Ibid. p.68.58 NOVICK Peter, L'épuration française... op.cit. p.126.59 Ibid, p.134.
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retour des déportées. Voyons comment tout cela fut retranscrit par la presse de la
Libération.
A/ Des articles extrêmement raresTout d'abord, les articles traitant des exécutions sommaires sont extrêmement
rares dans les quotidiens étudiés. En effet, l'Humanité ne mentionne aucun acte jugé
« sauvage »60 en matière d'épuration. Comme nous l'avons déjà vu, sous l'Occupation
l'Humanité clandestine a encouragé la publication de listes noires et les menaces envers les
traîtres, dont des femmes considérées comme trop proches de soldats allemands. Des
volontaires des Francs-Tireurs et Partisans Français avaient même signé un acte où ils
s'engageaient à punir de mort tous les délateurs mais également à considérer comme traître
toute personne qui s'opposerait à cela61. En 1944, de Gaulle, lui- même, fait interdire les
Milices Patriotiques sous prétexte qu'elles militaient pour les exécutions sommaires, ce qui
provoqua l'indignation du PCF62. Toutefois, à la Libération, le seul article de l'Humanité
mentionnant l'épuration sommaire date du 16 septembre 1944. Les rédacteurs y légitiment
ces actes et les erreurs commises par les commissions. A l'inverse, le Figaro déplore ces
exécutions. Ainsi, on retrouve leur vision respective de l'épuration. Le Figaro en effet
consacre une rubrique spéciale à « l'épuration sommaire »63, et donne des exemples
concrets. Deux de ces articles mentionnent directement des femmes, le 12 décembre 1944
« les époux Hendrich Renier, de Saint Martin en Coailleux, dont les fils auraient appartenu
à la Gestapo, ont été enlevé par des individus arrosés et tués à coups de mitraillettes »64, le
12 juin 1945 « A Moulins, des inconnus ont enlevé les époux Gaurut et les ont pendus. La
famille Gaurut était collaborationniste. L'un des fils condamné à mort par la Cour de
justice de Vichy, avait été fusillé »65. Les deux dates d'ailleurs sont très intéressantes et
viennent confirmer la chronologie de l'épuration sommaire (et donc des tontes) données
par Fabrice Virgili. Ces articles restent rares, et servent finalement plus à légitimer leur
point de vue sur l'épuration qu'à dénoncer la violence de la pratique. Par ailleurs, au niveau
de la presse régionale, le Dauphiné Libéré suit la mouvance nationale et ne mentionne
aucun acte d'exécution sommaire, néanmoins la région n'a certainement pas été délaissée
60 RIOUX Jean Pierre « L'épuration en France (1944-1945) » in L'Histoire, n°5 octobre 1978, p.1.61 NOVICK Peter, L'épuration française... op.cit. p. 69.62 KASPI André [dir], La libération de la France..., op. cit., p. 186.63 Le Figaro, 5 juin 1945 « Justice sommaire » dans lequel on peut lire « Nous espérions bien que cette rubrique étaient close à jamais. Les nouvelles qui nous parviennent malheureusement de deux départements nous obligent à la rouvrir ».64 Le Figaro, 12 décembre 1944 « les arrestations et l'épuration ».65 Le Figaro, 12 juin 1945 « les arrestations et l'épuration ».
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par le phénomène66. Les Allobroges, comme nous le verrons, semblent être les plus proches
de la réalité de ce que fut l'expression de la violence à la Libération envers les femmes.
Ainsi, c'est uniquement en septembre 194467 qu'on peut relever une dizaine d'articles sur
des tontes
Au final, les quotidiens semblent passer sous silence le phénomène des exécutions
sommaires, qu'elles concernent les hommes ou les femmes. Le Figaro est le seul à
employer réellement le terme mais il l'utilise plus à son profit, afin de dénoncer l'épuration
excessive, que pour exprimer la réalité de ce que furent ces actes. Les tontes, elles, ne sont
décrites que par les Allobroges, ce qui contraste avec l'Humanité pourtant idéologiquement
proche du PCF l'un et l'autre.
B/ Des accusations de collaboratrices démentiesLes exécutions sommaires sont majoritairement tues, mais les jugements
favorables envers des femmes soupçonnées reviennent. A la Libération les accusations se
sont accumulées, les dénonciations ont proliféré et ainsi, certaines suspicions se sont
finalement révélée fausses. Ces démenties sont soutenues avec enthousiasme par le
Figaro: « Mlle Suzy Solidor nous fait savoir qu'elle n'a jamais été arrêtée ni inquiétée
comme l'ont prétendu certaines affirmations. Mlle Suzy Solidor énumère, d'autre part, les
services qu'elle a rendus à la Résistance. Nous luis en donnons acte bien volontiers »68, « le
dossier de Charlotte Lysés artiste dramatique a été classé »69. A l'inverse, l'Humanité les
voit d'un très mauvais œil « Mme Bonny aurait tout ignoré des activité de son mari.
Comment se fait-il alors qu'elle ait été trouvée porteur au moment de son arrestation, d'un
coffret rempli de bijoux : montre en or sertie d'émeraudes, bracelet or et émeraudes, collier
de perles avec fermoir en platine, clips en platine orné de diamants, deux chevalières en or
etc... »70, « l'indulgence scandaleuse qui y couvre encore Mme Siaume, l'amie intime de
Laval et de ce trop fameux abbé Renaud, curé de Saint Jacques de Monceau et indicateur
de la Gestapo, qu'elle s'emploient actuellement à faire libérer »71. Encore une fois, les deux
quotidiens nationaux n'ont pas la même opinion sur les verdicts. Le Dauphiné Libéré,
comme nous l'avons vu, dénonce ouvertement les substitutions de peines de mort en
travaux forcés ou réclusions, ainsi, les démentis sont fortement contestés par le MLN. Par
66 «le cas du lynchage de trois travailleurs volontaires en Allemagne, dont deux femmes, à La Mure (Isère) le 27 mai 1945» in VIRGILI Fabrice La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p.207.67 Voir chapitre 1.68 Le Figaro, 8 septembre 1944 « Les arrestations et l'épuration ».69 Le Figaro, 8 février 1945 « les arrestations et l'épuration ».70L'Humanité, 13 septembre 1944 « La Gestapo française l'étrange destinée des frères Espeteguy, Bony confronté avec sa femme ».71 L'Humanité, 19 septembre 1944 « La pègre, le demi-monde, les trusts au service de la Gestapo ».
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exemple, le 7 janvier 1946 « Une Chambérienne [est] devant la Cour de Justice du
Rhône », elle se nomme Micheline Tournier, elle est accusée d'avoir dénoncé son père aux
Allemands, qui mourut à Mauthausen. Or malgré que celle-ci avoue ne rien regretter, la
Cour fut touchée et l'a placée sous la surveillance de bonnes sœurs jusqu'en août 1947, le
Dauphiné Libéré s'indigne de cette décision72. Toutefois, tous ces démentis démontrent
deux caractéristiques des mentalités de la société française de cette période. Tout d'abord,
les accusations ont foisonné mais n'étaient pas toujours fondées car les dénonciations par
jalousie ont été massives73. De plus, toute la société ne soutenait pas les jugements
excessifs et multiples, contrairement à ce que certifiait l'Humanité. En effet, une
prolifération trop excessive des accusés aurait souligné le fait que la France n'avait pas été
toute résistante et que les collaborateurs et Vichyssois avaient été bien plus nombreux
qu'on ne voulait le croire. En outre, les actes de résistance fondés et prouvés pouvaient
également contrecarrés des suspicions comme ce fut le cas pour Edith Piaf74.
C/ Les tondues : une réalité beaucoup plus rudeLa réalité de la violence excessive de la Libération pour les femmes furent les
tontes, deux fois plus nombreuses pour elles que les assassinats75. La « tondue » est la
femme rasée pour accusation de collaboration avec l'ennemi allemand. Elle est le symbole
de la participation du peuple aux châtiments des traîtres, tout en gardant le lien symbolique
de la violence à cette période d'interaction entre la guerre et la paix. En effet, les tontes
sont majoritairement pratiquées sur la place publique ou devant la préfecture de la ville.
Toute la population participe à la pénitence, hommes, femmes, enfants, vieillards, même si
le tondeur reste un homme, le plus souvent le coiffeur de la localité76. Les femmes tondues
pouvaient ensuite être promenées sur des chars et tatouées de croix gammées77. Les tontes
ne font pas l’unanimité de l'opinion, elles sont rejetées dès l'automne 1944. Toutefois leur
pratique se poursuit78 et resurgit même massivement en mai 1945, comme nous l'avons
déjà évoqué. Ce rejet est ressenti dans la presse. Aucun article du Figaro ou de l'Humanité
pour la période traitée n'évoque directement cette pratique. Les tontes par contre sont
72 Le Dauphiné Libéré, 7 janvier 1946 « Une Chambérienne devant la Cour de Justice du Rhône », édition de Chambéry.73 Voir chapitre 8.74 Le Dauphiné Libéré, 6 décembre 1945 « Epuration chez les artistes » dans lequel on peut lire que Edith Piaf fut « acquittée et félicitée », elle était accusée de collaboration pour avoir poursuivi son travail de chanteuse jusqu'en Allemagne, toutefois il fut prouvée qu'elle aidait en réalité la Résistance lors de ses voyages.75 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p.78.76 Ibid, p.7.77 Film « la Libération de Paris 18-25 août 1944 », Mairie de Paris, Gaumont Pathé archives. 78 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p.11.
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retranscrites dans la presse régionale au lendemain de la Libération mais rapidement ces
articles s'estompent. Cet attrait de la presse régionale pour de tels actes s'explique par le
fait que les tondues étaient victimes généralement de dénonciation par les voisins, ce qui
signifie que les tontes s'effectuaient localement et qu'un grand nombre de lecteurs pouvait
même connaître la tondue. Ainsi, les Allobroges d'août à septembre 1944 est le seul
quotidien étudié où il est mention à plusieurs reprises des tontes. Ces articles font partie
des rares sources dont on dispose à ce sujet (puisque les tondues n'ont que très rarement
témoigné ou laissé des écrits) et permettent même d'avoir des représentations
photographiques de ces femmes79. Tout au long de septembre 1944, les mentions de tontes
reviennent. Cependant, la presse n'use jamais de termes trop injurieux envers elles,
(contrairement aux procès de gendarmerie80), même si un vocabulaire péjoratif est employé
à leur égard comme « garces »81, « méprisable fille »82 ou encore le plus souvent « petite
tondue »83. Cette dernière expression connote l'idée de la jeunesse de ces femmes, ce que
l'on peut aisément assimiler aux connotations sexuelles que reflète la tonte, connotation
communément nommée par les historiens comme « la collaboration horizontale ». Ainsi,
même si les femmes ne sont pas toutes tondues directement pour des actes sexuels avec
l'ennemi, la tonte sous entend un lien sexuel. On peut donc supposer que selon la majorité
des Français à la Libération, les délations se faisaient sur l'oreiller84. En effet, cette idée est
très présente dans les quelques articles dont nous disposons : « la lyonnaise H.C. 25 ans
habitant avec la précédente. La fille C. était la maîtresse de l’un des agents les plus cruel de
la gestapo de Lyon. J.K. qui connaissait particulièrement la langue des nazis fut employée
comme indicatrice »85, « une enquête établira comment « la petite tondue » usa de ses
relations intimes avec l'un de nos plus odieux oppresseurs pour faire envoyer nombre de
nos compatriotes en Allemagne »86. Cette connotation sexuelle de la tondue les associe
rapidement à des prostituées, « commerce de galanterie- avec les Allemands »87 .
Néanmoins, la tonte des prostituées étant d'ailleurs pratiquées depuis le XVIIIème siècle, 79 Les Allobroge, 24 août 1944 , légende de la photo : « En représentation hier après midi devant la porte de la prison St Joseph, on fit admirer aux Grenoblois l’esthétique de la nouvelle ondulation en faveur dans le haut état major de la Wehrmacht, au service de laquelle elles avaient mis leurs charmes et leurs activités ».80 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p.238.81 Les Allobroges, 5 septembre 1944 « Mais cette répugnance et cette volonté de porter le fer, et pas seulement la tondeuse, dans ce que l’on pourrait appeler la grande trahison des garces » in « Allo ! ... Ici les Allos », voir annexe D1.82 Les Allobroges, 5 septembre 1944 «Une belle brochette de traîtres est mise sous les verrous ».83 Les Allobroges, 6 septembre 1944, 13 septembre 1944, 14 septembre 1944 voir annexe D2, et 21 septembre 1944.84 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p.200.85 Les Allobroges, 13 septembre 1944 «Untel est arrêté ainsi que deux petites “tondues” ».86 Les Allobroges, 21 septembre 1944 «Arrestation d'une petite tondue ».87 Les Allobroges, 6 septembre 1944.
31
celles-ci sont généralement épargnée des représailles d'après-guerre88. Culturellement la
tonte est donc une honte et les femmes font tout pour le cacher. Les tondues se cachaient,
ou se débrouillaient pour dissimuler leur châtiment sous des perruques ou des foulards89, ce
qui parfois leur est d'ailleurs interdit comme à Angoulème90. Toutefois, malgré leur
humiliation, elles ne sont pas oubliées de la Justice Ainsi, beaucoup ont choisi de fuire,
mais un grand nombre d'entre elles ont dû se justifier devant lors d'un procès Au printemps
1945, le phénomène refait surface et les Allobroges font à nouveau plusieurs fois mention
du phénomène comme le souligne l'article du 11 mai « Trois fausses déportées mises à mal
par la population » où trois jeunes femmes reconnues comme collaboratrices lors du bal de
la Libération furent « malmenées par la foule et passées à la tondeuse. Puis traînées au
Commissariat de police ». Cet extrait nous montre encore une fois que les tondues doivent
subirent outre cette humiliation, le verdict de la Justice française.
Donc, statistiquement l'épuration sommaire est délaissée par la presse. Seule, la
presse régionale fait référence à des exemples concrets de tontes et donne des informations
sur leurs déroulements. Le peu d'articles trouvés nous permet tout de même de comprendre
que les femmes, contrairement aux hommes, souffrent donc d'une double peine : la tonte et
l'internement (voire la peine de mort) suite à leur procès91.
III. Les arrestations et les jugements de femmesL'humiliation des tontes et la violence des épurations sommaires n'ont donc pas
permis aux femmes de se soustraire à la Justice (même si toutes les femmes tondues n'ont
pas été jugées et inversement). Selon les chiffres donnés par Fabrice Virgili « 18 572
femmes auraient été sanctionnées par les cours de justice et les chambres civiques, soit
26% de l'ensemble de la population sanctionnée » alors qu'en dehors des circonstances de
guerre les femmes représentent uniquement 10% de la population réprimée92. Comme nous
l'avons vu, la collaboration est objet que l'histoire a parfois délaissé toutefois à la
Libération, elle est au cœur de l'actualité. Les femmes ne sont pas épargnées par cette
actualité comme nous le montre le graphique suivant sur le nombre de sujets relevant de
collaboratrices dans les divers quotidiens. Ces sujets mentionnent soit leurs arrestations, les
88 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p. 41.89 Les Allobroges, 14 septembre 1944 « Quand la petite tondue se refait une beauté » Annexe D2.90 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p. 250.91 «La France virile » intervention de Fabrice Virgile le 30 mars 2012 à Grenoble.92 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit, p.23.
32
verdicts de leurs jugements, ou bien elles ne sont citées qu'en exemples ou en tant que
complices.
Ces chiffres93 soulignent d'ores et déjà quelques différences entre les journaux, ainsi que
des évolutions temporelles. En effet, on peut remarquer que les sujets traitant de
collaboration reviennent le plus souvent en septembre 1944, c'est à dire au lendemain de la
Libération de Paris, et d'une majeure partie de la France. Ensuite, ils ont globalement
tendance à diminuer. Néanmoins au printemps 1945, la nouvelle recrudescence des tontes
et des épurations sommaires que nous avons vu ne se reflète pas dans l'épuration légale, ce
qui est d'ailleurs une des explications de ce renouveau. Les chiffres nous montrent une
certaine cohésion entre l'Humanité et le Figaro dans l'importance de ce sujet jusqu'au
printemps 1945. A partir de là l'écart se creuse considérablement. En réalité, c'est
l'Humanité qui délaisse le sujet comme nous le montre l'importance du thème dans le
Dauphiné Libéré. Entre septembre 1945 et le 21 janvier 1946, l'Humanité ne fait référence
que cinq fois à des femmes collaboratrices, tandis que le thème revient vingt-huit fois dans
le Figaro et quarante fois dans le Dauphiné Libéré. Ce constat peut paraître paradoxal
lorsque l'on sait les visions respectives de l'épuration pour ces journaux94. Deux hypothèses
peuvent être avancées pour expliquer cette attitude de l'Humanité. Tout d'abord, notons que
dès janvier 1945, dans l'Humanité, le nombre d'articles critiques sur les femmes
collaboratrices diminue nettement. Il est donc possible que les rédacteurs communistes, à
l'approche des élections, aient choisi de présenter une image plus élogieuse des femmes
ayant récemment acquis le droit de vote95. Une autre explication possible est liée à la
93 Voir tableau annexe A1.94 Voir chapitre 1.95 Voir chapitre 9.
Figure 1: Nombre d'articles sur les collaboratrices selon les quotidiens
Août-44 Fév-45 Août-45 Sondage 1946Nov-44 Mai-45 Nov-45
0
5
10
15
20
Le Figaro
Le Dauphiné Libéré
L'Humanité
33
discorde entre le PCF et de Gaulle qui se dévoile dès mai 1945 dans la presse. Affirmer
que l'épuration et les condamnations sont parfaitement organisées et appliquées serait
suivent un soutien à la politique gaulliste, ce qui dans le contexte des élections serait
néfaste aux communistes. Au final, les deux hypothèses se rejoignent et tendent à
expliquer le silence plus important de l'Humanité sur la collaboration féminine par un
choix politique. Suite à ces premiers constats voyons quelle image plus précise la presse
dessine des collaboratrices françaises au lendemain de la Libération.
A/ Les femmes les premières compromises dans les dénonciations« Ceux que l'on haïssait le plus étaient les mouchards »96, cette citation de Peter
Novick reflète parfaitement l'esprit de la Libération. Les dénonciations pourtant ne
représentent que 6,5% des faits de collaboration dont sont accusées les femmes tondues97,
mais une forte proportion des femmes condamnées. En effet, la presse nationale comme la
presse régionale reflètent très bien cette importance lors des mentions de procès ou
d'arrestations98.
D'après la presse, la délation est donc un crime majoritairement féminin qui
revient cinquante deux fois pour elles dans le dépouillement global, auquel on peut rajouter
trois articles des Allobroges. Le stéréotype de la femme inconsciente et bavarde domine
encore les mentalités. De plus, certaines auraient aidées les Allemands pensant faire rentrer
leur époux, prisonniers de guerre ou requis pour le travail, plus rapidement. Cependant, ces
critères relativisant ne sont aucunement pris en compte dans la presse, ni dans les 96 NOVICK Peter, L'épuration française... op. cit. , p.72.97 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit, p.23.98 25% des faits de collaboration dans le Figaro, 28,79% dans l'Humanité et 15,91% dans le Dauphiné Libéré, voir Annexe, graphiques pour chaque quotidien.
Figure 2: Les collaboratrices dans la presse
23,85%
5,50%
22,02%0,92%5,96%
10,55%
14,68%
16,51% Dénonciation Artistes
Intelligence avec l'ennemi ou travail au service des Allemands
Volontaire STO
Relation intime avec un ou des Allemands
Relation intime avec un ou des collaborateurs français
Grand procès Non renseigné
34
jugements. Ainsi, les délateurs, qu'ils soient hommes ou femmes sont fortement
condamnés, souvent jusqu'à la peine de mort. Dans les articles recensés, on peut
comptabiliser dix huit femmes condamnées à la peine capitale pour délation sans qu'aucune
grâce ne soit mentionnée (ce qui ne veut pas forcément dire qu'elles n'ont pas eu lieu). La
délation semble être pour les lecteurs de la presse quotidienne un symbole des
collaboratrices et la mort semble être la peine requise par la majorité de la population pour
ce fait. En effet, même le Figaro soutient ces jugements, comme le montre ces deux
exemples pris au hasard à environ un an d'intervalle « la femme Yvonne Davaine, dont
nous avons signalé hier la condamnation à mort par la martiale de Nice, a été fusillée »99,
« Une infirmière Marcelle Chabriat avait dénoncé à la Gestapo de nombreux résistants
ainsi que plusieurs de ses voisins qui écoutaient la BBC. La Cour de Justice l'a condamnée
à mort »100. La seconde peine appliquée régulièrement pour ces délatrices est celle des
travaux forcés, mentionnés pour seize femmes dans notre corpus.
De plus, une autre catégorie de femmes collaboratrices est mentionnée, ce sont les
artistes. En effet, un comité national d'épuration des artistes, peintre, dessinateurs,
sculpteurs et graveurs est crée avec le droit de leur interdire toute production artistique101.
Ainsi, les vedettes de spectacle subissent également cette épuration, souvent accusées
d'ailleurs, outre de ne pas avoir cessé leur profession sous l'Occupation, d'avoir été des
indicatrices102. Cette Commission a prononcé cent quarante sanctions103. Tous les journaux
ne s'intéressent pas en priorité à cela. Toutefois, il est important de noter que le Figaro,
étant un grand journal littéraire et se référant souvent aux mondes des arts, s'y attache plus
particulièrement même si les articles ne sont pas toujours avantageux pour l'image du
monde artistique et peuvent même être assez sarcastique : « Sont révoqués : (…) Mlle
Solange Schwarz, danseuse étoile de l'Opéra, est suspendue sans traitement pour une durée
de sept mois à compter du 1er janvier 1945 »104, « Artiste bien connue du music-hall, Léo
Marjane se produisit beaucoup durant l'occupation. Elle chanta dans divers cabarets mais
aussi à un gala de la LVF qui eut lieu à Versailles. Elle s'en expliquait hier, devant la
Chambre civique de la Cour de Justice en allant à Versailles, elle ne sait point qu'il
s'agissait d'une manifestation de la Légion ; quant aux Allemands qui fréquentaient certains
99 Le Figaro, 20 octobre 1944 «Les arrestations et l'épuration ».100 Le Figaro, 13 octobre 1944 « L'épuration ».101 Kaspi André [dir], La libération de la France..., op. cit...., p.221.102 Figaro, 7 juin 1946 « la cantatrice Germaine Lubin, inculpée de dénonciations » in «L'épuration ».103 Ibid, p. 222.104 Le Figaro, 3 mai 1945 « L'épuration ».
35
cabarets, elle ne les voyait pas, en raison de sa forte myopie... »105. Ainsi, ces extraits
pourraient être des critiques indirectes aux attaques faites au monde des Lettres jugés trop
peu épuré106 , cependant, ils ne présentent nullement les artistes comme coupables de
collaboration étant donné que deux femmes seulement sont suspendues provisoirement de
leur métier et que les peines des autres ne sont même pas mentionnées.
Enfin, comme on peut le lire sur le graphique précédent, les femmes accusées d'
« intelligence avec l'ennemi » ou d'avoir travaillé à leur service sont également
nombreuses. Attention, parfois une femme peut être soupçonnée de dénonciation puis
condamnée pour un autre méfait107. Dans cette catégorie nous avons donc regroupé un
large éventail d'accusations, regroupant au total quarante huit articles. Tout d'abord, ces
femmes au service des Allemands sont présentées comme des secrétaires ou
dactylographes telles que Odette Maccal108 ou Suzanne Bouquerot109 en septembre 1944.
Elles jouent également un rôle plus important dans les services allemands, ce que le
Figaro ne cherche pas à cacher : « Carmen Pinet, directrice du bureau de liaison franco-
allemand pour des commandes de peinture »110, « ont été arrêtés […] Elise Dugot qui
travailla pour la Gestapo »111, mais l'Humanité non plus comme le souligne par exemple
l'importance accordée au procès de l'avocate Juliette Goublet, « l'ordre des avocats n'avait
pas attendu sa condamnation pour radier du barreau la matrone névrosée qui comparaissait
avant-hier et hier devant la Cour de justice. Juliette Goublet du Tiers-Ordre de Saint
François d'Assise auteur de romans pornographiques, entra dans la voie de la
collaboration à «La France au Travail ». Elle fut ensuite déléguée à la propagande des
« Jeunes de l'Europe nouvelle » se prêta à un certains nombre de provocation policières
« eut des histoires » avec un Lebèque, avocat général de cour spéciale et partit à grand
tapage travailler dans une usine métallurgique de Brosiau. »112. En effet, d'après les
dernières études sur la question, le quart des adhérents d'associations collaborationnistes
105Figaro 5 décembre 1945 « L'épuration ».106 NOVICK Peter, L'épuration française... op. cit., p. 192.107 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit, p.24108 Figaro,19 septembre 1944 « Odette Maccal, secrétaire à Radio-Paris » in « Les arrestations et l'épuration ».109 L'Humanité, 24 et 25 septembre 1944 « Suzanne Bouquerot devint rapidement sa secrétaire, puis fondée de pouvoir elle organisa un service spécial 104 avenue des Champs Elysées, à la tête duquel elle plaça l'ancien cagoulard Jacques Corrèze » in « Avec un personnel de tarés la Gestapo française prétendait défendre la civilisation ».110 Le Figaro, 9 et 10 octobre 1944 « arrestations et épuration ».111 Le Figaro, 6 janvier 1945 « L' épuration ».112 L'Humanité, 28 mars 1945 « En cours de Justice, l'ex-avocate Juliette Goubler s'en tire avec cinq ans de bagne ».
36
aurait été des femmes, en outre, elles auraient représenté 15% de la Milice française113. Au
final, ces accusations concluent dans la presse à neuf condamnations à mort, sept peines de
prison, cinq dégradations nationales à vie, une dégradation nationale temporaire114, sept
peines de travaux forcés et deux amendes. Quelques femmes sont condamnées pour
plusieurs méfaits il s'agit principalement de celles que Fabrice Virgili qualifie de
« pronazie » ou de« 100% nazis »115. Ainsi on peut remarquer que les actes de
collaboration que l'on pourrait qualifier de plus courants chez les hommes ( dans le travail,
les groupes collaborationnistes...) existent parmi les femmes mais semblent moins
répréhensible que les délations, pour celles-ci. Par ailleurs, comme l'a souligné l'exemple
de Juliette Goublet, les accusations concernant les femmes sont souvent jumelées, voir
uniquement associés, à des relations intimes avec les Allemands ou des collaborateurs.
B/ Condamnation des relations intimes avec les AllemandsAucun texte législatif n'a été ratifié pour condamner les actes sexuels avec
l'ennemi116. Pourtant cette accusation revient dans 42% des procès de femmes117, s'afficher
avec un Allemand était une preuve de culpabilité. A la Libération ces souvenirs n'étaient
pas effacés, et ils ont favorisé les dénonciations des femmes. Ainsi, dans la presse de la
Libération on spécifie dès qu'une femme, soupçonnée pour dénonciation ou autre, avait en
outre des relations intimes avec un ou plusieurs Allemands. Par exemple, Suzanne
Bouquerot que nous avons déjà cité comme secrétaire à leur service a aussi été accusée de
collaboration sexuelle afin de se payer de la morphine : « elle fréquenta les maisons closes
d'officiers nazis y connut le Hollandais Bosch(..) qu'Hitler avait nommé Allemand
d'honneur, et qui n'était rien moins que le chef général de l'espionnage pour toute la
France, sous les ordres directs de Himmler »118. Généralement, les relations
« professionnelles » des prostituées furent pardonnées, toutefois, les femmes choisissant
volontairement ce mode de vie, comme Suzanne Bouquerot, sont considérées comme de
véritable traites à leur Patrie. La France qui se serait couchée devant l'Allemagne est une
image tellement déshonorante qu'on ne peut l'accepter. Cependant, la presse ne fait
quasiment aucune mention des peines envers ces femmes. Sur les douze articles trouvés
113 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes dans la France en guerre, 1914-1945, Paris, Payot, 2003, p.97.114 Les Allobroges, 24 avril 1945 « Marianne Parizot, de Béziers, 26 ans, fut milicienne à Grenoble. Un an de prison, 20 ans de dégradation nationale» in « Cour de Justice de l'Isère ».115 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit, p. 47.116 Ibid, p.36.117 Ibid, p. 28.118 L'Humanité, 24 et 25 septembre 1944 « Avec un personnel de tarés la Gestapo française prétendait défendre la civilisation ».
37
dans l'ensemble du corpus119, une seule peine de mort est déclarée, on la trouve dans le
Dauphiné Libéré :
« Léone-Claude Paris, femme de mœurs légères qui eut des relations suivis avec les Allemands, a été condamnée ce soir à la peine de mort et à la confiscation de ses biens »120.
Ensuite, on peut relever une peine de prison121, une dégradation nationale à vie associée à
une peine de travaux forcés122, mais dans aucun cas ces condamnations ne sont
mentionnées dans la presse nationale. On note ainsi encore un paradoxe entre la violence
que ces accusations ont crée dans les actes de tontes, et l'indulgence qui ressort ensuite
dans les jugements légaux. Evidemment, les articles ne les présentent pas comme « non
coupable », mais aucun vocabulaire violent n'est employé à leur égard et donc aucune
peine légitime ne semble s'appliquer réellement, outre celle mentionnée régionalement.
A l'inverse, les articles se référant aux femmes de collaborateurs sont nombreux :
dix articles dans l'Humanité, onze dans le Figaro, deux dans les Allobroges et trois dans
le Dauphiné Libéré. On note ici que les proportions s'inversent, ces relations sont plus
marquées dans la presse nationale. En effet, à la Libération, les Français estimaient que la
vie martiale était synonyme de complicité123 : « Mme Bony a été maintenue en état
d'arrestation ainsi que son fils âgé de 20 ans »124, « Mme Jacques Doriot a subi un nouvel
interrogatoire à Nice, en présence de ses deux filles»125, « travaux forcés à perpétuité, à la
confiscation de ses biens, à la dégradation nationale à vie . Sa femme à vingt ans de la
même peine »126. Ainsi, même si elles ne sont pas directement les fautives, être femme de
collaborateur est une preuve de complicité car une épouse ne pouvait pas fermer
entièrement les yeux sur les activités de son mari. De plus les maîtresses sont victimes des
mêmes accusations, voir parfois sont encore plus dénigrées :
119 Trois articles dans le Figaro, quatre articles dans l'Humanité, deux dans les Allobroges et trois dans le Dauphiné.120 Le Dauphiné Libéré, 10 novembre 1945 « A la Cour de Justice de Lyon ».121Le Dauphiné Libéré, 7 janvier 1946 «Une Chambérienne devant la Cour de Justice du Rhône » (édition de Chambéry).122 Les Allobroges, 24 avril 1945 « Rose Argoud, femme Tonyton, 25ans de Chanas, se livrait à la prostitution avec les Allemands et profita de ses relations pour dénoncer à ceux-ci son ancien amant ainsi que deux autres patriotes. Quinze ans de travaux forcés et dégradation nationale à vie. » in « Cours de Justice de l'Isère ».123 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit, p.49.124 Le Figaro, le 12 septembre 1944 « 43 personnes inculpées dans l'affaire Bony-Lafont sont actuellement sous les verrous ».125 Le Figaro, le 7 et 8 octobre 1945.126 Le Dauphiné Libéré, le 27 octobre 1945 « Le docteur Baret est condamné aux Travaux forcé à perpétuité », sous titre : « Sa femme à 20 ans de la même peine ».
38
« c'est la marquise d'Abrantès, maîtresse de Lafont et de son lieutenant Eddy, qui sous couleur de mener les policiers à son appartement, les conduisit à un repaire boche où ils furent accueillis à coups de mitraillette »127.
Au final, ces accusations sont tout de même assez faiblement punies d'après la presse, ce
qui n'est pas forcément synonyme de la réalité des verdicts. Deux femmes sont
condamnées à mort, deux autres subissent une peine de prison, dont une la dégradation
nationale en plus, et enfin deux femmes sont condamnées aux travaux forcés. Ce qui est
tout de même intéressant à noter est qu'aucune de ces condamnations n'est citée dans
l'Humanité alors qu'elles sont prononcés avant le printemps 1945 et donc avant le déclin du
nombre de ces articles. D'ailleurs, cette chronologie souligne la diminution de la sévérité
des peines avec le temps128. Une explication peut être avancée pour cette nouvelle
différence entre les deux journaux nationaux, les communistes souhaitent valoriser l'image
de la femme, contrairement aux Figaro, plus proche du monde catholique où l'image de la
femme fautive est présente depuis toujours par l'image du péché originel. Il est donc plus
facile pour les Français conservateurs de présenter les accusations et les condamnation des
femmes que pour les Français qui se veulent modernes et encouragent l'émancipation
féminine.
C/ Quelques grands procès de femmesLes accusées que nous avons vu jusqu'à présent ne sont pas présentées dans de
grands procès tels que furent ceux des responsables politiques vichyssois ou ceux des
hommes gradés de la Gestapo. Toutefois, quelques femmes eurent elles aussi leur procès
retracés sur plusieurs jours ou encore leur photo en une. Les dénonciatrices étant les
premières accusées, deux grands noms marquèrent la presse : Mme Bernardi et la comtesse
Tchernitcheff. Toute deux eurent leur photo à la une de l'Humanité129. Ainsi, on comprend
mieux la vision de la collaboration féminine pour ce quotidien, non pas qu'il délaisse
totalement les collaboratrices, il consacre plutôt des articles à quelques grands noms
symboliques, renforçant alors l'image qu'une minorité de femmes ont collaboré mais par
ces exemples frappant, il ne nie pas leur existence. D'ailleurs, l'Humanité prône encore la
violence des châtiments pour ces femmes :
« Pourtant le tribunal n'a condamné l'accusée qu'à deux ans de prison, 200 000 francs d'amende et la confiscation du tiers de ses viens»130.
127 L'Humanité, 19 septembre 1944 « La pègre, le demi-monde, les trusts, au service de la Gestapo ».128 KASPI André [dir], La libération de la France..., op. cit....,p.209.129 L'Humanité, 23 novembre 1945 « La dénonciatrice du justicier d'Henriot avait touché un million. Elle répond de son crime » et 6 juin 1947 « Ex-épouse d'Henry Garat. L'arrogante comtesse était aussi indicatrice de la Gestapo », voir annexe B45.130 Ibid.
39
D'autres grands noms de collaboratrices ont marqué les esprits à la Libération, sans pour
autant que l'image de la femme grande dénonciatrice ne domine leur procès. Tout d'abord,
Violette Mauris dès septembre 1944, dont l'exécution par des patriotes n'est même pas
critiquée par le Figaro.
«… et l'on évoque Violette Morris femme-lutteur et agents de la Gestapo […] femme-lutteuse habillée en homme [...] exécutée voici trois mois par des patriotes [...] cette affreuse mégère qui livra à la Gestapo des centaines de résistants »131.
En outre, trois grands noms sont synonymes des grandes collaboratrices : Marie Louise
Neuville, Cécile Sorel et Corinne Luchaire. La première est la chef d'un groupe de
collaborateurs encore en activité en juillet 1945. Elle est accusée d'avoir voulu organiser un
attentat anticommuniste, ainsi l'Humanité consacre de long article à cette dernière132, mais
le Figaro la cite également133. L'attrait pour cette affaire est donc politique pour l'Humanité
et lui permet de critiquer les attaques anticommunistes et encore une fois les actions de la
Ve colonne. Les deux autres femmes sont les plus connues et celles souvent retenues par
l'historiographie134. Toutefois, dans le corpus étudié, la peine de Cécile Sorel n'est pas
mentionnée, au contraire cette dernière est même déculpabilisée dans le Figaro avec la
parution d'une lettre de démenti sur ses actions. A l'inverse, Corrinne Luchaire est dans les
gros titres de l'Humanité, du Figaro et du Dauphiné Libéré. L'Humanité reste le plus
virulent et s'indigne envers ses activités et la clémence de sa peine : « Seulement 10 années
d'indignité nationale à Corinne Luchaire »135. Le Dauphiné Libéré tout en condamnant la
collaboration de cette femme cherche à relativiser son action personnelle « ne sait même
pas se défendre, et qui surtout a subi l'influence paternelle »136 , et le Figaro reste encore le
plus mitigé « en raison de l'état de santé de Corinne Luchaire détenus depuis quelques
temps à la prison de de Fresnes, a été mise en liberté provisoire »137. La clémence de ces
131 Le Figaro, 20 septembre 1944 « L'affaire Bony-Lafont La Terreur fait une entrée discrète ».132 L'Humanité, 26 juillet 1945 « Attentats par explosifs ! Actions anticommunistes », 27 juillet 1945 « Socialisme de contrebande et terrorisme La comtesse était résistante... à sa façon », 29 juillet 1945 « A propos de la comtesse cagoularde Marie-Louise de Neuville », 31 juillet 1945 « Pour qui travaillait la comtesse de Neuville ? », 9 janvier 1946 « Une de plus ! Antisémite, faussaire de chef de bande La comtesse de Neuville est relâchée ! ». 133 Le Figaro, 26 juillet 1945 « Onze membres d'un groupe, sous la direction de Marie-Louise de Neuville, qui se proposaient de se livrer à Paris, à des attentats par explosifs et à des manifestations anticommunistes et antisémitiques, ont été déférés au Parquet »in « L'épuration ».134 « [Cécile Sorel] dégradation nationale pour avoir sollicité en cadeau l'appartement d'une famille juive » in KASPI André [dir], La libération de la France..., op. cit....,p. 222 ; « Cécile Sorel fut déclarée indigne pour avoir sollicité en cadeau un appartement confisqué à un Juif ; l'actrice de cinéma Corinne Luchaire (la fille de Jean) qui avait eu un enfant illégitime d'un officier allemand, subit le même sort» in NOVICK Peter, L'épuration française... op.cit, p. 222.135 L'Humanité, 5 juin 1946 « Dix années d'indignité nationale à Corinne Luchaire ».136 Le Dauphiné Libéré , 5 juin 1946 « Corinne Luchaire reconnaît ne s'être pas conduite avec les Allemands comme elle l'aurait dû ! ».137 Le Figaro 7 et 8 octobre 1945 « L'épuration ».
40
deux derniers est tout même justifiée à chaque fois par l'état de santé critique dont elle est
victime au moment de son procès. Elle reste donc l'image la plus mise en avant de la
collaboratrice, avec un total de sept articles sur elle dans le corpus. En outre des femmes
sont également citées dans les grands procès majoritairement masculin, comme Marthe
Noble dans le procès de la Gestapo de l'avenue Foch en mars 1945138.
Par ailleurs, le Dauphiné Libéré consacre des articles aux grandes collaboratrices
régionales. En effet, il fait mention de Corinne Luchaire, toutefois, comme nous l'avons vu
les procès auxquels se consacre le quotidien sont généralement des procès régionaux, il en
va donc de même pour les grandes collaboratrices mentionnées. On peut ainsi citer par
exemple la Comtesse Edith Amblard139. Néanmoins, l'image marquante des esprits de la
Libération, dans la région, est Mireille de Provence. En effet, cinq grands articles lui sont
consacrés entre le 29 septembre 1945 et le 10 novembre 1945 dans le Dauphiné Libéré.
Espionne dans le Vercors causant la mort de trente patriotes et maîtresse du grand ennemi
Elach, elle est l'ennemie féminin par excellence. Elle est donc condamnée à mort mais sa
peine est commuée aux travaux forcés, ce qui semble provoquer l'indignation des
Dauphinois140. Le spécialiste des mentalités à Grenoble sur cette période, Philippe Barrière,
a souligné que cette indulgence envers les collaboratrices, tout particulièrement envers
Mireille de Provence, a été vécue par les Grenoblois comme un obstacle à leur deuil
mémoriel 141
On peut conclure ce chapitre en disant que la participation des femmes à la
collaboration n'a pu échapper à la population française. L'esprit de chaque quotidien
permet de voir la globalité des points de vue sur les spécificités féminines des formes de
collaboration. Les tontes sont peu évoquées dans la presse mais les allusions aux procès
des femmes eux sont tout de même nombreux. Souvent les mentions des arrestations sont
complétées par l'adresse de l'accusée, mais l'information concernant les verdicts des
jugements sont beaucoup plus rares. La presse de la Libération reflète donc l'image de la
138 L'Humanité, 6, 7, 8, 11 et 12 mars 1945, Le Figaro 11 et 12 mars 1945.139 Le Dauphiné Libéré, 22 septembre 1945 « La Comtesse est arrêtée ainsi que son mari, dangereux espion, et ses complices ».140 Le Dauphiné Libéré 10 novembre 1945 « Mireille de Provence graciée » (dans l'édition de Grenoble, de le Tour du Pain, de Chambéry et d'Annecy).141 BARRIERE Philippe, Grenoble à la Libération (1944-1945) Opinion publique et imaginaire social, L'Harmattan, décembre 1995, p.47 et 48.
41
collaboration au féminin mais ce n'est pas la seule représentation de l'engagement des
Françaises qui est décelable.
42
Chapitre 2- Les résistantes françaises entre oubli et héroïsme
« On ne demande pas à la jeune fille qui risquait sa vie dans une liaison
dangereuse si elle était chrétienne ou communiste. On savait qu'on travaillait avec elle pour
une même cause : la délivrance du pays, la restauration de sa grandeur »142, voilà ce qu'écrit
Elisabeth Terrnoire en 1946. Mais est-ce-que la presse de la Libération a présenté le même
point de vue, les opinions politiques et idéologiques n'ont-ils jamais pris d'importance ?
A la Libération, la Charte Nationale de la Résistance devait diriger le nouvel ordre
social, mais très vite des discordes entre gaullistes et communistes sont apparues, en
particulier par l'aspect pluriel de la Résistance. En effet, concilier la Résistance Intérieure
avec la Résistance Extérieure ne fut pas une mince affaire, même si les contacts entre les
deux existaient déjà pendant l'Occupation143. Par ailleurs, la France avait un besoin
irrépressible de réaffirmer la puissance de sa société masculine, puisque les soldats sont les
vaincus, les antihéros responsables de la défaite144, alors que les femmes ont dû s'occuper
seules du quotidien de leur famille pendant leur absence145. D'ailleurs, les premières
invitations à la Résistance étaient purement masculines et prônaient l'union sans clivage
politique de tous les soldats et les travailleurs français. La France combattante devait
représenter la France virile et « debout »146, comme le souligne les premiers discours de de
Gaulle : « Soldats de France où que vous soyez, debout ! »147, auxquels se sont
progressivement ajoutés les appels aux civils, puis directement aux femmes. Maurice
Schumann, porte parole de la France libre a confirmé ces évolutions dans ses discours :
« Vous savez combien l'ennemi craint votre influence, soyez donc actives ! »148. Il y a alors
un contraste entre la volonté de viriliser la France et l'appel au soutien des femmes. Ce
paradoxe a-t-il fait évoluer les mentalités sur l'image de la femme en tant que résistante ?
Ou bien la « France virile » de la Libération a-t-elle totalement délaissée cette participation
féminine à la Guerre ?
142 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre. Histoire des femmes dans la Résistance , Paris, Albin Michel, 1996, p.110, extrait de Elisabeth Terrenoire Combattantes sans uniforme 1946.143 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p. 21.144 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.546.145 Voir chapitre 8.146 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.87.147 Ibid, p.88.148 Ibid, p.89.
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I. Oubli des résistantes dans la presse de la Libération ? L'imaginaire français fait de la défaite et de la collaboration des attitudes de
soumission qui contrastent avec la virilisation de la Libération149. Comme nous l'avons vu,
les tontes ont été une première exposition de la domination des hommes, toutefois, une
autre image va rapidement s'imposer dans la presse : un résistancialisme au masculin, la
représentation du résistant soldat domine. A la Libération, les esprits sont encore marqués
par les tracts distribués sous l'Occupation et les émissions de la BBC qui sont à l'origine
d'un grand nombre d'entrées dans la Résistance. C'est ce que confirme la belle phrase de
Claude Levy : « Londres et, plus tard, Alger avaient gagné la « guerre des ondes » avant
celle des armes »150. La Résistance est donc ancrée dans la mémoire française dès la
Libération, cependant, en tant qu'homme combattant, c'est la figure du FFI qui domine les
représentations de cet acte d’héroïsme dans les années d'après guerre. Comment les
femmes qui ont participé à la Résistance trouvent-t-elles alors leur place dans la presse de
la Libération?
A) Un sujet discret dans le FigaroAu premier abord, le Figaro insiste, dans plusieurs articles, sur la figure cléricale
du résistant. En effet, le Vatican, terni par son silence face au fascisme et au nazisme, doit
redorer son prestige après la guerre. Le Figaro cherche alors à sauver l'honneur de l'Eglise
de France en prônant l'engagement dans la Résistance de milliers de prêtres, religieux et
religieuses. Les femmes ne sont donc pas les héroïnes privilégiées par ce quotidien. Sur la
période étudiée, uniquement quinze articles du Figaro traitent directement des résistantes 151, auxquels on pourrait ajouter les articles sur les déportations et les tortures de résistantes
mais qui seront traitées plus spécifiquement à part152. Ces rares femmes sont presque toutes
nommées mais aucune résistante ne témoigne dans le quotidien. Ainsi, elles sont
mentionnées soit comme des héroïnes (dans cinq articles), soit parmi les individus
récompensés (dans six articles). Ces quelques articles soulignent que le Figaro reconnaît
tout de même leur engagement. En outre, le Figaro fait parfois mention de résistantes en
tant que simples exemples, sans que leurs rôles soient au cœur du sujet de l'article. Au
final, on comprend que le Figaro ne met pas en avant la participation des femmes dans la
Résistance mais en même temps ne la nie pas. D'ailleurs sur les quinze articles à ce sujet
huit sont tout de même en première page.
149 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes ...op. cit. p.85.150 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.67.151 Voir tableau annexe A4.152 Voir chapitres 5 et 6.
44
B) Le PCF : le représentant de la Résistance massiveA l'inverse, les communistes soutiennent l'importance de la Résistance en
revendiquant l'hégémonie sur la Résistance Intérieure du PCF. Ils développent ainsi une
bipolarisation avec de Gaulle, en définissant la Résistance communiste comme la plus
légitime puisqu'elle privilégie une action armée153. Par ailleurs, ils intègrent pleinement la
participation des femmes, cinquante trois articles font état du rôle des femmes dans la
Résistance dont vingt-huit en première page (et encore une fois, sans compter ceux où il est
mis en évidence leur déportation ou les tortures qu'elles ont subies, plutôt que leur action
dans la Résistance). Cette différence du nombre d'articles sur les résistantes entre les deux
quotidiens nationaux est très visible sur le graphique suivant.
Les communistes se sont positionnés à la Libération comme le parti de la Résistance. Le
parti prônant une égalité réelle pour tous et cherchant ainsi à obtenir les voix du nouvel
électorat féminin, ne peuvent alors que souligner le rôle des résistantes françaises. De ce
point de vue, un détail peut tout de même étonner sur le graphique. Lors des élections
d'avril 1945, elles ne sont pas mises en évidence. Ainsi, l'image de la résistante n'a pas
directement été présentée comme un argument lors des élections, mais le PCF l'a
habilement utilisée pour justifier le droit de vote154.
En outre, ce qui fait le plus la spécificité des résistantes dans l'Humanité est la
place que le quotidien consacre aux femmes dans les articles traitant de la Libération de
153 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, tome... op. cit. p.114.154Voir chapitre 9.
Figure 3: Les Résistantes dans la presse nationale (Le Figaro et l'Humanité)
Août- 44Oct-44
Déc-44Fév-45
Avril-45Juin-45
Août- 45Oct-45
Déc-45Sondage 46
0
2
4
6
8
10
12
Humanité
Figaro
Mois
No
mb
re d
'art
icle
s
45
Paris. En effet, aucun autre quotidien étudié ne souligne cet aspect, outre un article du
Figaro, le 30 août 1944 :
« La France rend témoignage à tous ceux dont les services ont contribué à la victoire de Paris ; au peuple parisien d'abord qui, dans le secret des âmes, n'a jamais, non jamais, accepté la défaite et l'humiliation ; aux braves gens, hommes et femmes, qui ont longuement et activement mené ici la résistance à l'oppresseur avant d'aider à sa déroute »155.
Cependant cet article a surtout une portée politique qui est de souligner que de Gaulle
reconnaît l'engagement de tous dans la Résistance ( même des femmes). En effet, le
général a parfois été accusé d'avoir méprisé le rôle des femmes comme le confirme le
témoignage de certaines résistantes recueillies après la Libération, « Le Général de Gaulle
a admis de mauvaise grâce, que nous avions « un peu aidé ! » »156. Les communistes, eux,
cherchent donc par ces articles à montrer qu'outre leur participation à l'insurrection
nationale157, les femmes sont des résistantes à part entière et tout particulièrement les
militantes communistes: « Les femmes communistes combattent dans la Libération de
Paris »158, « Dans Paris toujours occupé […] Des femmes sont à leur côté les armes à la
main. Suivez leurs exemples »159, « elles dressent des barricades et font le coup de feu avec
les hommes […] une d'elle a tué le conducteur d'un camion boche »160, « plusieurs amies
de l'UFF sont tombées au cours de la lutte »161. Les résistantes ne sont donc pas les oubliées
de la guerre dans la presse communiste. Comme nous l'avons vu, elles sont intégrées, au
discours politique mais elles sont surtout présentées comme des héroïnes en masse162,
puisque ce point revient trente neuf fois163.
C) La place des résistantes dans le Dauphiné LibéréAvec un total de dix-sept articles, le Dauphiné Libéré tempère entre les deux
quotidiens nationaux164 et privilégie les résistantes de la région grenobloise ou savoyarde.
Ce qui revient dans 60% des articles sont les récompenses distribuées à ces femmes,
connues dans leur localité. Ces cérémonies sont plus un sujet d'actualité que de simples
articles de commémoration, d'où l'importance des quotidiens régionaux pour diffuser les
informations sur le lieu et l'heure. Conjointement, les résistantes sont citées deux fois
155 Le Figaro, 30 août 1944 « Le Général de Gaulle rend un vibrant hommage aux libérateurs de Paris et définit les conditions d'une renaissance française ».156 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op.cit. p.205.157 Voir chapitre 3.158 L'Humanité, 23 août 1944 Annexe B2.159 L'Humanité, 22 août 1944 « Un appel de l'Union des Femmes Française ».160 L'Humanité, 25 août 1944 « Aux armes, citoyennes ! Les femmes dans la bataille ».161 L'Humanité, 27août 1944 « L'union des femmes françaises dans le combat ».162 Voir chapitre 2.163Voir tableau annexe A3.164 Voir graphique annexe A5.
46
comme exemples, puis en décembre 1945, on trouve deux récits précis sur les actions des
femmes dans la Résistance : « Mimi » une résistante d'Aix-les Bains, qui d'ailleurs
soulignent parfaitement l'attachement aux héroïnes locales dont fait preuve le quotidien:
« nom célèbre dans le canton d'Aix-les-Bains »165 et « Léa Blain » une autre « héroïne du
Vercors »166. Le Dauphiné Libéré, tout comme pour les collaboratrices, choisit de mettre en
évidence des exemples locaux de résistantes. La Résistance en Rhône Alpes ayant été
massive, son choix est d'autant plus compréhensible.
Ainsi, l'épuration étant directement un fait d'actualité plus courant que les cérémonies de
récompenses, les articles sur les résistantes sont moins nombreux que ceux sur les
collaboratrices. Néanmoins, les articles concernant les résistantes restent constants dans le
quotidien et soulignent l'importance de ces femmes pour la région.
En conclusion, on ne peut pas dire que la presse de la Libération présente la
Résistance comme une organisation mixte à part entière, les hommes dominent. A
l'inverse, nier totalement de la présence dans les articles de femmes engagées du côté
héroïque de la France serait tout autant un mensonge. N'oublions pas que les hommes
restent logiquement plus mis en avant dû fait de leur représentation numérique supérieure
et de la plus grande visibilité de leur action. En effet, aujourd'hui encore on estime à 165 Le Dauphiné Libéré, 7 décembre 1944 « « Mimi » à 18 ans fut une active et courageuse résistante », voir annexe D11.166 Le Dauphiné Libéré, 10 septembre 1944 « Chatte et St Marcellin ont rendu un fervent hommage à Léa Blain, héroïne du Vercors », voir annexe D6.
Figure 4: La "guerre franco-française" dans le Dauphiné Libéré
Sept-45Oct-45
Nov-45Déc-45
Janv-46Sondage 46
Sondage 47
0
2
4
6
8
10
12
14
16
Collaboratrices
Résistantes
47
environ deux cent vingt mille les hommes et les femmes engagés dans la Résistance167,
dont 10 à 30% de femmes seulement168. Mais ces chiffres ne prennent nullement en compte
toutes celles qui n'ont jamais revendiqué la reconnaissance de leur engagement, mais qui
ont participé dans l'ombre des hommes. Ainsi, même le Figaro d'obédience catholique et
plus proche de de Gaulle, qui encourageait une résistance militaire et masculine, reconnaît
le rôle des femmes dans la Résistance. Les communistes, eux, font l'éloge de leurs
militantes féminines engagées dans les actions clandestines, même si les hommes restent
bien entendus plus nombreux. Et comme nous l'avons compris, la presse régionale n'omet
pas de souligner l'héroïsme des Dauphinoises. Les quotidiens donnent donc des
informations non négligeables sur les rôles que ces femmes ont pu avoir, d'après les
Français aux lendemains de la guerre, et soulignent le fait réel de la supériorité numérique
des hommes.
II. Des héroïnes récompensées mais sous-estiméesDès 1941 avec l'entrée de l'URSS dans la guerre, la Résistance s'est renforcée. En
1942, la radicalisation de la politique antisémite de Vichy (rafle du Vel d'Hiv 16 et 17
juillet) puis le 11 novembre 1942 l'arrivée des allemands dans la zone sud, avec un an plus
tard l'instauration du Service de Travail Obligatoire, ont enrôlé avec force la population
française dans les rangs de la Résistance. Une grande partie des individus restés, dans
l'attentisme jusque là, se sont mis à couvrir malgré tout les actes de résistance ou ont fourni
des victuailles pour les maquisards, réfractaires cachés ou Juifs. Ainsi, face à cette
recrudescence de la Résistance, les maquis furent pris d'assaut, ce qui a compliqué
l'organisation des mouvements et des réseaux. Sont alors créées des structures pour assurer
le ravitaillement, diffuser la propagande, recueillir l'armement, recruter de nouveaux
membres et penser les opérations, ce qui a davantage ouvert les portes de la Résistance aux
femmes. D'ailleurs , l'opposition à Vichy sous-entendait vouloir se rapprocher d'une pensée
égalitariste entre hommes et femmes, puisqu'à l'inverse Pétain proclamait que les femmes
devaient être réduites à la seule identité de mères au service du bien être de leur famille et
de leur époux169. Cependant, cette volonté d'égalité a-telle été réelle ? Peut-on parler d'une
mixité égalitaire dans les esprits de la Résistance d'après ce qu'en retient la presse de la
Libération ?
167 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.29.168 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, tome... op. cit. p. 102.169 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p. 307.
48
A) Eloge et prestige au fémininTout d'abord, comme nous l'avons déjà expliqué, la presse communiste accentue
l'image héroïque des femmes, tout autant que le Dauphiné Libéré loue la bravoure des
résistantes régionales, ce qui est souligné par la comparaison que l'on peut effectuer entre
les deux grandes résistantes qu'il mentionne : Léa Blain et Mimi. En effet, pour l'une
comme pour l'autre les articles sont très élogieux comme le confirme le choix du
vocabulaire pour Léa Blain elle « n'admit jamais l'échec », « le plus vibrant
enthousiasme », « mort héroïque », et pour Mimi «un agent de liaison courageux,
audacieux », « ses exploits ».170. Pour la première toute une biographie de ses activités
accompagne l'article sur la commémoration en son honneur et pour la seconde le quotidien
fait ouvertement part de sa volonté qu'elle soit récompensée pour son courage : « bientôt
croyons-nous, va se voir décerner la médaille de la Résistance ». Toutes deux semblent
avoir mis leurs capacités au service du maquis ou de groupes actifs. Un autre point
commun est encore mis en évidence pour l'héroïsme de chacune : leur jeune âge, Mimi
s'engage à dix huit ans et Léa Blain à vingt ans.
En outre, dans le Figaro, un article fait preuve d'une attention particulière pour
une résistante, en septembre 1945, « Une Française de 72 ans était l'animatrice du « centre
d'évasions » de Berlin »171. Mme Alcivar est une française, sous passeport mexicain, qui vit
à Berlin depuis le début du siècle. Au service de sa patrie natale depuis la Première Guerre
mondiale, elle va s'engager dans la Seconde Guerre mondiale en organisant chez elle un
réseau d'évasion et de réinsertion des prisonniers dans la société civile. Cette figure
héroïque est une exception dans le journal, elle est décrite comme « l'âme de
l'organisation », ce qui est très élogieux, d'autant plus pour le Figaro puisque les mentions
de femmes dans la Résistance ne sont que secondaires. Toutefois, même si l'ensemble de
son rôle est un cas extraordinaire, d'après le quotidien, il est spécifié que cette héroïne
bénéficie de l'aide d'autres femmes. Ses femmes de chambre qui la soutiennent dans toutes
ses actions, mais aussi des ouvrières d'usines voisines qui récoltent le nécessaire pour
l'organisation des évasions. A côté de cette figure emblématique, le Figaro ne fait mention
de l'héroïsme des femmes qu'en comparaison avec le stéréotype masculin du héros. En
effet, des articles du 7 et du 10 novembre 1944172 sont consacrés à l'héroïsme au féminin, 170 Le Dauphiné Libéré, 10 septembre 1944 « Chatte et Saint-Marcelin ont rendu un fervent hommage à Léa Blain, héroïne du Vercors » voir annexe D6 et 7 décembre 1944 « « Mimi » à 18 ans fut une active et courageuse résistante », voir annexe D11.171 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1945 « Une Française de 72 ans était l'animatrice du « centre d'évasions » de Berlin », voir annexe C29. 172 Le Figaro, 7 novembre 1944 « Combattantes sans armes : celles de la Croix-Rouge », voir annexe C9, et 10 novembre 1944 « Guidant les troupes à bord d'un camion blindé Une jeune fille sauva Baccarat et sa
49
mais en soulignant une certaine virilisation de leur activité. Par exemple les femmes de la
Croix Rouge, tout en gardant leur aspect maternel, « La France est devenue « Maman
Croix-Rouge » », sont présentées comme des femmes au service de la Résistance active (ce
qui peut être relativisé : les infirmières faisaient leur travail). La réussite de leurs missions
est mise directement en lien avec la nécessité de l'apprentissage d'activités dites
masculines: « conductrices », « elles avaient un métier de camionneur si dur sur des cinq
tonnes gazogène dont elles nettoyaient elles-mêmes les trémies, qu'elles chargeaient et
déchargeaient elles-mêmes ! ». Le 10 novembre un article souligne encore l’étonnement
que suscite les engagements les plus actifs dont ont pu faire part les femmes :
« A la lisière de la forêt, le commandant des chars de tête a pris à bord de son char une jeune fille de Baccarat qu'il a fait mener jusque là en camion blindé et dont la présence n'a pas manqué de solliciter quelques étonnements parmi les hommes ».
Ce sont donc ces femmes actives, voir masculinisées, qui émanent de l'image de la
résistantes pour le Figaro. Celles qui ont su, tout en restant féminines, s'imposer dans le
milieu des hommes, comme si sans la démonstration d'une certaine virilité une femme ne
pouvait pas faire preuve de courage et de patriotisme: « c'est en se virilisant qu'elles ont
trouvé la meilleure grâce »173.
Par ailleurs, la presse communiste, outre les aspects que nous avons déjà évoqués,
rend de véritables éloges à des résistantes françaises. Par exemple le 27 mars 1945, on peut
lire quelques grands noms glorifiés par le parti :
« Les femmes de l'Union Soviétique connaissent et vénèrent les noms glorieux de Danielle Casanova, Berthe Albrecht, Maï Politzer, Yvette Feuillet, Rose Blanc, Suzanne Costentin qui tombèrent contre les envahisseurs allemands. Gloire éternelle aux héroïnes de France ! »174.
Le rapprochement avec l'URSS dans l'article souligne que ces héroïnes tombées pour la
France sont avant tout des militantes communistes. La première citée : « Danielle
Casanova » est « le » symbole communiste de la Résistance, mais surtout de la déportation.
Son conjoint, Laurent Casanova, et les autres hauts responsables ont transformé son image
en apologie de l'héroïne martyre, comme nous le détaillerons175. Un article tout de même
spécifie son rôle dans la Résistance avant sa déportation :
cristallerie ».173 Le Figaro, 7 novembre 1944 « Les femmes dans la guerre, Anglaises en Uniforme » voir annexe C9.174 L'Humanité, 27 mars 1945 « Salut aux héroïnes de la France ! Solidarité pour l'écrasement du nazisme ! Un message du Comité antifasciste des Femmes soviétiques à Jeannette Vermeersch (Union des Femmes françaises) ».175 Voir chapitre 5.
50
« A l'appel du Parti Communiste, Danielle continua le combat. Tout en organisant des manifestations patriotiques l'aide aux femmes de déportés de prisonniers, elle dirigeait le journal clandestin « La Voix des Femmes ». Arrêtée par la police de Pétain en janvier 1942 »176.
Toutefois, Danielle Casanova n'est pas honorée pour son exception en tant que femme,
puisque le Parti communiste français rend hommage à une multitude d'autres femmes
communistes, tel qu'en août 1947 à Marie-Louise Tillonlors de la grande cérémonie
organisée en l'honneur ses funérailles177. D'autres grands noms sont également listé dans
l'extrait suivant :
« Notre cliché la montre [Danielle Casanova] à la tête du cortège de jeunes filles, au Mur des Fédérés le 29 mai 1939 entourée de ses compagnes de lutte. On remarque de gauche à droite : Henriette SCHMIDT morte en déportation ; Claudine CHOMAT, Marie-Claude VAILLANT-COUTURIER et à la gauche de Danielle CASANOVA, notre amie Jeannette VERMEERSCH »178.
Au final, chaque quotidien à des degrés différents fait l'éloge de résistantes
d'exception, dès la Libération « la mémoire collective de la Résistance honore quelques
grandes figures féminines »179, sans pour autant délaisser totalement les « anonymes ». Ces
quelques exemples de femmes vues comme des héroïnes sont une première prise de
conscience de leur rôle, mais ne suffisent pas pour déceler une évolution concrète des
mentalités françaises.
B) Des résistantes récompenséesLa reconnaissance réelles des résistantes est donc consacrée par les honneurs
qu'elles reçoivent. L'historiographie souligne que les femmes ont longtemps refusé
d'admettre qu'elles ont fait quelque chose d'exceptionnelle, ce qui explique pourquoi les
cérémonies de récompenses en leur honneur ont tendance à être oubliées. Or, des articles
prouvent que des titres honorifiques ont été remis dès la Libération à quelques femmes,
comme nous l'avons dit, le quotidien où ses articles sont primordiaux est le Dauphiné
Libéré. En effet, sur les quinze articles qui traitent des femmes dans la Résistance neuf sont
consacrés aux récompenses que reçurent ces femmes, par exemple : « La Légion
d'Honneur à « Marie-Jeanne » »180, « A titre posthume furent décorés de la Médaille de la
Résistance : Mme Rose, le capitaine Richard André, le leiutenant Pierre Lamy, le
lieutenant Henri Pollet, le lieutenant Joseph Moënne-Loccou. Puis le général Valette d'Osia
176 L'Humanité, 11 mai 1945 « Il y a deux ans mourait à Auschwitz Danielle Casanova pure héroïne de France ».177 L'Humanité, 21 août 1947 « Les obsèques de Marie-Louise Tillon auront lieu demain à Aubervilliers », 22 août 1947 « Les obsèques de Marie-Louise Tillon auront lieu cet après-midi », 23 août 1947 « En présence de Maurice Thorez des dizaines de milliers de personnes ont rendu hier un dernier hommage à Marie-Louise Tillon ».178 L'Humanité,8 mai 1947 « Hommage à Danielle Casanova » voir annexe B43.179 DUBY Georges et PERROT Michelle [dir], Histoire des femmes en Occident (tome V-le Xxe siècle),Paris, édition Perrin, 2002, p. 316.180 Le Dauphiné Libéré, 3 octobre 1945.
51
épingla cette décoration sur les poitrines de Mlles Loulette et Colette Périès, Hélène
Carmin, de Mme Simone Lavorel et Neyrinck, du capitaine Neyrinck, de l'abbé Benoit, du
capitaine Francis Combat. Il remit enfint la Croix de Guerre à Mlle Carmin déjà nommée,
et au lieutenant Voisseaux »181. A l'inverse on trouve des articles où les femmes résistantes
sont récompensées en priorité pour l'héroïsme de leur époux182, ou bien des femmes dont le
journal prône l'héroïsme et pour lesquelles la récompense en échange semble dérisoire :
« Mais, pour évoquer ces heures ardentes, où, au péril de sa vie, malgré les menaces, les perquisitions et les rafles, elle [Mme Deleuze] se penchait fiévreuse sur les trésors confiés, notre héroïque compatriote n'a en récompense qu'une feuille de papier laconique et froide ! »183.
Au final, l'héroïsme des femmes est récompensé dans le Dauphiné mais leur
reconnaissance reste inférieure à celle consacrée aux hommes, comme cela est visible à
travers l'exemple de Mlle Lanfrey : « enfin au titre de la Résistance Mlle Lanfrey reçut une
lettre de félicitation du Réseau Alliance »184.
En outre d'après la presse nationale, les récompenses faites aux résistantes sont
extrêmement rares. Ainsi, trois articles seulement dans l'Humanité et cinq dans le Figaro
citent des récompenses remises à des femmes, ce qui représente un total de huit femmes
récompensées, dont deux défuntes. L'intérêt porté aux récompenses des femmes est donc
assez faible au niveau national, et cela même dans la presse communiste. Donc la question
qui apparaît est de savoir si l'héroïsme des dauphinoises a été mieux récompensé et
reconnu par la population, que les autres femmes de France ? A première vue, on peut dire
que oui, mais n'oublions pas que parfois ce qui fut présentée comme récompense peut
paraître dérisoire. Par ailleurs, la non mention de récompenses dans la presse ne veut pas
dire qu'elles n'ont pas eu lieu. C'est donc plus le silence de la presse qu'il faut souligner ici.
Dès septembre 1944, le Figaro mentionne pour la première fois des honneurs officiels
attribués à des femmes : « La première Croix de guerre accordée, à notre connaissance, à
une femme pendant la bataille de Paris a été ainsi attribuée. Mais on ne sait pas grand
chose de Mme Hasler, qui vient , de la mériter d'une façon aussi héroïque. Elle est mariée
et n'a pas d'enfant. Au demeurant, aussi modeste que brave »185 et « Une jeune conductrice
de Toulon, grièvement blessée, a été décorée de la Légion d'honneur et de la Croix de
181 Le Dauphiné Libéré, 18 août 1947 « les fêtes de la Libération », voir annexe D14.182 Le Dauphinié Libéré, 11 décembre 1945 « Après la prise d'armes de Chambéry Ceux que le général Doyen a décorés » et le 20 août 1946 « les fêtes de la Libération ».183 Le Dauphiné Libéré, 8 mai 1946 « Une femme, une héroïne grenobloise Madame Deleuze avait le dépôt sacré des drapeaux et étendards de l'Artillerie Alpine qu'elle garda chez elle au péril de sa vie ».184 Le Dauphiné Libéré, 12 décembre 1945 « Nos élus municipaux héros de la guerre ou de la Résistance sont fêtés à la Mairie » [Grenoble].185 Le Figaro, 5 septembre 1944 «Héroïne de la bataille de Paris Mme Hasler a reçu la Croix de guerre ».
52
guerre par le général de Lattre de Tassigny »186, mais ensuite le silence s'impose. Il faut
attendre janvier 1945 pour que les quotidiens mentionnent de nouvelles récompenses, dans
l'Humanité cette fois-ci :« Le général Delattre de Tassigny commandant de la 1ère armée
française a décoré trois héroïnes et sept patriotes de la Résistance, qui lors de l'entrée de
nos troupes dans Montbéliard, ont empêché l'ennemi de détruire les ponts de la
Lisaine »187. Par la suite, l'Humanité, ne fait mention qu'en août 1946 d'une nouvelle
femme honorée188. On voit que les femmes furent assez peu récompensées d'après la presse
nationale, mais en réalité cela s'explique primordialement par le fait qu'elles n'en faisaient
jamais ou très rarement la demande. De plus, hormis quelques femmes engagées dans le
PCF, elles étaient souvent plus éloignées que les hommes du pouvoir et des institutions
politiques et n'ont pas trouvé d'intérêt à faire prévaloir leur rôle. La majorité des femmes
sont entrées spontanément dans la Résistance et n'ont pas réellement pris conscience de
leur participation : elles ont fait ce qu'elles avaient à faire, selon elles. Par ailleurs, puisque
les quotidiens nationaux ne mentionnent aucunement toutes les récompenses évoquées par
le Dauphiné Libéré on peut aisément supposer que la presse nationale n'a tout simplement
pas accordé d'importance à ces cérémonies.
Finalement, les petites localités organisent plus facilement leurs propres
commémorations et les cérémonies de récompenses des héros et héroïnes qui se sont
démarqués. Ces cérémonies sont présentées comme des faits d'actualité auxquels la
population pouvait se rendre. Néanmoins, même au sein d'une région comme l'Isère, où la
Résistance est un événement très marquant, des femmes sont restées longtemps dans
l'ombre et souhaitent le rester encore. Par ailleurs, les quotidiens nationaux n'ont pas
accordé une grande importance aux cérémonies de récompenses des résistants,
particulièrement à celles des femmes.
C) La cérémonie du 11 novembre 1945 : la reconnaissance nationale de leurs actions
Pour finir, les femmes dans la Résistance sont officiellement reconnues par la
société française lors de la cérémonie du 11 novembre 1945. Elle a pour but de
commémorer les diverses catégories de victimes de la guerre. Lors de cette journée, il est
prévu d'enterrer quinze dépouilles de la dernière guerre. Ces victimes se répartissent en
trois groupes, tout d'abord, les combattants en uniforme « composés d'un combattant de la
campagne de France de 1939-1940, d'un combattant tombé en Afrique, d'un combattant
186 Le Figaro, 7 novembre 1944 « Combattantes sans armes : celles de la Croix-Rouge », voir annexe C9.187 L'Humanité, 13 janvier 1945 « Des héros de la Résistance sont décorés ».188 L'Humanité, 27 août 1946 « Léa Maury morte pour la France ».
53
mort en Italie, d'un combattant de la campagne de France de 1944, d'un marin, d'un
aviateur et de trois soldats originaires de la France d'Outre-mer »189, une seconde catégorie
représentant la Résistance en Métropole avec « deux hommes, dont un maquisard et une
femme »190 et enfin le groupe des morts en Allemagne « comprend un homme et une
femme déportés et un prisonnier de guerre, choisi parmi les victimes de la Résistance dans
les camps de prisonniers »191. Les résistantes ont donc leur place officielle parmi les
victimes de la guerre. Le choix des dépouilles s'effectuent au hasard, pour représenter les
résistantes ce fut celle de Mme Berthe Albrecht qui fut tirée au sort. Berthe Albecht est
morte à la prison de Fresnes en juin 1943. Dès le début de l'Occupation, elle faisait passer
la ligne de démarcation à des prisonniers évadés, puis en 1942, elle contribue au
développement du mouvement Combat en établissant de précieuses liaisons entre les deux
zones. Enfin, elle créa les services sociaux du mouvement. Après une première arrestation,
elle fut libérée, mais en avril 1942, sa seconde arrestation lui vaut une peine de prison
ferme de six mois. L'invasion de la zone sud rend la vie des prisonniers plus rude, elle
simule alors la folie et parvient à s'échapper de son asile le 23 décembre 1942. Toutefois,
le 28 mai 1943, la Gestapo l'arrête à nouveau. Torturée, elle est envoyée à la prison de
Montluc à Lyon, puis à Fresnes où on suppose qu'elle se suicide par pendaison dans la nuit
du 31 mai 1943192. En mai 1945, son corps est retrouvé dans le jardin potager de la prison,
avant de trouver son repos parmi les quatorze autres victimes de la violence nazie. Même si
toutes ces informations ne sont pas données à la population française dans la presse
d'après-guerre, Berthe Albercht est présentée comme une résistante engagée qui aurait pu
être n'importe quelle autre femme.
Lors de ce 11 novembre, l'engagement dans la Résistance des femmes est honoré
par l'ensemble de la population française. L’événement a même une répercussion dans la
presse locale : « Le 11 novembre quinze victimes de la guerre seront inhumées au Mont
Valérien ». Chaque quotidien fait mention de cette immense cérémonie nationale, même si
les journalistes de l'Humanité tendent à diminuer son importance. En effet, un seul article
fait directement référence à celle-ci le 30 octobre 1945 « Quinze dépouilles de héros seront
groupées autour du Soldat inconnu ». Ce choix est certainement dû au fait que la décision
et l'organisation de cette commémoration repose sur le ministre Henri Frenay, ainsi le
189 Le Figaro, 4 et 5 novembre 1945 « Les 10 et 11 novembre. La France et l'Empire célébreront solennellement le souvenir des victimes de la guerre ».190 Ibid.191 Ibid.192 LORMIER Dominique, Les grandes figures de la Résistance, Lucien Souny, septembre 2009, p.23.
54
conflit Humanité-Frenay193 incite le quotidien à boycotter toutes les manifestations
organisées par ce dernier. De plus, sachant que le 13 novembre 1945, l'Assemblée
Constituante doit justement élire le chef du gouvernement, faire l'éloge de cette grande
cérémonie serait un soutien à la politique de de Gaulle et nuirait à la campagne
communiste. A l'inverse, le Figaro se voulant proche du gouvernement et de de Gaulle
consacre de grands articles à cette cérémonie, comme l'ont montré les exemples cités
précédemment. Le 13 novembre, les responsables du quotidien décident même de publier
le long discours du général de Gaulle lors de cette journée, qui d'après l'article semble
s'être parfaitement déroulée194. On comprend donc encore tout l'enjeu politique qui tourne
autour de cette cérémonie, ancrée dans un calendrier crucial pour de Gaulle. L'affirmation
des femmes dans la Résistance n'est pas un enjeu social prioritaire, mais l'enjeu est l'union
de tous les Français derrière le général, comme le soutien le Figaro. L' image des
résistantes est alors valorisée au profit d'une union de tous dans cette période de désunion
et de désaccord politique.
Les résistantes ne sont donc pas au cœur des articles de presse, même si
l'Humanité tend à les mettre en valeur, tout en boycottant les manifestations officielles du
Mont Valérien pour des raisons politiques. A l'inverse, le Figaro consacre peu d'articles à
leur engagement mais reconnaît l'importance de la cérémonie du 11 novembre et
l'officialisation de leurs sacrifices. Aucun Français ne peut donc nier la présence de
femmes dans la Résistance, toutefois, elles sont surtout au cœur des argumentaires
politiques entre gaullistes, communistes et socialistes. Malgré l'usage de leur image par les
partis politiques, leur engagement est récompensé dès la Libération, même si cela reste
minoritaire. Certaines se sont donc rapidement effacées et la société française a délaissé le
poids de leurs actions contre l'ennemi, mais d'autres ont su faire briller une image féminine
de la Résistance.
III. Une image féminine de la Résistance« Elles étaient des femmes, des jeunes filles comme les autres qui aspiraient au
bonheur et aimaient la vie. Mais, parfois tout de suite, parfois petit à petit, elles ont
compris ce qui rendait le bonheur impossible : l'oppression, l'humiliation du pays sous la
193 Voir chapitre 4.194 Le Figaro, 13 novembre 1945 « A l'Arc de Triomphe devant les cercueils de quinze Français morts pour la patrie le général de Gaulle déclare : «il faut que nous acceptions de nous unir, fraternellement afin de guérir la France blessée. Fraternellement, c'est à dire en taisant d'absurdes querelles pour marcher sur la même route, du même pas... » voir annexe C32.
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botte [de l'ennemie nazi], la perte de la liberté », cette citation de Marie-Claude Vaillant
Couturier195 souligne la prise de conscience pour certaines femmes de la nécessité de
s'engager, néanmoins pour beaucoup ce fut inconsciemment et spontanément qu'elles ont
pris part à la lutte contre l'ennemi. Le premier appel officiel à l'engagement des femmes
dans la Résistance date de l'été 1941, sur les ondes de la BBC. Auparavant leurs rôles
étaient cantonnés à s'occuper le mieux possible de leur foyer occupé par l'ennemi196. C'est à
partir de 1942 que les « femmes ordinaires »197 actives dans la Résistance, ont fait leur
apparition plus importante dans ce monde traditionnellement masculin. L'image de leur
féminité a tout de même laissé une empreinte directe dans la Résistance et une série de
mission semble par nature leur être destinée.
A) Les agents de liaison : une mission féminine connue de tous les FrançaisLes mouvements de Résistance ont exploité les rôles habituellement dévolus à
chacun des deux sexes. Les ressources offertes par le landau, le panier, le sourire ou le
charme des jeunes femmes ont permis la réussite de nombreuses missions. Devant ces
atouts, le premier rôle qui est attribué aux femmes est celui d'agent de liaison. En effet, la
transmission d'informations par téléphone ou par lettres devait être codée et donner le
moins d'informations compromettantes possibles. Ainsi, les femmes effectuaient, elles
même, les transmissions de messages ou de documents confidentiels. L'héroïne
dauphinoise Mme Deleuze198 n'est pas citée directement comme un agent de liaison
néanmoins sa tâche s'en rapproche aisément. Elle a mis sa vie en danger pour protéger chez
elles les étendards de l'Artillerie Alpine ce qui suppose évidemment pour elle de lourdes
représailles si les Allemands découvrent ce subterfuge. Or, habitant en face de la
Faldgendarmerie199, elle ne fut suspectée qu'une seule fois, mais ne perdant pas son sang
froid lors de son interrogatoire, les Allemands abandonnent toutes charges contre elle.
Même prise en flagrant délit, une jeune femme était donc rarement soupçonnée de
travailler pour le milieu clandestin : « mais heureusement pour elles, leur air innocent les a
sauvées »200. Cependant, il ne faut pas oublier que les femmes risquaient de nombreuses
195 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.114.196 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p. 88.197 BARD Christine, Les femmes dans la société françaises au 20ème siècle, Paris, Armand Colin, 2001, p.139.198 Le Dauphiné Libéré, 8 mai 1946 « Une femme, une héroïne grenobloise ; Madame Deleuze avait le dépôt sacré des drapeaux et étendards de l'Artillerie Alpine qu'elle garda chez elle au péril de sa vie à la barbe de la Feldgendarmerie ».199 Ibid, « La Feldgendarmerie occupe l'immeuble juste en face de l'appartement de Mme Deleuze. Sous la fenêtre où sont cachés les précieuses reliques, on entend le bruit des bottes, les commandements sauvages le cliquetis des armes ».200 Le Figaro, 17 novembre 1944 « Avec ceux des Blockhaus Bretons ».
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arrestations, puisqu'elles étaient plus souvent sur les routes que la majorité des hommes. Le
rôle d'agent de liaison se faisait couramment en bicyclette. Un article de l'Humanité est
d'ailleurs entièrement consacré à cet instrument primordial pour leur mission :
« Cette jeune femme brune, élégante et sportive s'apprête à enfourcher son vélo. Vite, avant qu'elle ne s'éloigne, interrogeons là.
-Pendant l'insurrection ? Eh bien ! J'étais en vélo... comme aujourd'hui.
-J'imagine que vous ne rouliez pas pour votre plaisir ?
Elle rit
-Evidemment non, j'étais agent de liaison »201.
Le lien entre la bicyclette et l'agent de liaison semble donc indissociable. En effet, l'essence
était rare et hors de prix, alors que les distances que ces femmes devaient parcourir étaient
parfois très grandes, ainsi le vélo s'est avéré la meilleure solution. Cette mission semble
être connue de tous, étant donné que le terme lui-même « d'agent de liaison » n'est pas
défini dans les articles. Comme le montre cet extrait d'une enquête de l'Humanité sur les
« Insurgées » féminines tous les lecteurs connaissaient cette désignation.
« Oui le magasin ! Pendant l'insurrection, il servait de « boite aux lettres ». Et de sept heures du matin à neuf heures du soir je [Mme Sommier] restais là à attendre les agents de liaison »202.
Le Figaro aussi mentionne ce rôle en novembre 1944, en décrivant l'action héroïque de
deux jeunes bretonnes qui lors du débarquement traversaient les lignes de combats dans le
but de créer un contact entre les patriotes et les soldats203. Cette mission est également
connue dans la presse dauphinoise comme le souligne par exemple cet extrait :
«Mme Rey Odette[...] agent de liaison du secteur Thièves […] toujours prête à servir, méprisant le danger […] sachant éviter les fouilles et les patrouilles »204.
Les femmes ont donc été les « petites mains » de la Résistance, prenant des risques
immenses sans toujours être conscientes de la réalité du danger et des exploits qu'elles
accomplissaient, mais ces engagements semblaient être instinctifs pour elles.
B) Au service du bien être des autres « L'amour et l'amitié appartiennent à l'histoire de la Résistance autant que le
tragique : la torture, la déportation, la mort »205 . Ainsi, les femmes ont mis leur instinct
affectif et maternel au service de la Résistance. Le rôle des assistantes sociales donc valiré
après la guerre. Par exemple, Paulette Jacquier (Marie-Jeanne dans la Résistance) a reçu la
201 L'Humanité, 26 et 27 août 1945 « Insurgés » second épisode « Son arme ? Un vélo... » voir annexe B30.202 L'Humanité, 25 août 1945 «Insurgés » premier épisode « La « Boîtes aux lettres » » voir annexe B29.203 Le Figaro, 17 novembre 1944 « Avec ceux des Blockhaus Bretons ».204 Le Dauphiné Libéré, 31 octobre 1945 « Une « femme de la Libération » à l'honneur ».205 BARD Christine, Les femmes dans la société ...op.cit. p.141.
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médaille de la Résistance avec la désignation: « assistante sociale, nature d'élite d'un
courage exceptionnel a été par son rayonnement et son exemple un des flambeaux de la
résistance en Dauphiné »206. En outre, comme nous l'avons spécifié le Figaro démontre
explicitement son soutien à l'héroïsme dévoué dont ont fait preuve les femmes de la Croix-
Rouge françaises.
Par ailleurs, l'image des mères au service de la grande famille que se doit d'être la
Résistance revient à de nombreuses reprises. Des femmes s'occupaient donc du
ravitaillement des maquisards, de la logistique du matériel parachuté ou de l'organisation
des évasions La presse de la Libération publie des exemples concrets de ces missions.
Notons par exemple, deux organisatrices d'évasions : Mme Alcivar à Berlin207 et Lucie
Aubrac. Cette dernière n'est pas directement citée, mais une pièce de théâtre intitulée « Elle
et Lui »208 est montée à la fin de l'année de 1945 pour retracer l'histoire d'une femme qui a
fait évader son mari d'une prison lyonnaise en 1942. Il s'agit clairement de l'histoire de
Lucie Aubrac. D'ailleurs l'auteur de l'article ajoute « le nom de ces deux héros est connu de
tous et nous regrettons de n'être pas autorisé à le citer ». La France qui a perdu sa virilité
lors de la défaite présente donc, à la Libération, l'image des résistantes sur le modèl
maternel, en tant que bienfaitrice pour les autres. Toutefois, leurs rôles, même si peu
d'articles en font mention explicitement, ne sont nullement présentés comme secondaires et
au contraire, ils s'imposent comme des preuves de courage :
« Colmar était à la fois un camp de concentration et un maquis [...] Les Boches cernaient les immeubles et perquisitionnaient, comme ils le firent à Paris de 1942 à 1944. Cela n'empêchait pas les femmes de Colmar de ravitailler les gars du maquis jusque dans la vallée de Munster »209.
Dans la presse régionale, c'est encore l'héroïsme de « Mimi »210 qui présente le mieux cet
aspect :
« « Mimi » vendait, au profit du maquis des photos du général de Gaulle, elle collait des affiches invitant la population à résister, diffusait des journaux clandestins [...] en 1943, elle ravitaillait le maquis de la Dent du Chat […] elle osa aller réclamer à la Kommandatur, le corps d'un des martyrs ensevelis, près de la chapelle de Notre-Dame des Neiges ».
Les femmes sont donc venues en aide aux hommes et ont assuré la bonne continuité de la
Résistance Intérieure. Elles ont même été des hôtesses de clandestins211. Dans le corpus,
206 Le Dauphiné Libéré, 3 octobre 1945 « La Légion d'Honneur à « Marie-Jeanne ».207 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1945 « Une Française de 72 ans était l'animatrice du « centre d'évasions » de Berlin », voir annexe C29. 208 Le Dauphiné Libéré, 22 novembre 1945.209 L'Humanité, 7 février 1945.210 Le Dauphiné Libéré, 7 décembre 1945 « « Mimi » à 18 ans fut une active et courageuse résistante » voir annexe D11.211 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p. 257.
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dont nous disposons, un seul exemple souligne ce point : la patronne du café de Gières qui
fut arrêtée par les Allemands pour avoir laissé son café être le lieu de rendez-vous d'un
groupe de maquisards212.
Enfin, une autre mission est présentée, dès la Libération, comme une spécificité
de la Résistance dite féminine : le sauvetage. Plusieurs articles font d'ores et déjà mention
d'enfants Lorrains et Alsaciens réfugiés en Haute-Savoie et Savoie, mais par sauvetage, la
Résistance sous-entend plus particulièrement les sauvetages d'enfants Juifs, voir de
familles entières, lorsque cela fut possible. L’œuvre de Secours aux Enfants est d'ailleurs
dirigée par une femme : Mme Klotz213. L'OSE est un réseau Juif fondé en 1912 à Saint
Pétersbourg, afin d'améliorer les conditions sanitaires des populations juives dans l'empire
tsariste. A partir de 1940, l'OSE réfugiée en zone libre créa des maisons d'enfants et
développa des centres médico-sociaux. On rejoint ici la notion d'assistance sociale, mais en
plus dès 1941, leur but va être l'évacuation hors de France d'enfants Juifs, surtout vers les
Etats-Unis. Ainsi, ses membres auraient contribué au sauvetage de près de 1 200 enfants214.
Cette mission fait donc parti des rôles auxquels les femmes sont considérées comme
prédisposées, tel que : «Mlle Louise Philippe […] évita l'arrestation par la Gestapo d'une
famille d'israélites»215. Leur instinct maternel est resté ancré dans toutes les représentations
de leurs engagements. Parfois, cet instinct semble même être à l'origine de nombreuses
prises de risques comme le montre l'exemple de cette femme :
« Peu de temps avant la libération, alors qu'un convoi d'internés du camp de Drancy (parmi eux des enfants de 2 à 6 ans) que les Boches dirigeaient vers le bagne d'Auschwitz, stationnait dans la gare de Bar-le-Duc, une femme française s'avança vers un wagon avec deux bouteilles de lait. Déjà des petites mains tendues tenaient presque les précieuses bouteilles, lorsqu'une sentinelle allemande repoussa la Française à coups de crosse de fusil »216.
La spécificité féminine de l'engagement des femmes dans la Résistance est donc indéniable
dans la presse de la Libération.
A la fois comme nourrices pour les maquisards, hôtesses pour les clandestins,
assistantes sociales et responsables du bien être des enfants, les femmes ont respecté la
répartition traditionnelle des tâches entre les sexes. Cependant la première mission qui
semble leur être attribuée reste le renseignement et le rôle d'agent de liaison. On peut donc
212 Le Dauphiné Libéré, 5 octobre 1945 « Arrêtée à Belfort une indicatrice de la Gestapo est transférée à Grenoble ».213 L'Humanité, 24 novembre 1945 « Mme Klotz, directrice de l'Oeuvre de Secours aux Enfants » in « l'Humanité avait raison témoignages accablants pour l'ex ministre Frenay hier au Palais de Justice ».214 LOINGER Georges, Les résistances juives pendant l'occupation, Paris, Albin Michel, 2010, p.111.215 Le Dauphiné Libéré, 7 décembre 1945 « « Mimi » à 18 ans fut une active et courageuse résistante » voir annexe D11.216 L'Humanité, 14 septembre 1944 « Les barbares ».
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dire que la population française avait déjà une opinion bien renseignée sur ce que fut la
réalité du rôle des résistantes, malgré quelques exceptions, les activités qu'elles ont
effectuées reflétaient leurs tâches dans la vie quotidienne. D'ailleurs, elles ont dû continuer
à faire face au phénomène de la maternité, ce qui leur imposa le choix de se consacrer à
leur nouvelle progéniture, tout en pouvant poursuivre dans une moindre mesure, leurs
activités clandestines, soit de choisir de faire appel à « des mères adoptives »217, ce qui a pu
poser des problèmes de légalité à la Libération218. Défendant donc, le principe de la « vie
continue »219, les résistantes françaises ne sont que rarement entrées dans la clandestinité
du maquis, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles n'ont jamais pris les armes.
C) L' engagement armé au féminin« La guerre était aussi l'affaire des femmes »220, cette célèbre phrase de Lucie
Aubrac rappelle que les femmes ont pris les armes aux côtés des hommes dans la
Résistance. L'Humanité est le premier quotidien à souligner la mobilisation des femmes
dans les actes de prises d'armes, en spécifiant leur participation aux Milices Patriotiques,
aux Forces Françaises de l'Intérieure, ou plus spécifiquement pour les communistes, aux
Francs Tireurs et Partisans Français. L'engagement des femmes dans les FFI est donc
illustré à plusieurs reprises : « Une jeune patriote de 22 ans, des FFI, membre du service
des liaisons des PTPF est tombée aux mains des miliciens »221, « Vers Baccarat une jeune
fille FFI guidait la 2ème division blindée »222, « A Londres, les détachements féminins des
FFI passent devant Saint Paul »223, tout comme leur participation aux Francs Tireur et
Partisans: «elle faisait partie d'un groupe de francs-tireurs et partisans français et n'avait
(sic) pas attendu l'insurrection pour attaquer l'ennemi, les armes à la main »224. Toutefois,
l'article définissant le mieux l'opinion positif que l'Humanité attache à la prise d'armes des
Françaises pour la défense du territoire est celui du 23 janvier 1945225:
« Quelles ne furent pas leur surprise et leur déception quand des officiers de l'active, responsable de la Préparation militaire de la Guerre, leur expliquèrent qu'on avait guère besoin d'elles et que leur rôle serait plutôt d'assurer l'envoi de colis aux soldats ! […] Pourquoi décourager tant de bonnes volontés féminines alors que les femmes ont montré le rôle immense qu'elles pouvaient jouer dans la défense du pays ? ».
217 Ibid, p. 279.218 L'Humanité, 20 août 1947 «Marie Louise Tillon […] Mère de deux enfants, elle avait mis au monde son dernier fils durant la clandestinité. Obligée de le déclarer sous un faux nom, elle n'aura pas eu la joie de connaître le jugement qui doit enfin redonner son nom à son fils » in « Marie-Louise Tillon n'est plus ».219 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.279.220CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.91.221 L'Humanité, 23 août 1944 « Comment une jeune fille fut torturée par la Milice » voir annexe B1.222 L'Humanité, 16 novembre 1944. 223 L'Humanité, 17 novembre 1944 « Nous sommes en guerre ».224 L'Humanité, 31 août 1945 « Insurgées ».225 L'Humanité, 23 janvier 1945 « Bravo Lycéennes Patriotes !», voir annexe B13.
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Proportionnellement, les articles mentionnant l'engagement armé des femmes restent tout
de même faible au sein des pages du quotidien, il ne représente que 20% des articles
traitant des résistantes, d'autant plus que les deux tiers sont consacrés aux femmes dans la
libération de Paris226. Ces chiffres finalement reflètent bien le fait que cet engagement
n'était que second chez les femmes. Toutefois, par la présence de ces articles, le PCF
montre sa volonté de voir d'avantage se renforcer après la guerre le rôle des femmes dans
l'armée. En effet, en décembre 1945 une motion est directement proposée à la Commission
de Défense Nationale
« Rendant hommage au patriotisme et au dévouement des Française qui ont contribué à la victoire, la commission de la défense nationale demande au ministre des Armées de régler la question de l'intégration des femmes dans l'armée de demain, en s'inspirant des principes que, seul, sera gardé le personnel indispensable pour préparer la mise sur pied des unités féminines nécessaires en cas de mobilisation et que seront gardées par priorité les femmes ayant servi effectivement pour la libération du territoire »227.
Cette volonté est liée au contexte pour les communistes. En effet, les FFI à la Libération
sont de plus en plus une coalition communiste que de Gaulle décide de dissoudre craignant
une menace pour son pouvoir à la fin 1944228. Ainsi, les communistes étant parvenus à
regrouper un lourd mouvement armé proche de leurs idéaux, font part de leur attachement
à ne pas voir le groupe totalement se dissoudre. Les articles, faisant part de ces
revendications, stoppent dès décembre 1944, lors du retour de Maurice Thorez, qui sous les
ordres de Moscou décident de ne pas poursuivre les polémiques, mais la motion de
décembre 1945, vient confirmer que l'acceptation de la dissolution reste parfois difficile à
accepter pour le PCF. Après la guerre, leur influence augmentant, ils contestent donc le
manque d'écoute de leur opinion dans le domaine militaire.
En ce qui concerne la presse non communiste, l'engagement armé des femmes est
nettement moins mis en avant même si on en trouve quelques traces. Le Figaro les cite
uniquement à deux reprises. La première fois, il s'agit d'un femme récompensée :
l'« Héroïne de la bataille de Paris. Mme Hasler [qui ]a reçu la Croix de guerre »229, puis
elles sont cités dans un article sur leur acquisition du droit de vote, les Françaises sont
présentées comme « des femmes combattantes, des femmes héroïques, des femmes
martyres »230. Le Figaro encore une fois privilégie l'image de la femme ménagère et
maternelle dans cette France qui doit redorer sa virilité. De plus, le Figaro doit rester fidèle 226 Voir chapitre 3.227 L'Humanité, 20 décembre 1945 « L'intégration des officiers FFI débattue à la Commission de la Défense Nationale ».228 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, tome... op. cit. p. 463.229 Le Figaro, 5 septembre 1944.230 Le Figaro, 19 octobre 1944 « La journée politique. Les femmes votent », voir annexe C6.
61
à son lectorat, dont une grande partie est issue des démocrates-chrétiens, très conservateur.
Dans le Dauphiné Libéré, un seul article mentionne une femme armée dans la Résistance,
l'héroïque Léa Blain qui est décrite comme une des rares femmes ayant pris part à des
groupes armés. Elle rentre dans un groupe actif à Saint Marcellin le 19 janvier 1944. En
outre, il est parfois spécifié que des femmes étaient armées pour leur mission de liaison
mais uniquement pour leur sécurité et non pas pour attaquer ou combattre.
L'engagement armé des femmes françaises dans les FFI, ou tous les autres
mouvements armés avant le 1er février 1944, semblent être délaissé. A la Libération,
beaucoup d'éloges sont pourtant consacrés aux FFI, d'autant plus par les communistes qui
souhaitent accroître leur puissance231. Néanmoins, l'engagement des femmes dans ces
forces armées semblent être dérisoire.
On peut donc dire que le rôle des femmes dans la Résistance a été minimisé dès la
Libération. L'Humanité est le quotidien qui souligne le plus l'importance de leur
mobilisation d'un point de vue numérique, mais également au niveau de la qualité de leurs
fonctions. Ainsi les communistes présentent à la fois la place des femmes dans la
Résistance armée et celle qu'on leur attribue plus traditionnellement: agent de liaison,
assistante sociale, responsable du ravitaillement... Les autres organes de presse, non
communiste, fournissent également des informations non négligeables sur les résistantes.
Toutefois, ces informations sont moins nombreuses et délaissent certains aspects de leur
engagement, telles que les difficultés accumulées par les femmes dans la Résistance en tant
que mère et responsable du bien être de leur famille. Ainsi résister, c'est aussi remplir toute
une série de tâches qui ne paraissent pas exceptionnelles232, comme mettre ses enfants en
sécurité pour éviter les représailles, nourrir les maquisards, transporter des messages sans
se faire contrôler... mais ces responsabilités étaient nécessaires et sans elles la Résistance
n'aurait pas pu fonctionner. Ces rôles purement féminins sont bien assimilés par la
population française de la Libération et le courage qu'ils ont demandé ne fut pas dénigré
par les organes de presse, mais il semble que les enjeux qu'ils représentaient étaient
délaissés aux profits des actions armées.
231 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p.98.232 BERTIN Célia, Femme sous l'occupation, Paris, Stock,1993, p.193.
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Chapitre 3- L'engagement militaire de femmes pour la Libération de la France
« La femme combattante fut une figure emblématique bien avant d'être une réalité
de la guerre. Jeanne d'Arc en est l'archétype » 233. A la veille de la seconde guerre
mondiale, l'image de la femme en uniforme officiel existait déjà en France, mais la
Première Guerre mondiale l'a valorisée par la spécificité des Anglaises.
Le début du XXème siècle a contribué à la séparation explicite des rôles féminins
et masculins dans la guerre. La première expérience pour les Français d'une mobilisation
nationale fut la Première Guerre mondiale, qui marqua une évolution des relations entre
hommes et femmes dans la guerre. Ainsi, tout en continuant à refuser une exposition des
femmes à la violence de la guerre, elles furent enrôlées dans les missions d'infirmières et
envoyées tout près du front234. En 1918, les deux figures de l'héroïsme sont à la fois le
poilu et l'infirmière, même si dans la mémoire collective, les femmes conservent leur
image de mère au foyer, ainsi en France aucun monument n'est élevé en la mémoire de ces
héroïnes235. Seuls les débats dans les années 1930 sur la question des droits civiques des
femmes font émerger le modèle de la femme active et patriote236. Dans l'entre deux guerres
la France a donc délaissé l'image de la femme militarisée, contrairement aux anglo-
saxons237. Or comme nous l'avons vu, les femmes ont pris les armes au sein de la
Résistance intérieure mais la conjoncture et les nécessités du second conflit mondial ont
poussé les femmes à prendre encore plus part à la guerre au sein des armées dites
régulières.
I. Les Forces Françaises Libres et les armées alliées recrutent des femmes« Dans la dernière guerre [1914-1918], la femme a donné des centaines d'héroïnes
à la liberté, pour la première fois dans cette guerre, elle lui a donné des centaines de
milliers de combattantes »238, ces propos de Maurice Schumann à la BBC le 16 décembre
1943, approuve la mobilisation armée des Françaises, même si elles restent encore
marginales. En outre, cette mobilisation n'est pas une spécificité de l'armée de la France
libre, alors ne peut-on pas plutôt penser que la France libre s'est inspirée du modèle des
armées alliées ?233 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p. 266.234 Ibid, p.63.235 Ibid p.71.236 Ibid p. 75.237 Ibid p. 72.238 Ibid. p.91.
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A/ Des femmes au côté des soldats français ?Dès 1938, une loi sur « l'organisation générale de la nation pour le temps de
guerre »239 inclue la nécessité de l'engagement des civils, dont les femmes en période de
conflit. Toutefois, dès le début de la guerre, les modalités classiques de celle-ci s'imposent
automatiquement. Puis face à la demande sociale féminine de participation active à l'effort
de guerre, les politiques vont reconsidérer une partie des structures. Ainsi, d'ores et déjà
avant la défaite, la France est dotée d'une unité de formations féminines de militaires,
d'ambulancières, de secouristes et de chauffeurs, placée sous l'autorité civile mais dans le
respect de la hiérarchie militaire. De plus, le statut d'« auxiliaires féminins des formations
militaires »240, est instauré au cours du printemps 1940 en pleine bataille de France.
Néanmoins, ces évolutions sont le fait de la nécessité face à l'urgence de la situation, la
France a besoin de toutes ses ressources. Rapidement les Forces Françaises Libres réunies
à Londres prennent conscience de la volonté des femmes de lutter pour leur pays et du
potentiel que cela peut leur fournir dans la guerre contre l'Allemangne. Par ailleurs, comme
le recrutement féminin dans les forces britanniques était possible, tel que le souligne un
long article du Figaro « Les femmes dans la guerre Anglaise en Uniforme »241, ce
délaissement était un risque de perdre toute autorité sur les Françaises voulant participer à
la Libération242. Ainsi le Corps des volontaires françaises est créé au sein des FFL (avec
cinq cent femmes dès les débuts)243. La presse de la Libération, fait peu état de cet
enrôlement des femmes, ce qui s'explique par leur nombre. En effet, à la fin de 1945, elles
représentaient moins de 2% des effectifs militaires de l'armée nouvelle organisée par le
Gouvernement provisoire de la République française244. Au total, cinq articles de
l'Humanité et cinq du Figaro traitent de la mobilisation armée des françaises dans les
Forces Françaises Libres, aucune mention n'est effectuée dans la presse régionale.
Le premier article évoquant leur rôle dans l'Humanité souligne leur héroïsme mais
il n'est pas très explicite sur l'organisation de ces groupes militaires.
« les femmes des formations de l'armée débarquées en juin et depuis. […] les miliciennes en bleu marine défilant alertement sous les arbres d'automne jaunes et verts, et aussi ces aïeules »245.
239 Ibid p. 55.240 Ibid p. 56.241 Le Figaro, 7 novembre 1944, voir annexe C9.242 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p. 96.243 Litige sur la date de leur création « le 7 novembre 1940, la France libre créa le Corps des volontaires françaises » in CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit.p.96 et « Les Forces françaises libres réunies par de Gaulle à Londres […] créent en 1941 le Corps des volontaires françaises » in BARD Christine, Les femmes dans la société ...op.cit. p 142.244 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.99.245 L'Humanité, 10 octobre 1944 « Plus de 250 000 ! ».
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Les articles qui mentionnent les choix des femmes de s'engager dans la lutte armée avec la
France Libre restent dans cette lignée. Pour l'Humanité, les femmes engagées dans les FFL
sont donc continuellement présentées comme des femmes héroïques sans qu'il ne soit
explicité leur mission ou leur statut précis. Un unique article cite une organisation féminine
« les AFAT féminines » le 3 avril 1945, mais sans détail supplémentaire246. L'AFAT est
l'Armée féminine de l'armée de terre fondée le 26 avril 1944 suite à une volonté
d'uniformisation des statuts féminins en considération d'un groupe de plus en plus massif,
avec plus de trois milles cent femmes au début de 1944247. L'Humanité désigne alors la
participation de femmes à un groupe armé sans préciser ce que cette formation représente.
D'ailleurs, l'expression « AFAT féminines » est un oxymore, le « F » signifiant déjà
« féminine », ce qui sous entend une méconnaissance de leur organisation. L'Humanité ne
souligne donc pas la spécificité des engagements militaires des femmes, contrairement aux
multiples articles que les communistes consacrent aux femmes dans les FFI.
A l'inverse, le Figaro accorde une place nettement plus importante à ces
organisations, ainsi un long article le 18 octobre 1944 décrit ce qu'est l'AFAT:
« Le corps des Volontaires Féminins devenus maintenant l'Armée Féminine de l'Armée de Terre est né à Londres, sitôt après l'armistice [...] Autour des volontaires françaises de Londres, la plus ancienne unité féminine, l'Armée des Femme se créait. Elle réunissait toutes les femmes en uniforme, sauf celles de la Croix-Rouge »248.
Le Figaro tout en soulignant l'importance de ces groupes armés féminins spécifie dûment
qu' « elles ne sont pas des garçons manqués »249. Cette dualité permet au quotidien de
justifier le dépassement des frontières sexuelles qu'effectuent ces femmes: elles participent
à des activités considérées comme viriles en conservant leur féminité. Au final, quatre
milles AFAT étaient sous les drapeaux à la veille du débarquement de Normandie250. Par
ailleurs, le Figaro consacre un article en septembre 1944 aux formations féminine de
l'Armée de l'Air251, fondée le 3 juillet 1944252. Outre l'organisation de leur fondation, il est
également décrit l'organisation de leur formation :
« elles devaient chacune dans sa spécialité, relever les jeunes gens aptes au pilotage ou au combat », « vie de caserne », « prisons et salle de police pour les « fortes têtes » » .
246 L'Humanité, 3 avril 1945 « Paris salue avec enthousiasme l'armée nationale et républicaine ».247 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.102.248 Le Figaro, 18 octobre 1944 « Voici les AFAT. La France a son armée féminine déjà nombreuse et déjà glorieuse », voir annexe C5.249 Ibid.250 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.103.251 Le Figaro, 15 septembre 1944 « La guerre des femmes ; La « commandant » Dumesnil nous parle des « Filles de l'Air » », voir annexe C4.252 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p.102.
65
Ainsi, tout comme pour les AFAT, leur engagement est présenté sur le même plan que
celui des hommes tout en introduisant des spécificités féminines. En effet, les cinq écoles
dépendantes des FFA soulignent encore la majorité des rôle féminins qui leur sont
réservés : cadre, secrétaires et rédactrices, ambulancière et conductrices, s'occuper de la
radio ou encore infirmières. Finalement, les missions qui leur sont destinées, en priorité, ne
touchent pas directement aux armées aériennes comme pourraient le laisser penser leur
statut et leur mode de vie « en caserne ». Le Figaro informe donc de manière précise son
lectorat à propos des combattantes armées pour la Libération de la France. Cependant, le
quotidien met également en évidence par ces articles la bonne organisation des
Britanniques, puisque sans eux aucune formation militaire n'auraient pu être fourni aux
AFAT, ni aux FFA.
B/ Les armées alliées fémininesDe plus, les quotidiens soulignent l'intégration des femmes aux armées libératrices
alliées. En effet, l'Humanité accorde beaucoup d'importance aux soldates soviétiques avec
des articles tels que « Toutes les femmes du monde peuvent être fières de leurs compagnes
soviétiques »253, « Zoïa héroïne de l'Union Soviétique »254 ou encore aux femmes
Roumaines et Tchécoslovaques « Anna Pauker »255 ou « Tzola Dragoïcheva »256. Toutefois,
nous n'approfondirons pas ces éloges de combattantes car elles n'ont pas directement
influencé le sort de la France. Les communistes les présentent uniquement à la Libération
comme des modèles pour toutes les Françaises, ce qui semble les conduire à l'édification
d'un nouveau modèle féminin. Ce qui concerne plus notre étude sont les articles traitant des
femmes qui ont débarqué en Normandie, ou qui furent parachutées de Londres avant la fin
de la guerre. Une seule référence est faite dans l'Humanité à ces femmes « le meeting sera
aussi sous la présidence d'honneur des femmes combattantes dans l'armée (sic) alliées et
françaises »257 . Or la réalité idéologique du quotidien le rattrape vite et il est spécifié que
par « alliés » les communistes entendent prioritairement, les soviétiques : « en particulier
les glorieuses partisanes de l'URSS (tempête d'applaudissement) ». Ainsi, la participation
armée à la Libération du territoire français par des étrangères militarisées ou des françaises
incorporées aux bataillons alliés est retranscrite uniquement dans le Figaro.
253 L'Humanité, 2 janvier 1945. 254 L'Humanité, 4 et 5 novembre 1945. 255 L'Humanité, 6 décembre 1945.256 Ibid.257 L'Humanité, 12 avril 1945 « On ne changera rien, sans faire confiance à la femme » a déclaré hier soir au vélodrome d'hiver sous la présidence de Jacques Duclos devant 25 000 Parisiennes enthousiastes Maurice Thorez », voir annexe B15.
66
Plusieurs mentions de l'héroïsme de ces femmes sont tout d'abord à souligner. En
effet, une cérémonie est organisée en mai 1945 à leur gloire avec un défilé de jeunes filles
de la Women Army Corps258. La WAC est d'ailleurs spécifiquement présentée dans un
article du 15 septembre 1945 :
« Elle commença son entraînement en juillet 1943, en un temps où 440 femmes se préparaient à constituer les cadres de cette armée qui en compte aujourd'hui 50 000 »259.
Leurs missions restent de l'ordre de celles confiées généralement aux femmes :
« Le travail qui se fait derrière les lignes est le notre, poursuit Mrs Wilson, il faut que les hommes soient nourris, habillés, soignés. Il nous est même arrivé d'habiller des Françaises de la division Leclerc qui n'avaient pas d'uniforme, lorsque nous étions à Londres ».
Le quotidien confirme par cet article la continuité des tâches traditionnellement féminines
confiées aux femmes armées, d'autant que leur féminité est en plus accentuée.
« « J'espère que les Français ne nous jugeront pas trop mal, bien que nous soyons entrées à Paris décoiffées, casque de travers, les souliers crottés... » Tels sont les premiers mots d'Anne W. Wilson, lieutenant colonelle du Women's Army Corps des Etats Unis ».
La coquetterie féminine est donc flattée par le Figaro et s'impose comme une nécessité
pour que leur engagement militaire soit accepté. Ainsi, une exception est tout de même
soulignée dans cet article, un commandement féminin « Anne W. Wilson lieutenant
colonelle ». En effet, en France le pouvoir était rarement confié aux femmes, or en
Amérique où à Londres la conception et les exigences de la guerre étant différentes, elles
purent s'affirmer en tant que chef dans une armée régulière, mais notons tout de même
qu'Anne W. Wilson dirige une section strictement féminine.
Des femmes se sont donc engagées dans les armées qui leur ouvraient les portes.
La vie militaire était difficile à vivre surtout pour celles qui ne voulaient pas et ne
pouvaient pas sciemment perdre leur féminité, sans être blâmées. Cependant, certainement
par besoin de moralité et pour éviter les scandales religieux, le Figaro délaisse les critiques
qui surgirent sur la présence de femmes dans cet univers très masculin. En effet, d'après les
recherches historiques sur la question, la sexualité fit rapidement surface dans les
considérations populaires de la moralité de ces engagements féminins au sein des armées.
Comme pour les collaboratrices, certains ont soupçonné des ambitions sexuelles, des
envies d'évasion et de liberté plus qu'un véritablement engagement patriotique, comme si 258 Le Figaro, 12 mai 1945 « Les troupes féminines interalliées défileront lundi dans Paris » et 15 mai 1945 « 2000 jeunes femmes en uniforme ont défilé hier aux Champs Elysées ».259 Le Figaro, 15 septembre 1945 « La guerre des femmes. Le « lieutenant-colonelle » Wilson qui commande à 7000 femmes-soldats nous dit ce que sont les WAC ».
67
elles avaient voulu « refuser la sexualité conjugale »260. Toutefois, en aucun cas cette vision
ressort dans la presse de ces années là, leur engagement est pleinement soutenu et félicité,
tant qu'elles ne perdent pas leur féminité. On peut dire que peu importent les réactions, la
guerre a brouillé la frontière entre les deux sexes. L'effort de guerre directement émanant
des femmes fut mieux accepté qu'en 1914. Sur le modèle des armées britanniques et
américaines, les femmes furent même accueillies dans des formations régulières françaises.
L'image de la femme en armes est devenue une réalité même si encore exceptionnelle.
Cette évolution de l'image est une preuve du changement social et de la prise en compte
des femme dans le droit de guerre261.
II. L'insurrection nationale : une réussite strictement parisienne ?Les femmes communistes participant à la prise d'arme pour la Libération de Paris
sont glorifiées par la presse d'opinion. Or, les femmes ne sont pas uniquement présentées
comme une catégorie spécifique des insurgés, elles font parties du peuple parisien tout
entier qui s'est soulevé contre l'occupant. Elles ont donc pris part au milieu d'hommes à la
Libération, sur le modèle de « l'insurrection nationale » prôné par la presse communiste
clandestine. Cependant, la France fut une immense mosaïque au cours de 1944, les
modalités de libération furent diverses, notons l'exemple particulier de la Corse libérée
depuis le 4 octobre 1943262, alors que la Rochelle reste allemande jusqu'à l'armistice du 8
mai 1945. Ainsi, nous allons voir s'il est réellement probant d'employer le terme d'
« insurrection nationale ». Il est également important de s'interroger sur les argumentaires
politiques que l'expression peut susciter et la place que la presse accorde aux femmes dans
ces événements.
A/ Peut-on parler d'insurrection nationale ?« La Libération de la France, s'est avant tout la Libération de Paris, bien que les
deux débarquements aient eu lieu auparavant et qu'il faille attendre encore quelques mois
pour que le territoire national soit débarrassé des occupants »263. Cette citation de l'historien
André Kaspi souligne la spécificité accordée à la Libération de la Capitale mais aussi les
différences de modalités et de temporalités des libérations en province.
Tout d'abord attardons nous sur les libérations extérieures à Paris. En effet, les
libérations sont variées, parfois des villes se sont libérées seules, d'autres furent délivrées
par les Forces Françaises de l'Intérieur et enfin d'autres par les Alliés (américains,
260 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes... op.cit. p. 281.261 Ibid, p.284.262 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p. 254.263 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p. 102.
68
britanniques ou canadiens). Ainsi, avant les débarquements, les FFI ont joué un grand rôle
dans la préparation du terrain avec de lourds sabotages, surtout dans les régions alpines264.
La presse quotidienne de la Libération reconnaît le rôle joué par ces formations de
résistants armés mais sans évoquer de femmes avec des articles généralement sur ce
modèle : « Les FFI en Haute- Savoie La Libération d'Annecy et le long martyre de la
Maurienne »265. Toutes ces libérations par les troupes alliées ou les FFI ( Loire, Rhône,
Auvergne, Limousin, Sud Ouest 266), présentées dans la presse (particulièrement au sein du
Figaro) rompent avec l'image de la participation du peuple, on ne peut donc pas parler
d'insurrection nationale à l'échelle du territoire français.
Paris est alors l'exception qui permet d'envisager l'idée « d'insurrection
nationale »267. Cette notion est issue de la propagande résistante depuis le début de la
guerre, massivement soutenue par les communistes, comme nous le verrons. Elle pose des
ambiguïtés entre gaullistes, Alliés et communistes, quant à la prise de pouvoir après la
Libération268. Ainsi le consensus sur la notion se réalise autour de sa représentation de
l'unité de la nation pour éviter une Libération de Paris purement par des forces étrangères.
Or, malgré les risques et réticences des autorités de la France Libre de voir son
déclenchement trop rapide, le peuple de Paris se soulève dès le 19 août 1944, derrière les
grévistes, cheminots et policiers, qui avaient déjà lancé leur manifestation à partir du 15269.
Et alors placardé sur les murs de la Capitale l'affiche du Comité Parisien de Libération qui
lance l'appel à l'élévation de barricades par toute la population parisienne. La presse
réapparaissant au grand jour dans ce contexte, la question de la Libération de Paris est au
cœur de l'actualité du mois d'août 1944, avec une représentation différente d'un quotidien à
l'autre. En effet, le Figaro fait quatre fois références au cours de ce mois à l'image de « la
levée en masse de la population parisienne »270, sans jamais employer le terme
d'insurrection nationale. Par ailleurs ses articles sont toujours liés à l'arrivée des forces
libératrices alliées, soulignant le fait que le peuple parisien ne s'est pas libérée seul « on
assista à la montée d'une foule frémissante vers les portes par lesquelles d'un instant à
l'autre, pensait-on , pouvaient entrer les libérateurs »271. Toutefois, n'oublions pas qu'au 264 « à l'intérieur des terres, les FFI ont laminé le potentiel militaire de l'ennemi [...] aucun train ne circulait plus depuis le 15 juin sur les deux voies Aix-Grenoble et Livron-Briançon » in ibid p. 78.265 Le Figaro, 21 septembre 1944.266 DURAND Yves, Histoire générale … op. cit., p.135.
267 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p. 450.268 Voir Chapitre 3.269 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p.112.270 Le Figaro, 26 août 1944 « Un message de M. Eden au peuple français ».271 Le Figaro, 23 août 1944 « La délivrance de Paris ».
69
départ, les Alliés ne devaient pas entrer dans Paris, mais suite à la demande de de Gaulle et
face à la puissance que va prendre le soulèvement des Parisiens, l'envoi de troupes semble
inévitable272. A l'inverse la presse communiste fait l'éloge de « l'insurrection nationale à
Paris »273, avec sept articles directement consacrés à la mobilisation de toute la population
parisienne pour libérer la capitale avec des phrases marquantes telles que « A la bataille de
Paris, tout un peuple, femmes, enfants, vieillards a participé »274, « formidable insurrection
populaire »275, « victoire du peuple de Paris de 1944 ». Ainsi malgré les contrastes donnés
par le Figaro, l'image de l'insurrection nationale à Paris semble être indiscutable. C'est
l'ensemble de la population qui s'est uni contre l'oppresseur, femmes et enfants compris,
même s'il semble évident que leur victoire ne put être accomplie sans l'arrivée des Alliés
dans la nuit du 24 au 25 août. Le Figaro insiste moins sur le rôle des Parisiens mais
souligne que l'armée qui a libéré la capitale est une armée de soldats français, ce qui ancre
un peu plus l'image de l'unité nationale. Paris devait être libérée en priorité par des
Français comme l'a toujours soutenu de Gaulle : « Hier à 22 heures, les troupes françaises
arrivaient place de l'Hôtel-de-Ville »276, « que Paris fut libéré de l'odieuse occupation
allemande, c'était déjà un rêve. Mais que cette délivrance fût l’œuvre, non seulement des
armées anglo-saxones mais de l'armée française »277.
On peut donc confirmer que parler « d'insurrection nationale » n'est convenable
que pour Paris bien qu'encore toute la population française n'employait pas le terme à
l'époque. Paris est donc l'une des seules réussites de l'ambition de la Résistance d'une
mobilisation de la population pour leur propre Libération, bien que l'Humanité soutienne le
contraire dans ces années là : « presque toutes les grandes villes de France chassèrent elles-
mêmes l'occupant »278. Toutefois, Paris reste entouré d'un mythe qui exagère la réalité de
l'action du peuple. En effet, ce n'est pas tout Paris qui s'est soulevé mais « des Parisiens »
qui n'auraient jamais pu sauver leur ville sans l'arrivée des Alliés279. Seulement 2% des
villes ont connus un soulèvement du peuple contribuant à leur propre Libération, les autres
272 DURAND Yves, Histoire générale... op.cit. p. 135.273 L'Humanité, 22 août 1944 « Le déroulement de l'insurrection nationale à Paris ».274 L'Humanité, 26 août 1944 « Jacques Duclos nous déclare... « La population parisienne a glorieusement repris la tradition des combats patriotiques » ».275 L'Humanité, 27 août 1944 « Paris vainqueur salue en la personne du Général de Gaulle La France maintenue, la Résistance victorieuse la lutte armée qui a sauvé le pays ».276 Le Figaro, 25 août 1944.277 Le Figaro, 26 août 1944 « Paris transporté d'enthousiasme acclame le général de Gaulle. Parmi les barricades, au son du canon et des mitrailleuses, le peuple de Paris a fêté dans une immense allégresse sa liberté reconquise ».278 L'Humanité, 2 janvier 1944 « Bilan de 1944 ».279 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p. 117.
70
se répartissent en deux catégories : pour 13% des cas la population est restée spectatrice et
le rôle militaire a été délaissé aux Forces Française de l'Intérieur (tel que Grenoble les 22 et
23 août 1944), mais dans 85% des cas les Allemands ont quitté la ville avant qu'elle soit
attaquée directement ou ils furent chassés par les forces débarquées280. Néanmoins, ce
débat autour de l'existence réelle ou non d'une insurrection nationale a surgi dès août 1944
et les usages politiques de l'événement furent assez opposés selon les opinions.
B/ La Libération de Paris dans les discours de de Gaulle« Vive le peuple de Paris ! Vive le Général de Gaulle ! Vive la France ! »281, par
ces exclamations, le Figaro souligne à la fois son soutien au gouvernement, sa prise en
compte de la participation du peuple à la Libération et sa volonté de la restauration d'une
grande France. Son lien direct avec le chef du Gouvernement Provisoire nous amène à
nous questionner sur la vision du général de ce mouvement populaire et sur son emploi
politique jusqu'à sa démission en janvier 1946. Ainsi, il serait malaisé de soutenir le fait
que de Gaulle ait été totalement bienveillant à une insurrection du peuple. En effet, il
comprenait la nécessité d'une Libération par la population pour légitimer la réaffirmation
d'une France puissante et contre-balancer le souvenir de la défaite, mais il souhaitait que
cette insurrection soit contrôlée. D'ailleurs Schumann, porte parole de la France Libre à
Londres, glorifie dans une intervention à la radio au printemps 1944 le rôle des maquisards
qui doivent représenter la levée en masse du peuple français. Ainsi, le soulèvement
populaire envisagé par la France Libre n'est pas une « insurrection nationale », mais une
mobilisation des éléments utiles et encadrés, soutenue à l'arrière par toute la population
française282. Le rôle des femmes se rattachent alors à des tâches présentées comme
secondaires dans les actes de libération. Elles doivent être au service des libérateurs
comme infirmière ou responsable du ravitaillement. Ce point de vue sur la mobilisation des
Parisiens sera également le choix des Britanniques283. De Gaulle lancera d'ailleurs un ordre
à un « soulèvement national » plutôt qu'« une insurrection nationale »284 ce qui explique le
non emploi du terme au sein du Figaro.
En outre, cette vision théorique, avant tout déclenchement de mouvement
populaire, va rapidement devoir faire face à des débordements qui influeront les plans
280 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p. 450.281 Figaro, 24 août 1944 « Paris combat pour sa liberté. Autour des barricades, la lutte s'amplifie contre les éléments des SS et de la Werhamacht ».282 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.244.283 Ibid p.244.284 Ibid p.245.
71
prévus par les Alliés285. Ainsi, devant l'ampleur que pris l'insurrection nationale, de Gaulle
dû l'incorporer plus massivement dans ses discours et dans sa vision de la guerre. Ce qui
sera un point avantageux pour lui contre l'influence que cherchent à imposer les Alliés. Il
entre à Paris le 25 août sous les hommages de la foule : « Paris transporté d'enthousiasme
acclame le général de Gaulle »286. Il va donc massivement s'appuyer dans ses discours
politiques sur cette nouvelle image du peuple uni : hommes et femmes dans la même
égalité pour le redressement de la France. Tous ces discours mentionnés, voir parfois
retranscrits entièrement dans les quotidiens, font resurgir cette argumentation. Son discours
d'octobre 1944 est très éloquent dans ce domaine287 et le Figaro le souligne allègrement :
« Le général de Gaulle a terminé son loyal exposé en sonnant le rassemblement de tous les Français, de toutes les Françaises. Ah ! Comme il a eu raison de parler de la bonne foi de l'immense majorité de ce peuple ! »288.
En outre, en avril 1945 une nouvelle cérémonie en l'honneur des Alliés retentit dans la
presse. Les Allobroges retranscrivent un extrait du discours du général :
« Dès l'instant où la terre apprenait que les armées alliées avaient pris pied sur le sol de France dès centaines de millions de pensées se tournaient vers la Ville, attendant d'elle quelqu'une de ces éclatantes actions par quoi, depuis des siècles, elle signait les événements. Cette action d'éclat, Paris l'a accomplie. Ce fut sa libération, entreprise de ses propres mains, achevée avec l'appui d'une grande unité française et consacrée par l'immense enthousiasme d'un peuple unanime»289.
Cet extrait souligne la reconnaissance faite au peuple parisien qui s'est libéré lui même
malgré qu'il soit spécifié que l'insurrection s'est déclenchée lors de l'arrivée prochaine des
Alliés, en réalité sans certitude qu'ils allaient arriver à temps290. De plus, le « peuple
unanime » est présenté comme confirmant la Libération par son enthousiasme, ce qui
rappel que pour de Gaulle seul une élite de résistants encadrés devaient libérer la capitale.
Au niveau national, le Figaro accorde également beaucoup d'importance à ce discours291.
Par la suite, l'argumentaire du général restera lié à l'union du peuple mais il fera de moins
en moins référence au mouvement parisien d'août 1944, sûrement à cause de ses discordes
avec le PCF, qui comme nous allons le voir accorde beaucoup plus d'importance à la
mobilisation du peuple parisien.
285 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p.122.286 Le Figaro 26 août 1944.287 Extrait du discours du général de Gaulle « La France, ravagée et meurtrie ne doit compter que sur elle-même pour relever ses ruines et refaire sa grandeur dans l'ordre national » in Le Figaro 15 et 16 octobre 1944 « La Vérité ».288 Ibid.289 Les Allobroges, 3 avril 1945 « Le peuple de Paris acclame l'Armée de notre Libération ».290 Film « La Libération de Paris 18-25 août 1944 » Mairie de Paris, Gaumont Pathé archives.291 Le Figaro, 3 avril 1945 « Le Général de Gaulle remet solennellement ses drapeaux et étendards à notre armée renaissante » voir annexe C21.
72
C/ Les communistes initiateurs de l'insurrection nationale « L'appel à l'insurrection, pour nous, était une idée permanente, témoigne Rol-
Tanguy »292. Les communistes sont les plus enthousiastes aux bienfaits d'une insurrection
massive et unie. Ils l'utilisent d'ailleurs dans leur politique. Tout comme de Gaulle, ils
soutiennent l'idée que le peuple doit rester uni (comme dans la Libération) pour faire
renaître la France de ses ruines293. Toutefois, ce qui fait la spécificité du Parti communiste
français face à de Gaulle sur la vision de l'insurrection nationale est que les communistes
envisagent la mise en place d'une nouvelle démocratie après la réussite de l'insurrection
nationale : « une démocratie directe »294. Ainsi, dans son discours sur l'insurrection
nationale le PCF met en avant le rôle prédominant qu'il a joué dans la Libération, voulant
rendre légitime une augmentation de son pouvoir dans le nouveau gouvernement. Tout
d'abord, des héros ou héroïnes communistes sont mis en avant dans les événements d'août
1944 : « Héroïques femmes de Paris ! Le Parti communiste français vous ouvre ses
rangs »295, « Héroïques engagement et victoire des FTPF de Joinville »296. En outre, le PCF
est présenté comme le parti qui a soutenu à lui tout seul le soulèvement du peuple, avec à
l'opposé les résistants non communistes qui auraient tous soutenus la proposition de trêve,
envisagé par le Gouvernement Provisoire de la République Français au matin du 20 août, à
cause de manque de munition des FFI et l'arrivée des troupes alliées qui semblent
s'attarder. Cette trêve spécifiait que les Allemands n'attaqueraient plus les édifices publics
occupés par les résistants et les Français arrêtés seraient traités comme des prisonniers de
guerre. Or, les communistes ne sont pas d'accord et voient dans cette proposition un
avantage pour les résistants gaullistes qui craignent l'insurrection nationale297. La trêve est
alors abandonnée. Plusieurs articles de l'Humanité présente ce refus de la trêve comme
l'opinion de la majorité du peuple parisien. Il s'agit alors d'un argument élogieux pour le
PCF qui souligne le fort soutien dont il bénéficie à l'époque (60 000 adhérents au début
d'août 1944)298. C'est ce que montre par exemple cet article du 4 septembre 1944 :
292 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p. 110.293 L'Humanité, 2 janvier 1945 «unir fraternellement tous les Français pour le service du pays » in «Bilan de 1944 », 15 et 16 juillet 1945 « réuni le peuple entier de l'illustre cité. Et ce peuple innombrable a dressé le spectacle de son unité pensée, de son amour de la patrie et de la République, qu'il a acclamée de toute son âme généreuse » in « Foule enthousiaste échelonnée de la Concorde à la Bastille manifestations en immense cortège. Un million de Parisiens ont acclamé- Unis aux délégués des Etats Généraux de la Renaissance Française- La République, la Constituante souveraine l'unité de la classe ouvrière et l'union des démocrates ».294 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p. 240.295 L'Humanité, 24 août 1944.296 L'Humanité, 28 août 1944.297 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p. 115.298 Ibid p.176.
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«A tous les Parisiens et Parisiennes qui, en couvrant Paris de barricades, en se lançant résolument dans la bataille, malgré le manque d'armes, en s'armant aux dépens de l'ennemi, en assiégeant les Boches dans la capitale et en repoussant avec mépris le mot d'ordre de la trêve, ont montré au monde que le peuple de France est bien décidé à retrouver dans le combat, et par le combat, sa liberté, son indépendance et sa grandeur »299.
Par cet idéal de la Libération de Paris par le peuple, les communistes envisageaient de
s'imposer hautement dans le gouvernement d'après guerre300. Longtemps, le parti fut
d'ailleurs soupçonné de vouloir prendre le pouvoir en France mais les accusations ne
purent jamais être prouvées. L'Humanité est donc un organe de protection contre ces
attaques en faisant, à l'inverse, l'éloge du PCF, afin qu'il acquiert le plus de souscriptions,
surtout parmi le nouvel électorat féminin301. De plus, le quotidien tente d'accroître
l'influence politique du parti en se basant donc sur cette idée d'insurrection populaire,
hommes ou femmes, jeunes ou vieux, qui colle parfaitement avec la politique dictée par
Moscou.
L'insurrection nationale est donc une notion complexe à envisager, notamment à
travers la vision que la presse en donne à l'époque. Elle est finalement reconnue par de
Gaulle, mais soutenue majoritairement par les communistes qui voit en elle un réel
soulèvement massif de tous Paris, alors que de Gaulle envisage plutôt le soulèvement de
résistants encadrés, assistés par le reste de la population. Le problème se pose alors au
moment de la signature de l'armistice en août 1944. Qui doit signer l'armistice ? Leclerc a
été nommé gouverneur militaire provisoire de la capitale en août 1944, il est donc le
signataire que personne ne conteste. Toutefois, le communiste Rol-Tanguy souhaite lui
aussi apposer sa signature en tant que représentant de la Résistance Intérieure, ce que
Leclerc accepte, alors que de Gaulle désapprouve302.
III. Les usages politiques de la notion « d'insurrection nationale » ou de « soulèvement du peuple » entre 1945 et 1947
Après la Libération de Paris, la question de la mémoire apparaît aussitôt. Le
peuple doit définir de qui il fut vainqueur : de Vichy, des Allemands, des collaborateurs ?
Ainsi, contrairement à la Première Guerre mondiale, où les commémorations du 11
novembre s'imposent automatiquement, la mémoire pour la seconde guerre est plus
difficile à cerner. En effet, l'insurrection nationale correspond comme nous l'avons vu à
une spécificité plutôt parisienne, mais la réelle armistice ne sera signé que le 8 mai 1945,
299 L'Humanité, 4 septembre 1944 « Vive l'insurrection Parisienne victorieuse ! Résolution du Comité Central du Parti Communiste Français ».300 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p. 111.301 Voir chapitre 9.302 KASPI André [dir], La libération de la France...op.cit. p.129.
74
alors que la majorité des Français a retrouvé depuis plusieurs mois leur vie sans l'occupant.
De ce fait, les premières commémorations se consacrent aux héros locaux. Puis,
l'insurrection de Paris s'impose rapidement comme une date propice aux célébrations, car
elle reste très festive et joyeuse dans les esprits303, d'autant que le mois d'août marque le
mois de nombreuses libérations en province (par exemple Toulouse le 20 août, Limoges le
21 août, Grenoble le 23 août, Marseille 29 août, Lyon le 3 septembre...).
A/ Août 1945 : les premières commémorations nationales ont-elles déjà oublié la participation des femmes ?
Tout d'abord, du fait de la définition propre que le PCF accorde à la notion
« d'insurrection nationale », il est évident que l'Humanité accorde nettement plus d'articles
aux cérémonies que le Figaro et met davantage en avant l'image du peuple uni. Ainsi au
cours du mois d'août 1945, dix-neuf articles sont consacrés à la Libération de Paris au sein
de l'Humanité. Il s'agit soit d'articles évoquant les cérémonies commémoratives, soit
d'articles rappelant au jour le jour les événements d'août 1944. La référence explicite de la
participation de femmes revient dans dix-sept articles. Néanmoins au cours de ces articles
commémoratifs, les communistes cherchent tout d'abord à souligner à nouveau le rôle
qu'ils auraient joué dans la mobilisation du peuple et cela depuis 1940304. De ce fait, le 19
août est présenté comme un jour historique avec l'entrée du « peuple dans la bataille »305.
Cette journée sonne comme l'émergence au grand jour du PCF qui depuis le début
organiserait la victoire dans l'ombre « le jour où les patriotes, sortant de la lutte
clandestine, allaient enfin attaquer l'ennemi à visage découvert ». Les Francs-Tireurs et
partisans français seraient même à l'origine de l'appel à l'insurrection parisienne antérieur à
celui officiellement placardé dans Paris le 19 août 1944306. Cet entretien, un an après les
événements, de l'idée que la nouvelle « Révolution » parisienne est un succès émanant des
communistes, correspond à l'image dont veut se doter le parti : un parti révolutionnaire, sur
la base de la propagande idéologique soviétique. C'est donc sur le modèle de la Révolution
de 1789 que le PCF va chercher à ancrer le souvenir de ces journées commémoratives, en
privilégiant le modèle de la collectivité et de la violence de la victoire307. A l'inverse, ceux
303 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.561.304 L'Humanité 19 et 20 août 1945 « depuis le jour même de juin 1940, où la capitale avait été occupée, Paris n'avait pas accepté; parce que le climat de combativité avait été créé par des manifestations de lutte de plus en plus fréquentes et de plus en plus importantes » in « Le peuple dans la bataille » voir annexe B28, L'Humanité, 23 août 1945 « Le Bureau de la fédération communiste de Paris-Ville salue Jacques Duclos et Benoît Frachon guides des luttes contre l'envahisseur et de l'insurrection parisienne organisateurs du combat des barricades en août 1944 ».305 L'Humanité, 19 et 20 août 1945 « Le peuple dans la bataille », voir annexe B28.306 L'Humanité, 16 août 1945 « Il y a un an... Tous au combat ! Clamaient les Franc-Tireurs et Partisans de la région parisienne ».307 L'Humanité, 22 août 1945 « 22 août tous aux Barricades ».
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qui ont cru en la victoire définitive des Allemands ou qui ont envisagé une trêve lors de
l'insurrection sont à nouveau dénigrés :
« malgré les traîtres, les lâches et les pessimistes qui voyaient avec effroi le peuple de Paris se jeter dans la bataille qui prédisaient la destruction de la ville et le massacre des habitants […] les Parisiens se sont libérés eux-mêmes »308.
L'insurrection est donc présentée comme forte et indestructible, le peuple a même permis
l'arrestation de tanks avant qu'ils détruisent Paris « Partout, c'est la chasse aux tanks. La
ville n'est plus qu'un piège, dans lequel la bête se débat »309. Paris s'est donc libéré par lui-
même avec le soutien du PCF, tel est l'image que veut transmettre l'Humanité en 1945.
En outre, comme nous l'avons déjà mentionné, les communistes font l'éloge de
résistantes qui ont participé héroïquement à la bataille de Paris. Or, des articles en 1945
présentent également des femmes qui sans collaborer sont plutôt restées dans l'attentisme
jusqu'en août 1944, où elles ont pris alors activement part à la Libération de Paris. Ainsi,
l'héroïsme de l'insurrection nationale semble plus importante que les critiques communistes
envers les attentistes. Un article s'attarde donc sur cette nouvelle mobilisation de femme
lors de l'insurrection :
« Nous nous adressions plus spécialement aux femmes, en leur montrant que le moment était venu de chasser l'occupant qui avait tué les meilleurs de nos familles, et fait mourir tant de nos petits enfants»310.
Malgré le cœur dynamique de l'actualité d'août 1945311, les quotidiens communistes
accordent un rôle crucial aux commémorations de la Libération et soulignent la
participation des femmes.
Par ailleurs, la presse non communiste commémore également ces journées
héroïques. Onze articles traitent des cérémonies commémoratives et des hommages rendus
aux libérateurs de Paris au sein du Figaro. Le premier date des 12 et 13 août comme
simple mention du déroulement des cérémonies « le premier anniversaire de l'insurrection
parisienne »312. Ensuite, divers articles donnent plus d'informations sur le déroulement des
événements d'août 1944, mais le Figaro ne fait toujours pas référence à l'expression
« insurrection nationale ». Comme dans l'Humanité, le 19 et 20 août un long article
308 L'Humanité, 24 août 1945 « 24 août 1944 Dans Paris qui a brisés ses chaînes entrent au soir les premiers tanks français ».309 L'Humanité, 23 août 1945 « 23 août 1944 Paris immobilise les tanks ».310 L'Humanité, 29 août 1945 « Insurgées » épisode 3 « Quand elles arrachaient les pavés ».311 Le mois d'août 1945 correspond à la fois à l'envoi des bombes atomiques au Japon engendrant sa reddition et ce fut également le mois de la grâce de Pétain.312 L'Humanité, 12 et 13 août 1945.
76
commémore la « semaine héroïque »313 de Paris. Or, même si le terme « insurrection » est
employé dans cet article, il est cité sans référence à l'ensemble de la population mais
uniquement envers les grévistes cheminots et policiers. De plus, le Figaro accorde une
place prédominante aux rôle des « troupes libératrices ». Le peuple voit alors son influence
minimisée au profit des armées libératrices « toutes les troupes ayant combattu pour libérer
Paris »314, « Paris acclame les soldats qui l'ont libéré de l'oppression allemande »315 ou
encore le même jour on peut également lire « Il y a un an...Von Scholtitz qui pouvait
détruire Paris capitulait après de brefs combats ». Au final, le Figaro glorifie plus la
journée du 25 août316 (du fait de l'arrivée de la seconde division blindée, concluant à la
Libération définitive de Paris) que le 19 juin (commémoration de l'insurrection nationale
par les communistes). La dimension insurrectionnelle est alors amoindrie par le quotidien
et la participation des Parisiennes aussi par la même occasion. Il y a donc des discordances
dans la mémoire des événements selon les opinions.
B/ Les commémorations de la Libération de Paris dans la presse non communiste après 1945
Le mois d'août va rester durant plusieurs années le symbole de la commémoration
de la guerre de 1939 et 1945 (avant que les congés payés et les départs en vacances
n'affectent trop la participation aux cérémonies)317. Nous allons donc voir son évolution en
1946 et 1947. Tout d'abord notons qu'on trouve également des articles sur les
commémorations dans la presse régionale. Le Dauphiné Libéré mentionne les cérémonies
en l'honneur des Libérations régionales : « Il y a deux ans la Résistance et les Alliés
rendaient la liberté à Grenoble. Aujourd'hui, ces heures glorieuses seront commémorées
avec ferveur »318, toutefois, ces élogieux articles ne mentionnent à aucun moment la
participation de femmes. De plus, on trouve également des articles liés à l'insurrection
nationale parisienne, en août 1946 deux articles, puis un petit y font encore référence en
1947, mais on note déjà une diminution de l'intérêt porté aux événements. Les
commémorations régionales touchent plus la population, alors qu'il est tout de même
maintes fois reproché à celle-ci de ne pas assez prendre part aux cérémonies : « les fêtes
de la Libération de Grenoble -il faut dire la vérité- se sont déroulées sans beaucoup
d'éclat »319. Cette diminution d'intérêt pour les commémorations est certainement liée à la
313 Le Figaro, 19 et 20 août 1945 « Paris commémore la semaine héroïque de sa délivrance ».314 Le Figaro, 24 août 1945 « Il y a un ans les chars de la division Leclerc arrivaient à l'hôtel de ville ».315 Le Figaro, 25 août 1945.316 Le Figaro, 26 et 27 août 1945 « Paris reconnaissant a célébré la glorieuse journée du 25 août ».317 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.561.318 Le Dauphiné Libéré 22 août 1946.319 Le Dauphiné Libéré 25 août 1947 « Les fêtes de la Libération de Grenoble ».
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lassitude de la population de leur situation précaire et difficile au quotidien, comme par
exemple les problèmes de ravitaillement n'ayant pas réellement évolué alors que la guerre
est finie depuis deux, voir trois ans320. De plus comme nous le verrons, les Grenoblois (et
encore plus les Grenobloises) ont moins participé à ces journées libératrices que les
habitants d'autres villes, ce qui peut également expliquer cet intérêt mémoriel moins vif
que pour d'autres localités321. La population ne place donc pas la mémoire de la Seconde
Guerre mondiale dans ses préoccupations premières. D'autant que la date des cérémonies
est floue : la Libération de la région ne veut pas dire la fin de la guerre et cela la population
en a totalement conscience.
Dans la presse nationale non communiste, nous avons déjà vu l'intérêt nuancé
accordé au peuple dans la Libération et encore plus particulièrement aux femmes. Ainsi,
les commémorations en 1946 et 1947 n'ont pas un très grand écho dans le Figaro, mais le
rôle du peuple est toutefois clairement mis en évidence en 1946.
« Dans un irrésistible élan, sans distinction de métiers ou de croyances, la capitale s'insurgeait contre l'occupant. Il y eut des étudiants, des soldats, des agents, des prêtres, des femmes, des ouvriers, des bourgeois qui donnèrent leur vie pour que Paris fût libre. Journée de sacrifice et de joie inoubliable qui sont entrées dans l'histoire, comme portées par une foule unanime »322.
Aucune référence aussi claire de la participation des femmes à la Libération n'a été
effectuée les années précédentes. On peut supposer une évolution des mentalités, à laquelle
s'ajoute la situation politique complexe pour le Figaro, depuis le départ de de Gaulle. Le
quotidien revalorise ainsi la France unanime dans cette période de clivage politique « Deux
ans de sont écoulés. La France n'est plus unanime » et comprend de plus en plus l'enjeu du
nouvel électorat féminin323. Au final, le Figaro tempère sa politique « pro alliés » en
expliquant la double Libération de Paris, par les armées libératrices mais également par la
population :
« Paris commémore à la fois sa délivrance et sa libération. Ce n'est pas un jeu de mots : Paris s'est libéré ; Paris a été délivré. On ne distinguait pas, alors, car il y avait entre ceux qui ont combattu pour venir jusque là et ceux qui avaient lutté pour les attendre en hommes libres, un commun dénominateur : l'impatience »324.
Ainsi tout en conservant le 25 août comme symbole de la réussite de la Libération, le
Figaro intègre davantage la participation du peuple, mais sans évoquer les actions réelles
qu'ont effectuées des femmes, voir même au contraire en les délaissant comme le souligne
320 Voir chapitre 8.321 Voir chapitre 7.322 Le Figaro, 20 août 1946 « Deux ans après... ».323 Voir chapitre 9.324 Le Figaro, 25 et 26 août 1946 « Vingt-cinq août ».
78
l'emploi du terme « hommes » dans le dernier article cité. Le but du Figaro n'est donc pas
de renouer avec une vision mixte et égalitaire de la participation à la Libération, mais de
résoudre les oppositions politiques entre le Mouvement Républicain Populaire (fondé le 26
novembre 1944 sur les opinions des démocrates chrétiens et des centristes, il se qualifie
comme fidèle au général de Gaulle) et les communistes. Ainsi, ces articles ont pour
objectif d'unir les résistants de l'intérieur avec la France Libre. En 1947, le Figaro
développe une nouvelle conception encore. En effet, le premier article évoquant les
commémorations reste très neutre et ne donne aucune opinion sur les événements d'août
1944325. Toutefois quelques jours plus tard, un éditorial de François Mauriac326 vient
rompre avec cette nouvelle neutralité. François Mauriac fait le point sur les articles et la
politique choisie par le Figaro en août 1944. Ainsi il réaffirme haut et fort son soutien à la
politique gaulliste.
« Après trois ans, nous pouvons nous rendre ce témoignage que nous sommes restés fidèles à nous même.[...] certains de mes amis me rappellent aujourd'hui, non sans amertume, et où j'exprimais l'admiration, la gratitude passionnée que ne finira jamais d'éveiller en moi le seul nom de de Gaulle ».
Bien que de Gaulle ait reconnu la participation des femmes au soulèvement populaire, en
1947 le Figaro replonge dans la première vision du programme de la France libre pour la
Libération de la capitale: une force armée française libératrice (résistants intérieur armés et
FFL appuyés par les Alliés). Les femmes sont donc les laissées pour compte de cette
vision, leur aide semble très sommaire.
C/ L'insurrection nationale au service du militantisme communiste L'insurrection nationale étant un point fort de la politique du PCF, entre 1944 et
1945, les femmes insurgées semblent aussi nombreuses que les hommes, la vision est-elle
identique au fil des années d'après guerre ? Ce nouvel héroïsme au féminin s'est-il
réellement ancré dans les mentalités ?
Les commémorations de la Libération de Paris conservent une forte importance au
sein de l'Humanité. En 1946, encore neuf articles traitent du sujet et sept en 1947. De
nombreux points restent en commun avec la vision présentée en 1945. La référence au
passé révolutionnaire est alors continuellement soulignée « 18 et 19 août ! Le Paris des
barricades, le Paris glorieux de 1793, le Paris des révolutions passe à l'attaque »327. L'aspect
engagé pour une nouvelle France est donc continuellement au centre de l'intérêt de ces
325 Le Figaro, 20 août 1947 « Troisième anniversaire de la Libération de Paris ».326 Le Figaro, 23 août 1947 « L'anniversaire ».327 L'Humanité, 18 et 19 août 1946.
79
articles. Cette nouvelle France doit passer par une forte épuration pour les communistes,
ainsi, ils utilisent l'image de l'insurrection et des actes héroïques dont ont fait preuve
l'ensemble du peuple parisien pour justifier la nécessité d'une épuration toujours plus
strictes :
« Comme notre peuple a réussi en son temps à faire reculer les capitulards, il réussira aussi à mettre en échec les partisans de l'encouragement à la trahison et, sur le plan international, les innoncenteurs (sic) de l'agression allemande ».
D'ailleurs dans l'Humanité presque tous les articles des commémorations en 1946 et en
1947 condamnent ceux qui n'ont pas pris part aux combats ou qui ont voulu une trêve328.
Enfin, les communistes n'omettent pas qu'il leur est souvent reproché de n'être entrés en
guerre qu'à la suite de la mobilisation de l'URSS en juin 1941. Ainsi, ils utilisent les
articles sur l'insurrection nationale pour justifier leur engagement dès 1940. Leur rôle étant
prouvé dans les manifestations d'août 1944, elles sont présentées comme l'aboutissement
d'une longue organisation mise en place depuis 1940. Ainsi, les communistes démontrent
leurs engagements précoces qui auraient pris place avant les ordres de Moscou :
« La résistance contre l'hitlérisme commença à s'organiser sur le sol national aussitôt qu'il fut envahi […] L'entrée en guerre de l'Union soviétique créa incontestablement dans tout le peuple un élan de confiance indestructible en la victoire des nations démocratiques […]. Mener une lutte acharnée, sans merci, contre l'Allemand, n'était ni une forme de propagande, ni une agitation anarchique et stérile. C'était le seul moyen de préparer la levée en masse de l'immense armée des combattants sans uniforme, c'était: le seul moyen d'assurer le succès de l'insurrection nationale »329.
L'Humanité sans dissimuler la joie330 qui a émanée des journées libératrices de Paris,
profite donc, au contraire, de cet enthousiasme pour forger sa politique et attirer le soutien
populaire aux PCF.
Au contraire, des évolutions très nettes sont aussi décelables dans la manière de
traiter le sujet de l'insurrection. En effet, dès 1946, les articles soulignant la particularité de
l'engagement des femmes dans les combats disparaissent. Elles ne sont plus que
328 L'Humanité, 20 août 1946 « « les attentistes de l'insurrection sont devenus les freineurs de la juste répression » in « Il y a deux ans Paris s'insurgent « dans leur tombeau les martyrs crient Justice » déclare André Tollet au cours d'imposantes cérémonies commémorative », 22 août 1946 « Il y a deux ans, dans Paris hérissé de barricades « L'Humanité » seule avec « Front National » dénonce la « trêve » et appelle au combat » et 25 et 26 août 1946 « « Le combat est moins cher que la passivité » proclame Charles Tillon devant son PC clandestin », 17 et 18 août 1947 « André Marty rend hommage aux combattants de l'Intérieur sourds à l'attentisme de Londres » et 25 et 26 août 1947 « Pour décourager la volonté de lutte des hommes de la Résistance, ont annoncé que des divisions allemandes puissamment armées allaient refluer sur Paris, massacrer la population et réduire la ville en cendres. On n'a jamais vu ces division fantômes » in « Comme il y a trois ans, pour la libération...UNION, UNION pour la renaissance et l'indépendance ».329 L'Humanité, 25 et 26 août 1946 « 25 août 1944 Paris a gagné sa liberté « Le combat est moins cher que la passivité » proclame Charles Tillon devant son PC clandestin ».330 L'Humanité, 21 août 1947 « Le joie et l'espoir nous faisaient battre le cœur, nous étions prêts à tout donner » in « Trois ans ont passé... ».
80
mentionnées parmi le peuple uni, d'où l'expression reprises plusieurs fois : « Paris se
libère »331. Les femmes n'ont donc plus leur rôle mis en avant et ne sont citées que deux
fois comme actrices directes pour la Libération332. Toutefois, dans la rubrique femme qui
se développe en 1946, en quatrième page de l'Humanité, leur rôle est plus mis en avant,
cependant on peut supposer que ces pages ne sont majoritairement lues par les femmes333.
Au final, les communistes accordent de plus en plus d'intérêt au peuple uni pour la
reconstruction qu'à la spécificité que le mois d'août 1944 représente pour les Parisiennes334.
En outre, d'autres évolutions peuvent être considérées, telles que la mise en avant de la
Libération du siège du Parti communiste français. Cette Libération devient très symbolique
à partir de 1946 et mise en avant dans plusieurs articles. De cette manière le PCF se
positionne comme libre et fort durant les journées d'août 1944 et renforce l'image de son
influence. Enfin, la dernière nouvelle prise de position de l'Humanité au cours de ces
années là est l'aspect primordial que le quotidien donne au Comité de Libération dans la
proclamation de l'insurrection. En effet, auparavant le rôle du Comité n'était jamais mis en
évidence. Or, à partir de 1946 son rôle décisionnaire est prônait : « 18-19 août 1944 : Le
Comité de Libération proclame l'insurrection »335, « le peuple parisien,[...] prenait les
armes et dressait les barricades à l'appel du Comité Parisien de la Libération et du
commandement des F.F.I »336. L'Humanité accorde donc de plus en plus de place à l'éloge
du Parti communiste dans les événements d'août 1944 qu'à la commémoration de la
participation active du peuple : hommes, femmes, enfants et vieillards. Au final, le PCF se
place par ces articles comme le représentant directe de la masse populaire. Cette prise de
position n'est pas totalement fausse, puisqu'en 1946, le PCF compte 800 000 adhérents.
Toute une génération est imprégnée de l'idéologie communiste.
Les journées héroïques d'août 1944 restent donc présentes dans les journaux
nationaux et régionaux de 1946 et de 1947. Chaque périodique souligne le moment clé que
331 L'Humanité, 27 août 1946 «Après l'émouvante commémoration de la libération à l'hôtel de ville La « marche vers l'Avenir » de la jeunesse de France s'est déroulée de la République au Palais de Chaillot » et 17 et 18 août 1947 « 18-25 août 1944 : Paris se libère ».332 L'Humanité, 18 et 19 août 1946 « c'est au grand jour et par milliers qu'ils vont s'élancer, hommes, femmes, enfants pour se libérer du boche et de ses valets » in « 18-19 août 1944. Le Comité de Libération proclame l'insurrection », 17 et 18 août 1947 « Des milliers d'inorganisés, des vieux, des enfants, des femmes participèrent à la construction des barricades, ravitaillèrent les combattants en nourriture et en munition, transportèrent et soignèrent les blessés » in « Doctrine et Histoire. L'insurrection parisienne ».333 Voir annexe B41.334 L'Humanité, 25 et 26 août 1947 « Comme il y a trois ans, pour la libération...UNION, UNION pour la renaissance et l'indépendance ! ».335 L'Humanité, 18 et 19 août 1946.336 L'Humanité, 25 et 26 août 1947 « Comme il y a trois ans, pour la libération...UNION, UNION pour la renaissance et l'indépendance ».
81
représente la Libération, selon les idéaux qu'ils défendent. En effet, l'Humanité a choisi
d'utiliser l'idée d'insurrection nationale au profit du Parti communiste ainsi que pour
défendre la nécessité d'une union nationale, qui pour eux, commenceraient par l'union des
socialistes et des communistes337, ce que refusent totalement les socialistes. Le Figaro, lui,
délaisse toujours le rôle joué par les femmes au profit de l'armée allié, même si elles
semblent tout de même plus prises en compte que les deux années antérieures. L'unité du
peuple est pour lui aussi un enjeu majeur dans cette période de clivage politique où chaque
nouveau soutien politique est un avantage considérable pour les élections, qu'il espère
bénéfique aux démocrates-chrétiens.
Pour conclure, l'insurrection nationale est un terme difficile à employer. En effet,
de Gaulle lui même a préféré l'expression « soulèvement national ». Le terme semble
directement connoté un idéal communiste, comme le confirme les articles de l'Humanité
dans les années de Libération. Les femmes auraient pu voir leur rôle placé au premier plan,
avec l'exposition de la nouvelle image que les Parisiennes ont offerte. Or l'héroïsme de ces
femmes est souligné lors du premier anniversaire de la Libération, alors que la France est
encore dans l'euphorie de la victoire en se remémorant ces journées, mais dès 1946, leurs
actions s'effacent rapidement des mémoires, elles seront citées comme participantes aux
barricades sans que plus aucune d'elles ne soient mises en avant comme une réelle héroïne.
Pour le Figaro dès 1945, il privilégie le rôle des armées libératrices plus que celui du
peuple, ce qui respecte parfaitement la politique du général de Gaulle, mais délaisse alors
la participation féminine.
Cette première partie nous a donc démontré que les femmes ont pris part dans les
deux camps à la guerre franco-française qui s'est immiscée dans celle contre l'occupant
allemand. A la Libération, la France a conscience de ce double aspect dont on fait preuve
les femmes que l'on croyait alors peu capables d'engagement idéologique. Or souvent, leur
décision de collaborer ou de résister ne fut pas un choix politique comme nous l'ont
prouvés les articles mais plus les aléas du contexte et leur spontanéité personnelle. Ainsi,
des femmes ont eu des relations avec des collaborateurs ou des Allemands sans pour autant
avoir des pensées antisémites ou nazies, comme la femme de Doriot qualifiée au contraire 337 L'Humanité, 25 et 26 août 1947 « le peuple est fort quand il est uni. La condition de son union, c'est que socialistes et communistes luttent côte à côte. Il faut toujours en venir là » in « Comme il y a trois ans, pour la libération...UNION, UNION pour la renaissance et l'indépendance ! ».
82
de pro-britannique. Et à l'inverse, des résistantes ne se sont pas engagées pour suivre de
Gaulle ou les communistes mais plutôt par instinct, comme si cela était un devoir naturel
pour elles. La presse de la Libération transmet clairement l'existence des deux reflets de la
Française, avec en outre, l'image héroïque et spécifique des Parisiennes au moment de la
Libération. Ces femmes là ne sont pas vues comme des résistantes, outre celles qui ont agi
auparavant du déclenchement des événements, elles sont majoritairement vues comme des
attentistes qui ont fait preuve de patriotisme à un moment clé pour la France. L'Humanité
et le Figaro reflètent tout deux ces images de la Française de la Seconde Guerre mondiale,
tout en conservant leurs différences idéologiques. L'Humanité présente la collaboratrice
comme traîtresse par excellence alors que la résistante est l'image parfaite de la femme
moderne vers laquelle les Françaises doivent tendre, tout en conservant leur spécificité
féminine, que la France au lendemain de la guerre à besoin de retrouver pour affirmer le
retour à la paix. Le Figaro, lui, condamne moins sévèrement tous les actes de
collaboration, mais prône en parallèle l'héroïsme des résistants, en accordant toutefois une
place plus modérée la participation des femmes. Par contre, seul le Figaro fait état de la
participation de femmes en uniforme à la Libération de la France. Cette spécifité se justifie
par son soutien massif et officiel à l'armée britannique et américaine, contrairement à
l'Humanité qui fait l'éloge de l'Armée Rouge, on peut donc déceler des prémisses de la
Guerre Froide.
83
Deuxième partie :
Prisonnières et déportées : un flou lexical autour de la
victimisation des femmes
Chapitre 4- L'image de la déportation et de la torture dans la presse de la Libération
Comprendre l'histoire des femmes, l'imaginaire qui les entoure et leur ancrage dans
les mentalités, sans connaître la vision que la société a du reste du monde, est impossible.
Ainsi dans ce chapitre nous nous attacherons à décrypter l'image de la déportation et des
tortures mentionnées par la presse de la Libération. Nous délimiterons donc des évolutions
temporelles dans les mentalités et tous les débats que ces thèmes ont pu susciter dans la
presse. L'intérêt n'est pas d'étudier en profondeur la vie concentrationnaire ou les
emprisonnements par la Gestapo et la Milice, mais d'essayer d'entrer dans les
représentations de l'époque sur ces événements, afin de pouvoir comprendre par la suite
comment les femmes y ont été intégrées. Toutefois, il est important de souligner que ces
représentations à travers la presse sont faussées par la censure. En effet, les informations
qui parviennent à la société française sur l'avancée de la guerre, la découverte des camps et
les rapatriements sont soumis à divers filtres tels que la censure politique du ministère
Frenay (mis en place le 12 mars 1944) ou la censure éditoriale selon les titres de presse. La
censure militaire est sans doute la plus restrictive comme le souligne cet extrait de l'article
2 de l'ordonnance du 6 mai 1944 « toutes informations et publications susceptibles de
compromettre la sécurité de l'armée ou celle des populations soumises à l'oppression de
l'ennemi ou de l'usurpateur ou, d'une façon générale, les nécessités de la défense nationale.
Cette interdiction préalable ne peut toutefois être exercée sur le plan politique »1. Ainsi
toute information relative aux détenus en Allemagne est vouée à la censure car les
négociations entamées à partir de 1944 par la Croix Rouge pour des échanges de détenus
ne sont pas terminées.
I. Le flou lexical à la LibérationLa « Solution Finale », la « déportation », les « camps », la « torture de patriote »,
tout ce vocabulaire connote aujourd'hui pour nous les horreurs de la Seconde Guerre
mondiale. La « déportation » est le terme le plus important à définir ici pour comprendre le
flou lexical qui inonde la presse de la Libération. Or cette presse n'en donne aucune
définition, et ce manque nous amène à penser que sa signification était courante dans
l'esprit des Français. En effet, le terme est employé depuis le XVIIIe siècle, en tant que
peine politique afflictive et infamante qui consiste à être condamnée à l'expulsion du
1 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps et le retour des déportés ; l'histoire en souffrance, Complexe, Paris 1995, p.163 à 164.
85
territoire continental français2. Jusqu'à la Première Guerre mondiale, le terme gardera cette
définition. Puis apparaît avec la Grande Guerre dans la France du Nord et en Belgique la
vision de la déportation comme l'envoi de travailleurs forcés en Allemagne et de premiers
résistants dans les camps. Ainsi, quelques années plus tard, ce vocabulaire est pleinement
intégré par les Français qui voient une similitude entre les deux formes de déportation. La
déportation prend donc un sens généralisant et n'accorde pas dans ces années de guerre et
d'après-guerre de hiérarchisation, ni de spécification3. D'ailleurs dès 1943, le terme
« déportation » est employé massivement sur les ondes de la BBC pour désigner les
nouveaux STO ce qui efface alors un peu la réalité massive des autres déportés. La presse
de la Libération n'explique donc pas le terme de « déportation » connu de tous et ce
manque de précision peut conduire les lecteurs à des amalgames dans la démonstration du
vocabulaire concernant directement les camps et les déportés.
A/ Un vocabulaire confus autour de la notion de « camp»Le Figaro, l'Humanité, les Allobroges ou le Dauphiné Libéré font tous des
amalgames dans le choix de leur vocabulaire à propos des camps. En effet, l'expression
« bagnes nazis » est utilisée à de nombreuses reprises. L'emploi de ce terme fausse la
réalité des camps tout en restant fidèle à la représentation que les individus se faisaient à
l'époque de la déportation. En effet, comme nous l'avons expliqué, le terme de déportation
était d'abord rattaché aux condamnations d'expulsion de la métropole ce qui renvoie aux
bagnards des travaux forcés. L'uniforme rayé des déportés dans les camps de la Seconde
Guerre mondiale rappelle alors les tenues des bagnards. En outre, les articles mettent sur le
même plan des camps à finalité totalement différente. En réalité il existe deux catégories
de camps nazis. Tout d'abord, les camps de concentration ayant au départ pour objectif de
rééduquer les individus contestataires, ensuite sont construits en Europe de l'Est les camps
d'extermination, qui comme leur nom l'indique, ont pour vocation de ne laisser aucun
survivant (sont primordialement concernés les Juifs, mais aussi les Soviétiques et
Tziganes). Plus tard, les chambres à gaz de ces camps d'extermination seront également
installées dans des camps de concentration, mais la vocation exterminatrice des camps de
l'Est ne s'imposera pas. Ainsi, dans un même article, des camps totalement différents sont
comparés.
2 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Paris, Hachette, janvier 2003, p.25.3 BRUTTMANN Tal, JOLY Laurent, WIEVIORKA Annette [dir], Qu'est-ce qu'un déporté ? Histoire et mémoires des déportations de la Seconde Guerre mondiale,Paris, CNRS éditions,2009, p.19 à 26.
86
« Un nouvel enfer. C'est celui d'Holleischen, délivré depuis le 6 mai. Comme à Auschwitz, à Buchenwald, c'était le labeur écrasant, les appels à l'aube où les morts doivent figurer, les coups, les tortures et la faim »4.
Cet extrait nous amène à souligner le caractère polyvalent d'Auschwitz qui ne peut pas être
comparé à un autre camp. En effet, il est construit en trois annexes séparées, avec des
objectifs différents. Il est une exception dans le système concentrationnaire même si
aujourd'hui il semble être la norme que tout le monde a retenue. Le premier édifice est
destiné dès le début de la guerre à terroriser la population et doit avoir une fonction de
rééducation. Le second est édifié à la demande de Hitler pour accueillir 100 à 200 mille
personnes, principalement des Soviétiques. Autour, les Allemands escomptaient
développer toute une nouvelle organisation urbaine. Le troisième camp est à la fois un
camp de concentration et un camp d'extermination : Auschwitz-Birkenau. Cette spécificité
n'est nullement prise en compte encore au lendemain de la Libération. Par contre, l'emploi
des expressions « camp d'extermination » ou « camp de mise à mort » existe et souligne un
trouble sur leur définition concrète des termes. En effet, Dachau, le Struthof ou encore
Buchenwald sont désignés comme tels alors qu'ils sont des camps de concentration5. A
l'inverse Maïdanek est qualifié d' « épouvantable », de « barbarie hitlérienne », d' « enfer »
ou encore de « camp de l'horreur »6, mais il n'est jamais désigné comme un camp
d'extermination ou de mort ce qu'il est en réalité. Le problème est qu'il n'y a aucune
différenciation faite entre l'emploi du terme « camp de concentration » et « camp
d'extermination ». Le mot de camp est assimilé à un modèle commun.
« ce que trop de Français ignorent, continue M. Cain, c'est que les camps de déportés politiques étaient des camps d'extermination »7
De ce fait, un même camp peut être désigné au sein du même quotidien par l'un ou l'autre
terme. Ce fut le cas pour Buchenwald à la fois « le plus épouvantable des camps de
concentration du Reich »8 et quelques jours plus tard « une organisation scientifique
4 L'Humanité, 11 mai 1945 « Bagnes nazis. Elles ont mangé de l'herbe... ».5 L'Humanité, 24 avril 1945 « Le Camp nazi de Birkenau... c'était une gigantesque usine ou se fabriquait la mort » voir annexe B19, 26 mai 1945 « camps d'extermination de Dachau » in « Libérée de Dachau Mme Thuyschaever est de retour en France », 23 octobre 1945 « Les obsèques des 86 victimes du Struthof ont lieu aujourd'hui à Strasbourg ». Le Figaro 19 avril 1945 « Buchenwald était une organisation scientifique d'extermination... nous déclare M. Julien Cain ».6 L'Humanité, 10 février 1945 « Corentin Le Du évadé de Maïdanek est de retour chez lui » et 12 février 1945 « Maïdanek camp de l'horreur !».7 L'Humanité, 21 avril 1945 « Les SS faisaient des abats-jour en peau humaine... Marcel Paul relève les horribles punitions infligées à Buchenwald ».8 Le Figaro, 17 avril 1945 « 3500 libérés du camps de Buchenwald attendent leur rapatriement ».
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d'extermination »9. Cette similitude de vocabulaire se retrouve également chez l'Humanité
à propos de « la sauvagerie allemande morte dans le camp d'extermination de Struthof »10
qui le lendemain est qualifié de « camp de concentration »11. A la Libération un moule
commun semble être imposé au monde des camps, or les multiples expériences et la
diversité des camps empêchent toute signification réelle à ce modèle. De plus, les
kommandos tendent à être oubliés par les articles de presse, ils sont cités sans explication.
Il faut attendre septembre 1945 pour qu'une définition soit donnée:
« Les kommandos (détachement prélevés sur les stalags) jouiront, par contre, de plus de facilités plus de contact avec l'extérieur »12.
Cependant, elle est inexacte, en réalité les kommandos sont des usines de travail rattachées
aux camps de déportation, alors que les stalags et les oflags sont des centres pour
prisonniers de guerre (selon leur grade). La distinction entre camps, kommandos, stalags et
oflags n'est pas encore faite. Ce point nous amène à nous questionner sur la représentation
du déporté, puisque même le sort des prisonniers de guerre semble comparé à celui des
résistants ou des Juifs.
B/ La politique d'union du Ministère des Prisonnières et Déportés brouille le vocabulaire
« Cet appel s'adresse à tous les Rapatriés, Prisonniers de Guerre, Déportés
Politiques, Travailleurs Déportés, nous comptons sur la solidarité de tous »13 , le terme de
« déportés » englobe toutes ces catégories à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sans
oublier la référence aux déportés de la Première Guerre14. Par rapport au sens propre de
« déportation » que nous avons donné, le « déporté » désigne donc tous les déplacés hors
des frontières, ce qui met sur un pied d'égalité les déportés politiques et résistants, les Juifs,
les prisonniers de guerre et les travailleurs du STO (volontaire ou non). Statistiquement,
les déportés, détenus en camps de concentration nazi ou envoyés en camp d'extermination,
ne représentent que huit absents pour cent requis du STO et prisonniers de guerre15. Cette
unité nationale autour du terme de « déporté » a été encouragée au niveau politique. En
effet, le 9 novembre 1943, Henri Frenay est nommé à Alger commissaire aux Prisonniers
et aux Déportés. Dès le 8 décembre, les attributions du commissariat sont fixées et 9 Le Figaro, 19 avril 1945 « Buchenwald était une organisation scientifique d'extermination... nous déclare M. Julien Cain ».10 L'Humanité, 23 octobre 1945 « Les obsèques des 86 victimes du Struthof ont lieu aujourd'hui à Strasbourg ».11 L'Humanité, 24 octobre 1945 « 86 victimes de la terreur nazie ont été enterrées à Strasbourg ».12 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1945 « Une Française de 72 ans était l'animatrice du « centre d'évasions » de Berlin » C29.13 Le Dauphiné Libéré, 8 octobre 1945 « Appel à tous les rapatriés ».14 BRUTTMANN Tal, JOLY Laurent, WIEVIORKA Annette [dir], Qu'est-ce qu'un déporté ?...op.cit.p.28.15 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.47.
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englobent à la fois les prisonniers de guerre, les travailleurs (soi-disant volontaire) ou STO
ainsi que les « ressortissants non militaires des pays alliés ou neutres se trouvant en France
ou devant être rapatriés »16. Puis le 12 mars 1944 le commissariat devient un ministère qui
repose sur la fusion de trois organisations de résistance et de prisonniers de guerre. Ainsi,
dans les mois qui précèdent les rapatriements, le Ministère souhaite réunir les rapatriés
dans une confédération unique ce qui va lancer une nouvelle campagne de propagande :
« ils sont unis », « ne les divisez pas ! »17. Ce mélange entre les catégories est visible dans
la presse d'ores et déjà avant la fin de la guerre18 et s'amplifie encore dans les articles sur les
rapatriements19. Un article du mois de mai 1945 dans le Figaro est entièrement consacré à
la distinction entre les catégories de « prisonniers » mais au final l'article les présente
différents par la cause de leur déportation mais ne spécifie pas les divers caractéristiques de
leur vécu concentrationnaire20. Cette politique d'unité dirigée au départ par le Ministère de
Frenay va être renforcée le 11 mai 1945 par une ordonnance qui va accentuer le flou entre
les catégories de déportés, comme le montre par exemple la définition alors donnée de
déportés politiques : « transférés par l'ennemi hors du territoire national, puis incarcérés et
internés pour tout autre motif qu'une infraction au droit commun »21. Cette définition ne
met pas en avant la nécessité d'avoir été incarcéré dans un camp de concentration ou
d'avoir pris part à la Résistance, elle spécifie juste la nécessité d'être Français ce qui à
l'inverse exclu un grand nombre de Juifs étrangers. Au départ, même les organismes et les
associations ne se spécifient pas pour une catégorie de déportés et certaines vont même
jusqu'à fusionner22. A l'inverse des français s'insurgent rapidement sur l'emploi du terme
« déporté du travail », mais cela n'est pas repris par la presse qui se veut unificatrice. Il faut
attendre plusieurs mois, voir plusieurs années après la guerre pour que les consciences
s'éveillent sur la réalité de ce que représentaient les différences entre les catégories.
Au final tout au long de la période d'après guerre que nous avons étudiée, le flou
persiste autour du champ lexical de la déportation. En effet, même si le procès de
Nuremberg offre des informations plus concrètes sur la signification de camp de
concentration, par la projection d'un film par exemple, la presse continue à employer
16 KASPI André [dir], La libération de la France : juin 1944- janvier 1946, Paris, Perrin, 1995, p.273.17 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.121 à 123.18 Le Figaro, 31 août 1944 « parmi les problèmes les plus actuels posés par la libération de Paris, celui des prisonniers de guerre et déportés civils fait évidemment l'objet de soin particuliers» in « Il y a 600 000 déportés politiques en Allemagne » révèle M. Mitterand ».19 Les Allobroges, 13 avril 1945 « 21000 prisonniers politiques libérés près de Weimar ».20 Le Figaro, 26 mai 1945 « Les prisonniers » chronique par Alexandre Arnoux.21 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p. 142.22 Le Figaro, 9 novembre 1944 « le mouvement national des Prisonniers de guerre et déportés et les Centres d'Entraide ont fusionné » in « Les prisonniers de guerre ont réalisé leur union ».
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comme synonyme camp de concentration, de la mort ou d'extermination. De plus, les
catégories respectives de déportés sont évidentes, mais les politiques, la presse et le monde
associatif tendent à créer un seul modèle de vie en déportation. L'union nationale semblait
donc être le seul moyen pour que la France se reconstruise sur de bonne base.
II. De la Libération de Paris à la libération des camps : la découverte de la barbarie nazie.
Le trouble lexical perdure pendant plusieurs années après la guerre, toutefois, des
informations sur les camps ont en réalité circulé avant la Libération de Paris. En effet, dès
février 1943 un tract intitulé « J'accuse » mentionne le camp d'Auschwitz, et Paris Match
réalise un grand reportage photographique sur Dachau. Dans la presse de la Libération, les
témoignages d'évadés de prisons ou de camps ont foisonné, avant même l'ouverture des
camps.
A/ Les premières informations sur la déportationDès septembre 1944, les quotidiens ont publié des articles sur la déportation, mais
avec des différences très nettes entre eux. Ainsi, pour les deux quotidiens nationaux
étudiés, on peut noter que l'Humanité a centré la source de ses articles sur les témoignages
de rescapés aidés par l'Armée Soviétique, tandis que le Figaro a mis en évidence les
témoignages des religieux23. Le Figaro reste toutefois assez imprécis sur la période
précédent l'ouverture des camps. A l'inverse l'Humanité cherche à être le quotidien le plus
informé sur la réalité de la déportation, ce qui lui permet encore de justifier ses appels à la
vengeance. Ainsi dès le 13 septembre 1944, un long article retranscrit le témoignage d'un
ancien STO24. Ce témoin explique son travail quotidien au côté des déportés d'Auschwitz :
« requis pour le service de travail obligatoire, il a passé là-bas huit mois, en contact
journalier avec les martyrs ». Ce premier témoignage aurait pu éclairer les différences entre
STO, Juifs, et déportés politiques.
««La nuit, nous étions séparés, mais le jour, ils travaillaient avec nous, et nous parlions ensemble [...]
Tous les juifs, tous les déportés politiques faisaient la même besogne ?
- Ils étaient divisés en trois groupes. Je ne sais ce qu'on faisait des femmes et des enfants ; un camp spécial avait été établi pour eux à 25 kilomètres de la ville. Le second groupe comprenait les vieux et ceux qui ne pouvaient pas travailler : on les triait immédiatement, soit en les faisant passer à la chambre à gaz, soit en les brûlant au four crématoire, soit, le plus souvent, en leur faisant une piqûre ».
23 Le Figaro, 9 septembre 1944 « Libéré du camp de Compiègne Monseigneur Théas, évêque de Montauban nous fait le récit de ses épreuves », 30 septembre 1944 « L'abbé Rodhain expose le rôle des aumôniers dans les camps et les persécutions exercées contre les prêtres français », 20 avril 1945 « Le témoignage d'un religieux sur Buchenwald ».24 L'Humanité, 13 septembre 1944 « Un témoin vous parle : chambre à gaz... four crématoire.... piqûres mortelles... Auschwitz camp de l'horreur » , voir annexe B4.
90
Le camp spécial pour femmes (dans Birkenau)25, l'extermination systématique des
personnes âgées sont des aspects d'Auschwitz compris par tous. Toutefois, l'extermination
radicale des Juifs est passée sous silence. Au final, on suppose quelques différences de
traitements dans les camps, mais les conditions de travail et de vie au camp entre déportés
politiques, Juifs ou STO semblent identiques hormis un cas qui est présenté comme
anecdoctique « Un jour, un juif est tombé dans une coulée de béton. On n'a pas arrêté le
travail pour si peu ». A l'inverse un mois plus tard, le massacre systématique dont est
victime la population juive semble prendre du sens pour les Français : « 10 000 Juifs
massacrés à Lwow par les bourreaux SS. […] Il ne fallait pas de bouches inutiles »26. La
pédagogie de l'horreur semble alors déjà prendre place dans la presse communiste avant
même l'ouverture des camps. Des photographies viennent d'ailleurs renforcer les articles.
Certains témoignages sont parfois exagérés afin d'accroître l'image de la barbarie
allemande27. Ce qui ressort au final dans les discours des premiers rescapés retranscrit par
les journaux est l'image extraordinaire de leur survie dans « l'enfer », les témoignages
soulignent la conscience qu'ils ont de faire partie d'une minorité dans une masse de
disparus28. L'emploi du terme « enfer » sous entend donc directement le vécu d'affreuses
souffrances29 ce que confirme les témoignages sur les tortures.
B/ L’infamie de la torture« L'horreur est toujours dépassée et le pire n'est jamais sûr », cette citation aurait
parfaitement pu qualifier la découverte d'un nouveau camp, or elle est extraite d'un article
en septembre 1944 traitant des tortionnaires de la Gestapo30. Ainsi, on comprend que la
population française libérée de quatre années d'Occupation a tendance à assimiler les
souffrances encourues par les déportés en Allemagne ou en Pologne à celles les prisonniers
de Fresnes ou de la Gestapo. Les premiers articles traitant des tortures au lendemain de la
Libération, soulignent l'extrême barbarie de la Gestapo française, dont les membres sont
25 Voir chapitre 5.26 L'Humanité, 18 octobre 1944 « Chambre à gaz, écartèlement « chasse au lapin » ».27 Voir chapitre 5.28 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.167.29 L'Humanité, 13 septembre 1944 « Il est sorti de l'enfer et ne peut l'oublier » in « Un témoin vous parle : chambre à gaz... four crématoire.... piqûres mortelles... Auschwitz camp de l'horreur », 26 décembre 1944 « S'échapper de l'enfer était la préoccupation constante, la pensée lancinante de tous les détenus » in « Horrible raffinement de la barbarie hitlérienne Struthof : le camp des supplices », 10 février 1945 « Deux millions de malheureux sont morts dans cet enfer » in « Corentin Le Du évadé de Maïdanek est de retour chez lui ».30 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1944 « Les tortionnaires de la Gestapo. Ce que j'ai vu rue des Saussaies », voir annexe C3.
91
clairement présentés comme des traîtres, au sein du Figaro comme de l'Humanité31. Par
ailleurs, les quotidiens font également mention des prisonniers de France par des miliciens
ou des allemands. Leur arrestation est encore une fois associée à la déportation étant donné
que les prisons sont généralement un lieu de passage avant le départ vers les camps.
L'exemple de Fresnes est le plus significatif et le plus connu de tous32.
En outre, l'Humanité souligne également par des reportages photographiques la
barbarie des Allemands envers les Résistants33. Ces clichés démontrent la volonté
communiste de dénoncer le nazisme dans ce qu'il a de plus indicible, ces photographies
feront d'ailleurs écho à la Libération avec les reportages sur les cadavres dans les camps
hitlériens, d'où encore une mise en perspective dans les esprits entre prisonniers, torturés et
déportés.
C/ L'ouverture des camps de l'horreur Avant les découvertes macabres des camps de concentration la réalité de la
déportation ne sera jamais admise par les Français. Auschwitz est le premier camp à être
libéré par les Soviétiques, le 27 janvier 1945, mais aucune grande divulgation ne fut faite à
son sujet. En effet, les Russes choisirent une politique de discrétion sur les horreurs tant
que la guerre n'était pas gagnée. De plus, les Allemands avaient détruit tous les documents
importants, ainsi que démantelés et brûlés les stocks avant la grande évacuation du camp le
18 janvier 1945, où 58 000 détenus quittèrent le camp presque tous pieds nus, dans le
froid34. Il a donc fallu attendre la découverte des camps de l'Ouest par les Alliés pour que la
presse s'empare de grands reportages à leur sujet. Le premier où pénètrent les Alliés
occidentaux est Ohrdruf le 4 avril 194535, parmi la division qui ouvre les portes du premier
camp se trouve le célèbre journaliste et écrivain américain Meyer Levin. Face à la
découverte de ce lieu d'horreur le général Eisenhower décide que le monde entier doit être
témoin de ces abominations et demande la présence d'autres journalistes et photographes,
se développe alors la « pédagogie de l'horreur »36. Des documents photographiques ont pu
31 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1944 « supplices inventés, du sadisme de l'ingéniosité dans la malfaisance, du vrai génie du mal déployés par les spécialistes de la Gestapo […] parfois[...] des gens qui d'après leur état civil, pouvaient se dire Français » in «Les tortionnaires de la Gestapo. Ce que j'ai vu rue des Saussaies », voir annexe C3. L'Humanité 7 mars 1945 « il était assez malsain, au cour des années 1943-44, de faire de la résistance en compagnie d'un Ledanseur ou d'un Bouillon, car on ne tardait pas à prendre le chemin de l'avenue Foch » in « La Gestapo de l'Avenue Foch devant la Cour de Justice... Ils espionnaient, arrêtaient, volaient, torturaient et faisaient des « affaires ».32 Le Figaro 2 et 3 septembre 1944 « les écrivains en prison trois mois à Fresnes par Stanislas Fumet ».33 Voir annexe B6.34 MANSON Jean [dir. ] Leçons de ténèbres Résistants et Déportés FNDIR et UNADIF, p.140.35 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.77.36 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne [dir] La libération des camps... op. cit. p.61
92
immortaliser les camps, d'ailleurs certains sont publiés dans la presse37, accompagnés de
légendes. Néanmoins, ni les photographies, li leurs légendes n'informent réellement la
population mais elles deviennent plutôt des démonstrations de la barbarie nazie38. En outre,
des visites furent même imposées, comme aux habitants de Weimar pour le camp de
Buchenwald, afin que les civils allemands prennent conscience de la réalité de ce qui se
déroulait à quelques mètres de chez eux. Cette politique est très clairement défendue par le
Figaro.
« Ce que l'on appelle la « propagande » ne suffit pas et ne convient pas. Car la « propagande » est une action tendancieuse, souvent mensongère (nous en savons quelques chose!) ? Or il s'agit de faire reconnaître des réalités. La meilleur méthode me semble celle que les Américains ont adoptée à Weimar : amener la population à constater elle même les abominations qui se passaient dans tel et tel camp de déportés abominations dont tous les Allemands sont solidairement responsables devant le Monde»39.
Cette décision souligne le choc qu'a pu causer l'ouverture des camps, d'ailleurs une
multitude d'articles soulignent à quel point ces découvertes semblaient inconcevables
auparavant. Par exemple le 20 avril 1945 l'Humanité intitule un imposant article (débutant
sur la une et se poursuivant en page deux) : « Les camps maudits ont avoué leur honte »40,
quelques jours plus tôt on pouvait d'ores et déjà lire dans le Figaro les propos de James de
Coquet envoyé spécial pour le quotidien « je n'en ai jamais vu de plus hallucinant que celui
là, ni aucun qui fasse plus douter de la raison humaine »41 . Cet article est d'ailleurs le plus
édifiant sur le choc que ces découvertes macabres ont provoqué dans l'opinion européenne.
Toutefois, on peut aussi comprendre que certaines informations soient censurées. En effet,
la censure imposait de ne pas alerter les familles françaises sur le devenir des leurs. Ainsi
comparé aux autres victimes le sort des français est clairement amoindri.
« il y avait de tout ici : des travailleurs « en répression », des déportés politique et des otages. Toutes les nationalités sont représentées unies dans la même souffrance et marque du même air d'hébétude. Pourtant les Français- il y en avait une centaine et la plupart sont évacués- se reconnaissent encore. Ils sont un peu moins sales que les autres et l'on lit dans leurs yeux la volonté de ne pas abdiquer ».
D'ailleurs cette volonté du gouvernement de protéger les sensibilités familiales se confirme
par l'interdiction jusqu'au 10 mai 1945 du film Maïdanek42, ce qui a choqué les
37 L'Humanité, 20 avril 1945 « les camps maudits ont avoué leur honte » voir annexe B18, 24 avril 1945 « Le camp nazi de Birkenau... c'était une gigantesque usine où se fabriquait la mort » voir annexe B19.38 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne [dir] La libération des camps...op.cit. p.87.39 Le Figaro 22 avril 1945 « Les Martyrs » voir annexe C23.40 L'Humanité 20 avril 1945 « les camps maudits ont avoué leur honte » voir annexe B18.41 Le Figaro 18 avril 1945 « Une atrocité allemande :Kleingladbach le camp de la déchéance ».42 L'Humanité 21 avril 1945 « La projection du film sur Maïdanek est suspendue ! », 11 mai 1945 « Le film Maïdanek est enfin autorisé ».
93
communistes étant donné qu' ils veulent un gouvernement qui ne cache rien au peuple,
d'autant plus que cette censure n'existait pas dans le monde anglo-saxon43.
Malgré la censure, de nouvelles atrocités sur les camps vont être publiées par les
quotidiens, parfois avant même le retour des rescapés. Un exemple semble pertinent ici
puisqu'il est repris par tous les quotidiens étudiés : les « abat-jours en peau de victimes »,
également qualifié d'« abat-jours en peau humaine »44. Cet exemple fait partie des
caractéristiques qui vont placer Buchenwald comme modèle des camps de concentration
dans l'esprit des Français lors de ces années d'après guerre. Les Américains en obligeant la
population de Weimar à visiter ce camp, qui est le premier à exposer réellement aux
armées alliées la complexité du système concentrationnaire, l'ont érigé comme le camp
d'horreur par excellence45. Malgré tout d'autres noms de camps font tout de même écho
pour les Français à la Libération comme le souligne cet extrait du Figaro « Auschwitz,
Ravensbrück, Büchenwald, Belsen, Dachau : ce sont là des noms devant lesquels
l'indignation même est frivole et stérile »46.
Au final, toute cette pédagogie de l'horreur, et les articles qui se sont greffés
autour, avaient pour vocation de rééduquer la population allemande et d'accroître la
conscience chez tous les individus que la cruauté qui a eu lieu lors de cette guerre est belle
et bien l’œuvre d'êtres humains, d'où la nécessité de ne jamais oublier.
« Notre véritable angoisse nous vient de ce que ces crimes ne sont pas des crimes de Martiens, mais des crimes d'hommes, et que toute la race humaine, en un certains sens, en porte sur elle la souillure. (…) Mais les crimes allemands sont aussi les crimes de l'espèce humaine, et, dans la mesure où l'espèce humaine est solidaire, tout homme peut en être dit le complice et en sent sur lui la honte »47.
Ainsi, dès juin 1945 est crée à Paris une exposition sur les crimes hitlériens 48, le modèle de
l'exposition sera repris en août 1947 dans la région d'Annecy49. L'ouverture des camps a
donc permis à la population de se dessiner une représentation de la déchéance totale dont
43 Les Allobroges 5 mai 1945 « le film tourné au camp de Buchenwald est actuellement projeté sur les écrans de Londres et dans les cinémas d'Amérique » in « Il faut que vous sachiez ».44 Le Figaro 20 avril 1945 « Le témoignage d'un religieux sur Buchenwald ».L'Humanité 21 avril 1945 « Les SS faisaient des abat-jours en peau humaine. Marcel Paul relève les horribles punitions infligées à Buchenwald ». Le Dauphiné Libéré 14 décembre 1945 « De macabres pièces à conviction à Nuremberg ».45 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.79.46 Le Figaro 9 juin 1945 « Tortures »47 Ibid.48 L'Humanité 7 juin 1945 « Chambre de tortures. Camps d'extermination. Crimes de guerres. », 16 juin 1945 « Muette d'horreur et de colère une foule énorme se presse à l'exposition des crimes hitlériens », Le Figaro 10 et 11 juin 1945 « Exposition sur crimes hitlériens », 13 juin 1945 « « Crimes hitlériens » au Grand Palais ».49 Le Dauphiné Libéré 25 août 1947 « Crimes hitlériens une émouvante exposition »
94
furent victimes les détenus de ces lieux, d'autant plus lors des retours et des premiers
témoignages des rescapés sur la réalité du vécu concentrationnaire50. Le printemps de 1945
est donc une période paradoxale qui mêle la joie de la fin de la guerre, au choc de la
découverte des camps, ce qui en même temps signifie pour certaines familles des
retrouvailles attendues depuis des années. L'union nationale souhaitait par le gouvernement
provisoire se devait d'être une réponse à cette période de trouble émotionnel, or les conflits
sur les modalités des rapatriements vont en réalité être l'occasion de nouvelles scissions.
III. La presse et les débats sur le rapatriementLe Ministère dirigé par Frenay, qui reste un commissariat jusqu'au mois de mars
1944, a toute la responsabilité du rapatriement des Français. En effet, la politique d'union
nationale dont nous avons déjà traitée s'inscrit dans cette première mission du ministre :
organiser le retour des déportés, prisonniers de guerre et STO. Avant, même que la guerre
soit finie trois tâches lui sont donc confiées : soutenir matériellement et moralement les
expatriés et leurs familles, organiser le rapatriement et la réintégration dans la communauté
nationale51. Nous allons donc voir comment le ministère a organisé cela et qu'elles furent
les critiques que ses choix suscitèrent.
A/ L'organisation des rapatriements : entre choix gouvernementaux et contraintes des AlliésLes « absents » tel est le terme générique choisi par Henry Frenay pour qualifier
tous ceux qui ne se trouvent pas sur le territoire national et dont il faut organiser le
rapatriement52. Les plus nombreux sont les prisonniers de guerre ce qui pousse le ministre à
créer dès juillet 1944 le corps militaire du rapatriement, avant qu' programme de
rapatriement soit décidé. Les rescapés doivent rester sur leur lieu de détention en attendant
des délégués qui viendront effectuer un contrôle sanitaire et politique afin de les regrouper
par nationalité et d'organiser les rapatriements vers la France53. Ainsi, tous les moyens de
transports sont recherchés dont la SNCF qui propose des estimations sur ses capacités de
contribution pour les rapatriements (estimations qui très vite s'avéreront impossibles à
respecter). Une partie de ces chiffres sont cités dans un article du Figaro le 16 février
1945 :
« L'UNRRA espère pouvoir rapatrier chaque jour 25 000 personnes par chemin de fer, 6000 (les grands blessé et les malades) par avion, 6000 enfin par bateau »54.
50 Voir chapitre 5.51 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.32.52 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p. 262.53 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.37.54 Le Figaro 16 février 1945 « Comment s'effectuera le rapatriement des prisonniers et déportés ».
95
Suite à ces organisations, très vite des rapatriements de prisonniers de guerre vont se
mettre en place. Ils sont vus comme la priorité en raison de leur importance numérique.
Dès la Libération de Paris « l'accueil aux prisonniers se prépare »55 et en mars plus de mille
prisonniers sont accueillis par Frenay56. Néanmoins, les contraintes territoriales et les
objections des Alliés vont très vite nuire à l'application du programme. En effet, les
Américains et les Britanniques vont supplanter le ministère des Prisonniers et Déportés
avec la SHAEF (Supreme Headquarter Allied Expeditionary Forces) qui donne une priorité
absolue aux prisonniers de guerre anglo-saxons puis aux prisonniers de guerre des autres
nations, et après seulement arrive le rapatriement des civils (et donc des déportés). Même
si les contraintes sanitaires lors de l'ouverture des camps vont bouleverser les projets
initiaux, étant donné que la santé des prisonniers de guerre semble moins mise à mal que
les autres déportés57, cet ordre de rapatriement reste en vigueur. De ce fait, on peut lire dans
le Figaro et dans la presse régionale cette prise de conscience de la priorité offerte aux
Alliés: « Tous les déportés alliés seraient immédiatement rapatriés »58, « 5000 prisonniers
alliés libérés près de Cassel [...] 150 000 Français attendent en Pologne leur
rapatriement »59. L'organisation mise en œuvre par Frenay est tout de même soutenue par le
Figaro, ainsi quasi-quotidiennement un article « Prisonniers et déportés » informe de
l'avancée des rapatriements. De plus, une grande publicité est faite au « millionième
rapatrié » accueilli le premier juin 194560. Le Figaro attache donc une grande importance
au soutien de la politique gouvernementale, même s'il ne cache pas qu'elle contient
certaines lacunes. En effet, les difficultés causées par les cas isolés semblent long à
résoudre pour le gouvernement même s'il entreprend des initiatives pour leur retour61. Par
ailleurs, les articles « recherches » soulignent que les fichiers des déportés ne sont pas
complets et que le ministère manque encore de moyens pour localiser tous les individus ou
certifier leur décès.
55 Le Figaro 10 septembre 1944.56 Le Figaro 15 mars 1945 « 1 100 prisonniers libérés sont accueillis par M. Frenay ».57 Le Figaro 25 juillet 1945 « l'Etat sanitaire des rapatriés […] chez les prisonniers de guerre 2,4% d'image pulmonaires anormales[…] 0,5 à 1,5% de tuberculeux vrais. Chez les déportés politiques le pourcentage est bien plus élevé 20 à 25% d'images anormales, 15 à 20% de tuberculeux en évolution, et il ne s'agit que des déportés politiques dont l'état physique a permis le rapatriement sur le sol de France » in « Prisonniers et déportés ».58 Le Figaro 26 avril 1945.59 Les Allobroges 11 avril 1945 «3000 Français libérés arrivent à Paris en avion ».60 Le Figaro 1 juin 1945 « On attend par avion le millionième rapatrié » in « Le retour des prisonniers », 2 juin 1945 « Le « millionième » rapatrié est arrivé à Paris ».61 Le Figaro 11 septembre 1945 « La mission de Koeppelin parti en Allemagne pour rechercher les isolés » in « Prisonniers et déportés ».
96
En outre, les rapatriements en zone soviétique vont rapidement s'imposer comme la
difficulté première pour le ministère, contrairement aux ententes rapides avec les
Américains et les Britanniques, malgré quelques conflits. Dès le mois de février les
libérations par l'Armée Rouge font la une du Figaro mais celui-ci souligne le fait que ces
bonnes nouvelles ne sont pas synonymes de retours imminents.
« En tout état de cause on peut supposer que le nombre des Français rendus à la liberté est grand et sera plus grand encore dans les jours qui viennent […] dites aux familles des absents qu'elles ne s'illusionnent pas sur de prompts retours »62
Les libérations en zone soviétique sont donc connues, mais le gouvernement a conscience
que les négociations pour les rapatriements dans ces régions seront encore longues 63. Ainsi,
il faut attendre le mois de mai pour qu'une mission officielle de rapatriement soit mise en
œuvre.
« Dans les zones d'occupation anglaise, américaine et française, le rapatriement s'achève. Mais on évalue entre 5 et 600 000 le nombre de Français se trouvant encore du côté russe. Leur sort est réglé par les accords de Leipzig qui prévoient l'échange, homme pour homme, des prisonniers alliés à la limite de la zone de contrôle »64.
Puis le 19 juin 1945 est signé un accord de réciprocité entre la France et l'URSS pour des
échanges de civils et de prisonniers de guerre. Le Figaro, entre juin et août, consacre, alors
ses articles « Prisonniers et déportés » aux rapatriements de la zone soviétique étant donné
qu'on estime ceux des autres zones terminées aux alentours du 15 juin. Le ministère des
Prisonniers et Déportés est finalement dissout le 22 novembre 194565, avec un bilan assez
mitigé sur l'accueil mis en place en France. En effet, la rapidité de l'administration est
accentuée par des articles du Figaro «Huit mille prisonniers rapatriés par avion sont
arrivés.. et quelques heures après leur départ d'Allemagne les Parisiens rentraient chez
eux »66, mais de vives critiques s'accumulent sur l'accueil réel des prisonniers et déportés.
Les moyens de transports et l'organisation administrative qui ont été réquisitionnés pour les
rapatriements, dans cette période difficile de reconstruction pour la France, sont
indéniables mais la prise en compte de la santé psychique et des ressentiments des rescapés
est souvent mise à mal « Nos prisonniers sont mal reçus »67, « 500 rapatriés environ ont
réclamé hier matin, devant le ministère des Prisonniers, une amélioration des conditions du
62 Le Figaro 8 février 1945 « Le général Catroux nous parle des Français libérés par l'Armée rouge ».63 Le Figaro 10 février 1945 « M. Frenay évalue à plus de 100 000 les Français libérés par les Russes ».64 Le Figaro 13 juin 1945 « Prisonniers et déportés ».65 Le Figaro 25 et 26 novembre 1945 « Les victimes n'ont plus de ministres » in « Prisonniers et déportés ».66 Le Figaro 14 avril 1945.67 Le Figaro 28 mars 1945.
97
rapatriement. Une délégation a été reçue par M. Frenay »68, « Des prisonniers le répètent
aujourd'hui : la France les déçoit »69 .
Les articles du Figaro permettent donc d'aborder ce que pu être la politique
décidée par le gouvernement de Frenay, sous l'autorité en réalité de la SHAEF. Les
prisonniers de guerre sont clairement privilégiés, même si les exigences sanitaires
permettent le rapatriement de certains déportés malades. En outre, certaines personnalités
vont également être avantagées, par leur nom, et connaître des retours plus rapides et dans
de meilleures conditions. A l'inverse, alors que les déportés libérés par l'Armée Rouge ne
vivent pas leur libération avec la même amertume que ceux libérés par les Alliés, les
retours vont être très longs à se mettre en œuvre pour ces régions.
B/ Le conflit entre l'Humanité et Frenay« Plus d'un million de Français sont encore en Allemagne... où ils ne voient
toujours pas venir les missions de rapatriement »70, ce titre qui fait la une du 7 juin 1945 de
l'Humanité est très représentatif de la vision du gouvernement donnée par le quotidien. En
effet, à l'inverse du Figaro, qui comme nous l'avons vu met en évidence tout ce qui est
effectué par le gouvernement en faveur des prisonniers et déportés, l'Humanité critique
ouvertement le ministère des Prisonniers et Déportés ainsi que les décisions des Alliés
occidentaux. Dès le mois de septembre 1944, le quotidien adresse de vives protestations
aux responsables du rapatriement des Français « Voudrait-on empêcher les prisonniers et
déporter de rentrer librement en France ? »71, « A l'aide de nos déportés qu'attend-on nous
pour accueillir dignement les rescapés des bagnes allemands ? »72. Au final c'est tout
d'abord l'ordre d'Eisenhower que les communistes critiquent : « J'ai donné ordre aux
autorités allemandes de vous fournir nourriture, abri, vêtements et les soins médicaux dont
vous pouvez avoir besoin. Restez où vous êtes et attendez de nouvelles instructions »73. En
effet, la peur des épidémies fut extrême chez les occidentaux, ce qui engendra de longs
contrôles sanitaires et administratifs alors qu'à l'inverse les Soviétiques sont beaucoup
moins drastiques envers les déportés. Ils les laissent entièrement libres et ne leur
fournissent que le ravitaillement, ce qui peut expliquer pourquoi les déportés libérés à l'Est
ont mieux vécu leur libération74. L'Humanité ne critique pas la surveillance sanitaire voulue
68 Le Figaro 18 mai 1945 « Prisonniers et déportés ».69 Le Figaro 7 juin 1945 « Après cinq ans ».70 L'Humanité 7 juin 1945.71 L'Humanité 15 septembre 1944.72 L'Humanité 26 septembre 1944.73 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.43.74 Ibid, p.112 à 113.
98
par les Alliés, mais les responsables du quotidien soulignent la lenteur que prennent alors
les rapatriements et le manque de soins mis à disposition, ne contrecarrant pas
l'augmentation incessante du nombre de décès75.
« Plusieurs milliers de prisonniers et déportés français ont été libérés par l'Armée rouge et la jeune armée de la République polonaise. Immédiatement, nos frères ont été remis en liberté et évacués vers l'arrière par tous les moyens (chemins de fer, camions, etc.). Voici un exemple que devrait bien méditer le ministre des Prisonniers et Déportés, dont les plans prévoient le « blocage » sur place, c'est à dire dans leurs camps, des prisonniers et déportés, et cela durant six ou huit mois.
La plus grande partie des prisonniers et déportés libérés par l'Armée rouge se trouvent présentement sur le territoire de la République polonaise.
Or, le ministère français des Prisonniers et Déportés n'a même pas envisagé l'envoi d'une mission de rapatriement à Varsovie»76.
En outre comme le montre l'extrait précédent au delà de la lenteur des rapatriements,
l'Humanité critique le manque d'envoi de mission de rapatriement à l'Est. Or, comme nous
l'avons vu les accords avec les gouvernements communistes furent difficiles et longs à
établir, ce que le quotidien se cache de souligner. Ainsi, l'Humanité justifie tout autrement
l'attitude réticente de l'URSS envers les accords avec le gouvernement de Frenay. En effet,
selon les journalistes, tous les membres du ministère sont d'anciens vichyssois d'où des
rancœurs entre les autorités soviétiques et les responsables du rapatriement français 77, ce
qui freinerait les accords.
De plus, cette présentation des membres du ministère de Frenay comme des
collaborateurs de Vichy est reprise par une série d'articles les dénonçant responsables dans
des affaires de trafics de marché noir au sein de camps de rapatriement.
« L'Humanité a déjà indiqué comment le personnel de ce ministère avait été recruté. Certains employés de M. Frenay, un des protagonistes de l'UDSR ont été recrutés parmi les membres de la Cagoule, après un stage dans les camps de jeunesse du traître Pétain. [...]
Au total, 60 000 prisonniers démobilisés sont passés par le centre de Dombasle. Mais le centre a englouti des denrées alimentaires pour quatre cent mille hommes environ. Tout passait au marché noir »78.
Au cours du mois de septembre, cette affaire fait la une plusieurs jours du quotidien et
retentit comme une véritable aubaine pour l'opposition des communistes à Frenay, à
75 L'Humanité 19 mai 1945 « Des milliers de Français libérés des SS depuis des semaines vivent encore dans les camps d'extermination nazis. Vivent... et meurent ! » in « 1200 déportés français en péril de mort à Ebensee Voici des avions Voici des médicaments oui, mais... le ministère des prisonniers refuse son aide ».76 L'Humanité 28 février 1945 « Pour nos prisonniers et déportés ».77 L'Humanité 12 septembre 1945 « « Ils [groupe de Frenay] se lamentent parce qu'on n'aurait pas laissé entrer en zone soviétique assez d'officiers français de rapatriement. Comment s'en étonner quand on sait ce que sont la plupart de ces officiers, quand on se rappelle qu'on voulait envoyer là-bas un Claude Jamet, vichyssois notoire ? » in « Prisonniers et Déportés français libérés par l'Armée Rouge sont tous revenus d'URSS doivent avouer les vichyssois de M. Frenay ».78 L'Humanité 2 et 3 septembre 1945 « Pillage du camp de prisonniers de Dombasle ».
99
laquelle s'ajoutent encore d'autres scandales de la sorte à Saint Avold et à Metz79. En effet,
la critique sur les rapatriements par l'Humanité tourne peu à peu à une critique ouverte
envers le ministre. Ainsi selon une étude d'Annette Wieviorka 5 à 7 % de la « superficie »
de l'Humanité était consacrée à dénoncer le ministre entre septembre et octobre 1945 80.
Cette critique faite sur le personnel de Frenay vient donc renforcer la défense du quotidien
dans son procès contre le ministre, qui débute en novembre 1945, après la plainte pour
diffamation par Frenay. L'Humanité va donc construire son argumentaire sur des rancunes
bien ancrées entre les deux protagonistes et en ajouter de nouvelles. Les communistes vont
donc accuser Frenay d'avoir utilisé à mauvais escient les crédits accordés par le
gouvernement aux rapatriements81, de ne pas avoir respecté les prévisions promises82, d'être
responsable de la lenteur des rapatriements des enfants de Buchenwald et de la
discrimination dont purent être victimes les enfants Juifs étrangers lors de ce retour83, et
enfin, ils critiquent l'accueil des prisonniers et déportés84. Le juge n'a pas osé condamné
l'Humanité, étant le représentant du parti communiste montant, lui même symbole de la
Résistance. En juin 1946, la réouverture du procès est déclarée et le directeur du quotidien
Marcel Cachin est finalement condamné à 15 000 francs d'amende ainsi qu'à l'obligation de
publier ce jugement dans le journal85.
Au final, ce débat entre l'Humanité et le ministre Henri Frenay souligne le rôle de
la déportation dans les prémisses de la Guerre Froide. Les absents sont des électeurs en
moins et donc une influence non négligeable sur les prochaines élections. Or, les
communistes furent déportés en grand nombre ce qui explique l'intérêt d'autant plus
important pour eux d'un retour imminent des déportés et justifie leur peur d'une stratégie
politique de la part du gouvernement dans le ralentissement de ces retours.
79 L'Humanité 18 septembre 1945 « En série... à St Avold et Metz les hommes de M. Frenay pillaient aussi».80 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide...op.cit.p.101.81 L'Humanité 7 décembre 1945 « les crédits afférent au ministère des prisonniers et déportés ont fait l'objet d'un long débat à la Consultative » in « Les projets du ministre des prisonniers et déportés provoque une critique lourde et approfondie ».82 L'Humanité 23 mars 1945 « des plans, des prévisions, des promesses rien de plus » in « Raymond Guyot propose des mesures pour un rapatriement rapide et un meilleur accueil des prisonniers et déportés ».83 L'Humanité 19 septembre 1945 « Au palmarès de M. Frenay. Essence électorale. Embauche de dénonciateurs. Sacrifices des enfants rapatriés... », 24 novembre 1945 « rappelle l'attitude absolument inhumaine des services Frenay à l'occasion du rapatriement des mille enfants déportés à Buchenwald » in « L'Humanité avait raison, témoignage accablants pour l'ex-ministre Frenay hier au Palais de Justice ».84 L'Humanité 29 mars 1945 « Des dizaines de milliers de prisonniers libérés marchent vers la France que fait-on pour eux ? », 18 mai 1945 « Hier des milliers de rapatriés ont exigés d'être entendus par Frenay ».85 GIOLITTO Pierre, Henri Frenay : Premier résistant de France et rival du Général de Gaulle, Paris, Editions L'Harmattan, 2 avril 2005, p.458.
100
Les rapatriements sont donc au cœur des débats de la presse en 1945. Enjeux
politiques, enjeux de position de force entre Occidentaux et Soviétiques, les conséquences
étaient importantes pour tous. Ainsi, il est clair que la peur de la réhabilitation des détenus
dans la société française, qu'ils avaient quittée depuis des années, à influencer les
politiques de rapatriement. Toutefois, le manque d'attention psychologique aux rescapés
durant leur retour et à leur accueil a marqué un grand nombre d'entre eux, ce qui va
faciliter les critiques de l'Humanité envers le gouvernement de Frenay. Au final, dans tous
les pays, les déportés rentrent tard et trop tard d'où la durée des débats sur leur retour.
En conclusion, jusqu'à la Libération la réalité de la vie concentrationnaire n'est pas
perçue dans sa totalité. Même après l'ouverture des camps, la population française,
habituée à quatre années de propagande intensive, reste sceptique sur la véracité de ces
informations. De plus, les Français ont eux même vécu des difficultés au quotidien et
n'imaginent pas à quel point leurs souffrances sont dérisoires face au vécu des rescapés. La
population française a donc choisi en grande majorité de fermer les yeux dans cette période
d'après guerre, afin de tous s'unir dans la reconstruction de la France. Toutefois, la
déportation est également symbole des débuts de la Guerre Froide et des clivages entre les
communistes et le gouvernement de de Gaulle. Henry Frenay est la première victime de ce
débat, mais d'autres ministres vont rapidement être touchés par les critiques de l'Humanité,
comme Teitgen le ministre de l'Information. En outre, le gouvernement, lui-même, ne
décide pas dans ces années là de l'instauration d'une mémoire de la déportation et des
martyrs. Seul le Parti communiste français va soutenir cette ambition en se présentant
comme le parti des 75 000 fusillés et des martyrs patriotes français. Cette prise de
conscience des lacunes de la compréhension de la déportation et des tortures ainsi que tous
les débats que vont susciter les libérations des camps et les rapatriements nous amènent à
nous questionner sur la place qu'on pu prendre les femmes dans ces débats ? Furent-elles
aussi des victimes de la déportation pour la société française d'après-guerre ou simplement
des veuves en attente d'un prisonnier de guerre parti depuis des années ?
101
Chapitre 5- Les Françaises face à la déportation
La déportation et les camps de concentration occupent une place mineure dans
l'historiographie des femmes. Pourtant, elles ont été victimes des arrestations et
persécutions tout comme les hommes, même si parfois, des indulgences purent leur être
accordées du fait de l’innocence qu'on leur accordait plus facilement. Les camps de
concentration sont des lieux asexués ou la déshumanisation tend à s'imposer sur tous, d'où
à la fois les difficultés et les attraits dont ils font part pour l'histoire du genre. Ainsi, la
déportation a fait naître une nouveauté dans le rapprochement des sexes : la condamnation
à mort. En effet, depuis le début du XXème siècle, les femmes étaient couramment
graciées, au cours de la Seconde Guerre mondiale cette différence entre les sexes s'efface
et tous sont soumis aux mêmes risques de représailles86 .
Aujourd'hui, on estime à 86 000 les déportés français pour fait de Résistance, dont
seulement 44% sont revenus87, auxquels s'ajoutent les 75 721 victimes de la Shoah88 ainsi
que les déportés de droit commun et les otages civils, mais quelle place avait les femmes
dans ces chiffres ? Il est impossible pour nous de répondre à cette question. Cependant ce
qui nous intéresse plus spécifiquement ici et quelle place les femmes avaient dans les
représentations de la déportation chez les Français tout juste libérés. Ainsi, on peut se
demander comment la spécificité de la déportation des femmes a été retranscrite par la
presse aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que la population française
pouvait avoir conscience de l'horreur qu'elles ont vécue et comment les politiques ont-ils
utilisé cette nouvelle image des femmes ?
I. Héroïsme des communistes déportéesRésistants ou résistantes, tous étaient soumis au même sentiment d'insécurité. Les
communistes, en tant que représentants de la Résistance Intérieure, mettent en évidence le
poids de leurs déportés parmi les Français. Les femmes n'ayant pas ou peu fait parti des
maquis et des mouvements armées n'ont pas été confrontées aux exécutions par fusillades
que condamne ouvertement le PCF (parti des « 75 000 fusillés »), néanmoins elles subirent
au même titre que les hommes la déportation.
86 BARD Christine, « L'histoire des femmes au défi de la déportation », Histoire@Politique. Politique, culture et société, N°5, mai-août 2008.87 DOUZOU Laurent, La Résistance : une morale en action, Paris, Gallimard, 2010, p.81.88 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... p. 21.
102
A/ La grande héroïne Danielle Casanova« Nous sommes fières d'être Françaises et communistes. Nous ne baisserons
jamais la tête. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n'avoir
jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France et
notre idéal triomphera»89, ces termes sont attribués à Danielle Casanova qui les aurait écrits
le 23 janvier 1943, date de son convoi pour Auschwitz. En effet, elle a été l'une des deux
cent trente Françaises parmi le célèbre convoi de déportées politiques, pour Auschwitz,
dans la nuit du 23 au 24 janvier 1943, arrivé à Birkenau le 27 90. En tant que chirurgien
dentiste, elle a été placée dans une section spéciale et ne subie ni la quarantaine ni la tonte
des cheveux. Toutes ses camarades communistes sont conscientes de sa place privilégiée et
comptent sur elle pour transmettre après la guerre les souvenirs des abominations du camp.
Or, en mai 1943, Danielle Casanova meurt brutalement du typhus. Elle devient alors la
« sainte laïque », symbole de la Résistance et de la Déportation pour le Parti communiste
français91 . L'Humanité consacre dix neuf articles élogieux à son égard, dans le corpus
étudié. Son action dans la Résistance n'est détaillée qu'une fois avec une rapide explication
de son arrestation et de sa déportation.
« A l'appel du Parti Communiste, Danielle continua le combat. Tout en organisant des manifestations patriotiques l'aide aux femmes de déportés de prisonniers, elle dirigeait le journal clandestin « La Voix des Femmes ». Arrêtée par la police de Pétain en janvier 1942, elle fut incarcérée à Romainville. Dans les lettres qu'elle faisait passer au dehors on la retrouve tout entière « Je connais la souffrance, mais pas la tristesse. La souffrance n'attriste pas, elle donne des forces »Le 23 janvier 1943, le jour même où elle partait pour l'Allemagne, elle écrivait ces lignes : « Nous sommes fières d'être Françaises et communistes. Nous ne baisserons jamais la tête. Je suis heureuse de cette joie que donne la haute conscience de n'avoir jamais failli et de sentir dans mes veines un sang impétueux et jeune. Notre belle France et notre idéal triomphera. »Après des mois de tortures, Danielle est morte»92.
Toutefois, même si dès le 21 août 1944 le respect qu'elle dégage est proclamé ainsi que le
récit de sa tragique fin de vie, il n'est nullement fait mention de sa condition d'existence
dans le camp. Une explication semble être logique à cela : son statut de dentiste et sa place
privilégiée. En effet, Danielle Casanova, élevée au statut de symbole de la Résistance et de
la Déportation, devait représenter au mieux la femme communiste déportée, elle ne pouvait
donc pas avoir bénéficié d'une situation particulière.
89 L'Humanité 11 mai 1945 « Il y a deux ans mourait à Auschwitz Danielle Casanova pure héroïne de France » voir annexe B20.90 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit., p. 245.91 Ibid, p. 248.92 L'Humanité 11 mai 1945 « Il y a deux ans mourait à Auschwitz Danielle Casanova pure héroïne de France » voir annexe B20.
103
Par ailleurs, les communistes utilisent son image pour justifier leur appel à la
vengeance. En effet, ce membre exceptionnel de leur parti résistant est mort dans un camp
nazi, il s'agit donc d'une justification amplement suffisante pour relancer leur appel à la
haine envers les Boches. L'Humanité présente donc le Parti communiste français comme
une grande famille qui aurait perdu une sœur : «Notre Danielle »93, « héroïques jeunes
femmes de chez nous »94, « ils nous ont assassiné Danielle Casanova »95, « notre chère
Danielle Casanova »96. De plus, les engagements de cette héroïne avant la guerre dominent
les articles, en particulier ses actions en faveur du communisme. En effet, originaire
d'Ajaccio, elle est venue à Paris pour ses études et devient militante au sein des Jeunesses
Communistes. Puis, en 1936 elle est à l'origine de la création de l'Union des Jeunes filles
de France97. Ainsi, des articles de l'Humanité font à plusieurs reprises mentions de ces
bienfaits pour le parti et clament l'appel à la vengeance98 pour cette grande résistante
française morte pour la France au nom de ses idéaux. Elle même a écrit avant sa mort:
« Avant, « eux », je connaissais l'amour ; après « eux », je sais ce que c'est que la
« haine » »99. Ces extraits de lettres de Danielle Casanova auraient été transmis par son
compagnon Laurent qui en tant que membre très actif du Parti communiste français a
fortement contribué à sa glorification et à son élévation en tant que martyre héroïque.
Enfin, le Parti communiste français cherche par cette personnification des
souffrances endurées par leurs camarades à ancrer un symbole ineffaçable de l'engagement
communiste dans la Résistance. Ainsi, des cérémonies commémoratives de la mort de
Danielle Casanova sont organisées tous les mois de mai des années d'après-guerre. Elles
sont associées aux fêtes de Jeanne d'Arc100, ce qui renforce l'héroïsme affilié à la mémoire
de la communiste. Les cérémonies sont très importantes dès 1945, comme nous l'avons
déjà vu (par des extraits de l'article du 11 mai), et elles le restèrent tout autant en 1946 101 et
93 L'Humanité 21 août 1944 « Honneur et Gloire aux héros de la jeunesse communistes »94 L'Humanité 24 août 1944 « Une lettre d'Auschwitz » voir annexe B3.95 L'Humanité 14 octobre 1944 « Après le magnifique hommage aux victimes du nazisme ».96 L'Humanité 22 décembre 1945 « Danièle Casanova Héroïne d'Auschwitz, morte pour la France et Jean Pronteau lieutenant colonel FFI député communiste. Chevaliers de la Légion d'Honneur » voir annexe B37.97 L'Humanité 11 mai 1945 « Il y a deux ans mourait à Auschwitz Danielle Casanova pure héroïne de France » voir annexe B20.98 L'Humanité 21 août 1944 « Danielle Cassanova, notre Danielle, qui en 1940 et 1941, fut à la tête de la Fédération de la Jeunesse Communiste, et qui est morte dans le bagne d'Auschwitz, où les boches l'avaient déportées, doit être vengée » in « Honneur et Gloire aux héros de la jeunesse communistes », 27 août 1944 « nous avons à venger notre chère Danièle Casanova, assassinée à Auschwitz » in « L'union des femmes françaises dans le combat ».99 L'Humanité 20 août 1946 « Il y a deux ans Paris s'insurgent « dans leur tombeau les martyrs crient Justice » déclare André Tollet au cours d'imposantes cérémonies commémoratives »100 L'Humanité 10 mai 1947 « Celle qui croyait au ciel et celle qui n'y croyait pas » voir annexe B24.101 L'Humanité 8 mai 1946 « Il y a trois ans dans l'enfer d'Auschwitz les nazis assassinaient Danielle Casanova », 11 mai 1946 « Le souvenir et l'exemple immortels de Danielle Casanova ont été exalté hier à la
104
1947102. En outre en juin 1945, un dispensaire est édifié à sa mémoire et en décembre elle
est honorée à titre posthume de la légion d'Honneur103. Les articles soulignent donc que
Danielle Casanova doit rester « vivante » dans les cœurs des communistes et ne jamais
s'effacer des mémoires. Choisir une femme comme symbole de leur martyr est à la fois une
manifestation de la modernité du Parti communiste français car ils reconnaissent ainsi les
sacrifices dont ont fait preuve les Françaises au cours de la dernière guerre, mais également
une forme de conservatisme se basant sur l'image d'une femme comme icône des valeurs
républicaines et nationales, comme le sont déjà Jeanne d'Arc104 ou Marianne. Toutefois, ce
qui marque la réelle modernité du Parti communiste français dans cette présentation des
Françaises déportées est que Danielle Casanova ne semble en rien être une exception, mais
plutôt un symbole parmi « des milliers d'autres » femmes105.
B/ Les femmes dans le parti des fusillés et des martyrsLe Parti communiste français et tous les organismes qui lui sont affiliés, en tant
que représentants des fusillés et des martyrs, placent les hommages rendus aux déportés
parmi leurs priorités. Les hommes restent les premiers honorés et récompensés, mais les
femmes ne sont pas restreinte à la seule image de Danielle Casanova. Ainsi, comme on
peut le voir dans les articles de l'Humanité, les associations féminines proches des
communistes (principalement l'Union des Femmes Françaises et l'Union des Jeunes Filles
Patriotes) se réfèrent constamment, lors de leurs rassemblements, aux héroïnes
communistes déportées106. De cette manière, le quotidien assimile chaque déporté(é)
politique à un membre communiste. Par l'exemple de ces femmes communistes
massivement déportées, le Parti communiste français réitère son image de grande famille
unie dans les mêmes supplices et dans la reconstruction d'après-guerre.
« le jeune fils de notre camarade Georges Politzer » lit une « lettre émouvante :
« je suis content de nous voir réunis aujourd'hui dans cette grande salle. Nous serions encore plus joyeux si nos papas et nos mamans chéris étaient avec nous. Heureusement nous avons la grande affection de notre grand-papa Marcel Cachin à qui, nous souhaitons de tout notre petit cœur bonne santé et longue vie. Nous voulons lui dire que nous l'aimons beaucoup, ainsi que tous nos parrains et marraines du grand Parti Communiste Français. Nous sommes reconnaissants de tout ce qu'ils
salle Wagram » voir annexe B40.102 L'Humanité 8 mai 1947 « Gloire immortelle à Danielle Casanova » voir annexe B43.103 L'Humanité 22 décembre 1945 « Danièle Casanova Héroïne d'Auschwitz, morte pour la France et Jean Pronteau lieutenant colonel FFI député communiste ; Chevaliers de la Légion d'Honneur » voir annexe B37.104 Voir chapitre 9.105 L'Humanité 21 août 1944 « Honneur et Gloire aux héros de la jeunesse communistes ».106 L'Humanité 21 octobre 1944 « le martyre des patriotes qui ont été torturées, assassinées par les nazis, ou qui souffrent encore dans les bagnes d'Allemagne » in « Eclatante manifestation d'Union des Femmes à la Mutualité », 19 avril 1945 « L'Union des Femmes Françaises reçoit les rapatriées de Ravensbruck ».
105
ont fait pour nous, et nous leur promettons d'être de bons petits enfants sages et courageux en mémoire de nos chers parents tués par les Boches, ce que nous n'oublierons jamais» »107.
L'héroïsme de femmes communistes est alors un ciment pour l'unité du parti, elles sont
pleinement intégrées, comme membre à part entière. Après leur retour les « glorieuses
rescapées des bagnes nazies »108 sont conviées à se joindre à chaque association ou meeting
politique communiste.
En outre, l'image patriotique de toutes ces femmes est encore marquée par de
grands noms, certes moins célébrés que la défunte Danielle Casanova, mais tout autant
symboliques. C'est ce que souligne le discours de Marcel Cachin, en avril 1945, sur Marie-
Thérèse Fleury.
«Nous offrirons, dit-il, en modèle à toutes les Françaises la vie si pure et la fin si poignante de la modeste et héroïque femme du peuple de notre Paris : Marie-Thérèse Fleury »109.
Elle aussi est décédée au cours de sa déportation, mais des noms de rescapées sonnent
également comme symbole de l'héroïsme d'après-guerre, dans les pages de la presse
communiste. Ainsi, lors du retour du premier convoi de Ravensbrück110 apparaît dans
l'Humanité le nom de « Martha Desrumeaux ». Elle est présentée comme « une grande
militante communiste […] secrétaire des syndicats du Nord »111, et comme une « militante
du syndicalisme français »112 par les Allobroges. Un article, paru les 15 et 16 avril 1945,
met particulièrement en avant l'héroïsme de ce grand nom de la Résistance communiste,
avec des paragraphes entièrement dédiés à ses conditions de détention en Allemagne113. Par
ailleurs, Marie-Claude Vaillant-Couturier fait également parti des noms célèbres chez les
communistes. En effet, outre qu'elle soit le témoin français de la déportation au procès de
Nuremberg, elle reçut la récompense de « chevalier de la légion d'honneur »114 , pour son
action dans la Résistance et son engagement auprès des plus démunis lors de la libération
de Ravensbrück. Toutefois, ces grands noms ne sont pas les seuls. La mémoire d'après-
guerre retient plusieurs noms de grandes femmes communistes, qui souvent sont présentées
107 L'Humanité 5 janvier 1945 « Au vélodrome d'hiver, entourés de leurs familles, 10 000 enfants de fusillés et déportés ont été choyés par le parti communiste ».108 L'Humanité 22 mai 1945 « Tout pour rassembler la Jeunesse ! Proclament les assises de l'Union des Jeunes Filles Patriotes ».109 L'Humanité 18 avril 1945 « 3000 Parisiens rendent hommage à Marie-Thérèse Fleury assassinée par les nazis ».110 Voir chapitre 5.111 L'Humanité 13 avril 1945 « Les déportées de Ravensbruck arriveront samedi à Paris » voir annexe B16.112 Les Allobroges 16 avril 1945 « Un million de prisonniers français libérés ».113 L'Humanité 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon, pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbruck » voir annexe B17.114 L'Humanité 21 décembre 1945.
106
comme fille, sœur115 ou épouse d'un homme connu dans le parti. Ainsi, des noms tels que
Maï Politzer, Georgette Cadras, Jeanette Vermeersch, Colette Robin, Denise Gidollia
(Denise Reydet), Odette Duguet, ou encore Henriette Mauvais, marquent les esprits de la
Libération comme des symboles de la déportation des communistes françaises. Le retour
de femmes communistes des camps suscitent donc un grand engouement de la part de la
presse d'opinion. Encore considérée comme crédules et sensibles, leurs témoignages
semblent bénéfiques pour le Parti communiste français, et accroissent alors l'image des
souffrances encourues par les membres du parti, puisque hommes et femmes semblent
avoir subi à la même échelle les conséquences de la déportation. Cette représentation des
femmes restent une spécificité de la modernité communiste, en effet, les autres
mouvements politiques ne soulignent aucunement le lien entre des femmes déportées et
leurs idéaux politiques ce qui finalement est compréhensible par le simple fait qu'aucune
femme n'a revendiqué d'engagement dans la Résistance, et d'avoir subi les représailles
plausibles que sont la déportation et les tortures pour attraits politiques, hormis justement
des membres communistes. C'est pourquoi l'image des déportées politiques semblent
dominer dans la presse communiste plus que dans les autres. Comme le montre le tableau
suivant, comparant entre l'Humanité et le Figaro, le nombre de mentions d'actes de
Résistance ou de patriotisme dans les articles concernant des Françaises déportées.
115 L'Humanité 13 juin 1945« Georgette Cadras Rapatriée de Ravensbrück, Georgette Cadras, sœur de Félix Cadras, membre du Comité Central, fusillé par les hitlériens » in « Par milliers emplissant la vaste salle Pleyel déportés politiques et prisonniers de guerre ont proclamé l'appel de Jacques Duclos et André Marty ».
Figure 5: Nombres d'articles se référents au patriotisme des femmes déportées
Dates
Déportées
TOTAL
Août- 44 4 1 5Sept-44 3 0 3Oct-44 2 0 2Nov-44 0 1 1Déc-44 1 2 3Janv-45 0 0 0Fév-45 0 0 0Mars-45 0 0 0Avril-45 8 5 13Mai-45 5 4 9Juin-45 7 2 9Juillet-45 2 0 2Août- 45 0 1 1Sept-45 0 1 1Oct-45 0 0 0Nov-45 2 1 3Déc-45 2 0 2Janv-46 0 1 1Sondage 46 5 0 5Sondage 47 0 0 0Total 41 19 60
Patriotisme dans
l'Humanité
Patriotisme dans le Figaro
107
L'Humanité consacre donc deux fois plus d'importance aux déportées politiques que le
Figaro, et va même jusqu'à démontrer que l'héroïsme des communistes s'est poursuivi au
delà de leur arrestation.
C/ L'héroïsme des communistes dans les camps de concentration« Il faut trouver en nous et autour de nous les ressources nécessaires pour
lutter »116, par ces quelques mots les rescapées de Ravensbrück expriment parfaitement les
difficultés de survie face auxquelles toutes les ruses imaginées furent acceptées pour
résister à la mort. Ainsi, la lutte contre la déshumanisation fut primordiale, mais ce que la
presse de la Libération retient en priorité est l'attitude résistante des déportés politiques, en
particulier celle des communistes. En effet, le témoignage de Georgette Cadras en juin
1945 est très explicite sur ce point.
« [les communistes] ont toujours tenu bien haut le drapeau de la France jusque sur le seuil des chambre à gaz, garderont toujours au cœur la haine vivace et brûlante […] Mais, dit-elle, les déportés n'ont pas failli : dans le camp de l'ennemi, ils ont organisé la résistance, ils ont porté bien haut le drapeau de la France »117.
Les femmes communistes sont donc présentées comme les héroïnes de la Résistance et de
la déportation mais aussi de la vie dans les camps jusqu'à leur évacuation totale, comme le
prouve le cas de Marie-Claude Vaillant-Couturier qui est restée dans le camp de
Ravensbrück libéré pour s'occuper des autres détenues118.
« Arrêtée pour faits de résistance et déportée à Auschwitz le 22 novembre 1943, puis à Ravensbrück, après avoir, pendant la captivité, soutenu ses compagnes par son exemple et l'aide qu'elle leur apportait, a fait preuve du plus beau dévouement après la libération du camp en y restant volontairement pour assurer les soins aux malades et leur rapatriement, jusqu'au jour où ils ont tous été évacués »119
Leurs congénères masculins communistes aussi furent présentés comme héroïques
dans les camps. Par exemple, à Buchenwald120 les communistes ont pris la tête des détenus
afin d'organiser aux mieux la Résistance face à leurs bourreaux. Toutefois, la mise en
œuvre de tâches ménagères ne s'effectua que dans les camps de femmes comme à
Ravensbrück, ce qui permit d'éviter de nombreuses épidémies qui ont ravagé les camps
d'hommes121. Les militantes communistes furent beaucoup critiquées de ces prises de
116 Amicales des anciennes déportées de Ravensbrück, Les Françaises à Ravensbrück, Paris, Gallimard, 1965, p.118.117 L'Humanité 13 juin 1945 « Par milliers emplissant la vaste salle Pleyel déportés politiques et prisonniers de guerre ont proclamé l'appel de Jacques Duclos et André Marty ».118 L'Humanité 26 juin 1945 « Après avoir soigné ses compagnons de Ravensbrück Marie-Claude Vaillant-Couturier est de retour » voir annexe B25.119 L'Humanité 21 décembre 1945 « Marie-Claude Vaillant-Couturier chevalier de la légion d'honneur ».120 L'Humanité 22 et 23 avril 1945 « Malgré les menaces de pendaison Les déportés de Buchewald avaient organisé la résistance à leurs bourreaux ».121 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.340.
108
pouvoir qualifiées parfois d'abusives122 et intolérantes. Comme ce fut le cas à Auschwitz, où
Simone Veil témoigne avoir vécu un accueil abominable par les communistes : « L'accueil
a été une véritable douche froide: nous avons été accablées par l'hostilité de leur accueil
parce que nous étions Juives et que nous n'avions pas combattu comme elles, les
communistes. Elles, elles s'étaient battues contre les nazis. Nous, nous n'étions rien (...) Il
s'agissait des communistes rescapées du seul convoi des Françaises non juives »123.
Cependant, dans les esprits de la Libération, les communistes ayant pris une telle
importance dans le monde politique, et ayant fait leur preuve dans le monde de la
Résistance aucune critique n'est faite à leur égard sur leur attitude dans les camps. Même le
Figaro souligne leur héroïsme dans les camps.
« Il y avait des communistes. Je ne suis pas communiste et je sais tout ce qu'on dit d'eux, mais à Auschwitz il y avait deux cents femmes communistes et parmi elles Marie-Claude Vaillant-Couturier et Danielle Casanova. Elles ont toutes refusé d'aller travailler dans les usines de guerre, elles ont préféré travailler à l'assèchement des marais, en Haute Silésie, et les marais en hiver... Sur deux cents, il en est revenu huit... »124
Il faudra attendre plusieurs années pour que des détenus accusent ouvertement certaines
communistes d'avoir non pas poursuivi la Résistance mais choisi la collaboration avec les
SS dans le but d'obtenir des privilèges pour leurs camarades, même si cela devait se faire
au détriment des autres déportées125. Cet avantage dont aurait bénéficié les communistes
explique peut-être pourquoi une grande partie d'entre elles sont aptes à témoigner à la
Libération, contrairement aux autres qui sont décédées ou plus affaiblies. A l'inverse, il ne
faut pas prendre le vécu de Simone Veil comme un cas universel, comme le montre le
témoignage extrait du Figaro. Chaque vécu concentrationnaire fut interprété d'une manière
différente par tous et toutes, alors même qu'ils pouvaient vivre les mêmes choses.
Au final, les communistes, symbole des déportées politiques au lendemain de la
Libération, semblent pour l'Humanité avoir été les plus résistantes à la déshumanisation en
conservant leur esprit patriotique et leur certitude en la victoire prochaine de la France, le
Figaro lui voyant plutôt la foi comme le moteur de leur survie. Pour que la vie soit
possible dans les camps, il fallait ruser et tricher avec les règlements126, mais pour que cela
ait un sens, il était nécessaire de croire en la victoire rapide de son pays. Ainsi, même si
parfois des « indélicatesses »127 ont pu choquer les déportées entre elles, la lutte pour la vie
122 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.213.123 Ibid, p. 249.124 Le Figaro 3 janvier 1946 « La jeune fille aux joues roses », voir annexe C34.125 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.213 et 214.126 Amicales des anciennes déportées de Ravensbrück, Les Françaises … op.cit. p.118.127 Ibid, p.117.
109
explique tout cela et les communistes semblent avoir marqué les esprits des rescapées par
la force de leur courage et de leur patriotisme.
On peut conclure que l'image de la déportée qui domine à la Libération est,
comme pour les hommes, celle de la résistante patriote, représentée surtout par les
communistes. En effet, l'Humanité en multipliant les articles sur les déportées
communistes a unifié l'image de la déportée politique. Comme nous l'avons vu les articles
sur les femmes communistes résistantes ne sont pas très nombreux, or les articles sur les
déportées patriotes eux reviennent à plusieurs reprises et contrastent alors ce premier
constat. Donc le Parti communiste français en tant que parti des « 75 000 fusillés », a
privilégié l'image de la résistante victime de répression plutôt que les détails sur leurs
actions pendant la guerre. Les communistes déportées sont donc présentées comme des
héroïques patriotes à ne jamais oublier. D'une manière plus large, la mise en évidence des
communistes déportées dans la presse de la Libération souligne l'accaparement de la
mémoire de la déportation par les communistes, comme l'a confirmé, par exemple, la
grande cérémonie du 30 juin 1946 au Père-Lachaise pour l'inhumation de cendres venues
d'Auschwitz128.
II. La vision de la déportation des femmes par leurs propres témoignages
« Un jour, on collectionnera les témoignages sur les camps de concentration et, ce
jour-là, il faudra se souvenir qu'il y eut mille camps dans chaque camp et que, pour certains
êtres, ce qui ne les concerne pas immédiatement n'existe pas »129 Germaine Tillon souligne
ici la difficulté pour les historiens d'utiliser comme sources les témoignages. En effet,
chaque individu perçoit ce qui l'entoure d'une façon personnelle, ainsi, les rescapés des
camps sont nombreux mais aucun n'a le même récit. De plus, notre étude est rendu encore
plus difficile par le fait que les femmes ont spontanément moins parlé que les hommes et
ont gardé une grande part de mystère sur leur vécu concentrationnaire, comme nous allons
le voir avec les quelques récits que la presse a retranscrite.
A/ La déportation des femmes avant l'ouverture des camps dans la presse nationale« Je ne veux plus parler des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants
chargés comme du bétails (sic) dans des wagons »130. Ce témoignage extrait de l'Humanité 128 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Paris, Hachette, janvier 2003, p. 136.129 Ibid, p.191.130 L'Humanité 24 août 1944 « Une lettre d'Auschwitz », voir annexe B3.
110
est le premier à retranscrire les propos d'une femme. Il donne alors des informations
importantes sur la représentation de la déportation des femmes dans les esprits à l'été 1944.
Néanmoins, de nombreux détails dans cette lettre sonnent aujourd'hui comme faux et
soulignent une vision méconnue de la réalité des camps. Au delà du fait que la de l'article
tend à être critiquée, puisqu'il est anonyme et d'ores et déjà extrait d'un autre périodique (le
dernier numéro clandestin du Comité National de Défense des Prisonniers politiques), il
comporte de fortes exagérations. Par exemple le nombre de défuntes, «quatre-vingt-quinze
pour cent des camarades se sont « volatilisés » », laisse à penser que chaque cas de
déportation est voué à l'extermination, ce qui, comme nous l'avons expliqué, place sur la
même ligne les camps de concentration et d'extermination. Le chiffre statistique donné
dans le témoignage peut porter à confusion sur la fonction de camp de concentration ou
d'extermination du camp d'Auschwitz. D'autant qu'au sein d'un même camp souvent les
vécus étaient totalement différents, ainsi le terme « camarades » peut tout autant signifier
l'ensemble des femmes du camp, que les femmes communistes dans le camp ou même
uniquement les femmes avec qui le témoin aurait créer des liens dans son convoi. En outre,
la vision excessive des camps est aussi soulignée dans cette lettre :
« enfants bourrés dans des sacs comme des légumes et jetés dans le feu, femmes, vieillards brûlés, vivants et ceci non pas par unité, mais pas centaines de milliers. [...] je ne peux vous écrire tout : il me faudrait des livres de papier ».
Ce témoignage est clairement une vision romanesque et dramatisée de la souffrance, d'ores
et déjà abominable, des camps. Au final, ce témoignage montre la méconnaissance de la
réalité des camps dans ce tout début de la période de Libération. Par ailleurs, l'Humanité
qui tend à exalter son envie de vengeance envers les traîtres et les collaborateurs a bien
entendu intérêt à accentuer la barbarie de ses ennemis pour rendre d'autant plus crédible sa
chasse aux traîtres. Toutefois, un seul autre témoignage de femme (encore anonyme) est
cité dans l'Humanité avant la Libération officielle des camps131.
Le Figaro ne reste pas silencieux sur la démonstration de la déportation des
femmes avant la Libération des camps. En effet, dès août 1944132, elles sont d'ores et déjà
131 L'Humanité 4 septembre 1944 « Blanche a été giflée par l'officier allemand. Ce fut ensuite mon tour d'être frappée par une femme allemande en soldat... » in « On déportait des patriotes quelques jours avant la Libération ».132 Le Figaro 28 août 1944 « Enfin il existe trois catégories d'absents et sans doute la plus douloureuse : les déportés politiques, les israélites. Combien sont-ils, femmes, vieillards, jeunes filles, jeunes gens, hommes de toutes conditions qui, depuis des mois, des années, payent d'une existence de galérien leur dévouement passionné et souvent héroïque à la Patrie ou l'origine de leur sang ? » in « Ceux qui ne sont pas là » voir annexe C1.
111
citées dans des articles. Toutefois pour que paraisse le premier témoignage d'une femme, il
faut attendre le 7 décembre. Il est introduit par cette présentation :
« Cette jeune femme blonde qui me regarde de ses yeux clairs revient de loin. Un séjour de huit mois au camp de Ravensbrück n'est pas une mince aventure. Les rescapées de ce bagne nazi peuvent se compter. Sur un visage fin, les souffrances ont laissé leur marque. »133
Il s'agit donc des premières informations concrètes que la presse offre sur la réalité de la
déportation à Ravensbrück. Ravensbrück, camp de concentration construit à la fin de
1938134, est rapidement devenu le principal camp nazi pour femmes. Ce témoin arrêté pour
faits de Résistance (« J'avais sur moi le courrier du « réseau » ») donne tous les détails de
ce que signifie être déportée à Ravensbrück en 1944. D'ailleurs le motif de sa déportation
permet de montrer quelles catégories de femmes furent déportées dans ce camps : des
« déportées politiques ». Toutefois, ce terme employé pour toutes les femmes du camp ne
justifie pas la réalité de leur arrestation, en effet le camp ne différenciait pas les déportés,
tous portaient le triangle rouge135. Ainsi, après avoir qualifié le camp de « lieu
d'épouvante », le témoin décrit point par point le déroulement d'une déportation pour une
femme arrivée aux alentours de mars ou avril à Ravensbrück : la première douche, la tonte,
le dortoir, le travail, la nourriture et les punitions, mais ce qui ressort le plus est la
monotonie des journées. La temporalité du témoignage est très importante. Les témoins
déportés depuis 1942 sont presque inexistants, or les conditions de déportation ont
constamment évolué au cours des années de guerre, devenant de plus en plus drastiques 136.
De plus, le témoignage est publié en décembre 1944, ce qui signifie que des évasions ou
des sauvetages ont déjà pu avoir lieu137.
En outre, l'Humanité informe la population de la vie en déportation des femmes
par le biais de témoignage d'hommes. Ces articles mentionnent souvent, des femmes sans
évoquer de Françaises138, ce qui relativise alors les excès précédents et éloigne les patriotes
133 Le Figaro 7 décembre 1944 « Trente mille prisonnières mènent une existence affreuse A Ravensbrück, camp de femme Des milliers d'entre elles ont succombé aux mauvais traitements et à la tuberculose », voir annexe C16.134 DURAND Yves, Histoire de la deuxième Guerre Mondiale, Bruxelles, édition complexe, 1997, p. 765.135 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.237.136 Amicales des anciennes déportées de Ravensbrück, Les Françaises … op.cit. p.14 à 25.137 Le Figaro 29 novembre 1944 « En prenant Sarrebourg, le 21 novembre, les Alliés et les troupes françaises ont délivré un « Lazaret » dépendant du Stalag XII F dans lequel se trouvaient 118 prisonniers de guerre français. Ils ont aussi rendu la liberté à deux femmes détenues politiques. Ce sont les premiers captifs libérés par l'avancé alliée. Les deux déportés politiques, Mlle Charlotte Mayaud et Mme Joséphine Brelyk viennent d'arriver à Paris qu'elles avaient quitté le 15 août dernier, dans le dernier convoi partant pour l'Allemagne » in « 118 prisonniers français délivrés par l'avance alliée »138 L'Humanité 13 septembre 1944 « des femmes ukrainiennes - on les faisait travailler comme des hommes » in « Un témoin vous parle : Chambre à gaz... Four crématoire... Piqûre mortelles... Auschwitz camp de l'horreur » voir annexe B4.
112
de ces horreurs. Un article vient toutefois exposer au premier plan la barbarie nazie envers
les Français : « Horribles raffinements de la barbarie hitlérienne : Struthof le camp des
supplices ce que j'ai vu par Florimond Bonte »139. Le Struthof est un camp situé en Alsace.
Parler de déportés qui sont restés finalement sur le sol français peut porter à confusion.
Néanmoins, tous les camps de concentration se trouvent en réalité dans ce que les
Allemands considèrent comme leur espace vital, c'est à dire leur propre territoire. Ainsi,
chaque annexion s'accompagne de l'ouverture d'un camp. Par exemple, en 1938 après
l'Anchluss fut ouvert Mauthausen, ce qui explique la création du Struthof lorsque l'Alsace
est rattachée au Riech140. Ces articles sur le Struthof permettent alors de détacher la
responsabilité des français sur le camp tout en rattachant les Alsaciens à la nation française
après ces longues années de séparation. Cet article décrit toutes les atrocités phares des
camps de concentration. Les lecteurs pouvaient donc se rendre compte des conditions
abominables de vie au quotidien dans un camp « 600 hommes ou femmes ne disposaient
que de 300 couchettes, installées sur trois étages. Dans certains quartiers, on compta même
300 détenus pour 69 couchettes », mais aussi des conditions de transports et de la
déshumanisation qui s'imposait dès l'arrivée au camp. Toutefois, la méconnaissance
persiste sur la réalité du vécu concentrationnaire et du ressenti des déportés. Ainsi, deux
paragraphes peuvent interloquer dans cet article de décembre 1944. En effet, une partie du
témoignage intitulé « La chambre à gaz d'exécution... » souligne l'ignorance de ce qu'elles
furent réellement.
« le bourreau liait les mains et les pieds des martyrs, puis les suspendait par des crochets aux barres de fer d'un plafond bas à la portée de la main. Il se retirait, il fermait la porte, ouvrait les robinets et lâchait les gaz asphyxiants. La mort faisait son œuvre. De nombreux détenus ont été suspendus vivants à un croc enfoncé sous la mâchoire comme des bœufs à l'étal du boucher ».
Par ailleurs le paragraphe suivant sur les expériences laisse encore apparaître des doutes
sur la véracité des renseignements. En effet, il décrit des expériences psychologiques sur
des femmes ayant leur règle. Or, dans de nombreux camps en réalité, les femmes subissent
la cessation de leur règle. Elles ne sont pas conscientes que cela est dû à la vie
concentrationnaire et s'inquiètent beaucoup du phénomène, mais toutes les subissent très
rapidement. Ainsi, ce passage sur les expériences basées sur les réactions psychologiques
des femmes lors de leurs menstruations peut paraître extrapolé même s'il reste plausible.
Le manque d'informations réelles est donc indéniable, des articles tels que celui sur le
139 L'Humanité 26 décembre 1944, voir annexe B12.140 BRUTTMANN Tal, JOLY Laurent, WIEVIORKA Annette [dir], Qu'est-ce qu'un déporté ?...op.cit.p.35.
113
Struthof accentue alors la cruauté des nazis, mais n'informe pas spécifiquement les lecteurs
de ce que signifiait la vie dans les camps.
Au final, ces témoignages ont contribué non pas à la diffusion d'informations sur
la réalité des camps mais à truquer et décrédibiliser leur image. En effet, chaque
information concrète étant accompagnée d'exagération sur la réalité et aucun témoignage
de femmes n'étant signé, la méfiance vis à vis de la véracité des articles fut importante.
N'oublions pas que la France sort des années noires, où la propagande a longtemps dominé,
le peuple français reste donc prudent envers ce qui est publié par la presse. Ainsi, avant
l'ouverture des camps, personne ne soupçonnait vraiment la réalité du vécu des Françaises
déportées, car les articles choquants étaient souvent perçus comme de la propagande.
Même si l'Humanité par son action dans la guerre était le mieux respecté, la presse restait
encore dans les esprits « la honte du pays »141, une méfiance instinctive pesait sur les
informations trop alarmantes.
B/ L'amplification des horreurs vécues par les rescapés : un phénomène courantAu lendemain de la libération des camps de l'Ouest par les Alliés, la presse
s'empare du sujet. Plusieurs articles évoquent alors les conditions de déportation qu'ont
vécu les Françaises142. Cependant, ceux qui retracent le mieux la vision des camps sont les
témoignages émanant directement des femmes. Dans ces années d'après-guerre le devoir
de lhistorien de vérification de la véracité des témoignages n'a pas été totalement appliqué.
En effet, face aux atrocités que venaient de vivre les rescapées, il semblait difficile de
remettre en cause leur parole. Ainsi, sans que les témoins aient voulu mentir, certaines
erreurs ont pu se glisser dans leurs souvenirs143 ou dans leur interprétation par la presse.
C'est donc ces témoignages que nous allons étudier ici, face à leur prolifération lors de la
libération des camps. Les deux camps qui ont symbolisé la déportation des femmes au
lendemain de la guerre furent Ravensbrück, libéré par les Russes le 30 avril 1945, et
Auschwitz, le 27 janvier 1945. Auschwitz-Birkenau a rapidement eu une partie consacrée
aux femmes, mais cette zone dépendait en réalité du commandement de Ravensbrück.
Ainsi, les femmes rescapées témoignant dans la presse sont issues de l'un ou de l'autre de
ces camp. Toutefois, les quotidiens n'accordent pas la même place aux témoignages. Une
seule femme est citée comme témoin dans le Dauphiné Libéré144, quatre dans le Figaro
141 D'ALMEIDA Fabrice, DELPORTE Christian, Histoire des médias en France de la Grande Guerre à nos jours, Flammarion, Barcelone, 2010, p.155.142 Voir tableaux annexe de A6 à A9.143 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p. 187.144 Le Dauphiné Libéré 13 novembre 1945 « Mme Penter […] déportée quinze mois en Allemagne » in « A la Cour de Justice ».
114
(dont une Juive anonyme) et cinq dans l'Humanité (parmi lesquels une Juive, deux
communistes, une anonyme et une Français témoin à Lunebourg). Les témoignages de
femmes Juives ne sont nullement mis en avant pour leur spécificité, comme nous le
verrons145. La chronologie de ces témoignages est importante. En effet, le premier paraît dès
le 5 avril 1945 au sein de la presse communiste. Il faut attendre le mois d'octobre pour que
le Figaro retranscrive également le témoignage d'une femme, outre quelques lignes lors
d'une interview le 14 avril (d'une rescapée de Ravensbrück). On peut déduire par ce point
que l'Humanité est plus ouvert d'esprit envers les femmes, le Figaro, lui, semble plus
proche des mentalités communes : les femmes passent au second plan. Ainsi, la parution de
témoignages de femmes déportées, même s'ils sont tardifs montre tout de même un début
d'évolution des mentalités dans la presse non communiste. D'ailleurs, en recoupant les
témoignages extraits de l'Humanité et du Figaro, on peut dessiner la vision collective du
peuple français de ce que signifiait pour eux la déportation des femmes.
Les témoignages sont donc à prendre avec précaution pour comprendre les
mentalités. En effet, ils sont donnés par des femmes qui viennent de vivre des périodes
épouvantables, mais ils offrent tout de même une image plus précise de la réalité de leur
vécu. Tout d'abord, il est fait référence aux longs appels dans le froid auxquelles certaines
ne survivaient pas146, puis aux tontes dont les Français connaissaient l'existence avant la
Libération et aux conditions de vie au quotidien. Ces conditions de vie reprennent les faits
connus depuis de long mois, comme dormir à plusieurs sur des couchettes minuscules,
mais les rescapées apportent de nouvelles informations. En effet, il est question dans les
témoignages de disputes entre les déportées à propos de la nourriture ou sur les problèmes
de la promiscuité, «convoiter le pain de ma voisine, de souhaiter la mort de mes camarades
plutôt que la mienne»147. En outre, dans le premier témoignage d'avril 1945 « la marche
forcée » expose parfaitement à la population française ce que furent les marches de la mort,
et en particulier ici celle d'Auschwitz. Le travail des femmes dans les kommandos est
également mis en évidence pour le camp de Ravensbrück comme d'Auschwitz, où pour ce
dernier ils sont présentés comme des lieux de bien-être comparé à la dureté du camp
145 Voir chapitre 5.146 L'Humanité 5 avril 1945 « Avant le travail et après le travail, l'appel, qui durait quatre ou cinq heures, dehors les femmes debout, immobiles à peine vêtues, avec des froids de 25 et 30 degrés au-dessous de zéro. Beaucoup tombaient, terrassées par le froid, les pieds fêlés, mouraient de la gangrène ou étaient envoyées au four crématoire » in « Paulette rescapée du « camp de la mort » accuse accuse... scènes effroyables de cruauté et de sadisme » voir annexe B14.147 Le Figaro 3 janvier 1946 « La jeune fille aux joues roses » voir annexe C34.
115
principal148. Pour Ravensbrück, il en est autrement, les kommandos sont synonymes
d'affreuses souffrances, comme le souligne la lettre de cent vingt six rapatriés des usines
Hermann Goering149. Par ailleurs dans d'autres témoignages, ils sont associés directement à
la mort.
« Après deux ou trois mois de travail en kommando les malheureuses que les Boches jugeaient trop épuisées, étaient parquées dans des camps spéciaux dont l'un, par un horrible euphémisme se dénommait « camp de repos ». Après un séjour dans cette antichambre de la mort, elles étaient asphyxiées dans une chambre à gaz, puis brûlées au four crématoire»150.
Il est fait ici référence à la dernière période d'existence de Ravensbrück, en effet, la
chambre à gaz fut installée au début de l'année 1945, fonctionnant avec la zone
d'Uckermark151. Il s'agit donc du « camp spécial », évoqué dans l'article, où les femmes
attendaient leur mort, c'est une partie du camp infesté de maladie, où les rares survivantes
après quelques temps étaient gazées. Les maladies sont d'ailleurs plusieurs fois
mentionnées et soulignent également les conditions atroces de détention. Par ailleurs, ce
qui est pleinement exprimé, ce sont les conditions de maltraitance par les SS et les mises à
mort. Le thème des « chiens » revient dans plusieurs articles : « ils lâchaient les molosses
sur nous »152, « les chiens policiers des SS se ruaient sur elles la nuit dans leurs
baraquements»153. Ce point n'est nullement repris ensuite par l'historiographie, on peut alors
l'interpréter comme une exagération de leur vécu. En outre, la question de « la sélection »
fait apparition dans les témoignages de ces rescapées. Les mises à mort sont donc décrites
de plusieurs manières. Outre, les décès par maladie ou dû au froid que nous avons déjà
évoqués, certaines femmes sont clairement « sélectionnée » pour mourir. Ainsi elles
meurent soit suite à de fausses expériences médicales « dix-huit femmes exterminées par
des piqûres et de la poudre qui leur avaient été administrées sous prétexte de remèdes.
Femmes enceintes piquées au bout de sept mois de grossesse et dont les enfants étaient
brûlées au four crématoire »154, soit par les chambres à gaz « celles qu'on enfermait dans le
bloc 25, sans boire et sans manger pendant huit ou dix jours. Après cela on venait les
148 Ibid « On nous a envoyées dans une usine où nous n'avions qu'à nettoyer des lampes. Il y faisait chaud, on n'y était pas battu : un paradis. Je me suis guérie, physiquement et moralement »149 Le Figaro 29 juin 1945 « 126 Françaises rapatriées de Ravensbrück nous écrivent », voir annexe C27.150 L'Humanité 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon, pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbruck » voir annexe B17.151 DUFAYEL Pierre-Emmanuel, Un convoi de femmes, Paris, Vendémiaire, janvier 2012, p.142.
152 L'Humanité, 9 septembre 1945 « A Salpêtrière avec nos déportés rapatriés »153 L'Humanité, 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon, pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbruck », voir annexe B17154 Ibid.
116
chercher et on les transportait au crématorium toutes nues dans un camion»155, « Ils ont
brûlé des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. Ils les envoyaient d'abord aux
chambres à gaz. Vous avez su? Il fallait trois minutes pour mourir. Puis ça a pris douze
minutes. A la fin, ils ne mouraient pas »156. Ces derniers points montrent parfaitement
l’exagération que l'on peut déceler dans certains témoignages. En effet, face à l'opinion
française qui n'a pas su recevoir leurs confessions157, les rescapés (hommes et femmes) ont
dû accroître l'horreur de leur vécu afin de souligner l'ampleur de leurs abominables
expériences. Ce problème de réception par la société française est exprimé dans le dernier
témoignage du corpus en 1946.
« Cela l'agace un peu de me raconter tout cela, je le sens. Elle me dit : « Ici, on ne veut plus en entendre parler. » « Mais c'est aux Américains qu'il faut que nous en parlions, dis-je alors. Il faut qu'ils sachent ». « Oh les Américains... » (elle esquisse un geste). « Et d'abord, on n'était pas toujours, désespérée, à Auschwitz... Moi, par exemple : pendant trois semaines, j'ai eu une amitié merveilleuse: tout nous faisait rire » [...] Quant au reste, on a tout dit. Et puis les gens n'y croient pas»158.
De plus, chaque rescapé pense que personne n'a pu vivre pire que lui, ce qui peut expliquer
les surenchères constantes159. Malgré un souci de vérité, les témoignages offrent donc des
visions parfois excessives de la réalité et leurs propres interprétations peuvent être
faussées. Après l'ouverture des camps, les lecteurs de la presse avaient une image très
précise de ce que pu tout de même être la déportation pour les Françaises. Toutefois, les
récits n'ont pas toujours été accueillis comme les déportés l'attendaient. Ils se sont aperçus
qu'aucun mot ne pouvait exprimer leur vécu d'autant plus que rapidement la population ne
voulu plus entendre parler de toutes ces abominations.
C/ Le silence sur la déportation des Juives françaises« Et nous, les Juives, on était nues devant lui et on défilait. Il prenait alors le
numéro de certaines d'entre nous, et parfois c'était toutes celles dont il avait relevé le
numéro qu'il envoyait aux gaz, parfois au contraire, toutes celles dont il n'avait pas relevé
le numéro »160, ce témoignage (que nous avons déjà cité), extrait du Figaro,, est bel et bien
celui d'une jeune Juive et exprime toute l'horreur de la déportation. Néanmoins, seule cette
phrase affirme son appartenance au Judaïsme, et rien dans son témoignage ne peut laisser
penser qu'elle fut déportée pour sa confession. En outre dans l'Humanité le témoignage de
Paulette est aussi celui d'une jeune Juive. En effet, ce n'est pas écrit aussi explicitement
155 L'Humanité, 5 avril 1945 « Paulette rescapée du « camp de la mort » accuse accuse... scènes effroyables de cruauté et de sadisme » voir annexe B14.156 Le Figaro, 3 janvier 1946 « La jeune fille aux joue roses » voir annexe C34.157 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.553158 Le Figaro, 3 janvier 1946 « La jeune fille aux joues roses » voir annexe C34.159 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.202.160 Le Figaro, 3 janvier 1946 « La jeune fille aux joues roses » voir annexe C34.
117
mais un seul convoi conduit à Auschwitz, le 24 janvier 1943, a contenu des Françaises
déportées politiques (deux cent trente femmes dont cent dix neuf communistes) or le
convoi de Paulette était composé de « mille deux cent déportées »161. La religion de ces
jeunes filles n'est pas l'aspect mis en évidence par leurs témoignages, d'ailleurs leur cas
semblent exceptionnels puisque les 75 000 Juifs déportés de France ont été massivement
assassinés. Elles font donc partie des Juives françaises du camp qui ont échappé à la
chambre à gaz. Ces rescapées Juives (surtout ceux d'Auschwitz) sont donc des exceptions,
les camps voués à l'extermination à l'Est comme Sobibor et Treblinka ne comptent que
quelques dizaines de rescapés, évadés lors de révoltes. Les Juifs étaient déportés pour
mourir, les rescapés viennent fausser cette norme et donner une vision atténuante dans ces
années de Libération de la spécificité de la déportation Juive162. Toutefois, un point
commun très important dans ces deux récits peut être souligné : l'espoir de survivre.
D'ailleurs, toutes deux associent cet espoir à un « miracle », ce qui peut s'expliquer par leur
croyance en Dieu. Evidemment, cet aspect tend à être minimisé dans la laïque presse
communiste même si le témoin fait partie d'un miraculeux groupe de survivants : « sur
mille deux cent déportées de mon convoi, il en restait cinquante et une vivante en juillet
1944 ». Dans le Figaro la référence aux miracles et à la foi comme moyen de survivre est
davantage exposé163. Ainsi, ce qui ressort dans ces témoignages de croyants est l'importance
constante de la mort dans le camp, surtout pour eux les Juifs qui se pensaient condamnés.
La « jeune fille aux joues roses » mentionne plusieurs fois que pour elle, elle est morte
dans le camp « ils m'ont fait mourir ». Toutefois, dans des camps comme Ravensbrück, les
Juives avaient tout autant de chance de survie étant donné que les distinctions entre otages,
déportés politiques, Juives... n'existaient pas. Au final c'est la honte d'avoir survécu qui
domine plutôt ces discours : « le syndrome du survivant »164. Ce syndrome est courant chez
tous les déportés mais encore plus pour les croyantes.
« Mais c'est nous qu'on devrait juger à Lunebourg. Si, c'est nous. Si ns avions été pure, Auschwitz nous aurait tuées... Voyez-vous, un être pur ne pouvait survivre, à Auschwitz. Et lorsqu'on me félicite de mon courage, je pense qu'il est heureux que certaines choses n'aient jamais été vues de personne.».
161 L'Humanité, 5 avril 1945 « Paulette, rescapée du « camp de la mort », accuse... scènes effroyables de cruauté et de sadisme » voir annexe B14.162 BRUTTMANN Tal, JOLY Laurent, WIEVIORKA Annette [dir], Qu'est-ce qu'un déporté ? op.cit. p.35.163 Le Figaro, 3 janvier 1946 « La mort nous semblait belle, surtout aux croyants. A vrai dire, ils n'étaient pas nombreuses, les croyants : trois au quatre pour tout le camp. Moi, je m'étais convertie quinze jours avant d'être envoyée à Auschwitz. J'ai vécu tout le temps dans la prière. » in « La jeune fille aux joues roses » C34.164 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre. Histoire des femmes dans la Résistance, Paris, Albin Michel, 1996 p.351.
118
Les survivantes se questionnent quotidiennement sur leur survie, mais les croyantes
s'interrogent, en plus de cela, sur leurs actions malsaines et déshumanisantes qu'elles ont pu
commettre pour leur survie 165.
En outre, ces deux témoignages ne sont pas les seules références faites à la
déportation des Juives françaises. Dans la presse nationale, on peut compter deux autres
articles dans le Figaro et de même dans l'Humanité. Cependant, ces chiffres ne
représentent que 3,79% des articles sur les Françaises déportées dans l'Humanité et 3,44%
pour ceux du Figaro. L'intérêt porté aux Juives françaises n'est donc pas une question
d'opinion politique, toute la presse a minimisé cet aspect de la déportation. Même l'article
commémoratif, de l'Humanité en juillet 1945, de la Rafle du Vel d'Hiv166 n'emploie pas le
terme de « Juif ». Le terme « israélites » est d'ailleurs privilégié en général. Pourtant, la
population française avait conscience de la xénophobie et de l'antisémitisme comme le
montre par exemple l'article du Figaro comparant les massacres de Tziganes aux
massacres de Juifs :
« De là à l'idée de s'en défaire et d'en purger l'Europe, il n'y avait qu'un pas. On le fit. Les Nazis les ont ramassés partout où ils les ont rencontrés, hommes, femmes, marmailles et jetés dans leurs camps de mort.[...]
Dès qu'ils étaient en nombre suffisant pour former un convoi, on les embarquait en camion et on les expédiait sur Auschwitz, où fonctionnaient les chambres à gaz les plus perfectionnées et les fours crématoires les mieux alimentés en charbon. Ce qui permettait à ces bons Allemands de dire : « Voyez ! On nous accuse d'en vouloir particulièrement aux juifs. Mais non! Nous traitons les tziganes exactement comme eux, et comme nous traitons d'une façon générale, les groupes d'individus malsains, qu'il faut éliminer pour la bonne santé de l'Europe.
Stupidité ? Hypocrisie ? Les deux sans doute »167.
Ainsi, les Français connaissaient la politique antisémite nazie. Toutefois, les Juifs de
France se présentaient majoritairement comme Français avant d'être Juif, ainsi personne n'a
soupçonnait que leur sort était identique à celui des Juifs de l'Est, et encore moins que les
femmes subissaient le même sort. En effet, c'est la politique nazie qui a imposé de
considérer comme « Juif » tous les individus ayant des ancêtres de confession juive sans
que cela n'ai forcément de sens pour les concernés. Au total, 75 721 Juifs de France furent
déportés et seulement 2 500 sont revenus168, mais la mémoire juive s'est effacée dans les
années d'après-guerre et s'est confondue avec celle des déportés politiques.
165 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.178.166 L'Humanité 22 et 23 juillet 1945 « 16 juillet 1942 Les Boches arrachaient les petits à leurs mères ».167 Le Figaro 13 et 14 mai 1945 « Tziganes et nazis ».168 Ibid, p.21.
119
A l'inverse, devant ce tabou la presse nationale et régionale 169 accentuent les
articles sur la déportation de civils : les otages. Ces articles effacent alors peu à peu l'image
des déportées Juives et caractérisent la barbarie de la déportation par celle des otages dont
des enfants :
« des professionnels nazis pratiquaient le vivisection sur des petits garçons et des petites filles de 9 à 12 ans et prélevaient sur les gosses 200 litres de sang frais par jour : certains avant de mourir-il en mourait de 10 à 15 par baraque et par jour,- devaient donner plus de 18 fois du sang. Or, parmi les enfants agonisants qu'a sauvés la foudroyante offensive de l'Armée rouge, on a trouvé deux petites filles de Paris »170
Les camps de Buchenwald et de Bergen-Belsen sont les premiers cités dans ce cataclysme
d'horreur. En effet, Bergen-Belsen crée en 1943 par Himmler étaitspécialisé dans la
déportation d'otage (d'où un nombre élevé de femmes et d'enfants), même si en réalité peu
d'échange ont été réalisé avant la fin de la guerre. Cette question de possibilité d'échange
d'otages n'est pas mentionnée dans la presse de la Libération. Néanmoins, tous les camps
où des mères ont pu être déportées avec leurs enfants semblent exprimer l'amplitude de la
barbarie dont ont fait preuve les Allemands.
« chambre à gaz de Dachau, four crématoire, instruments de tortures d'une cruauté diabolique, monceaux de morts de Leipzig, d'Hanovre, de Nord-Mathausen, de Dachau, de Buchenwald, hommes et femmes couverts de blessures, corps décharnés, enfants massacrés, figures bestiales des tortionnaires de Bergen-Belsen »171
La France, ainsi, se déculpabilise de toute accusation antisémite et accentue la
victimisation du peuple français. Les témoignages des Juives eux même n'accordent
aucune spécificité à la déportation des membres de leur confession, souvent la judéité de
leur propre déportation est passée sous silence dans leur récit 172. Des articles font références
aux Juifs qui ne passent même pas par le camp et sont conduits directement aux chambres
à gaz, toutefois ils ne mentionnent pas les femmes. Dans la période d'après-guerre, un
travail de mémoire ne peut donc pas se faire, les Juifs doivent d'abord se reconstruire173. En
effet 150 mille à 200 mille Juifs vivent en France après la Libération, dont 100 mille dans
la capitale174. Beaucoup considèrent la France comme leur patrie, contrairement aux Juifs
169 Le Dauphiné Libéré 16 janvier 1946 « le 6 avril 1944 arrestation des enfants et 5 instituteurs (dont des femmes et des hommes) » in « A Auschwitz 43 enfants de l'Ain ont été brûlés », Les Allobroges 12 avril 1945 « Rapatriés d'Italie, grâce à l'intervention de la Suisse 1050 déportés passent à Grenoble ».170 L'Humanité 13 janvier 1945 « La guerre de la liberté »171 L'Humanité 30 novembre 1945 « A Nuremberg atterrés et livides les bourreaux nazis s'effondrent à la projection d'un film sur les camps de concentration ».172 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.284.173 Ibid, p.336.174 Ibid, p.337.
120
polonais qui ne seront plus jamais chez eux en Pologne. Les Juifs de France doivent donc
reconstruire leur propre identité dans la nation avant de dénoncer la spécificité de leur
vécu.
Donc, avant l'ouverture des camps et les premiers retours, les Français n'ont
jamais pris la mesure de ce que signifiait la vie dans les camps 175. Les femmes ne
semblaient pas avoir été épargnées mais, les Français restaient méfiants sur la véracité des
témoignages qui résonnaient pour eux comme de la propagande soviétique ou américaine.
Par ailleurs, la spécificité de traitement dont furent victimes les Juives est passée sous
silence. Leur déportation est reconnue mais la volonté d'extermination surtout pour celles
de nationalité française fut cachée. Au final, le problème n'a pas été le refus de témoigner
mais l'acceptation des témoignages dans la société française. Entre 1945 et 1947, les
témoignages proliférèrent au delà de ceux publiés dans la presse. Leur révélation sur la
nature humaine, l'inacceptable et la honte d'avoir survécu permettent de comprendre que
tous les Français auraient pu prendre conscience avec précision de l'expérience de ces
femmes, même si des aspects sont restés dans l'indicible, en particulier sur le traitement
des Juives françaises, et qu'inversement des atrocités ont été surévaluées dans les mémoires
des rescapées.
III. Le rapatriement des femmes « On nous dit que les soldats américains ne savent pas pourquoi ils se battent.
Maintenant, au moins, ils sauront contre quoi » explique Eisenhower à Ohrdruf devant les
GI's qui doivent visiter les camps176. L'ouverture des camps est vécue comme une véritable
révélation de l'infamie nazie, la presse et les premiers témoignages avaient commencé à
décrire cela, mais personne n'avait pris conscience de la réalité177. Les femmes dans les
camps choquent d'autant plus l'esprit protecteur et paternaliste des Alliés. Rapidement, une
censure est imposée pour ne pas inquiéter la population, comme le montre le télégramme
de Philippe Koening envoyé à Henri Frenay le 12 avril 1945, au nom du ministère de
l'Intérieur : « Intervenir immédiatement auprès de la censure pour empêcher par tous les
moyens commentaires de presse sur rapatriement femmes déportées. Publier uniquement
liste »178. La vie concentrationnaire, les chambres à gaz, les fours crématoires et les marches
de la mort sont alors évoqués dans tous les témoignages des retours. Néanmoins, ce sont
les conditions de retours et d'accueil qui sont plus difficiles à percevoir même si elles sont
175 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.274.176 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps... op.cit. p.62.177 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.269.178 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.64.
121
évoquées dans 10,13% des articles de l'Humanité sur les Françaises déportées et dans
9,20% de ces articles dans le Figaro.
A/ Des premières rescapées de Ravensbrück à l'évacuation complète du campAu début de 1945, une chambre à gaz est installée au camp de Ravensbrück. Cette
installation va fonctionner sans relâche jusqu'au départ des SS le 29 avril, et l'arrivée des
russes le lendemain179. La volonté d'extermination modifie la perception du camp pour les
déportées. Toutefois, c'est également dans cette période que les premiers échanges entre
femmes déportées et prisonniers civils allemands vont avoir lieu. Les premières rapatriées
de Ravensbrück sont le produit de grandes négociations organisées par la Croix-Rouge
Internationale, dont la presse fait d'ailleurs beaucoup l'éloge. Le 1er avril, trois cents
Françaises ont la nouvelle de leur évacuation en échange de quatre cent cinquante quatre
civils allemands180. Ce premier retour est retranscrit par la presse nationale et régionale,
particulièrement lors de l'arrivée à Annemasse le 11 avril puis le 14 à Paris, mais le nombre
concret de sauvées ne semblent pas réellement être connu: « les 306 déportées françaises
du camp de Ravensbrück»181, « 197 Françaises parmi les 299 que les Allemands ont
consenti à libérer en échange de 400 des leurs, sont arrivées hier matin à Paris »182,
« Mercredi matin, 280 femmes qui avaient été déportées à Ravensbrück, entre Berlin et
Stettin, sont arrivées à Annemasse à la suite d'un échange de civils français et
allemands »183 . D'ailleurs les chiffres évoluent en fonction de la date de l'article. En effet,
entre Annemasse et Paris, de nombreuses déportées se sont arrêtées dans des gares locales,
afin de rentrer directement chez elles. Ainsi pour la presse communiste cent dix sept
femmes ont été accueillies à Paris184, alors que le Figaro en cite cent quatre vingt dix sept 185.
La presse s'est donc emparée de cette actualité mais les informations n'étaient pas toujours
exactes. Aucun des quotidiens étudiés ne nient l'héroïsme dont ont fait preuve ces femmes,
cependant, c'est tout de même la presse communiste qui leur accorde le plus d'importance.
D'ailleurs, l'Humanité n'hésite pas à glisser au milieu de ces articles quelques mots
laudatifs pour le PCF, qui serait à l'origine de l'accueil splendide des Françaises à Paris,
contrairement encore une fois au ministère de Frenay.179 DUFAYEL Pierre-Emmanuel, Un convoi de femmes, op.cit., p.163.180 Ibid p.151.181 L'Humanité 13 avril 1945 « Les déportées de Ravensbruck arriveront samedi à Paris », voir annexe B16.182 Le Figaro 15 et 16 avril 1945 « Le général de Gaulle accueille 197 libérées du camp de Ravensbrück », voir annexe C22.183 Les Allobroges 12 avril 1945 «15 000 déportés français vont être rapatriés ».184 L'Humanité 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon, pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbruck » voir annexe B 17.Les Allobroges 16 avril 1945 « Un million de prisonniers français libérés ».185 Le Figaro 15 et 16 avril 1945 « Le général de Gaulle accueille 197 libérées du camp de Ravensbrück », voir annexe C22.
122
«De nombreuses organisations notamment le MNPGD, l'Union des Femmes Françaises, le Secours Populaire, le Parti Communiste avaient tout fait pour les recevoir dans les meilleures conditions d'hygiène et de confort. Mais M. Frenay, ministre des Prisonniers et Déportés, prétextant leur mauvais physique, a d'abord prétendu les immobiliser à Annemasse pour un temps indéterminé»186.
En outre, la presse régionale consacre un long article au passage du convoi à
Grenoble, citant ainsi des exemples d'Iséroises parmi le convoi « Trois femmes sur le
convoi sont restées à Grenoble, dont Mme Blanc-Fatin, café, rue du 4 septembre à
Grenoble »187. Cet article permet d'ailleurs de souligner l'évolution numérique du convoi de
gare en gare, mais surtout de flatter l'enthousiasme qu'a suscité le passage des rescapées
dans la ville. La presse régionale n'est pas la seule à souligner la joie lors de l'arrivée du
convoi, mais parallèlement, ces réjouissances ont tendance à diminuer les descriptions sur
l'état de santé physique et morale des rescapées, voir à les embellir comme cet extrait de
l'Humanité « Les déportés apparaissent massées dans des couloirs. Leurs traits sont
émaciées meurtris par leur long calvaire, mais néanmoins illuminés de joie »188. En réalité,
les libérations ne furent jamais heureuses189, c'est simplement la joie de retrouver leur
proche qui a laissé croire un réel bonheur ancré sur leur visage, mais ce bonheur s'est
effacé en quelques jours. En effet, ces dernières eurent du mal à se refaire une place dans
une société française qu'elles ne reconnaissent pas et qu'elles avaient même idéalisée.
Par ailleurs, ce premier convoi fut fortement mis en avant par la presse mais il ne
fut pas le seul à revenir de Ravensbrück. Quelques semaines après la mission de sauvetage
effectuée par la Croix-Rouge Internationale, le compte Bernadotte (haut responsable de la
Croix-Rouge Suédoise) négocie avec Himmler de nouvelles libérations.
« Parmi les 15 000 prisonniers ou déportés que la Croix Rouge suédoise, sous la direction du comte Folke-Bernadotte, a ramenés d'Allemagne en Suède, se trouvent 4000 Françaises revenant de Ravensbrück et Auschwitz. Elles sont hébergées dans différentes établissements de Malmoë et de Trelleborg » 190 .
Ainsi, le 21 avril 1945, trois cent soixante Françaises ont pu sortir du camp, puis mille
autres détenues de plusieurs nationalités le 25191 (ou le 23 avril selon les historiens192). Le
chiffre donné par le Figaro, lui, prend en compte également des femmes revenues
d'Auschwitz, toutefois, on peut estimer que « 4000 » est une surévaluation. D'autres 186 L'Humanité 13 avril 1945 « Les déportées de Ravensbruck arriveront samedi à Paris », voir annexe B16.187 Les Allobroges 14 avril 1945 « 215 Françaises rapatriées d'Allemagne sont passées hier en gare de Grenoble », voir annexe D3.188 L'Humanité 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon, pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbruck » voir annexe B17.189 DUFAYEL Pierre-Emmanuel, Un convoi de femmes, op.cit. p.163.190 Figaro 5 mai 1945 « Quatre mille rapatriées de Ravensbrück sont en Suède ».191 DUFAYEL Pierre-Emmanuel, Un convoi de femmes, op.cit. p.155.192 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.66.
123
femmes furent aussi déportées à Ravensbrück, mais rapatriées à partir d'un autre camp. En
effet, dès février 1945 face à l'avancée des soviétiques, les Allemands ont commencé à
évacuer le camp principal et ses kommandos193, mais ces informations semblent être
connues par le Ministère, comme le montre le Figaro.
« Une centaine de déportées de Ravensbrück, récemment transférées à Mathausen sont arrivées hier à la gare de Lyon »194.
Cependant, l'évacuation de Ravensbrück en février 1945 se fait principalement en direction
de Bergen-Belsen, ce qui n'est à aucun moment expliqué dans la presse, alors que c'est
justement dans ce camp d'évacués que leurs conditions furent les plus effroyables pour ces
femmes.
B/ La prolifération des modalités de rapatriement de FrançaisesRavensbrück n'est donc pas le seul camp de rescapées françaises. Les articles sur
les rapatriements nous permettent de nous rendre compte des divers lieux de déportation
qui ont pu concerner les femmes et les conditions de leurs retours. En effet, quelques
articles s'expriment sur le déroulement des rapatriements, toutefois, la censure limite au
maximum les informations d'autant plus que l'Humanité, en conflit avec Henri Frenay
délaisse le sujet des femmes rapatriées (outre le premier convoi d'avril 1945 comme nous
l'avons vu). Ce sont donc les journaux régionaux et le Figaro qui expliquent le mieux à la
société française le déroulement de la libération des camps et les problèmes liés au retour,
même si ces articles restent relativement peu nombreux et ne sont pas les articles
principaux des quotidiens. Dès le début de juin, la rubrique quasi-quotidienne « prisonniers
et déportés » prend en compte les rapatriements de femmes, qui jusqu'alors se concentrait
uniquement sur les prisonniers de guerre. Au total les femmes reviennent dans quarante
trois de ces rubriques d'avis de recherche entre le 4 juin et le 8 décembre 1945 toujours
avec sur le même modèle indicatif:
« Rech VIARD Antoinette-Marie, née MOURON, 33 ans, d'après une version elle était à Ravensbrück 24-3-45, d'après Mlle Pierru aurait quitté Ravensbrück 28-2-45, en dir Mauthausen, à so arrivée au camp, maladie dysenterie a été transféré à l'hôpital Linz (Autriche) avec Mmes Lucette Gorand et Faure de la Haute Saône.
Rech Bertino Louis, camp Dachau, N° 76 505, entré infrmerie 22-7-44 et présumé parti camp de Pologne fin aout 44. Ecr Mme Louis Bertino...
Rech personne ay connu M de Maximovitch et Mlle Anna de Maximovitch écrire à Mme de Maximovitch château de Billeron ( ..) (Cher) »195.
193 Le Figaro 29 juin 1945 « 126 Françaises rapatriées de Ravensbrück... nous écrivent », voir annexe C27.194 Le Figaro 30 avril 1945 « Prisonniers et déportés ».195 Le Figaro 8 septembre 1945 « Prisonniers et déportés », sous titre « Recherches ».
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Ces articles permettent d'élargir la vision des déportées Françaises, elles semblent ne pas
être de simple exception parmi les grandes résistantes, mais des femmes comme les autres
avec une famille et des proches qui pour des raisons politiques, religieuses ou autres ont été
victimes de la barbarie nazie. En outre, les articles font plusieurs fois référence à des
femmes déportées à cause de l'héroïsme de leur époux, comme Mme Meyer 196 ou Mme
Herriot197. Lorsque l'on étudie un peu plus ces articles sur le rapatriement des femmes on
peut donc établir ce lien précieux que le Figaro continue à défendre dans la France libre,
de la femme liée à son foyer. Toutefois, d'autres informations sont également décelables.
Les articles sur les rapatriements mentionnent plusieurs lieux par lesquels les
femmes seraient passées. Le « camp maudit de Buchenwald »198 comme le qualifie les
communistes est mentionné à plusieurs reprises comme un lieu de déportation de femmes.
Or en réalité, Buchenwald était un camp d'hommes, mais beaucoup de femmes furent
envoyées dans les kommandos lui étant directement affiliés199. Dès le mois de mai, ce camp
et ses kommandos ont connu un rapatriement très bien organisé200, d'où une connaissance
assez développé dans la presse. L'Humanité relativise tout de même cette organisation en
spécifiant les conditions abominables des rescapées avant leur rapatriement « Chaque jour,
des hommes, des femmes, des Français meurent par centaines du typhus ou d'épuisement
»201. Ce lieu va rapidement marquer les esprits puisque les Américains font y développer
leur pédagogie de l'horreur en le faisant visiter par la population de Weimar. A la
Libération il est donc le représentant par excellence des centre de déportation. En outre,
comme le voulait la censure, d'autres rapatriements de femmes sont cités mais sans
informations complémentaires sur les circonstances et les provenances202, hormis des noms
de camps comme Dachau, Dora et Mathausen.
196 Le Figaro 13 et 14 mai 1945 « Prague 12 mai- M. Léon Meyer, ancien ministre, qui se trouvait au camp de Terezin, a été libéré ainsi que sa femme et sa fille. Il est parti pour Paris » in « Prisonniers et déportés »197 Le Figaro 20 et 21 mai 1945 « M. Edouard Herriot a touché la terre de France, hier matin, à Marignane, à 10h40 accompagné de Mme Herriot, qui, avec un attachement et une constance admirable, a partagé ses épreuves depuis trois ans » in « Après 5 ans de persécution et de captivité M . Edouard Herriot est rentré en France ».198 L'Humanité 19 avril 1945 « En visitant le camp maudit de Buchenwald Les Américains frémissent de colère et les habitants de Weimar comme s'ils n'avaient rien su jusque là se voilent la face ».199 MANSON Jean [dir. ] Leçons de ténèbres... p.147.200 Le Figaro 23 mai 1945 « Hier sont passés à Harebrouck 300 prisonniers et 500 déportés hommes et femmes de Buchenwald et de Dora » in « Prisonniers et déportés ».201 L'Humanité 19 avril 1945 « En visitant le camp maudit de Buchenwald Les Américains frémissent de colère et les habitants de Weimar comme s'ils n'avaient rien su jusque là se voilent la face ».202 Le Figaro 7 avril 1945 « D'Odessa à Marseille », 12 avril 1945 « Le rapatriement des femmes enfants et vieillards déportés », 23 avril 1945 « Retour des libérés ». Les Allobroges 6 avril 1945 « Près de 1700 Français rapatriés sont arrivés hier à Marseille ».
125
Enfin, ces articles permettent également de donner quelques informations sur les
conditions de rapatriement. Il faut attendre le mois de juin 1945 pour que la censure
autorise ces articles qui restent très optimistes dans le Figaro par rapport à la réalité. En
effet, soulignant sa conscience de toutes les difficultés que demandent les rapatriements, le
quotidien idéalise les rapatriements individuels que le ministère n'avait nullement anticipé.
« Le retour des prisonniers et déportés, nous l'imaginions parfois, comme il est en train de se faire. Nous savions que d'immenses multitudes se mettraient en route, un jour , pour retrouver la patrie et le foyer, à travers une Allemagne vaincue, livrée au désordre et à la confusion. Le détail nous échappait certes : je ne voyais pas, par exemple, la fille de Jean-Marc Carré, mon ami, je ne voyais pas Denise, frêle jeune fille, arriver du fond de la Saxe sur une bicyclette de rencontre »203.
Ces rapatriements semblent se passer dans l'enthousiasme et la facilité, or les individus qui
sont rentrés par leurs propres moyens ont dû faire face à de multiple dangers. Affaiblies et
épuisées, elles devaient trouver à manger et parcourir de longues distances à pied. Leur
santé était déplorable à leur retour204.
La réalité des rapatriements et des libérations des femmes est donc difficile à
percevoir dans la presse de la Libération. La censure a mis une barrière importante pour la
diffusion d'un grand nombre d'informations. Ainsi, le rapatriement de certains camps,
comme Bergen-Belsen et Auschwitz ne semble pas concerner les femmes, alors que
comme nous l'avons vu, ces camps sont très importants dans les descriptions de leur vécu
concentrationnaire. Le manque d'informations, la censure gouvernementale, mais
également la propre censure des journaux, expliquent cette faiblesse des articles. Par
exemple, Bergen-Belsen, « mouroir » des rescapés205, est le symbole de l'échec de la
politique de Frenay ce qui explique le silence plus lourd à son sujet dans le Figaro. A
l'inverse, Auschwitz, libéré en janvier 1945 par les Soviétiques n'a pas été accompagné de
la même publicité que le firent les Américains à l'Ouest, d'où le manque d'informations
pour la presse communiste qui aurait pu en faire de nombreuse une.
C/ Les femmes doivent se refaire une santé : lieux et conditionsL'urgence d' aider les rapatriés s'impose aux libérateurs et à l'ensemble de la
population. L'organisation prévue par les gouvernements ne pourra pas se mettre en place,
ainsi les rapatriements et les secours médicaux vont parfois sembler un peu long206. A partir
du mois de mai, la censure sur les rapatriements est de moins en moins respectée,
203 Le Figaro 8 juin 1945 « La sauvergarde ».204 DUFAYEL Pierre-Emmanuel, Un convoi de femmes, op.cit. p.166.205 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps … op.cit. p.29.206 L'Humanité 7 juin 1945 « Plus d'un million de Français sont encore en Allemagne... où ils ne voient toujours pas venir les Missions de rapatriement ».
126
l'ensemble de la presse commence à souligner l'aspect physique et psychique désœuvrant
des rescapés.
« Il y a près de trois millions de prisonniers de guerre et de déportés, hommes et femmes, qu'il va falloir remettre dans la vie ; rendre à la santé au métier ; à une place d'autant plus grande qu'ils auront souffert davantage »207.
Ces articles qui ne devaient pas être alarmants sonnent au contraire comme une alerte pour
l'application de soins convenables. En ce qui concerne plus particulièrement les femmes
l'Humanité ne mentionne que l'action directe des membres communistes telle que Marie-
Claude Vaillant-Couturier, restait au camp de Ravensbrück afin de prendre soin de ses
camarades208. En parallèle, le Figaro fait l'éloge d'associations privées et publiques qui
viennent au secours des rescapées, comme le Comité d'Aide en Suisse, qui sur l'initiative
de l'Association nationale des Anciens Déportés et Internés de la Résistance propose des
séjours de repos en Suisse pour les résistantes rapatriées209; le Comité Parisien des Centres
d'Entraide aux internés et déportés qui propose l'intervention d'assistantes sociales chez les
résistantes de Seine rescapées qui auraient besoin d'aide administrative210 ; ou encore le
Centre d'Accueil des femmes Déportées qui cherche à récolter des fonds de soutien par la
projection du film «Mme. Minnier »211. Au final, plusieurs associations semblent se
mobiliser pour le soin des rescapées à la Libération.
En outre, le Ministère de Frenay met en place un centre d'accueil officiel pour les
déportés : l'hôtel Lutétia. En effet, face à l'urgence de la situation, le gouvernement
provisoire se voit obliger de réagir et met en œuvre cette solution improvisée. Un grand
nombre de femmes vont passer par ce centre d'accueil qui lui même est d'ailleurs dirigé par
trois femmes : Elisabeth Bidault, secrétaire générale du Comité des œuvres sociales des
organisations de la Résistance; Dorine (Denise Mantoux) du service social du Mouvement
de Libération Nationale et Yank Zlatin (Sabine) qui était à la maison d'Izieu 212.
Officiellement nous ne possédons pas de chiffre sur le nombre de déportés passés à
Lutétia, et donc encore moins sur le nombre précis de femmes. Toutefois ce qui est d'ores
et déjà évident est que l'article du Figaro, le 3 août 1945, entièrement consacré à l'éloge
des bienfaits de ce centre gonfle les chiffres « Soixante-quinze mille revenants sont passés
207 Le Figaro 8 mai 1945 « Plus que jamais les Français doivent aider les Français ».208 L'Humanité 26 juin 1945 « Après avoir soigné ses compagnons de Ravensbrück Marie-Claude Vaillant-Couturier est de retour », voir annexe B25.209 Le Figaro 23 et 24 septembre 1945 « Prisonniers et déportés »210 Le Figaro 19 avril 1945 « Buchenwald, une organisation scientifique d'extermination...nous déclare M. Julien Cain ».211 Le Figaro 15 mai 1945 « Les Français doivent aider au Français ».212 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.285.
127
ici, accueillis par un personnel presque entièrement bénévole »213. En même temps, il est le
seul indicateur de l'accueil dans le camp dont nous disposons. Soutenant l'action du
gouvernement, l'article est donc encourageant sur les conditions d'accueil pour les femmes
rapatriées, même si les journalistes sont conscients que beaucoup de photos accrochées sur
un panneau dans le couloir symbolisent des centaines de milliers de morts et que tous les
disparu(e)s ne reviendront pas. Dans la réalité de nombreux témoins souligneront un
accueil parfois difficile avec diverses maladresses dont ont pu faire part les autorités et
infirmières à leur arrivée214.
De plus, la presse de la Libération met également un autre lieu de repos important
pour les rescapées : « Monnetier-Mornex » en Haute Savoie. Le Dauphiné Libéré consacre
plusieurs articles à ce centre215. Ainsi le centre de repos, financé en grande partie par des
aides américaines, pouvait accueillir presque une quarantaine de déportés politiques,
hommes et femmes. Le centre était dirigeait par une ancienne résistante Mme Thiel pour
laquelle le quotidien souligne son admiration. Elle organisa plusieurs fêtes et nourrit très
bien les rescapés leur permettant un regain physique et moral.
Au final, même si les témoignages racontent peu les retours à la vie en société 216,
les Français ont pris conscience des besoins vitaux des rescapées, ils les ont nourris et
soignés. Des secours, même si parfois tardifs, ont été mis en place pour leur venir en aide.
Ces secours se consacraient surtout à leur santé physique, leur santé psychique n'a pas été
réellement prise en compte. Toutes les rescapées n'ont donc pas supporté la réintégration,
d'autant que les lourds tabous sur leur souffrance n'ont fait qu'empirer leur malaise. Ainsi,
outre les souffrances physiques et les maladies qui ont persisté pendant de long mois après
la Libération (et tué encore un grand nombre d'entre elles), les mentalités et leurs souvenirs
des atrocités restent ancrés en elles sans que la société n'en prenne conscience. Seuls les
moments où les rescapées parviennent à se retrouver entre elles leur permettent d'exorciser
peu à peu leur souffrance, même si elles ne disparaîtront jamais.
Les rapatriements des femmes ont donc surtout été monopolisé dans la presse par
les retours de Ravensbrück. Les autres retours sont cités uniquement en exemple
213 Le Figaro 3 août 1945 « 75 000 déportés sont revenus....mais, 80 jours après le jour V, la « pâtisserie » de Lutétia est encore l'antichambre de l'espérance », voir annexe C28.214 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps ...op.cit. p.122.215 Le Dauphiné Libéré 2 octobre 1945 « A Monnetier avec ceux de Ravensbrück, Buchenwald, Dachau, etc... » voir en annexe, le 5 novembre 1945 « Avec les 40 déportés du château de Monetier-Mornex » et le 31 décembre 1945 « Une déportée fait une chute grave au Salève ».216 Un témoignage sur trois évoque l'accueil et le retour dans les familles selon WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.145.
128
secondaire, et sont même délaissés par l'Humanité. Néanmoins, la presse ne peut pas
dessiner une vision concrète des rapatriements des femmes, d'une part à cause de la
censure et d'autre part à cause de la diversité des conditions de libération des camps. En
effet, les évacuations des camps de l'Est ont été de plus en plus denses au fur et à mesure
de l'avancée des soviétiques. Ainsi, Bergen-Belsen est un camp d'évacuation au moment de
l'arrivée des Alliés et non plus le réel camp d'otages comme l'était sa fonction première.
Tous les camps ont perdu leur spécificité à la période de leur libération217.
On peut en conclure que la vision des Françaises déportées est difficile à saisir à
travers la presse. En effet, tout en semblant être préservées des atrocités, elles apparaissent
tout de même clairement dans les articles sur les camps. Les témoignages soulignent
l'ampleur de leur expérience et les articles autour confirment ces abominations, mais en
même temps, de nombreuses informations les concernant sont passées sous silence : la
maternité dans les camps218, les conflits entre les catégories de déportées (principalement
entre prostituées, politiques ou Juives) ou encore la sexualité entre femmes219. Les femmes
ont donc témoigné, même si tout n'était pas exprimable et surtout tout ne pouvait pas être
compris par ceux qui ne l'avait pas vécu. La déportation vient prouver la déshumanisation
possible de « l'homme », les Français souhaite donc qu'elle ne soit qu'une parenthèse vite
oubliée220. D'autant que la libération des camps s'effectue dans un contexte qui trouble et
fausse la réalité, ce qui rend d'autant plus difficile les récits des rescapées. Selon les
recherches d'Annette Wieviorka 30% des détenus libérés dans un camp ont en réalité passé
la majorité de leur détention dans un autre221. L'image des rapatriements des femmes
donnée par la presse de la Libération fausse alors la réalité de leur déportation et de leur
retour. L'été 1945 est tout de même le moment de prise de conscience de la déportation des
Françaises, mais ce ne fut pas la seule expression de la barbarie des Allemands envers les
femmes de France.
217 Ibid, p.228218 BARD Christine, « L'histoire des femmes au défi »... op.cit, p.5.219Ibid, p.6 et TILLON Germaine, Une opérette à Ravensbrück, Paris, Éditions de La Martinière, 2005, p.52.220 WIEVIORKA Annette, Déportation et génocide... op. cit. p.173.221 Ibid p.266.
129
Chapitre 6 – Prééminence de la barbarie nazie : des interrogatoires de femmes aux massacres de civils
« Du couloir sur lequel s'ouvre ma cellule me parviennent des bruits de bottes et de
clefs, le claquement des guichets refermés. Sans doute des distributions de nourriture pour
ceux qui ont le droit d'en recevoir. Mais, rien pour moi ! Evidemment, si mon exécution est
proche, il est bien inutile de me nourrir »222, cet extrait des notes de Geneviève de Gaulle,
dans son cachot à Ravensbrück, montre que la détention et la torture fut aussi l'affaire des
femmes. De plus, leurs enfants, comme nous le verrons, n'ont pas été épargnés non plus ce
qui accroît encore plus la perversité dont ont fait part les nazis.
En tant que pratiques volontaires de faire souffrir un individu tant sur le plan
physique que psychologique, la torture fut appliquée de plusieurs manières et sur diverses
catégories d'individus. La presse de la Libération ne néglige pas de présenter à la fois les
tortures administrées au cours des interrogatoires, celles infligées dans les camps et celles
destinées directement aux civils. L'évolution chronologique de la parution des articles sur
le sujet est éloquente.
Ce graphique permet de constater que dans la presse nationale, les articles traitant des
femmes torturées disparaissent totalement à partir de septembre 1945. Ainsi, la saturation
des témoignages sur l'inhumanité nazie est très visible à travers ce thème, même si pour la
presse régionale cela est moins visibles. Auparavant, les articles sur les tortures restaient
222 DE GAULLE ANTHONIOZ Geneviève, La traversée de la nuit, Paris, édition du Seuil, novembre 1998, p.16.
Figure 6: Nombres d'articles sur les femmes torturées et emprisonnées dans la presse
Août-44Oct-44
Déc-44Fév-45
Avril-45Juin-45
Août-45Oct-45
Déc-45Sondage 46
0
2
4
6
8
10
12
HumanitéDauphinéFigaro
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peu nombreux mais ils permettent tout de même de retracer la vision que les Français
avaient à l'époque des tortures infligées aux femmes.
I. L'usage de la torture pour faire parler les résistantes« Ce sont des femmes de la Résistance, incarcérées et torturées de la façon la plus
infâme et finalement déportées vers les geôles allemands dans des wagons plombés »223, cet
article traitant des rapatriements de femmes en avril 1945, souligne que les résistantes ont
connu la torture au même niveau que la déportation. D'ailleurs, la répercussion de ces
pratiques choc d'autant plus qu'elles sont infligées avant la déportation mais aussi pendant.
En effet au delà des tortures perpétrées dans les camps, comme celles décrites avec
précision pour le Struthof224, les Allemands, la Gestapo et la Milice française mirent en
œuvre tout un système de tortures au cours de leurs interrogatoires (d'autant plus envers les
femmes étant donné qu'on les soupçonnait d'être plus fragiles). Suite à de nombreux
témoignages, et enquêtes pour l'épuration, la presse ne peut nier ces informations. Les
articles concernant directement les résistantes torturées restent toutefois assez peu
nombreux dans la presse de 1944 à 1947, seul l'Humanité consacre une importance réelle
au sujet avec quatorze articles225. Cette divergence nous amène à souligner à nouveau que le
PCF se présentait comme le parti des martyrs de la Résistance. Le nombre d'articles sur les
résistantes torturées semble assez dérisoire, si on le compare par exemple aux articles sur
les résistantes déportées, mais les informations qu'ils donnent permettent d'entreprendre
une étude sur la représentation des femmes comme victimes de la répression, au-delà de la
Déportation.
A/ Les interrogatoires de la Gestapo françaiseLe déroulement des interrogatoires de la Gestapo est connu de la presse de la
Libération, particulièrement par le biais de témoignages (même si ces sources peuvent
poser des problèmes de véracité). Ainsi, avant de dégager toutes les tortures physiques qui
furent infligées à ces patriotes, soulignons l'humiliation que fut pour ses femmes d'être
exposées nues devant les miliciens. En effet, cet aspect est repris dans plusieurs
témoignages publiés par l'Humanité : « Ils me font déshabiller entièrement, en arrachant
violemment mes habits que je refusais de quitter »226, « Toutes nous avons subi le même
sort, c'est à dire que nous avons comparu nues devant des inspecteurs chargés de
223 Le Figaro, 4 avril 1945 « Il y a aussi soixante milles femmes déportées qui vont bientôt revenir ».224 L'Humanité, 26 décembre 1944 « Horribles raffinements de la barbarie hitlérienne Struthof : le camp des supplices ce que j'ai vu » par Florimond Bonte, voix annexe B12.225 Voix tableau annexe de A10 à A12.226 L'Humanité, 23 août 1944 « Torture d'une jeune patriote de 22 ans par les miliciens » voir annexe B1.
131
l'interrogatoire »227 ou encore les propos du tortionnaire David cité lors de son procès
« Venez vous rincer l’œil. J'ai une fille nue drôlement zébrée. On l'a bien flagellée »228.
Dans la société très prude, où la libération sexuelle est loin d'être à l'ordre du jour, la nudité
est vécue comme une réelle humiliation pour ces femmes, une torture profonde de leur
être.
En outre, les témoignages permettent également d'alarmer la société française sur
les pratiques qui furent infligées aux femmes. C'est tout d'abord, la durée de l'interrogatoire
qui est souligné : « l'interrogatoire a duré de 18 heures à 3 heures du matin »229, « Les
tortures allaient parfois jusqu'à 30 heures »230, « L'interrogatoire a duré huit jours, huit jours
sans boire ni manger »231 . La première torture repose donc sur l'épuisement des femmes,
suite à leur manque de sommeil et de nourriture, mais à tout cela vient surtout s'ajouter les
supplices. Ainsi, à partir des articles de presse une liste entière des tortures peut être
extraite. La plus courante semble être celle du « fameux supplice de la baignoire »232.
L'emploi, ici, du terme « fameux » souligne qu'en 1945, la pratique de cette torture était
déjà connue. Elle consistait à plonger la tête de la détenue dans une baignoire jusqu'à ce
qu'elle suffoque et les bourreaux recommençaient l'expérience si elles ne parlaient pas233.
De plus, le calvaire de l'électricité est cité dans plus de 60% des témoignages de résistantes
torturées. L'un des plus poignants à ce sujet est celui du 5 septembre 1944 au sein de
l'Humanité.
« ensuite nous avons été électrisées à l'aide d'une dynamo dont on avait branché les pôles l'un à une main, l'autre à un pied [...]
Une patriote a été électrisée au sexe »234.
A toutes ces horreurs viennent s'additionner les frappes jusqu'au sang ( parfois à coup de
nerf de bœuf), les mâchoires brisées, les strangulations, les plantes de pieds brûlées, les
ongles arrachés, les brûlures au tisonnier. Ces plaies pouvaient, en plus, être achevées par
227 L'Humanité, 5 septembre 1944 in « Des bandits donnaient la « question » à des jeunes filles ».228 Les Allobroges, 17 avril 1945 « David tortionnaire sadique condamné à mort ».229 L'Humanité, 23 août 1944 « Torture d'une jeune patriote de 22 ans par les miliciens », voir annexe B1.230 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1944 « Les tortionnaires de la Gestapo Ce que j'ai vu rue des Saussaies », voir annexe C3.231 L'Humanité, 28 septembre 1944 « Le calvaire de Mme Guiffard ».232 L'Humanité, 7 mars 1945 « La Gestapo de l'Avenue Foch devant la Cour de Justice... Ils espionnaient, arrêtaient, volaient, torturaient et faisaient des « affaires » ».233 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1944 « après l'avoir remplie, on plaçait dedans un bloc de glace, puis sous le contrôle d'un médecin en blouse blanche, on plongeait dans cette eau glacée les gens qu'on voulait faire parler, tête comprise.[...] à la limite de la mort […] et recommencer l'opération si l'interrogatoire n'avait rien donné » in « Les tortionnaires de la Gestapo Ce que j'ai vu rue des Saussaies », voir annexe C3.234 L'Humanité, 5 septembre 1944 in « Des bandits donnaient la « question » à des jeunes filles ».
132
un emmaillotement dans un drap mouillé plein de sel. Les tortionnaires imposaient aussi à
leurs victimes d'attendre d'autres tortures en portant des litres d'eau à bout de bras ou ils
les obligeaient à boire un verre de vinaigre blanc235.
Par ailleurs, la fin des interrogatoires ne signifie pas la fin des tortures pour ces
résistantes. En effet, les articles mentionnés évoquent aussi les conditions de détention
dans lesquels vivent ces martyres. Les longues semaines de solitude lors de leur « mise au
secret » semblent être une nouvelle forme de torture, d'autant plus pour celles qui
pouvaient entendre de leur cellule les hurlements des autres torturées. La description des
conditions de vie démontre aussi une forme de supplice : « conditions de vie
inadmissibles : couchées dans de la paille sale, mangeant sans couverts dans des gamelles
servant à tout le monde »236, « Nous avions toujours les mains attachées derrière le dos et
pour manger la soupe, nous devions nous accroupir par terre et laper comme des chiens »237.
Les prisonnières qui attendaient leur interrogatoire, ou bien même celles qui se savaient
condamnées à mort, vivaient donc ces atrocités au quotidien.
B/ Le supplice absolu : assister aux tortures de prochesLe stéréotype des femmes plus sensible que les hommes fut employé comme un
moyen de pression pour les faire parler. Selon les rescapées ayant vécues ces tortures,
beaucoup estiment que les femmes étaient plus combatives que les hommes face aux
supplices, du fait de la menstruation et de l'enfantement qui les auraient habitués au sang et
à la douleur238. Ainsi, leur calvaire fut poussé à l'extrême : on les obligea à assister aux
supplices d'autres femmes, voir à celui de leurs proches. En effet, dans les prisons, les
femmes condamnées, du fait qu'elles aient gardé le silence, devaient assister aux
exécutions des autres détenues dans le but qu'elles se décident finalement à parler. Ce fut le
cas par exemple de Mme Guifard : « Nous assistions à toutes les exécutions qui avaient
lieu dans la cour de la prison. Nous avions la robe jaune des condamnés à mort ; on nous a
coupé les cheveux »239. Au delà de ces assassinats directs auxquels elles assistaient en
235 L'Humanité, 23 août 1944 « Torture d'une jeune patriote de 22 ans par les miliciens », voir annexe B1, 5 septembre 1944 « Des bandits donnaient la « question » à des jeunes filles », 28 septembre 1944 « Le calvaire de Mme Guiffard », 7 mars 1945 « La Gestapo de l'Avenue Foch devant la Cour de Justice... Ils espionnaient, arrêtaient, volaient, torturaient et faisaient des « affaires » ».Le Figaro 2 et 3 septembre 1944 « Les tortionnaires de la Gestapo Ce que j'ai vu rue des Saussaies » voir annexe C3.Le Dauphiné Libéré, 22 août 1946 « Hommage anglais aux héroïnes françaises de la Résistance » voir annexe D12.Les Allobroges, 17 avril 1945 « David tortionnaire sadique condamné à mort ».236 L'Humanité, 5 septembre 1944 « Des bandits donnaient la « question » à des jeunes filles ».237 L'Humanité, 28 septembre 1944 « Le calvaire de Mme Guiffard ».238 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre. Histoire des femmes dans la Résistance, Paris, Albin Michel, 1996, p.343.239 L'Humanité, 28 septembre 1944 « Le calvaire de Mme Guifard ».
133
prison, la participation en tant que spectatrices à des tortures étaient également le cas
parfois dès leur interrogatoire. En effet, les Allemands ou miliciens, comprenant qu'ils
devaient trouver de nouveaux stratagèmes pour faire parler certaines résistantes
déterminées, ont adopté une méthode encore plus radicale qui consistait à torturer des êtres
aimés devant les détenues. Ainsi, lors d'un procès une femme témoigne qu'elle dut regarder
son mari se faire torturer, car tous deux étant résistants ils avaient des informations
précieuses pour les Allemands240. De plus, un autre article qui cette fois est un hommage à
une défunte, rejoint ce témoignage et vient confirmer l'emploi régulier de ce moyen de
pression sur les femmes.
« Alors les bourreaux trouvèrent pour elle le tourment le plus raffiné : devant elle ils torturèrent sa mère, qu'elle adorait, lui firent subir entre autres le supplice de la baignoire. Pendant huit jours, Mme Fromont, agonisa sous les yeux de sa fille déchirée, et au bout de huit jours, elle mourut sous les coups. Mais Francine n'avait pas parlé»241.
Les femmes évitaient dons plus aisément les contrôles que les hommes, par leur image de
mère et l’insouciance que les Allemands et les collaborateurs continuaient de leur attribuer.
Néanmoins, être une femme dans la Résistance pouvait engendrer des risques supérieurs
car elles mettaient en danger l'ensemble de leur famille. Les Allemands conscients de
l'attachement des Françaises à leur foyer usés de cette émotivité dès que cela était
nécessaire.
C/ Les bonnes patriotes françaises n'ont pas parléLes articles sur les tortures mettent en avant l'héroïsme des suppliciées. En effet,
outre le sadisme et la barbarie qui peuvent se dessiner au travers de ces témoignages, les
journalistes soulignent la force dont ont fait preuve ces femmes étant donné qu'aucune
d'entre elle n'est accusée d'avoir parlé. L'Humanité est le plus engagé dans cette
présentation des femmes héroïques et patriotes qui se sont sacrifiées pour protéger les
autres. Il les présente alors comme communistes, résistantes, patriotes et martyres, par
exemple Francine Fromont décrite comme « une militante exemplaire de l'Union des
Jeunes filles de France »242 . L'héroïsme des communistes martyres ressort donc encore une
fois dans ces articles, dont certains sont même très explicitent à ce sujet.
« Nous nous inclinons devant tous les patriotes de la Résistance, quels qu'ils soient [...] mais ce dont nous sommes sûrs, c'est que nul autre groupement Français n'a été frappé aussi brutalement par la répression nazie et vichyssoise que notre Parti Communiste »243.
240 L'Humanité, 12 juin 1945 « Deux ans de prison Un acquittement voilà la récompense des bourreaux ! S'indigne la veuve du patriote Bréchet guillotiné par les valets de la section spéciale ».241 L'Humanité, 7 août 1945 « Devant le cercueil de Francine Fromont la jeune héroïne fusillée par les nazisRaymond Guyot exige la mort du maréchal-traître », voir annexe B27.242 Ibid.243 L'Humanité, 4 septembre 1944 « Contre les diviseurs de la Patrie ».
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Par ailleurs, ce qui est intéressant à constater c'est qu'en parallèle un point
d'entente est apparent entre l'Humanité et le Figaro sur les tortionnaires. En effet, nous
avons vu que leur point de vu sur l'épuration est divergent mais en ce qui concerne les
bourreaux de la Gestapo française, leur opinion semble se rejoindre. Ainsi même le Figaro
critique la barbarie des fonctionnaires français sur des femmes de leur propre pays.
« supplices inventés, du sadisme de l'ingéniosité dans la malfaisance, vrai génie du mal déployé par les spécialistes de la Gestapo (…) parfois(..) des gens qui d'après leur état civil, pouvaient se dire Français »244.
La cruauté des interrogatoires de résistants et de résistantes est donc condamnée par toute
la presse, ce qui accentue encore l'héroïsme de ces femmes suppliciées.
Enfin, ce qui est encore plus élogieux pour ces Françaises est que, malgré toutes
ces tortures, elles ont conservé leurs secrets : « aucune de nous n'a révélé ni nom, ni
adresse qui intéressaient ces messieurs »245, « notre rédactrice Léa Maury qui devait
connaître une fin tragique en novembre 1943, dans l'accomplissement d'une mission de la
Résistance, trouvant dans les pires souffrances la force de préserver jusqu'au bout la
sécurité de l'organisation »246 . Ce silence des femmes est souligné dans tous les articles à
leur sujet, étant donné d'ailleurs qu'ils expliquent l'accroissement de leur torture. Ainsi,
elles ont permis de sauver de nombreuses vies et les réseaux ont pu poursuivre leur action.
D'ailleurs en 1946 un article du Dauphiné Libéré est très représentatif de ce courage au
féminin. En effet, les anglais rendent hommage à l'une d'entre elle, car elle ne parla pas
sous la torture et parvint alors à sauver deux officiers anglais247. Au final, c'est le sacrifice
dont on fait part les Françaises résistantes qui est mis en évidence dans ces articles, elles
semblent avoir préférées mourir que parler. La jeune résistante qui a sauvé les Anglais a
subi seule l'enfer de la déportation pour protéger les deux Britanniques, d'autres femmes
furent fusillées, comme on l'a vu dans le témoignage de Mme Guifard, mais ce fut
également le cas de Francine Fromont 248.
244 Le Figaro, 2 et 3 septembre 1945 « Les tortionnaires de la Gestapo Ce que j'ai vu rue des Saussaies », C3.245 L'Humanité, 5 septembre 1944 « Des bandits donnaient la « question » à des jeunes patriotes ».246 L'Humanité, 8 et 9 octobre 1944, extrait de la légende d'une grande photo en première page d'une Assemblée de l'Humanité.247 Le Dauphiné Libéré, 22 août 1946 « Hommage anglais à une héroïne française de la Résistance. Torturée au fer rouge elle refuse de parler et sauve ainsi deux officiers britanniques en mission en France », voir annexe D12.248 L'Humanité, 7 août 1945 « Francine Fromont fut transférée de Lyon à Paris, mise au secret. Avant de s'enfuir devant l'avance des Alliés, les Allemands décidèrent de ne pas laisser derrière eux cette jeune fille destinée à devenir l'une des dirigeantes de la jeunesse française. Ils la trainèrent de sa cellule à la cour de la prison de Fresnes, et quelques jours avant la Libération de Paris, le 5 août 1944, Francine Fromont, le corps criblé de balles tombait en criant « Vive la France ! Vive le Parti Communiste ! »» in « Devant le cercueil de Francine Fromont la jeune héroïne fusillée par les nazis Raymond Guyot exige la mort du maréchal-traître », voir annexe B27.
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L'image des suppliciées à la Libération est donc celles des héroïnes de la
Résistance, majoritairement communistes, du fait de l'importance que leur consacre
l'Humanité. Au delà de leur propre vie, elles ont mis en danger la vie de leur proche au
service de la patrie française. Même si ces articles sont assez peu nombreux, ils sont très
marquants dans les esprits de l'époque car très représentatifs des supplices infligés et du
sadisme dont faisaient part les bourreaux. Ainsi, même si comme nous l'avons vu les
femmes étaient souvent moins soupçonnées et évitaient de ce fait certaines fouilles ou
contrôles d'identité, les risques encourus d'être arrêtées et torturées étaient les mêmes pour
tous les résistants. Toutefois, la torture ne fut pas utilisée uniquement pour faire parler ces
femmes, les civils furent tout autant victimes du sadisme nazi.
II. Des destructions de villages aux massacres de civilsLa baignoire, l'électricité, les strangulations... toutes ces atroces tortures mises en
œuvre au cours des interrogatoires ne sont pas les seules employées par les nazis. Ainsi, la
presse de la Libération fait état de tous les actes de barbarie que les soldats allemands ont
pu commettre directement sur les civils, dont des femmes et des enfants.
A/ La torture de femmes : un scandale dans l'affaire Bonny Laffont« Un témoin affirme que l'ex policier, contrairement à ses dires, savait qu'il allait
arrêter Geneviève de Gaulle »249, l'arrestation de Geneviève de Gaulle est au centre des
accusations contre le collaborateur Bonny (inspecteur de la Gestapo). Toutefois, des
arrestations de civils furent également commises250, mais aussi des tortures dans lesquelles
Bonny, Lafont et leurs complices n'étaient pas en reste. En effet, les atrocités perpétrées
par ce groupe d'hommes est au cœur de l'actualité française de septembre 1944 et reprend
lors de leur procès au mois de décembre.
Le 26 septembre 1944, l'Humanité et le Figaro publient chacun un article sur
« Mme Rieu » torturée par Paul Clavié et ses complices, dont deux Allemands, pour son
coffre contenant quinze millions d'or et de bijoux. La bande après l'avoir battue lui a brûlé
les pieds afin qu'elle donne le code de son coffre. Toutefois aucun des quotidiens ne sait si
par la suite elle fut déportée en Allemagne comme le prétendent les inculpés ou
sauvagement assassinée et enterrée251. Ces deux articles révèlent l'importance dans l'opinion
publique de cette affaire. En effet, les informations sont encore vagues mais les deux
249 L'Humanité, 9 décembre 1944 « Bonny, Lafont et compagnie devant la Cour de Justice ».250 L'Humanité, 5 septembre 1944 « Sortie des prisons allemandes, une femme parmi tant d'autres ».251 Le Figaro, 26 septembre 1944 « Clavier prétend que Mme Rieu fut, par la suite, envoyée par les Allemands en Haute-Silésie. Le commissaire Clot et des adjoints ont cependant de bonnes raisons de croire que le cadavre de la malheureuse est enfoui dans quelque jardin de banlieue » in « L'affaire Bonny-Lafont ».L'Humanité 26 septembre 1944 « Paul Clavié brûlait la plante des pieds de ses victimes ».
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quotidiens ont tout de même choisi de publier sur leur deuxième page un long article
rapportant l'affaire.
Dès le lendemain, les informations s’étoffent. Les femmes torturées par les
hommes de Bonny et Lafont sont deux en réalité: Mme Deyrieux (et non pas Rieu) ainsi
que son infirmière Mlle Andrieu. Outre les plantes de pieds brûlées dont il était question
déjà la veille, les articles allongent peu à peu la liste des supplices :
« Mme Deyrieux, après avoir été torturée, a été abattue à coups de massue par Haré, Paul Clavié et Engel ; Mlle Andrieu a subi le même sort. Les deux corps ont été ensuite coupés en morceaux et désossés : les os ont été jetés dans la Marne, la chair enterrée dans les bois de Sucy »252.
« Ce fut ensuite le tour de Mlle Andrieux. Assommée, elle aussi d'un coup de massue, elle fut également coupée en morceaux. […] Deux paquets furent jetés dans la Marne, deux autres furent enterrés dans le bois de Sucy »253.
Après deux mois de silence sur l'affaire, s'ouvre le 1er décembre 1944 le procès « Bonny-
Lafont », qui en réalité concerne non pas deux mais douze individus254. Au final, les articles
sont assez flous sur les protagonistes directs des actes de barbarie commis sur les deux
femmes. Il est question à plusieurs reprises de Paul Clavié « le tueur de la bande », selon le
Figaro255, mais aussi de « Fraisette » et « Blondy »256, Engel, Haré, deux Allemands non
nommés et même directement Lafont et Bonny. Les responsables précis de ces supplices et
de ces assassinats restent donc flous dans les articles. Toutefois, de nouvelles atrocités sont
encore rajoutées sur la longue liste déjà existante. Les assassins de Mme Deyrieux et Mlle
Andrieu sont accusés de les avoir violées avant de les avoir tuées 257, puis le Figaro publie le
6 décembre un écrit très précis sur les actes dont sont accusés les bourreaux des deux
femmes.
« Quant au sinistre trio aligné côte à côte que forment Clavié, Haré, Engel, ils sont tous les trois debout en même temps pour entendre le récit du crime de Saint-Maure : Deux pauvres femmes dénudées, torturées, violées, tuées, dépecées, désossées, bouillies, passées au hachoir, mitonnées comme un ragoût, versées à la cuillère à pot dans de petits sacs...
L'auditoire frémit. Un tragique silence tombe lourdement du plafond. Et ces trois monstres, immobiles et verticaux, restent là comme trois pendus, pendant que Lafont pleure »258.
252 L'Humanité, 27 septembre 1944 « Les scandales de l'épuration deux complices de Lafont sont libérés ».253 Le Figaro, 27 septembre 1944 « L'affaire Bony-Lafont ».254 L'Humanité, 2 décembre 1944 « Tortionnaires, assassins, dépeceurs à 100 000 francs par mois Bonny, Lafont et leur bande comparaissent en justice ».255 Ibid.256 L'Humanité, 27 septembre 1944 « Les scandales de l'épuration deux complices de Lafont sont libérés ».257 Le Figaro, 3 décembre 1944 « après avoir violé et tué deux malheureuses femmes, les dépecèrent et les mirent à bouillir pour détacher plus aisément la chair des os » in « Le procès Bony-Lafont Un affreux prologue ».258 Le Figaro, 6 décembre 1944 « Le procès Bony-Lafont Inutiles atermoiements ».
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Ce scandale, à la fin de 1944, confirme l'image du sadisme dont ont fait part des
Allemands, ainsi que leur complice dans la Gestapo française, envers des civils. Ainsi, les
hommes apparaissent comme les bourreaux et les femmes les suppliciées. Mais le calvaire
des civils fut poussé encore plus loin.
B/ Des massacres de représailles aux exactions de la déroute allemande : un modèle unique
« Corcieux, chef-lieu de canton, rasé selon la méthode classique : par le pillage, la
dynamite et l'incendie »259, l'emploi de l'expression « méthode classique » un an après la
Libération souligne que depuis août 1944, la population française a clairement pu prendre
conscience de la brutalité des Allemands sur le sol de France. D'ailleurs, ces événements
sont bien connus par les Français étant donné qu'ils les ont touchés directement ou du
moins qu'ils savaient l'existence de ces massacres à quelques kilomètres de chez eux. En
effet, une liste entière de localités martyrisées peut être formée en recoupant tous ces
articles et nous permet ainsi de voir que toute la France fut touchée: un petit village de
l'Orne, Maillé, Oradour, Comblanchien, Troyes, Mussidan, Vassieux-en-Vercors, Lautaret,
Villard-Saint-Pancrace, Cervières, Fortville, Saint-Chaffrey, plusieurs villages de
Bretagne, le Doubs, Oignies, Saint-Genis-Laval, Maurienne, Vire, Tulles, Corcieux,
Thônes, Montigord260. Alors, la découverte même des camps de l'horreur, symbole absolu
de l’inhumanité nazie, est parfois assimilée aux massacres de civils sur le territoire
national.
« Au fur et à mesure que les armées américaines et anglaises se sont enfoncées en Allemagne, libérant camps de prisonniers après camps de déportés, usines de mort après mines de représailles,
259 Le Figaro, 7 septembre 1945 « Terres brûlées citées anéanties C'est devant la misère que se dresse aujourd'hui la Résistance... Mais il est grand temps de la seconder ».260 L'Humanité, 14 septembre 1944 « Dans ce petit village de l'Orne 18 assassinés, 54 maisons brûlées par les Boches Un bébé de six mois comme otage » voir annexe B5, 19 septembre 1944 « Un nouvel Oradour en Indre-et-Loire Maillé, village martyr Les trois quarts de la population massacrés », 20 septembre 1944 photographie d'Oradour voir annexe B5, 11 octobre 1944 « A Comblanchien 510 habitants sur 520 ont été massacrés par les SS », 14 octobre 1944 « Ce qui s'est passé à Troyes A coups de fourche à coups de talon la bute nazie éventre et tue... », 27 octobre 1944 légende d'une photo« Encore des charniers nazis ! A Vassieux-en-Vercors, des centaines d'habitants ont été pendus et affreusement mutilés » voir annexe B6, 1er novembre 1944 « Le martyre de Mussidan 60 fusillés et 200 déportés », 14 novembre 1944 « Incendies, pillages, viols dans les Alpes françaises », 24 novembre 1945 « Bretagne martyre... A chaque village, un pendu affreusement mutilé », le 12 janvier 1945 « Avant leur départ du Doubs les Boches ont empoisonné des aliments... », 5 juin 1945 « Il y a cinq ans Oignies incendiée par les hordes nazies ».Le Figaro, 12 septembre 1944 « Arrosés de pétrole cent hommes, femmes et enfants sont brûlés vifs à Saint-Genis-Laval après avoir été torturés », 21 septembre 1944 « Les FFI en Haute-Savoie La libération d'Annecy et le long martyre de la Maurienne », 2 février 1945 « Le livre et notre destin », 3 mars 1945 « A Struthof, le camp des supplices où 20 000 détenus périrent en deux ans », 5 juin 1945 « Prisonniers et déportés », 7 septembre 1945 « Terres brûlées citées anéanties C'est devant la misère que se dresse aujourd'hui la Résistance... Mais il est grand temps de la seconder ».Le Dauphiné Libéré, 3 décembre 1945 « Ville héroïque et martyre, Thônes a reçu des mains du général Doyen la médaille de la Résistance », 18 décembre 1945 « Montgirod, le village martyr de la Tarentaise, renaît peu à peu à la vie ».
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l'opinion si lente à émouvoir en Amérique comme en Angleterre a pris conscience avec stupeur, indignation et colère que les atrocités nazies étaient une réalité aussi horrifiante qu'indéniable.
Nous, Français, avions pu toucher du doigt l'inhumanité systématique des massacres d'Oradour ou du Vercors ; mais nos récits révélaient une telle barbarie que beaucoup ne pouvaient y croire »261.
Ces crimes furent commis soit en réponse à des attaques de la Résistance, soit par
vengeance allemande lorsque leur fuite devenait inévitable devant l'avancée des Alliés ou
des FFI. Les deux catégories de massacres sont présentées par la presse de la Libération,
toutefois la véracité des justifications allemandes de leurs représailles sont fortement
critiquées, comme le confirme ces quelques extraits : « ils [les Boches] ont prétendu qu'un
officier allemand avait été tué, ce qui était absolument faux. Cela a été prouvé par la
suite »262, « C'était le 21 août. A 15 heures, une vingtaine de FFI embusqués près de l'église
ouvrirent le feu sur une colonne forte de huit cents hommes en train de franchir le pont de
la Seille. Il y eut paraît-il quatre Allemands tués, mais la chose n'est pas confirmée »263. Ces
contestations permettent ainsi de déculpabiliser les membres de la Résistance d'être
responsables de ces assassinats et de ces destructions.
En outre, un processus de destruction, torture et massacre semble toujours être
plus ou moins suivi par les soldats allemands : «ils incendient les bois et les fermes, ils
pillent, tuent et violent»264. En effet, l'expression de la cruauté allemande semble suivre un
schéma assez similaire d'une région à une autre, et peu importe la période de la guerre.
Ainsi dans un même article on peut lire le déroulement des « expéditions punitives »
allemandes du début août 1944, ainsi que les massacres prodigués lors de la fuite des
Allemands, quelques semaines plus tard.
« Déjà, du 11 au 14 août, une expédition « punitive », dirigée en principe contre le maquis, avait, sous les ordres d'un certain capitaine Hans, incendié 133 maisons à Cervières, détruit plusieurs autres villages, violé des femmes parmi lesquelles une enfant de douze ans, et fusillé un grand nombre de civils arrêtés au hasard sur les routes ou même dans leurs foyers.
Mais les colonnes qui, du 15 au 23 août remontèrent les vallées alpestres firent mieux encore.
Au Lautaret, on a trouvé les cadavres de 17 civils mitraillés puis jetés au hasard dans une fosse commune d'où dépassaient pêle-mêle des membres et des têtes
A Villard-Saint-Pancrace, 40 maisons ont été incendiées
Puy-Saint-Pierre a été entièrement détruit. La moitié des maisons de Fortville et de Saint-Chaffrey ont été livrées aux flammes, tandis que Vaujany et La Garde étaient réduits en cendres.
261 Les Allobroges, 26 avril 1945 « Tel maître, tel valet ».262 L'Humanité, 19 septembre 1944 « Un nouvel oradour en Indre-et-Loire Maillé, village martyr Les trois quarts de la population massacrés ».263 Le Figaro, 17 mars 1945 « Retour au village meurtri ».264 L'Humanité, 1 novembre 1944 « Le martyre de Mussidan 60 fusillés et 200 déportés ».
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Le feu était mis aux villages soit directement à l'aide d'obus incendiaires tirés depuis les forts que les Allemands tenaient encore »265.
Les femmes subirent donc tous ces supplices en tant que résidentes de ces villages. Elles
virent leurs maisons incendiées ou leurs époux se faire tuer devant elles. De plus, elles
furent parfois violées ou assassinées dans d'affreuses souffrances. Toutes ces tortures
directement affligées à des femmes sont présentées dans plusieurs articles tels que ces
quelques extraits le confirme: «Il y a vu les restes calcinés, mutilés, torturés, de plus de
cent Français, des hommes, des femmes, des prêtres, un enfant, qu'on avait enfermés dans
une petite maison abattus à coups de mitraillettes et de grenade avant de les brûler»266, « A
Aiguebelle, (…) Stéphane Rochette et son fermier, sont tués devant leurs femmes et des
hommes sont coupés vivants à la scie mécanique. A Epière, au moment de faire sauter le
pont sur l'Arc, ils ligotèrent trois jeunes filles sur le parapet avant de faire partir leur mine
[…] une femme enceinte est retrouvée le ventre ouvert. […] les tueries et les viols ne se
comptent plus »267,
Au final, les massacres de civils semblent être les crimes les plus odieux que les
soldats allemands aient pu commettre. Le Figaro n'hésite pas à employer un vocabulaire
très dur pour présenter ces massacres, comme l'on souligné les exemples précédents. En
outre, l'Humanité pour accroître encore la répercussion de l'horreur que ces crimes ont eu
dans l'opinion publique a accompagné ses articles de photographies, telle que la photo de
pendus à Vassieux-en-Vercors joint à celle d'un charnier nazi268. Tous ces articles sonnent
alors comme des révoltes, des appels à l'application d'une justice concrète, même si comme
on le sait la vision de la Justice entre l'Humanité et le Figaro peut tergiverser.
C/ Le symbole de la cruauté nazie dans les mémoires : Oradour-sur-Glane« Un nouvel Oradour en Indre-et-Loire »269, le titre de cet article de septembre
1944 constitue une preuve de l'implantation dans les esprits des Français du massacre qui a
eu lieu le 10 juin 1944 dans ce bourg du Limousin. En effet, les exactions d'Oradour-sur-
Glane sonnent comme l'inhumanité absolue des nazis, pour les Français tout juste libérés.
D'ailleurs une série de photographies quelques jours après la Libération de Paris témoigne
de ce massacre car les mots s'avèrent dérisoire270.
265 L'Humanité, 14 novembre 1944 « Incendies, pillages, viols dans les Alpes françaises ».266 Le Figaro, 12 septembre 1944 « Arrosés de pétrole cent hommes, femmes et enfants sont brûlés vifs à Saint-Genis-Laval après avoir été torturés ».267 Le Figaro, 21 septembre 1944 « Les FFI en Haute-Savoie. La libération d'Annecy et le long martyre de la Maurienne ».268 L'Humanité, 27 octobre 1944, voir annexe B6.269 L'Humanité, 19 septembre 1944 « «Un nouvel Oradour en Indre-et-Loire Maillé, village martyr Les trois quarts de la population massacrés ».270 Voir annexe B5.
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Elles sont accompagnées du commentaire suivant :
« Plus éloquents que n'importe quel texte, ces documents photographiques, pris après les atrocités commises par les SS dans le paisible village d'Oradour, demeureront, pour le monde civilisé, un implacable témoignage des méthodes chères aux créatures d'Hitler. Qu'avaient fait ce pauvre bébé dont il ne reste plus que le tronc et ces modestes paysans dont on ne retrouve que les cadavres calcinés ?.. Des enfants, des femmes, des vieillards assassinés, voilà comment les brutes nazies font la guerre ! »271.
Les enfants furent parmi les premières victimes de cette hécatombe, aucun chiffre n'est
donné par la presse de la Libération toutefois, aujourd'hui, on estime à deux cent six le
nombre d'individus de moins de quatorze ans abattus par la sauvagerie du 10 juin 1944
(dont soixante six de moins de six ans)272.
La presse de la Libération reste assez vague sur les détails concernant Oradour.
On peut supposer que l'Humanité Clandestine avait d'ores et déjà rédigé un ou plusieurs
articles concernant la destruction de ce village. En effet, il semble connu de tous, alors
qu'aucun article ne le présente dans la presse libre. Il faut donc attendre la première
commémoration du massacre pour que des articles fassent état du déroulement des
représailles. D'après l'Humanité et le Figaro le massacre fut justifié par les Allemands
comme une réponse aux attaques des résistants273, c'est à dire la disparition d'un officier SS
Kämpfe et l'arrestation du lieutenant Karl Gerlach par les F.T.P. . Or il s'est avéré que la
décision du massacre a été prise dans l'après-midi du 9 juin alors que ces deux actes de la
271 L'Humanité, 14 septembre 1944 « Dans ce petit village de l'Orne 18 assassinés, 54 maisons brûlées par les Boches Un bébé de six mois comme otage », voir annexe B5.272 DESOURTEAUX André, HEBRAS André Oradour sur Glanes Notre village assassiné, la Rivière Saint-Sauver, édition Les Chemins de la Mémoire, mars 2001, p.161.273 Le Figaro, 3 mars 1945 « Ce qui distingue cet endroit de tous les lieux tragiques qui jalonnent quatre années d'occupation, tels qu' Oradour, Tulle ou Saint-Genis-Laval, c'est qu'ici les atrocités commises l'ont été non par esprit de représailles mais à des fins dites scientifique » in « A Struthof, le camp des supplices où 20 000 détenus périrent en deux ans ».L'Humanité, 10 et 11 juin 1945 « Il paraît que les Allemands ont confondu ce village avec un autre, où un de leurs officiers avait été tué » in « Marque impérissable de la barbarie nazie », voir annexe B21.
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Illustration 1: L'Humanité 22 octobre 1944
Résistance n'ont été dévoilés que le 10 dans la journée274. Au final, on peut supposer que
l'ampleur du massacre fut accentuée par les nouvelles provocations des résistants, mais la
décision en elle-même était antérieure. Ainsi, le massacre répond à la fois à la peur de
l'arrivée Alliés, débarqués quelques jours plus tôt, et à une riposte face à l'accroissement
des actions de la Résistance locale.
Enfin en juin 1945, outre l'explication du massacre, les détails des supplices sont
dévoilés par l'Humanité275. Le quotidien établit à « 1300 habitants » le petit bourg, ce qui
semble être assez proche de la réalité, mais tout de même inférieur puisque le dernier
recensement de 1936 établit la population à 1574, d'autant qu'elle est accrue les années
suivantes par les exilés d'Espagne, puis quelques Alsaciens et Lorrains276. La sauvagerie
avec laquelle furent assassinés les femmes et les enfants est très explicitement exposée,
même si encore une fois les chiffres sont gonflés :
« Les femmes et les enfants- plus de 300 enfants- ont été réunis dans l'église et massacrés à coups de bombes incendiaires et de mitraillettes.
Les SS étaient « corrects ». Ils faisaient asseoir les vieillards. Et ils riaient ensuite, dans les rues, pendant que la lourde fumée noire montait vers le ciel ».
En outre, les chiffres globaux des défunts du 10 juin 1944, sont eux même presque doublés
un an après les faits : « Ici les nazis ont massacré 1280 hommes, femmes et enfants »277. En
réalité d'après les registres de décès de la commune le nombre de victimes est estimé à six
cent quarante-quatre, ce qui est déjà considérable278. Avec ses centaines de victimes sur
quinze hectares de construction anéantie, dont cent vingt trois maisons, Oradour sur Glanes
marque les mentalités françaises de l'après-guerre en tant que « symbole de l'horreur »279
qu'il ne faut jamais oublier. De plus, les articles pointent les Allemands comme agissant
par pur plaisir sadique « la soldatesque nazie se sentait déjà perdue. Elle a massacré pour le
plaisir du massacre, torturé pour le plaisir de la torture ». Ce dernier point explique alors
que le massacre retentit jusque dans les revendications françaises au procès de
Nuremberg280.
Les femmes n'échappèrent donc pas aux tortures prodiguées sur les civils.
Suppliciées par la Gestapo, témoins de la destruction de leur village avant d'être
274 DESOURTEAUX André, HEBRAS André Oradour sur Glanes op. cit. p.98 et 99.275 L'Humanité, 10 et 11 juin 1945 « Marque impérissable de la barbarie nazie », voir annexe B21.276 DESOURTEAUX André, HEBRAS André Oradour sur Glanes op. cit. p.96.277 L'Humanité, 12 juin 1945 « Oradour ! Ici les nazis ont massacré 1280 hommes, femmes et enfants » B22.278 DESOURTEAUX André, HEBRAS André Oradour sur Glanes op. cit. p.161.279 L'Humanité, 10 et 11 juin 1945 « Marque impérissable de la barbarie nazie », voir annexe B21.280 L'Humanité, 20 octobre 1945 « Au procès des criminels nazis notre pays accuse : 200 000 déportés massacrés des dizaines de milliers de fusillés 700 milliards de pillage 600 milliards de rançon ».
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assassinées, rien ne leur a été épargné que ce soit par vengeance, sadisme ou peur. La
presse souligne le fait que les Allemands et leurs complices français n'ont fait aucune
distinction entre le sexe ou l'âge de leurs victimes.
Donc, la presse française libérée, la barbarie allemande est atteinte à son
maximum lors des violences sur les civils sans raison apparente. L'affaire Bonny-Lafont
fait scandale car elle présente à la fois des Allemands et des Français engagés dans le
supplice de Françaises sans justification politique ou idéologique, mais simplement pour
l'argent et surtout le sadisme de la torture. Par ailleurs, les villages détruits, les habitants
torturés et massacrés sont les symboles par excellence de l'expression de la cruauté qui
s'est diffusé au cours de la dernière guerre. Les femmes furent donc tout autant violées,
torturées, brûlées, éventrées... sans qu'aucune explication, outre les représailles face aux
attaques de résistants ne soient données. Cette escuse est d'ailleurs remise en cause par la
presse car elle est synonyme de friction au sein de la population française entre les
attentistes et les résistants. D'ailleurs ce fut le cas pour certaines régions sinistrées ou le
lien entre actions résistantes et représailles allemandes ne peut être démenti, ce qui a
développé la rancœur envers les résistants.
On peut en conclure que les défauts du vocabulaire et la censure ont faussé
l'image de ce que fut le vécu des femmes victimes. En effet, dans les articles de presse les
résistantes, les Juives, les otages semblent avoir vécu exactement la même déportation qui
elle même semble assez proche de la vie en prison. Les spécificités des prisons, des camps
de concentration et des camps d'extermination restaient assez vagues. Les témoignages
peuvent malgré tout servir de premier éclaircissement mais comme l'ont expliqué plus tard
de nombreuses rescapées personne ne voulait vraiment entendre parler de leur histoire :
« On en parlait pas du tout à la libération. C'est cela que je voulais vous dire : on a retrouvé
une France qui avait vécu cinq années d'occupation, qui avait souffert. Il y avait eu
l'euphorie, c'est normal, c'était la fin de la guerre. Mais on n'en parlait pas »281. Ce manque
de réception dans la société française fut très mal vécu par des rescapées et a rendu leur
réintégration d'autant plus pénible. Ainsi même si l'indicible a pu causer de nombreuses
limites aux témoignages, les déportés, hommes comme femmes, ont voulu parlé pour faire
savoir les souffrances de ceux qui ne reviendront pas et dont on a voulu effacer toute trace
281 Témoignage d'Ida Grinspan in LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps... op. cit. p.207.
143
de leur existence282. Ce besoin est presque devenu un passage obligatoire, un exutoire, d'où
la prolifération des témoignages écrits dans cette période de Libération. Finalement, les
rescapées ont rapidement pris conscience du silence qui entourerait longtemps leur vécu,
alors que les victimes civiles, ayant souffert sur leur propre territoire sont beaucoup plus
connus de la presse et de la population française. Les Français des années d'après-guerre
plaçant la reconstruction au cœur de leur politique n'ont pu fermer les yeux sur les atrocités
commises sur leur propre sol. Il y a donc eu une inégalité dans la compréhension de ce que
fut réellement les souffrances des femmes. Les civils massacrés restent un phénomène, qui
malgré toute son horreur, était compréhensible par l'ensemble de la population française,
alors que la déportation semblait si loin qu'on imaginait difficilement comme réelle toutes
les abominations rapportées à son sujet. Toutefois en 1946 est tout de même publié un
ouvrage intitulé « Camps de concentration » par l'Office français d'Edition. Cet ouvrage
fut tiré à plusieurs milliers d'exemplaires, présentant de nombreux témoignages et
photographies283. Ainsi, dire totalement que les Français n'avaient comme image des
femmes victimes que les habitantes des villages martyrisés par les Allemands est faux. Les
femmes déportées sont reconnues et même grandement récompensées, même si l'ampleur
de leur vécu n'est que rarement compris.
282 LYNCH Edouard et MATARD BONUCCI Marie-Anne La libération des camps... op. cit. p.200.283 Ibid, p.84.
144
Troisième partie :
La vie quotidienne pour les civils sous l'Occupation
145
Chapitre 7 : La population sinistrée à la Libération
« Secourir les sinistrés du bombardement en 1944 »1 fait parti des fonctions
prioritaires du ministère de Frenay. L'intégration directe de ce point dans les directives
officielles du gouvernement atteste l'ampleur que ces massacres représentent.
D'après l'historien André Kaspi on peut décompter en France 1284 bombardements
en mai 1944 et 2307 en juin. Au total cela représenterait 590 000 tonnes de bombes pour
ces deux mois, soit 22% de tout ce qui fut largué sur l'Europe au cours de la guerre2. Lors
de la Libération de Paris et la parution nouvellement libre des quotidiens, l'ampleur des
destructions commencent tout juste à être prise en compte et va faire le sujet de plusieurs
articles de l'Humanité et du Figaro. Il est difficile ici de donner une évaluation de ce que
représentent statistiquement ces articles dans les quotidiens. En effet, les articles utilisés
dans ce chapitre peuvent tout autant être quelques lignes mentionnant la Libération d'une
ville et le bonheur de cet événement pour ses habitants que de longs reportages sur le
quotidien des sinistrés. Compte tenue de l'idéologie politique des journaux, un constat peut
tout de même être déjà avancé. Le nombre d'articles évoquant les libérations par les
troupes alliées est beaucoup plus marqué dans le Figaro que l'Humanité, qui consacre
davantage d'intérêt à l'avancée de la guerre sur le front de l'Est. De ce fait, les articles
utilisés ici sont majoritairement ceux du Figaro. L'intérêt du chapitre est donc de
comprendre la vision que les Français avaient de la population sinistrée. Les femmes
représentent la plus grande partie des sinistrés, étant donné que les hommes, plus
massivement déportés ou prisonniers de guerre, étaient souvent loin de leur lieu de
résidence lors des bombardements, on estime à 800 000, les femmes de prisonniers de
guerres seules jusqu'au printemps 19453.
I. Les bombardements de NormandieEn août 1943, les Américains, les Britanniques et les Canadiens décident lors de la
Conférence de Québec que le débarquement en France aura lieu en mai 1944 sous le
couvert de l'Opération Overlord4. De Gaule ne sera pas réellement informé du déroulement
des opérations, ce qui causera encore des débats entre lui et le gouvernement américain.
Toutefois, depuis 1942, les bombardements se multiplient d'ores et déjà sur les côtes
normandes. La population française en est la première victime ce que la propagande de 1 KASPI André [dir], La libération de la France : juin 1944- janvier 1946, Paris, Perrin, 1995, p.277.2 Ibid, p.34.3 Voir chapitre 8.4 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p. 41.
Vichy s'est fait un plaisir de dénoncer5, malgré les tentatives de contre propagande de la
presse clandestine. Le débarquement s'organise donc outre Manche et Atlantique, et a
finalement lieu dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, sans que les Allemands n'aient les moyens
d'organiser un rempart solide. En effet, l'occupant n'a pas été réellement surpris d'un
débarquement allié, mais en raison des conditions météorologiques leur commandement
n'envisageait pas qu'ils le déploieraient cette nuit là. De plus, au départ, les Allemands ne
sont pas certains qu'il s'agisse de l'assaut principal. De ce fait, leurs troupes sont étendues
sur toute la côte de la Manche, ce qui amenuise leur capacité militaire6. Les Normands
subissent donc depuis 1940, les assauts de la guerre et les bombardements vont d'autant
plus s'intensifier à l'approche du débarquement. Voyons comment ces sacrifices sont
retranscrits pas la presse de la Libération et quelle représentation des Français en ressort-
il ?
A/ La vie dans le désastre normand« La perfection dans le désastre »7, cette expression employée par le journaliste
Jean Eparvier, dans un article du Figaro en novembre 1944 à propos de la vie des
survivants de Saint Lô, souligne parfaitement ce que pouvait être la vie quotidiennne dans
les ruines pour la population normande : des circonstances parfaites pour la propagation de
maladies jusqu'à la mort.
En 1944, le nombre de sinistrés en Normandie est estimé à un million par les
journalistes8. Toutefois ce que mettent en avant les quotidiens sont les conditions de
misères auxquelles sont réduits les Normands, restés dans leur commune dévastée. Dès le
mois d'octobre, l'Humanité publie une photo représentative de l'engagement actif de la
Croix Rouge pour les habitants sinistrés9, mais jusqu'en 1946 c'est le Figaro qui accorde le
plus d'importance à ces désastres, par de le longs reportages.
« La capitale de la catastrophe c'est Saint-Lô. Avant le 6 juin, Saint-Lô comptait quinze mille habitants, plus de cinq milles réfugiés de Cherbourg. C'est aujourd'hui une ville interdite. Les cadavres encore ensevelis sous les décombres rendent les conditions d'hygiène plus que précaires. Pour être sûr que les habitants ne reviendraient pas dans les ruines, les commerçants n'ont pas eu jusqu'ici, le droit de se réinstaller. Malgré cette interdiction, il y a quatre mille six cents personnes
5 Ibid, p.35.6 DURAND Yves, Histoire générale de la Deuxième guerre mondiale, Bruxelles, Complexe, 1997, p.133.7 Le Figaro, 29 novembre 1945 « J'ai voulu revoir la Normandie... J'ai vu de près la misère et le dénuement », voir annexe C14.8 Le Figaro, 29 novembre 1944 « Il y a un million de sinistrés, dont 110 000 sinistrés totaux dans le seul département du Calvados, 180 000 dans la Manche, 50 000 dans l'Orne et 30 000 dans l'Eure. Dans l'ensemble on compte 70 000 maisons complètement détruites » in « J'ai voulu revoir la Normandie... j'ai vu de près la misère et le dénuement » voir annexe C14.9 L'Humanité, 5 octobre 1944 « les voitures de la Croix-Rouge sillonnent les régions dévastées de Normandie apportant linge et vêtements aux sinistrés ».
147
qui ont voulu rentrer dans la ville détruite à 95%. L'eau est dangereuse. Une seule source est potable, mais son débit est insuffisant. Il n'y a pas d'électricité et pas de moyen de chauffage. Dès que le jour tombe, la vie qui bat faiblement comme le pouls d'un grand malade s'arrête. Les habitants de la cité fantôme vivent sous des pans de murs ou dans les caves. Il faut vider les caves avec des seaux plusieurs fois par nuit, il faut changer la place des berceaux, car la pluie filtre partout et inonderait les bébés »10.
Cet article n'est pas le seul à retracer les horreurs quotidiennes des sinistrés. Par exemple,
un long reportage sur Caen vient souligner les dégâts humains et matériels subit par la
ville11. Ainsi les conditions de vie présentées pour Saint Lô peuvent être appliquées à de
multiples autres communes :
« Rouen, le Havre, Caen, Evreux, Lisieux ou la basilique domine une ville éventrée, Saint-Lô rasé, Brest, Lorient..Partout des ruines, partout de la boue, partout des entraves aux initiatives populaires, partout de la gaberie (sic)»12.
Les articles présentent donc à chaque fois des familles entières qui organisent leur vie
dans des caves ou sous des pans de murs démolis, dans des conditions d'hygiène
impensables. Cependant, le Figaro insiste sur un point assez particulier : ces sinistrés
restent des vainqueurs de la mort13. En effet, leurs conditions de vie semblent
inqualifiables, mais ils vivent tout de même, ce qui sonne comme de l'espoir pour le
quotidien, étant donné que pour lui (proche des démocrates chrétiens) il s'agit d'une notion
fortement symbolique. Ainsi, en 1947, la publication de l'extrait du journal, tenu pendant la
guerre, par une habitante de la ville de Vers-sur-Mer, confirme que parvenir à vivre sous
les bombes et parmi les ruines relevait presque de l’irréel pour tous ceux qui ne le vivaient
pas directement, ce que les croyants qualifiaient alors de miracles.
« Les Anglais trouvent que les Normands ont la vie dure ! Ils sont sidérés de nous voir sortir de nos ruines. Ils croyaient Vers-sur-mer complètement évacué. « Vous l'avez échappé belle, me disent-ils » il ne devait rester de votre village ni pierre sur pierre, ni âme qui « vive après un pareil bombardement »14.
La vie sous les décombres a donc été imposée à un grand nombre de Normands. Ils ont été
à la fois les premiers libérés et les victimes les plus abondantes de la Libération15, tel qu'à
10 Le Figaro, 29 novembre 1944 « J'ai voulu revoir la Normandie... j'ai vu de près la misère et le dénuement » voir annexe C14.11 Le Figaro, 1er novembre 1944 « A Calais, dernière grande ville française libérée », voir annexe C7.12 L'Humanité, 10 janvier 1946 « Un toit pour un sinistré. A Nantes une municipalité intelligente et énergique a réussi à loger les sans-abris ».13 Le Figaro, 12 juin 1945 « immense victoire de la vie sur la mort » in « Les sinistrés de Normandie acclament le général de Gaulle ».14 Le Figaro, 6 juin 1947 « 6 juin 1944 « C'est chez nous qu'a commencé le débarquement » et les habitants de Vers-sur-Mer campés parmi leurs ruines revendiquent du moins cet honneur ».15 Le Figaro, 29 novembre 1944 «« A Caen c'est à peut près la même chose à cette différences près que 15% de la ville reste debout. 65 000 habitants avant guerre, 42 000 actuellement, 10 disparus et 13000 réfugiés un peu partout. » in « J'ai voulu revoir la Normandie... j'ai vu de près la misère et le dénuement » C14, 21 août 1946 « Côte Normande 1946 Honfleur, hier cité riante est devenue misérable » , 6 juin 1947 « « Six cents
148
Saint Lô étant donné que comme nous l'avons vu, la ville a été détruite à plus de 95% selon
le Figaro. Néanmoins, nous avons insisté jusqu'à présent sur les villes anéanties par les
bombardements, mais la campagne même si on peut la considérer comme épargnée des
bombardements ne fut pas délaissée des mines qui décimaient toute la Normandie 16. Dès la
Libération de Paris, les Français avaient donc une image claire des conditions de vie des
sinistrés normands. Les femmes furent donc les premières victimes, du fait de l'absence de
nombreux hommes encore. Finalement cette image des Françaises bombardées va marquer
les esprits car elle va peu à peu devenir un argument dans les discours politiques.
B/ Le malheur des Normands : un argument dans la politique communiste« A Rouen, campé dans la seule pièce habitable de la maison sinistrée, une
maman et ses deux bambins vivent dans de pénibles conditions »17, cet extrait n'est rien
d'autre que la légende d'une photo publiée en janvier 1946 dans l'Humanité. En tant que
proche du PCF, l'Humanité va utiliser cette image des Français sinistrés, et en particulier
des femmes et des enfants, pour s'attaquer à la politique du gouvernement. En effet, le Parti
communiste français estime dès l'été 1945 que le gouvernement n'est pas réellement
mobilisé dans la reconstruction. Dès le mois d'août, l'Humanité réalise alors toute une
enquête sur les « sans logis » où il dénonce le manque de mesures prises pour trouver des
logements aux sinistrés18. C'est à partir de décembre 1945 que la politique du quotidien va
se durcir ouvertement contre les actions du ministère de la Reconstruction en Normandie.
Ainsi le 28 décembre, le journal publie un article intitulé « A la commission de la
Reconstruction Interventions communistes en faveur des sinistrés »19, dans lequel il
présente la requête communiste envers le gouvernement pour qu'il reconnaisse aux
sinistrés « le droit à la réparation intégrale de tous les dommages de guerre ». Face à la
lenteur que prennent les travaux, les communistes se placent alors clairement en position
d'intercesseur entre les sinistrés (de Normandie au départ, puis de toutes les autres régions
tonnes de bombes versées sur un petit bourg » in « 6 juin 1944 « C'est chez nous qu'a commencé le débarquement » et les habitants de Vers-sur-Mer campés parmi leurs ruines revendiquent du moins cet honneur ».L'Humanité, 3 janvier 1946 « « A Rouen faute de logis des enfants succombent à l'offensive du froid » in « Un toit pour les sinistrés » , 5 janvier 1946 « les mêmes problèmes qu'à Rouen se posent au Havre- on y compte 40 000 sinistrés et plus de 20 000 immeubles détruits- et dans d'autres agglomérations de ce département éprouvé : Dieppe, Netchâtel, Sotteville... » in « Un toit pour les sinistrés » voir annexe B39, 6 et 7 janvier 1946 « Caen […] un seul quartier a subsisté, situé aux alentour de l'abbaye de Saint-Etienne. On estime à 85% le coefficient de destruction » in « Un toit pour les sinistrés ».16 Le Figaro, 29 novembre 1944 « A côté de l'atroce misère des villes, il y a celle non moins épouvantable des campagnes. Il s'y ajoute des risques mortels de tous les instants. La Normandie est farcie de mines » in « J'ai voulu revoir la Normandie... j'ai vu de près la misère et le dénuement » voir annexe C14.17 L'Humanité, 5 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés », voir annexe B39. 18 L'Humanité, 5 et 6 août 1945 « donner des logements aux sinistrés, sauver les enfants qui sont nés, donner de l'air et de la lumière à ceux qui veulent naître » in « Les enquêtes de l'Humanité Sans-logis ».19 L'Humanité, 28 décembre 1945.
149
bombardées en France) et le gouvernement,. De ce fait, tout le mois de janvier 1946,
l'Humanité publie une enquête appelée « un toit pour les sinistrés »20. Au cours des divers
épisodes de l'enquête le ministère est directement montré du doigt. Par exemple le 5 janvier
on peut lire en sous titre « c'est est assez du gaspillage du laisser-aller de l'incurie » où une
mère est en photographie avec ses enfants21, suivi les jours suivants par « Le ministère de
la Reconstruction a dépensé en 1945 30 milliards... mais Caen n'est encore que ruines ! »22,
puis « Au ministère qui reconstruit peu »23. L'Humanité va même jusqu'à accuser le
gouvernement de faire secrètement fantasmer les Français d'un logement qu'ils ne sont pas
mesure de leur fournir en réalité24. Au final, cette succession d'articles dénonçant la
politique de de Gaulle, vient contrecarrer les articles du Figaro. En effet, comme nous
l'avons vu le Figaro défend l'espoir qui émane de la vie qui se réorganise dans les ruines,
alors que l'Humanité au contraire présente cette vie non pas comme une renaissance mais
comme la preuve de l'échec de la politique gouvernementale qui reste trop faible dans le
domaine de la reconstruction. Selon le PCF, si les villes étaient à nouveau rebâties cette
organisation de la vie dans les ruines n'aurait pas lieu.
En outre, un seul article de l'Humanité vient défendre la reconstruction d'une ville
normande : « A Nantes, une municipalité intelligente et énergique a réussi à loger les sans-
abris »25. L'article fait l'éloge de la politique mise en place par le maire de la ville, qui a
déjà reconstruit 5000 logements en ce mois de janvier 1946. Cette publication vient en
réalité appuyer la politique du PCF. En effet, le maire, Jean Philippot depuis 1945, est
membre du Front National, lors de son mandat, mais d'ores et déjà très proche du Parti
Communiste. Ainsi, le choix de la ville comme une réussite de reconstruction n'est pas
anodine et permet à l'Humanité de justifier que toutes ses critiques précédentes ne sont pas
vaines, la remise sur pied du territoire normand ne peut pas se faire d'un bloc mais des
initiatives rapides et urgentes pour les habitants sont réalisables. Ils appellent ainsi à voter
pour le PCF lors des prochaines élections afin que la France se mobilise pour les sinistrés.
Le Figaro ne reste pas muet sur les difficultés de survie que posent les conditions précaires
20 Le premier épisode : l'Humanité 3 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés ! » voir annexe B38.21 L'Humanité, 5 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés ».22 L'Humanité, 6 et 7 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés ».23 L'Humanité, 8 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés ».24 L'Humanité, 15 août 1945 Je vais prendre ma place au milieu d'une foule énorme. Entre voisins, l'on cause et, bientôt, il me paraît que l'autorité doit se vanter lorsqu'elle promet de loger tant de sans-abris. Ce « couloir de Tarascon » ne semble conduire qu'à des tartarinades (sic) d'un goût assez regrettable. Ce n'est pas bien de se moquer ainsi des malheureux.
- moi, dit une sinistrée d'Ivry, ça fait la quatrième fois que je reviens. Chaque fois, il me manque un papier, un tampon, un certificat ! On ne m'a pas encore demandé une attestation disant que ma grand- mère est aryenne, mais c'est peut être pour cette fois » in « Les enquêtes de l'Humanité les sans-logis ».25 L'Humanité, 10 janvier 1946 « Un toit pour les sinistrés ».
150
des sinistrés, mais à l'inverse d'un appel politique, il lance des appels à la solidarité, sur le
modèle de la charité chrétienne26. Ainsi, il crée un lien entre les Normands et le reste de la
France, ce qui nous conduit à étudier les traces mémorielles que les bombardements ont pu
laisser.
C/ Des ruines indestructibles dans la mémoire française« Les noms restent, les villes et les villages ne sont plus »27, par cette formule, le
Figaro atteste l'ancrage des tragédies normandes dans les mémoires Le quotidien publie
dans les années d'après-guerre de longs articles traitant des diverses commémorations du
débarquement de juin. A l'inverse, l'Humanité, en conflit avec le ministère de de Gaulle et
farouchement attaché à la Résistance Intérieure (au détriment des actions des Alliés),
accorde très peu d'importance à ces cérémonies. Lors du premier anniversaire du
débarquement, le Figaro consacre plusieurs colonnes aux divers déplacements du général
de Gaulle en Normandie. Ces participations aux cérémonies démontrent la reconnaissance
du chef du gouvernement des sacrifices endurés par les Normands. Le quotidien souligne
d'ailleurs par ces articles le soutien et l'enthousiasme que que ces visites ont suscités chez
les foules28. Les années suivantes, le Figaro souligne que les commémorations ne
s'essoufflent pas : « Trois ans après d'émouvantes cérémonies sont organisées en
Normandie »29. Les cérémonies du débarquement implantent donc l'image des sinistrés
dans les esprits des Français. D'ailleurs, dans ces années d'après guerre, les premiers hauts
lieux de mémoire commencent à se dessiner sur la côté normande, comme le montre ces
deux commémorations : « 6 juin 1944 A Saint-Laurent premier village français libéré dont
la plage s'appela « Ohama Beach »30, « devant la plage à jamais anéantie, à l'inauguration
de la petite stèle offerte par les Anglais et qui perpétuera dans l'histoire le sacrifice de
Vers-sur-mer »31. Au final, ces articles semblent plutôt bien représenter la construction de
la mémoire normande sur l'émotion qu'ont suscité les dégâts lors du débarquement
auxquels se sont additionnés les longs supplices pour les résidents des villes en ruines.
En outre, des articles du Dauphiné Libéré viennent confirmer, par antithèse, ce lien
entre mémoire des heures de Libération et population sinistrée. Qu'entendons-nous ici par
26 Articles quasi-quotidien « Des Français doivent aider des Français » qui deviennent « Les Français doivent aider les Français ».27 Le Figaro, 29 novembre 1944 « J'ai voulu revoir la Normandie... j'ai vu de près la misère et le dénuement », voir annexe C14.28 Le Figaro, 7 juin 1945 « 6 juin 1944 A Saint-Laurent premier village français libéré dont la plage s'appela « Ohama Beach » Le Général de Gaulle va visiter les villes sinistrées de Normandie », 12 juin 1945 « Les sinistrés de Normandie acclament le général de Gaulle ».29 Le Figaro, 6 juin 1947.30 Le Figaro, 7 juin 1945.31 Le Figaro, 6 juin 1947.
151
antithèse ? Comme nous l'avons vu, dès 1946, les commémorations grenobloises de la
Libération s'essoufflent, la participation de la population se fait moins importante et sans
enthousiasme débordant. Ainsi si nous comparons la région grenobloise avec la Normandie
on peut bien entendu dire que la population fut moins touchée à Grenoble, « Grenoble a été
libéré le 23 sans combat dans la ville »32. Les commémorations ont donc plus facilement
imprégné les localités où les massacres furent denses, comme en Normandie, que les
régions où les combats furent externes à la ville. Toutefois, en 1947 lors des articles
commémoratifs sur la Libération de la Normandie, le Figaro appuie le fait que les rescapés
de ce mois de juin 1944, conservent une image positive de la Libération33, ce qui en réalité
fut loin d'être le cas. En effet, la peur des bombardements alliés et des destructions de leurs
villages a hanté les familles normandes, d'autant plus que les bombardements à l'aveuglette
depuis le début de la guerre avait déjà ravagé plusieurs secteurs. Les rancœurs envers les
Alliés ont alors endeuillé le cœur de nombreux français34. La mémoire de la Libération de
la Normandie est donc ancrée chez les Normands, comme chez tous les Français, par le
souvenir des sinistres, ce qui a contrasté avec la joie des victoires.
Pour conclure, on peut dire que la Libération de Paris, puis la fin de la guerre en
Europe ouvrent alors les yeux des Français sur les sacrifices imposés aux leurs, lors du
débarquement. Pour les civils, la Normandie devient un lieu à la fois de bravoure militaire
et de tragédie. Cependant, on peut noter que certains aspects néfastes pour l'image héroïque
des Alliés est passé sous silence, ou bien ils sont encore méconnus, tels que les viols que
certains soldats ont commis sur les jeunes femmes35. La Normandie est donc dans les
esprits, dès la Libération de Paris, la région sinistrée, par excellence, qu'il faut reconstruire,
mais la continuité de la guerre à la fin de l'année 1944 en Alsace Lorraine va dévoiler une
nouvelle catégorie de population sinistrée.
II. La spécificité de l'Alsace et de la Lorraine Les Alsaciens et les Lorrains n'ont pas vécu l'enthousiasme de la Libération de
Paris et n'ont pas non plus assisté aux découvertes de la Normandie anéantie, mais leur sort
est tout autant désastreux. En effet, la Libération de cette région fut plus tardive, entre
32 Le Dauphiné Libéré, 23 août 1946 « 2ème anniversaire de la Libération de Grenoble », voir annexe D13.33 Le Figaro, 6 juin 1947 « 6 juin 1944 « C'est chez nous qu'a commencé le débarquement » et les habitants de Vers-sur-Mer campés parmi leurs ruines revendiquent du moins cet honneur ».34 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.62.35VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues à la libération, Paris, Payot et Rivages, 2000. p. 247.
152
novembre et décembre 1944, et s'effectua dans une atmosphère tout autre en France, étant
donné qu'une grande partie du pays était déjà libre depuis plusieurs mois. Toutefois,
l'Alsace et la Lorraine ont subi des sinistres lors de leur Libération, mais ont également
subi d'autres désastres au cours de l'Occupation. Toute la presse française s'intéresse à
l'avancée de la guerre, ce qui signifie que plusieurs articles sur la progression des armées
dans cette région sont édités, même au sein de l'Humanité qui ordinairement privilégie
l'avancée de la guerre à l'Est. En étudiant ces articles nous allons donc chercher à
comprendre ce que pensaient les Français des régions annexées à l'Allemagne et quelles
étaient les spécificités de la vie des Alsaciennes et des Lorraines pendant la guerre et à leur
Libération.
A/ L'annexion : un quotidien d'oppressionLes Alsaciens et les Lorrains, avant même de connaître la vie de sinistrés des
bombardements, ont dû subir le quotidien de l'annexion, ce qui a directement impliqué un
dilemme « ou servir l'Allemagne ou sacrifier sa famille entière »36. En effet comme
l'explique en détail un article du Figaro, en décembre 1944, le rattachement au Reich n'a
donné aucun avantage particulier aux habitants, ils ne sont pas devenus de réel citoyens
allemands, sans pour autant être considérés comme Français.
« Ce qu'il y a de plus dramatique dans le cas de l'Alsace, c'est ce que son annexion de fait au Reich d'Hitler n'a donné aux Alsaciens aucune des garanties, aucun des avantages attachés à la qualité d'Allemands qu'on prétendait leur reconnaître.
On les a privés de leurs droits, on les a mobilisés, on les a requis, on a utilisé leur fortune, leur travail, on a répandu leur sang, mais jamais on ne leur a proposé de contrepartie »37.
Ce point appuie le fait que même si les Alsaciens n'ont pas vécu la guerre directement au
côté de leurs concitoyens, et que leur statut ait pu paraître privilégié, en particulier au
niveau du ravitaillement38, les Alsaciens et Lorrains n'ont jamais cessé d'être Français et
furent tout autant victimes de l'oppression nazie. De plus, considérée comme une région du
Reich, les hommes furent incorporés à l'armée allemande ou bien envoyés travailler dans
les usines allemandes, laissant seules les femmes et les enfants39. Les habitants sont
également présentés comme apeurés des Allemands et espèrent leur Libération prochaine
tel que le souligne l'attitude des habitants de Baccarat cachés dans leur cave en attendant la
36 Le Figaro, témoignage de l'abbé Eschbach in « Le village est libre depuis hier soir ».37 Le Figaro, 1er décembre 1944 « L’Alsace libre enfin de la hantise de Schirmeck attend de la France un amour compréhensif ». 38 Voir chapitre 8.39 L'Humanité, 25 novembre 1944 « pas d'hommes à Metz : ils sont prisonniers, déportés, expulsés ou condamnés au combat sur le front de l'Est » in « Metz-la-Française a retrouvé la joie ».
153
fin des combats40, ou encore la description d'une vieille femme de Mulhouse qui sanglote
de joie lorsqu'elle voit un journaliste français du Figaro entrer dans la ville41. Cette peur
des Allemands est d'ailleurs accentuer par le camp du Struthof (dont nous avons déjà parlé)
ainsi que la prison de Schirmeck42 qui a fait trembler la population alsacienne tout au long
de ces quatre longues années. Au final ces articles soulignent la spécificité des territoires
rhénan dans la guerre. La population est officiellement rattachée au Reich pendant ces
années, mais les quotidiens tendent à souligner qu'elle est restée française en elle, ainsi que
dans le cœur du gouvernement : « le gouvernement rappelle qu'à leurs yeux « les
populations d'Alsace et de Lorraine n'ont jamais cessé d'être françaises »43.
En outre, les Alsaciens sont alors déculpabilisés de certaines fautes. En effet, le
Figaro souligne, dès la Libération de ces territoires, le fait que l'antisémitisme fort dans ces
régions et la participation aux combats aux côtés des Allemands ont été influencés, voir
imposés, par tout un protocole d'endoctrinement.
« C'est aux enfants d'abord qu'il faudra veiller. Il ne sera pas difficile de les reconquérir […] les slogans raciaux, les polémiques atijuives ont laissé à coup sûr des traces plus profondes. L'antisémitisme a toujours été latent en Alsace. On s'est indigné des traitement que durent subir en 1940 les vieilles familles israélites de Strasbourg »44
La jeunesse alsacienne semble donc être la première à devoir être protégée et rééduquée
pour que les mentalités puissent évoluer. Ce point permet également au quotidien d'émettre
encore une fois son opinion sur le déroulement de l'épuration et de préciser qu'une
épuration trop sévère s'avère inutile, d'autant plus dans cette région qui ayant été rattachée
au Reich a subi une pression bien plus profonde: « La résistance n'était plus comme dans le
reste de la France, un acte de guerre, mais devenait un acte de haute trahison »45.
Pour finir sur ces particularités du quotidien alsacien et lorrain, il est important de
noter qu'en réalité tous ces articles émanant majoritairement du Figaro ont pour vocation
de réhabiliter l'image des Alsaciens et des Lorrains dans le cœur de certains Français, qui
rappellent les intérêt nationaux de 1871. Ainsi un an après la Libération de la région, les
préjugés sur les avantages dont auraient bénéficié les régions annexées semblent ne pas
avoir disparu. De ce fait, le 14 novembre 1945, le Figaro consacre un long article
40 L'Humanité, 16 novembre 1944 « Vers Baccarat une jeune fille FFI guidait la 2ème division blindée ».41 Le Figaro, 30 novembre 1944 « Une borne de kilomètre blanche qui porte un simple zéro. Ici comme l'Alsace. Mulhouse reste hantée par le souvenir de l'oppression ». 42 Le Figaro, 1er décembre 1944 « «L’Alsace libre enfin de la hantise de Schirmeck attend de la France un amour compréhensif ». 43 Le Figaro, 11 janvier 1945 « Les représailles allemandes contre les Lorrains et Alsaciens ».44 Le Figaro, 3 et 4 décembre 1944 « Il faut régler définitivement les problème de l'Alsace. La tâche est immense tant il y a à guérir, à consoler, à réparer ».45 Le Figaro, 14 novembre 1945 « La blessure de l'Alsace », voir annexe C33.
154
expliquant à ses lecteurs les nuances de vocabulaire entre « occupé » et « annexé »46. Le
quotidien insiste sur les avantages dont ont, en effet, pu bénéficier ces habitants mais qu'en
parallèle tous cela était synonyme de lourds sacrifices47. D'ailleurs, il est mentionné des
mères de soldats qui ne peuvent faire le deuil de leur propre fils sans culpabiliser car il est
mort sous l'uniforme allemand. On estime à 160 000 jeunes hommes de la région enrôlés
de force dans la Wehmarcht, dont beaucoup perdirent la vie en URSS, ce qui peut être un
point d'explication du silence de l'Humanité à leur propos. Ainsi le Figaro démontre que
« la blessure de l'âme » hante encore cette région un an après la Libération48. Il est explicité
que certains Français confondent encore Alsaciens et Allemands, ce qui empêche une
bonne cohésion de la nation française et incite certains Alsaciens ou Lorrains à quitter leur
sol natal pour un pays où ils ne seront pas considérés comme traîtres par certains de leurs
concitoyens49. Au final, les articles du Figaro sont à la fois une recherche de dialogue avec
les Alsaciens qui se sont longtemps sentis délaissés et des moyens d'informer la population
française sur la réalité de l'annexion, puisqu'elle n'a pas les mêmes conséquences que
l'Occupation. Les femmes, étant majoritairement les résidentes de ces régions pendant la
guerre, doivent affronter cette pression continue de la vie dans la Reich sans bénéficier
d'un statut privilégié pour autant. Elles doivent subir l'endoctrinement du régime qui se
développe dans leur foyer en commençant par leurs enfants sans même qu'elles ne puissent
réellement sans rendre compte. Néanmoins, comme nous l'avons vu de nombreuses
Alsaciennes et Lorraines ont tout de même fait preuve de Résistance, ce qui leur a parfois
valu des sanctions irréversibles. Selon la presse, ces endoctrinements ont donc laissé des
séquelles lourdes. L'antisémitisme ou l'enrôlement des enfants dans les idéaux nazis
peuvent prendre du temps à s'effacer, tout comme les changements de lois. En effet, les
lois doivent suivre logiquement l'évolution des mentalités, cependant les Allemands sont
revenus sur certaines lois telle que celle de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, pour
laquelle tout changement heurterait la sensibilité des Alsaciens et particulièrement des
femmes qui sont très croyantes, ce qui oblige alors le gouvernement libéré à faire des
46 Ibid.47 Ibid, « Oui, les Allemands ont bien nourri ces prétendus frères, mais c'était pour rafler leurs garçons et les jeter classe après classe, en bon état, dans la Reichwehr. Le drame est là, dans cette mobilisation de toute la jeunesse, conséquence implacable de l'« annexion » ».48 Ibid.49 Ibid « Trop d'Alsaciens, en trop de coins de France, s'entendent encore traiter de Boches; trop de pauvres garçons, livrés hier aux Allemands, en sont encore à ne pas pouvoir se laver de l'opprobre auquel on les a soumis. Et le cœur se serre quand on reçoit les lettres de jeunes gens qui avouent n'avoir plus qu'un espoir : émigrer pour trouver enfin une patrie où ils ne soient pas châtiés comme traîtres, chaque fois que la fortune des armes les jette de l'autre côté d'une frontière ».
155
concessions50. C'est ce territoire bouleversé moralement et idéologiquement que les Alliés
et les Français vont découvrir à l'automne 1944.
B/ Les dégâts causés par les troupes de la Libération« On demeure confondu par le bilan de drames et de souffrance, qui ira s'élargissant
au fur et à mesure qu'on pourra en inventorier les divers postes », cette conclusion d'un
article sur les problèmes de l'Alsace libérée fait état à la fois des difficultés engendrées par
les désastres de l'annexion dont nous avons déjà traités mais également des sinistres causés
par les bombardements de la Libération. En effet, les dégâts causés par les blindés alliés,
tout comme les attaques aériennes sont soulignés dans plusieurs articles, en commençant
par le paysage :
« j'ai quitté Ammenchwihr par les vignobles, à travers lesquels les blindés américains viennent de passer pour aller reprendre Siegolsheim. Je reconnais ces coteaux où naguère, en cette même saison, je venais chasser. Ils sont jonchés de cadavres allemands qui ont boulé, comme de gros lièvres verts, sous le feu des chars. Le froid les a soudés à la terre »51.
Il faut donc attendre le mois de février 1945 pour que les premiers constats sur les sinistrés
soient établis. Les destructions semblent mitigées d'une ville à l'autre comme le montre un
compte rendu le 16 février52, mais tout de même moins choquantes qu'en Normandie. Les
dégâts sont importants mais la réponse du général de Gaulle semble quasi immédiate : « Le
général de Gaulle a remis pour l'aide aux sinistrés un million de francs au commissaire
régional de Strasbourg et un million au préfet de la Moselle »53, tout est donc mis en œuvre
pour que la région ne se sente pas délaissée pas le reste de la métropole.
En outre, en septembre 1945 est publié dans le Figaro un long article des plus
édifiant sur la réalité de certaines localités alsaciennes face aux bombardements, tel
qu'Epinal qui a subi trois assauts successifs au cours de la guerre54. Tout d'abord, les
attaques de juin 1940 avant la défaite, puis des bombardements en mai 1944 par les
Américains sur des zones d'exploitation allemande, où se trouvaient malgré tout, des
Alsaciens et Lorrains, même si l'article omet de le spécifier, puis en septembre 1944 lors de
la Libération. Au final, l'article donne des estimations sur les dégâts de la ville :
« Le bilan se solde ainsi: sur 3400 immeubles qui composaient la ville, 2707 ont été atteints, parmi lesquels 775 ont été totalement détruits- ce qui correspond à une moyenne de 79,6% sur 7500 ménages, près de 3000 ont été sinistrés- soit 39,12%. Quant à la population numérique, s'élevant
50 Le Figaro, 14 avril 1945 « En Alsace libérée ».51 Le Figaro, 31 décembre 1944 et 1er janvier 1945 « On se bat dans le vignoble alsacien ».52 Le Figaro, 16 février 1945 « Etat des villes et localités d'Alsace après la Libération », voir annexe C20.53 Le Figaro, 13 février 1945 « Acclamé avec enthousiasme le général de Gaulle a visité l'Alsace et la Lorraine ».54 Le Figaro, 6 septembre 1945 « Terres brûlées, citées anéanties Pas de mastic, pas de bons-mats... et il pleut toujours sur les machines ».
156
autrefois à 22000 âmes, 8254 ont été touchées- ce qui représente 37,51%- avec 264 morts, 739 blessés grièvement, sans compter les disparus et les déportés qu'on attend encore »55.
Ainsi, tout comme pour la Normandie, le Figaro lance des appels à la solidarité française
pour la reconstruction car la vie quotidienne dans les cités les plus touchées s'empirent au
fur et à mesure que s'étalent les travaux. Toutes les villes ne semblent d'ailleurs pas avoir
été touchées avec la même intensité ce qui permet au Figaro de défendre l'importance du
patrimoine français de cette région. Les vestiges architecturaux sont d'ailleurs plus mis en
évidence que la population elle même.
Strasbourg, fortement endommagé par les bombardements garde néanmoins sa physionomie habituelle. Il en est de même de sa belle cathédrale dont les dégâts ne s’aperçoivent que de l'intérieur ;[...]
Riquewihr la « perle de l'Alsace » n'a subi que quelques blessures qu'il sera facile de panser ;
Ribeau-ville également ;
Kayserberg a sa belle architecture fortement éprouvée. Certains de ses édifices sont irréparables ;
Ammerschwihr ravissante localité du seizième siècle, ne garde plus debout que son église à laquelle s'accrochent quelques maisons délabrées »56
Pour les lecteurs du quotidien très attachés à ces valeurs nationales de l'architecture et du
patrimoine c'est encore un moyen de défendre et réhabiliter les Alsaciens que certains ont
déchu de leur esprits. La mobilisation de l'armée pour libérer l'Alsace et la Lorraine a donc
eu des conséquences désastreuses sur les paysages et les villes mais la reconstruction, aussi
difficile qu'elle soit, n'est pas présentée comme irrémédiables. Au contraire certains
travaux rapide et sans trop de frais sont rapidement envisagés. Cependant la reconstruction
pose encore des problèmes, comme partout en France. Le problème des financements reste
primordial, d'où la multiplication des appels à la solidarité par le Figaro même si lui même
est conscient que cela ne suffira pas57. La région a donc connu outre les malheurs de
l'annexion, les tragédies des bombardements qui ont ainsi directement touché les civils.
Malgré tout, les joies de la Libération viennent contraster tous ces aspects noires pour
l'Alsace et la Lorraines.
C/ L'image des Alsaciennes et des Lorraines comme symbole de l'enthousiasme de la Libération « L’Alsace pleure de joie et parle enfin français tout haut » ce titre phare des débuts
de la libération de la région souligne l'enthousiasme dont ont fait preuve les Alsaciens. En
55 Ibid.56 Le Figaro, 16 février 1945 « Etat des villes et localités d’Alsace après la Libération », voir annexe C20.57 Le Figaro, 6 septembre 1945 « Il y a bien à Paris, un Comité d'assistance aux sinistrés vosgiens dont l'animateur M. Martin exerce un véritable sacerdoce. Mais faut-il s'en remettre à l'initiative privée ? Et les possibilités d'un tel comité sont-elles suffisantes? » in « Terres brûlées, citées anéanties Pas de mastic, pas de bons-mats... et il pleut toujours sur les machines ».
157
effet, le 23 novembre la Seconde Division blindée est entrée dans Strasbourg58. En
décembre l'offensive allemande dans les Ardennes va engendrer la peur de devoir
rebrousser chemin, mais la persévérance du général de Gaulle va conduire à la victoire,
avec la prise de Colmar le 2 février 194559. Tout au long de ces aléas de l'avancée des
soldats la presse est univoque sur l'attitude joviale de la population. Ainsi, les descriptions
des villes libérées insistent sur les fleurs et les drapeaux tricolores qui se propagent peu à
peu dans les rues comme on peut le lire dans ces extraits : « Les volets des maisons en face
des casernes restaient fermés, mais des drapeaux germaient aux fenêtres ouvertes sur les
jardins et les cours. La ville était pleine de contrastes »60, « une hale de drapeaux tombant
des fenêtres jusqu'à hauteur de tête »61. La joie et l'enthousiasme sont décelables dans
chaque article évoquant la Libération d'une nouvelle localité, même si la peur que les
Allemands reviennent reste perceptible.
En outre, c'est l'héroïsme des libérateurs que les quotidiens mettent en évidence
car sans eux la région n'aurait pas pu se libérer. Ainsi, c'est avec un enthousiasme immense
que le général de Gaulle semble être accueilli lors de sa visite de la région en février
194562. D'ailleurs, l'Humanité accorde une importance toute particulière à la gratitude que
la population a porté à l'armée française libératrice :
« l'opération devait durer quatre jours : elle fut menée à bien en trente six heures, grâce au courage et à l'audace des soldats de la 26ème division blindée […] témoignage de reconnaissance à l'armée de libération »63.
Toutefois, ce qui ressort le plus de ces articles est l'idéalisation que la récompense
privilégiée pour ces soldats aurait été le sourire des jeunes filles, comme le montrent ces
extraits : « les femmes oubliant leurs soucis envoient déjà des baisers »64, « hâtivement les
jeunes filles ont fait toilette et sortent en bandes »65. De plus, une caricature puis une
photographie publiée en novembre 1944 viennent attester cette vision bienveillante que les
soldats ont porté aux jeunes libérées66.
58 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.151.59 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, 2. De l'Occupation à la Libération, Paris, Seuil, 2000, 2 volumes, p.265.60 Le Figaro, 30 novembre 1944 « Une borne de kilomètre blanche qui porte un simple zéro Ici commence l'Alsace Mulhouse reste hantée par le souvenir de l'oppression ».61 L'Humanité, 7 février 1945 « Avec les « diables noires » qui ont nettoyé Colmar...».62 Le Figaro, 13 février 1945 « Acclamé avec enthousiasme le général de Gaulle a visité l'Alsace et la Lorraine ».63 L'Humanité, 16 novembre 1944 «Vers Baccarat une jeune fille FFI guidait la 2ème division blindée ».64 L'Humanité, 22 novembre 1944 « L'Alsace perd ses chaînes ».65 L'Humanité, 25 novembre 1944 « Metz-la-Française a retrouvé la joie ».66 L'Humanité, 25 novembre 1944 « A l'Est de Strasbourg presque entièrement nettoyé des éléments franco américain ont franchi le Rhin déclare la radio anglaise » voir annexe B7, 29 novembre 1944 « Vers Sarrebruck progression soutenue sur un front de 10 km ».
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Ces deux représentations soulignent par le bonheur dessiné sur leur visage la joie qui
imprégna ces rencontres. L'enthousiasme des retrouvailles entre la France libérée et
l'Alsace et la Lorraine annexées se sont donc ancrées dans les esprits des lecteurs de
l'Humanité par le couple : soldat/ Alsacienne.
En conclusion, la presse de la Libération cherche à souligner la spécificité de
l'annexion par le Reich de l'Alsace et la Lorraine. Longtemps il y eut un amalgame, entre
Mosellans et Allemands, ce que le Figaro s'efforce de dénoncer afin que l'unité nationale
ne soit pas mise à mal. De plus, il souligne les destructions engendrées par les péripéties de
la guerre et les conséquences que cela pu avoir sur les civils. A l'inverse, l'Humanité
accorde peu d'intérêt à l'avancée de la guerre dans cette région et aux conséquences
matérielles que cela a pu causer, mais il souligne le courage du peuple qui s'est sacrifié
pendant tant d'année et qui paraît si heureux d'être enfin libéré de l'oppresseur. L'image que
les communistes cherchent donc à diffuser est la jeune Lorraine ou Alsacienne fière d'avoir
été libérée par l'héroïque Première Armée Française, ce qui ne lui ait pas contesté par le
Figaro67.
Finalement, les conditions de la Libération exposent l'aspect total que la guerre a
pris. En effet, les civils déjà touchés par les représailles nazis se voient alors infliger des
sinistres par leur propres libérateurs. Les bombardements ont fait sans discrimination des
67 Le Figaro, 14 avril 1945 « La grandeur de l'effort accompli par la Première Armée Française pour achever la libération ».
Illustration 3: L'Humanité 25 novembre 1944
Illustration 2: L'Humanité 29 novembre 1944
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millions de victimes, femmes et enfants inclus. Au total les décès en France
représenteraient 1,5% de la population, ce qui à côté des 14% de Pologne peut paraître
dérisoire, mais en réalité représente environ 900 000 morts68. Ainsi, hommes et femmes
sont touchés en toute égalité par les destructions, la différence se fait ensuite entre les villes
et les campagnes où les bombardements étaient bien moins réguliers et importants. Nous
avons insisté sur les deux régions les plus évoquées par la presse de la Libération mais
d'autres régions ont également été victimes de la Libération : de Dunkerque à La Rochelle,
les dégâts s'amoncellent69, même si d'autres régions, comme Marseille ou Lyon, sont
délaissées alors que les destructions dues à la Libération furent également importantes70.
Toutes ces régions ont alors un point commun : les hommes et les femmes, présents dans
les villes bombardées, ont été des victimes, sur un plan totalement égalitaire, et les
difficultés qui s'imposent ensuite sont aussi les mêmes pour tous. Cependant cette égalité
de traitement entre les deux sexes et les générations ne semble pas avoir eu d'impact sur les
rapports entre les hommes et les femmes après la guerre, en effet toutes celles qui ont
supporté seules ces atroces destructions auraient pu développer durablement une volonté
d'indépendance ce qui en réalité ne fut pas le cas. Aucun article à la Libération ne fait
mention de cet aspect mais au contraire, toutes attendent avec impatience la reconstruction
de leur ville pour reprendre leur vie d'avant. Les bombardements ont donc marqué les
mentalités par l'ampleur de leurs conséquences visuelles ce qui a rendu perpétuelles
certaines commémorations, toutefois ils ne s'imposèrent pas comme un moteur
d'émancipation pour les femmes.
68 DURAND Yves, Histoire générale... op.cit. p. 914 à 915.69Le Figaro, 8 février 1945 « Devant Dunkerque assiégé », 18 avril 1945 « Pour les sinistrés du Royans », 11 mai 1945 « Seuls, quatre Français sont entrés à Dunkerque libéré », 16 mai 1945 « sinistrés du Royans » in « Les Français doivent aider les Français », 14 juin 1945 « sinistrés de la Rochelle » in « Les Français doivent aider les Français », 15 juin 1945 « ils venaient bombarder la forêt d'Isle-Adam » in « Antigone », 27 septembre 1945 « Pour les sinistrés du Vercors ».L'Humanité, 31 octobre 1944 « Ce que j'ai vu à Orléans », 9 août 1945 « [sa] femme a été tuée dans un bombardement à Noisy-le-Sec et [leur] bicoque écrabouillée » in « Les rapatriés ont des droits sur nous », 15 août 1945 « une sinistrée d'Ivry » in « Les enquêtes de l'Humanité les sans-logis ».70 Par exemple pour Lyon, un bombardement préalable à la Libération de la ville le 26 mai 1945 a détruit 281 immeubles, tués 700 individus auxquels il faut rajouter 1400 blessés in KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.34.
160
Chapitre 8 – Les problèmes du quotidien dû à l'Occupation
En août 1944, les femmes sont épuisées par les quatre années d'Occupation. Lors de
la signature de l'armistice en juin 1940, les Allemands gardent les prisonniers de guerre
français. Ainsi, près de 800 milles femmes vont subir l'angoisse de cette période sans leur
époux. Il faut rappeler que la situation entre la France occupée et la France de Vichy n'est
pas la même. En France occupée, les Allemands se comportent d'ores et déjà, avant
l'armistice, comme des conquérants qui menacent rapidement de peine de mort tous les
contestataires, alors que la vie pour les Vichyssois se poursuit presque normalement
jusqu'en novembre 194271. Les Alsaciennes et les Lorraines vivent elles aussi une situation
encore à part du fait de leur rattachement direct au Reich72. La presse, à nouveau libre, fait
donc état des pressions et des complications quotidiennes que la guerre a engendrées sur
ces femmes. Ces absences pesantes retentissent également sur les autres femmes des
familles : les filles, les sœurs ou les mères. Toutefois, l'Humanité et le Figaro consacrent
surtout de l'intérêt aux Parisiennes, même si d'autres articles éclairent les situations en
Province, ce qui est complété dans notre étude par la presse régionale. Nous allons donc
voir quelle place fut réellement consacrée par la presse de la Libération aux femmes dans
la vision du quotidien sous l'Occupation.
I. La solitude des femmesFemmes de prisonniers, femmes de déportés politiques ou encore femmes de
travailleurs en Allemagne, toutes furent obligées de subvenir seules au besoin de la famille
pendant de longs mois voire de longues années. Les femmes de prisonniers sont les plus
nombreuses étant donné qu'un million de ces hommes ne rentrent pas avant avril 194573,
auxquels on peut aisément ajouter les Alsaciens et Lorrains prisonniers en URSS sous
l'uniforme allemand. A la Libération, les quotidiens manifestent-ils l'image de cette
solitude des femmes ? Est-ce que ces femmes semblaient choyées par le gouvernement ?
Comment la France libérée les a-t-elle soutenues ? Le stéréotype de la femme inconsciente
et infantile n'a-t-il pas trop pesé sur elles en l'absence de l'autorité masculine de la famille ?
Toutes ces questions ne sont qu'un éventail de celles que suscitent la représentation des
femmes veuves, avant l'âge, dans la société française.
71 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France 1939-1947, Paris, Payot, 1995, p.62.72 Ibid, p.79 à 82.73 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.528 et VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p.257.
161
A/ Les femmes, les enfants et les mères dans le même effroi en l'absence des hommes« Les femmes, les vieux parents des prisonniers de guerre, leurs enfants, pensent
avec une angoisse croissante à leurs exilés »74, cet extrait de l'Humanité présente sur un
même plan les épouses, les mères et les filles qui attendent avec inquiétude les absents
depuis des années. Il démontre que la presse de la Libération fait de ces femmes une
catégorie unie par leur souffrance. La première épreuve soulignée dans les articles est leur
sentiment de solitude et leur baisse de leur moral75. En effet, dans l'Humanité comme dans
le Figaro, la longueur des séparations est mise en évidence et atteste l'impatience
grandissante des familles, comme le souligne ces quelques exemples, dès les premiers mois
après la Libération de Paris : « Des femmes, des enfants, des parents attendent dans la
fièvre le retour des exilés »76, « la maman, souvent, bien souvent, pleure en contemplant la
photo de son petit gars qu'elle n'a pas vu depuis cinq ans. « Le reverrais-je ? », se
demande-t-elle à chaque moment. Et l'épouse, qui lutte vaillamment toute seule, pour
élever les petits, se pose quotidiennement la question : « Quand, mais quand donc
reviendra-t-il ? » »77, « Un de mes amis, après six mois de captivité, rentra ainsi dans sa
petite ville. A peine eut-il embrassé sa mère que mon ami crut devoir l'avertir : Tu sais... Je
ne puis rester avec toi... la guerre continue »78. Les femmes de prisonniers de guerre qui
n'ont pas de famille proche pouvant les aider doivent donc supporter seules le double
fardeau de l'éducation des enfants et le travail pour gagner le revenu nécessaire à la survie
du foyer79. S'ajoutent, en plus, les mères, les sœurs et les filles qui se tourmentent de la
durée de l'éloignement d'un fils, d'un frère ou d'un père. Il s'agit donc d'une angoisse
quotidienne pour ces femmes, surtout que la correspondance est de plus en plus délicate
avec les prisonniers80. Face à toutes ces inquiétudes, le gouvernement décide d'instaurer
pour ce Noël de 1944 « la semaine de l'absent ». Plusieurs articles sous forme de publicité
font l'éloge de cette journée qui doit unir toutes les familles éloignées d'un être cher.
74 L'Humanité, 17 novembre 1944 « Depuis plus de quatre ans en terre ennemie Ceux des barbelés comptent sur nous ».75 DURAND Yves, Histoire générale... op.cit. p. 576.76 L'Humanité, 31 août 1944 « Prisonniers et déportés ».77 L'Humanité, 17 novembre 1944 « Depuis plus de quatre ans en terre ennemie Ceux des barbelés comptent sur nous ».78 Le Figaro, 8 novembre 1944 « L’Alsace et la Lorraine reprendront bientôt leur place parmi nos Provinces sommes-nous prêts à les accueillir ? »79 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.73.80 L'Humanité, 29 et 30 octobre 1944 « Pensons aux prisonniers aidons leur famille ».
162
La période choisie n'est pas anodine, décembre symbolise la famille réunie autour des fêtes
de Noël, or en 1944, les prisonniers de guerre sont loin d'être encore tous revenus, de
même que les déportés politiques. Ainsi, il s'agit d'un Noël particulier car la guerre quitte
peu à peu les frontières de la métropole mais les familles sont toujours séparées.
« quelle est la maman, quelle est la jeune femme, qui n'a pas eu le cœur atrocement torturé à Noël en songeant que, pour la cinquième fois, son fils ou son mari passait derrière les barbelés des (..illisible..) la fête de la famille et du renouveau ? »81.
Au départ, Vichy lutte activement contre l'emploi féminin, mais très vite le besoin de main
d’œuvre limite les restrictions, d'autant que sans les hommes, les revenus tendent à
manquer dans les foyers. Les femmes travaillent alors dans des conditions difficiles pour
un salaire dérisoire (majoritairement en tant qu'ouvrières ou agricultrices si leur époux
l'était82). Toutefois, la presse ne fait aucune référence à ces difficultés supplémentaires. Les
activités professionnelles des femmes sont mentionnées mais les journaux ne les présentent
pas comme une conséquence de la guerre. D'ailleurs, le Figaro semble moins enthousiaste
que l'Humanité à propos du travail des femmes. En effet, les seules travailleuses citées
dans le Figaro sont des collaboratrices, alors que l'Humanité les mentionnent à plusieurs
reprises : « A Paris, ouvrières d'usines, vendeuses, employées, intellectuelles, infirmières
81 L'Humanité, 13 janvier 1945 « La guerre de la liberté »82 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.215.
Illustration 4: L'Humanité Publicité du mois de décembre 1945
163
luttent de générosité »83. On peut également remarquer que de nombreux articles de la
presse communiste sont écrits par des femmes, ce qui est inexistant dans le Figaro.
En outre, certaines de ces femmes ont également dû faire face au veuvage très
jeune. En effet, mères, filles ou épouses vivent avec l'anxiété perpétuelle du retour tant
attendu de l'être aimé. Néanmoins, une grande partie d'entre elles doivent vivre avec la
conscience qu'il ne reviendra jamais, et beaucoup savent pertinemment les affreuses
souffrances qu'ils ont endurées avant de mourir84. Ces femmes sont généralement citées
comme témoins dans les articles sur les procès : « enfin des déportés et des veuves de
fusillés vont paraître à la barre ! »85. Leur visage devient la figure emblématique des
immenses pertes humaines. Même le Figaro fait état de plusieurs de ces femmes dans les
procès, ce qui durcit leur opinion habituellement plus clémente envers les collaborateurs.
C'est ce que montre par exemple ces quelques affaires judiciaires : « Une femme en deuil,
frêle et menue, mais droite et ferme se tenait debout à la barre des témoins. C'était la sœur
de l'infortuné Keliner, emprisonné par les soins de la Gestapo française et fusillé par les
Allemands »86, « elle [Mme Psichari-Renan] a voulu témoigné comme témoin des 11 000
mères qui comme elle ont perdu leur fils en Afrique du Nord »87, « C'est une veuve : Mme
Mosès, dont le mari mourut dans un crématoire d'Allemagne, après qu'on eût décaissé 2
millions pour lui faire recouvrer la liberté […] Telle qu'elle apparaît cependant, tout
animée d'une haine claire et froide pour Saunier et ses complices »88. Cependant,
l'Humanité utilise encore plus violemment cette image des Françaises meurtries par la mort
d'un homme. En effet, elles reviennent à plusieurs reprises dans les articles intitulés « Ceux
qui souffrent »89 et sont citées comme des arguments pour les appels à la vengeance. Tout
comme dans le Figaro, elles apparaissent alors comme témoins mais les propos de
83 L'Humanité ,3 et 4 décembre 1944 « Pas un régiment, pas une compagnie sans marraine » voir annexe B9.84 Le Figaro, 8 septembre 1944 « l’effrayant regard me poursuit encore d'une femme dont le jeune mari venait d'être abattu parmi d'autres otages ; et il y a cette lettre que je n'ose pas relire, où une de nos filles raconte comment elle ferma les yeux de garçons fusillés et comment elle les ensevelit » in « La vrai justice », 14 novembre 1945 « Ailleurs on a perdu des fils, mais on peut les pleurer avec fierté, tandis qu'ici l'on n'ose pas accrocher au mur le dernier portrait du disparu, car il n'a pu se faire photographier que sous l'uniforme haï » in « La blessure de l'Alsace » voir annexe C33, 23 août 1946 « « j'entends encore Mme F... me dire, l'air égaré, en revenant d'une exhumation où elle avait pensé retrouver le corps de son fils : « il avait des chaussures neuves. Alors, c'est peut être lui. Je comptais sur les dents plombées ; mais ils lui avaient tiré un coup de fusil en plein visage » in « Songerie pour un anniversaire » par Georges Duhamel. 85 L'Humanité, 31 juillet 1945 « Edouard Herriot a flétri l'homme de la dictature et du coup d'Etat ».86 Le Figaro, 8 décembre 1944 « Le procès Bony-Lafont Ils avaient l'air plus triomphant... ».87 Le Figaro, 31 juillet 1945 « Le Maréchal Pétain devant la Haute Cour ».88 Le Figaro, 13 et 14 janvier 1946 « A la Cour de Justice de Lyon Saunier et ses tueurs ne reconnaissent que leurs vols ».89 L'Humanité, 23 novembre 1944 « femme de prisonnier, mère de cinq enfants » in « ceux qui souffrent », 27 décembre 1944 « Elle a 66 ans, elle est veuve depuis 1917. Sa fille, son gendre et sa petite-fille ont été tués pendant l'exode en juin 1940. [...] L’aîné est depuis 2 ans déporté en Allemagne par le STO » in « Ceux qui souffrent ».
164
l'Humanité sont encore une fois plus violent vis à vis des jugements : « Un acquittement
voilà la récompense des bourreaux ! S'indigne la veuve du patriote Bréchet guillotiné par
les valets de la section spéciale »90 ou encore lors de la grâce de Pétain « cette nouvelle ira
droit au cœur des mères, des épouses, des innombrables victimes de Pétain »91. L'opinion
communiste sur l'épuration est renforcée par l'argument de ces femmes blessées qu'il faut
venger. En outre, la solution qui s'impose alors est de souscrire au parti. En effet, le
communisme est présenté comme la meilleure solution pour les femmes seules,
contrairement aux autres partis politiques qui les délaisseraient, comme le souligne la
critique faite au périodique Combat (proche des idéaux de de Gaulle)92. Par ailleurs, juste
avant la « semaine de l'absent », l'Humanité publie un dessin de propagande pour soutenir
un rapprochement entre la France et l'URSS.
A première vue, ce dessin a pour but de souligner que la guerre aurait pu être évitée par un
pacte franco-soviétique dès 1940. Implicitement le but est d'inciter les femmes à souscrire
au PCF, en tant que parti protecteur pour les jeunes mères veuves.
Ainsi, la vie en l'absence des hommes est définie comme une période de grande
solitude et d’inquiétude pour les femmes. Elles ont dû à la fois subvenir aux besoins du
foyer tout en s'occupant des enfants. Le retour des prisonniers de guerre et des déportés
masculins est alors associé à la joie immense des femmes qui les attendent depuis des
années93. On peut noter que ces articles n'existent pas dans le sens inverse, c'est à dire qu'au
90 L'Humanité, 12 juin 1945.91 L'Humanité, 18 août 1945 « Pétain ne sera pas exécuté décide de Gaulle ».92 L'Humanité, 3 août 1945 « Criminelle pitié », voir annexe B26.93 L'Humanité, 10 février 1945 « sa compagne est encore bouleversée par le merveilleux retour » in « Corentin Le Du évadé de Maïdanek est de retour chez lui », 18 avril 1945 « Lucien Pradier, prisonnier rapatrié, a retrouvé la douceur de son foyer. Sa femme et son enfant, une blonde fillette de 6 ans et demi, le choient pour effacer, à force de tendresse le souvenir des cinq terribles années de séparation » in « Les soldats rouges nos libérateurs... ».
Illustration 5: L'Humanité 13 décembre 1944
165
retour des femmes déportées, aucun article n'évoque la joie du mari de les retrouver. La
vision maternelle et protectrice des femmes est donc soulignée mais cela nous conduit à
étudier à l'inverse la vision paternaliste de la société française sur ces femmes seules.
B/ Le paternalisme de la société française à l'égard des épouses, des mères ou des filles
La politique ultraconservatrice et nationaliste de Vichy a engendré des attitudes
antiféministes de la part du gouvernement. Pétain projette un retour en arrière suite aux
désordres que la IIIe République aurait engendrés. La famille doit être unie et la femme
doit représenter son foyer, car les écarts aux valeurs familiales, dont elles ont fait part
depuis les années trente, serait une cause de la mort de la France94. Conscient du
dénuement que subissent les huit cent mille femmes de prisonniers, Vichy crée un organe
spécifique « La famille du prisonnier » qui propose des assistantes sociales à domicile, ce
qui permet au gouvernement de pratiquer un politique paternaliste, insistant sur le statut de
mineur de ces femmes mariées95. Ainsi, le Commissariat général aux prisonniers rapatriés
et aux familles de prisonniers de guerre de Vichy, dirigé par Maurice Pinot, va distribuer
également des allocations à ces femmes, mais il n'en reste pas moins que ces aides sous-
entendent une soumission à la politique du gouvernement96. En août 1944, toutes ces
dispositions financières envers les femmes sont passées sous silence dans la presse. Une
seule référence au sein de l'Humanité évoque des décisions prises sous l'Occupation (lors
du procès d'un collaborateur responsable des pensions sous Vichy), mais cet article ne nous
informe en rien sur la réalité de ces versements et ni sur ceux mis en place à la Libération97.
Parallèlement, de multiples articles énoncent les droits aux allocations pour les veuves ou
les parents des prisonniers, des déportés non revenus ou des résistants. Toutefois, ces textes
dénoncent des inégalités de traitement. En effet, selon le statut des hommes (officiers dans
l'armée, simples soldats, membres des FFI, maquisards défunts ou déportés non revenus)
les soldes versées sont différentes, voir inexistantes. Un article du Figaro d'octobre 1944
est très éloquent à ce propos.
« Les femmes de sous-officiers prisonniers habitant Paris et la banlieue ont touché, à l'occasion de la libération de Paris, une prime de 1800 francs.
On nous signale que les femmes de simples soldats prisonniers n'ont bénéficié d'aucune mesure analogue.[...]
94 COLLINS WEITZ Magaret Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.68.95 Ibid, p.73.96 DURAND Yves, Histoire générale... op.cit. p.577.97 L'Humanité, 19 octobre 1944 « pendant l'Occupation, des ordres avaient été donnés pour que les veuves de fusillés reçoivent un titre d'allocation provisoire d'attente » in « Au service des pensions Un collaborateur qui doit disparaître ».
166
plus grave : de nombreuses veuves d'officiers tués dans cette guerre se sont présentées dernièrement au Centre d'administration territorial de Paris pour y toucher la délégation de solde de septembre qu'on leur avait dit être doublés. Elles apprirent alors que cette augmentation ne concernait que les familles de prisonniers »98
Ainsi, les injustices envers les veuves martèlent la presse de la Libération. L'Humanité
insiste à plusieurs reprises sur les problèmes dans les versements de ces pensions. Il
provoque à nouveau le gouvernement avec des articles tels que : « Mais quand pensera-t-
on à indemniser les internés, les emprisonnés qui ont subi outre leurs souffrances des
pertes importantes et qui ont laissé leur famille dans le plus complet dérobement ? »99 ou
encore en 1947 « Nos héros doivent recevoir dans la France nouvelle le culte qui leur est
dû et leurs familles les réparations auxquelles elles ont droits »100. Ainsi, certaines
augmentations d'allocations soient prononcées au détriment d'autres catégories de femmes.
Cependant, elles ne sont jamais remises en cause, car la société a conscience de l'aspect
vital qu'elles représentent pour ces veuves101. Au niveau régional, le Dauphiné Libéré met
également l'accent sur les secours auxquels ont droit les femmes102. La décision qui est
présentée comme la plus importante pour ce quotidien, d'obédience socialiste, est la mise
en place d'un impôt de solidarité en faveur des familles de tués ou de prisonniers103,
finalement appliqué en janvier 1946 : « L'impôt de solidarité des abattements en faveur des
victimes de guerre »104. Cet impôt est également mentionné par le Figaro, « Le « Journal
Officiel » publiera demain l'ordonnance sur l'impôt de solidarité nationale »105, qui le
présente comme un acte de solidarité nationale. C'est donc dans un esprit paternaliste que
ces primes sont mises en place, afin de compléter les ressources de ces femmes dont le
foyer n'est plus alimenté par le salaire masculin. Le travail des femmes est perçu comme
insuffisant pour subvenir aux besoins du foyer, d'autant que l'éducation des enfants et
l'entretien de la maison doivent rester leurs préoccupations majeures. Le gouvernement
doit alors pallier ces difficultés financières.
98 Le Figaro, 3 octobre 1944 « Pensons aux prisonniers... sans oublier les morts ».99 L'Humanité, 7 mars 1945 « Pour les FFI, les résistants et leurs familles ».100 L'Humanité, 21 août 1947 « Trois ans ont passé... ».101 Le Figaro, 3 et 4 décembre 1944 « A partir du 1er janvier 1945 Les pensions de guerre seront augmentées de près du double Les majorations pour les veuves et les orphelins elles aussi sont importantes ».L'Humanité, 12 octobre 1944 « Augmentation de 50% des allocations aux femmes de prisonniers », 29 et 30 octobre 1944 « pensons aussi aux courageuses compagnes des prisonniers qui, seules depuis plus de cinquante-deux mois élèvent les petits malgré les pires difficultés morales et matérielles. L'allocation journalière qui leur est versée a été portée à 30 francs » in « Pensons aux prisonniers aidons leurs familles ».102 Le Dauphiné Libéré, 29 novembre 1945 « Encore un avis aux familles de fusillé ».103 Le Dauphiné Libéré, 8 novembre 1945 « Pour les victimes de la guerre ».104 Le Dauphiné Libéré, 22 janvier 1946.105 Le Figaro, 11 août 1945.
167
En outre, le gouvernement n'est pas le seul à venir en aide aux femmes. En effet,
dès la Libération se mettent en place des Comités et des Associations de soutien aux
besoins les plus urgents des veuves, orphelins et parents de prisonniers ou défunts. Dès
août 1944 l'Humanité évoque le « Comité des familles de fusillés »106 qui soutient toutes
les veuves sans famille pour les aider. Le Figaro fait davantage appel aux dons de
solidarité pour les familles de prisonniers, déportés ou résistants107. Néanmoins, pour
déceler une visibilité réelle de ces associations, il faut se tourner vers la presse régionale.
En effet, outre des associations uniquement à vocation locale, le Dauphiné Libéré
mentionne divers comités qui viennent en aide aux familles : l'« Assemblée des déportés et
internés politiques »108, les « Fils de tués »109, « L’Association des Veuves de guerre 39-
45 »110, et « les combattants volontaires de la Brigade Alsace-Lorraine »111. Comme son
nom l'indique, « l'Association des Veuves de guerre 39-45 » est la plus concernée par le
statut des femmes à la Libération et n'hésite pas à critiquer ouvertement les allocations
proposées par le gouvernement qu'elle qualifie de « ridiculement insuffisante »112. On voit
donc que ces associations viennent relativiser la réussite de la politique d'assistance du
nouveau gouvernement. En effet, l'esprit de virilité qui règne à la Libération en France
engendre le souhait que les femmes de prisonniers soient prises en charge par l'Etat. Or, les
associations restent nécessaires tant au niveau administratifs, que pour un soutien moral ou
financier.
Enfin, l'Humanité met peu en avant ces associations et privilégie les aides mises
en place directement par le Parti communiste français. En effet, Maurice Thorez lui même
verse une forte cotisation en février 1945 en faveur « des familles de patriotes fusillés ou
déportés »113. Au delà de ces aides financières, l'Humanité insiste sur les actions mises en
œuvres pour les enfants. En effet, les orphelins ou orphelines, d'un ou de deux parents, sont
choyés par le Parti communiste français. Ainsi chaque mois de décembre, le parti organise
106 L'Humanité, 28 août 1944. 107 Le Figaro, 19 décembre 1944 « Les Français doivent aider les Français », 10 et 11 juin 1945 « Les Français doivent aider les Français ».108 Le Dauphiné Libéré, 1 octobre 1945, « familles de ceux qui ne reviendront pas » in « Assemblées des déportés et internés politiques ».109 Le Dauphiné Libéré, 26 octobre 1945 « Fils de tués, orphelins et veuves de guerre ».110 Le Dauphiné Libéré, 27 décembre 1945 « L'association des Veuves de guerre 39-45 a tenu son premier congrès régional », 14 avril 1946 « Samedi à Grenoble l'association d'Entraide des veuves de Guerre 1939-45 a tenu son premier congrès départemental ».111 Le Dauphiné Libéré, 17 avril 1946 « le triple but de cette Association est de venir en aide moralement et matériellement aux veuves des morts de la Brigade ou à leurs ascendants ou descendants » in « Brigade Alsace-Lorraine ».112 Le Dauphiné Libéré, 14 avril 1946, « Samedi à Grenoble l'association d'Entraide des veuves de Guerre 1939-45 a tenu son premier congrès départemental ».113 L'Humanité, 17 février 1945 « Maurice Thorez a reçu 8550 francs pour nos soldats ».
168
à leur attention un grand arbre de Noël qui fait la une de plusieurs numéros, accompagnés
de grandes photographies114. En outre, le soutien aux familles est également mis en place
par le parti avec l'organisation de grandes colonies de vacances d'été, afin que les enfants
puissent se refaire une santé. Une enquête de l'Humanité au cours de l'été 1945 intitulée
« Les enquêtes de l'Humanité Colonies de vacances » présentait les bienfaits de ces
vacances pour les enfants. Elles sont également mentionnées dans le Dauphiné Libéré étant
donné que la région est un des premiers lieux où se déroulaient ces camps de vacances115.
Donc, comme nous l'avons déjà évoqué, par ces articles l'Humanité va au delà de l'esprit
paternaliste en créant autour du PCF une grande famille unie. Les lectrices de l'Humanité
doivent être convaincues que le PCF veillera sur leurs enfants quoi qu'il arrive. Le
protectionnisme de la veuve s'étend alors à ses enfants et toute sa famille.
C/ Une vie de célibataire contrôlée et soupçonnéeLes célibataires libérées de toutes contraintes maritales sont mal perçues par la
société française du milieu du XXe siècle. Ainsi, lorsque les femmes de prisonniers de
guerre se retrouvent seules, l'image que la société reflète d'elles devient très vite négative.
En effet, les soupçons sur leur capacité à gérer le foyer et les enfants s’accumulent, mais
les critiques les plus affligeantes sont celles concernant leur sexualité. Seules pendant
plusieurs années, la peur de l'adultère se diffuse, au point que les prisonniers de guerre eux
même s'inquiètent de l'attitude de leur femme en leur absence116. Vichy instaure alors une
loi contre l'adultère117. Cependant, cette loi éveille encore plus les soupçons car son
application suppose que ces faits existent : il n'y a pas de lois contre des faits inexistants.
Les commérages vont alors s'aggraver. Les femmes ayant des relations avec des Allemands
échappent à certaines difficultés du quotidien tout en profitant en plus du plaisir de la
sexualité. Les jalousies des voisines font alors rage, ce qui va encourager à la délation118.
114 L'Humanité, 21 décembre 1944 photographie accompagnée de la légende : « Ces enfants dont le papa a été fusillé ou déporté ont vécu hier une journée de bonheur (…) visite médicale (…) pour le voyage de noël organisé pour eux par l'Association Nationale des Victimes du Nazisme. (…) C'est en pensant à eux que leur papa est mort ou qu'il a préféré le bagne à la lâcheté. Tous savaient que leurs enfants retrouveraient une famille », 21 décembre 1945 photographie accompagnée de la légende « Grâce à l'Union des syndicats de la Région parisienne, les enfants des syndiqués fusillés et déportés ont eu leur arbres de Noël », 30 et 31 décembre 1945 « 30 000 Personnes à l'arbre de Noël du Parti communiste Français » in « Paris fête les enfants de fusillés », 5 janvier 1946 photographie accompagnée de la légende : « Hier, après midi, au Palais de la Mutualité, un arbre de Noël avait été dressé pour les enfants des déportés, sinistrés et prisonniers des PTT. Ci-dessus, un facteur père de onze enfants qui reçoit les jouets destinés sa petite famille ».115 Le Dauphiné Libéré, 21 septembre 1945, « Un chalet pour les enfants de nos maquisards tués par l'ennemi », 26 décembre 1945 « Les villages d'enfants », 21 août 1947 « Près du lac Constance Avec les enfants de la colonie de vacances de l'Association des Veuves de Guerres », 21 août 1947 « La colonie de Rabot » voir annexe D14.116 DURAND Yves, Histoire générale... op.cit. p.580.117 Ibid, p.581.118 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p. 55 à 56 et p.206.
169
D'ailleurs, cette pratique des dénonciations est critiquée par le Figaro qui prétend qu'elle
est tellement entrée dans les mœurs qu'elle se poursuit à la Libération pour de simples
querelles de jalousie :
« Mme M... qui a risqué cent fois la prison et la mort dans la lutte secrète contre l'Allemagne. Mme M... vient d'être arrêtée sur le vu d'une simple lettre de dénonciation envoyée par quelques voisines envieuses. Par chance, deux FFI sont allés la rechercher en proposant de se constituer prisonniers à sa place. J'adjure les personnes responsables de renoncer définitivement à cette pratique des arrestations sur la foi d'une simple lettre »119
Pendant l'Occupation, les dénonciations pour adultère foisonnent. Les femmes qui
trahissent la nation avec des Allemands ne vont pas être les seules critiquées. De ce fait,
une partie des Français vont mettre en œuvre toute une surveillance contre les adultères120,
même si en réalité les relations extra-conjugales ne pourront pas être empêchées121. La
presse de la Libération ne peut pas cacher totalement ces agissements même si elle reste
très discrète sur ces écarts aux bonnes mœurs. Au final, un seul article extrait de
l'Humanité mentionne ouvertement l'adultère d'une jeune femme durant l'emprisonnement
de son époux :
« Fernande Lepelletier, jeune fermière de 25 ans, d'Ectot-l'Aubert (Seine-Inférieure), était devenue la maîtresse de son charretier, un nommé Chouland âgé de 47 ans, qui, abandonnant ses enfants, s'était installé à la ferme. Luncien Lepelletier, qui était prisonnier en Allemagne, rentra de captivité le 1er juin. Sommé par un huissier d'avoir à quitter les lieux, Chouland devait partir le 1er septembre »122
Toutefois, cet article n'a pas pour but de dénoncer réellement l'adultère mais il expose un
fait divers : cette jeune femme, enceinte de son amant, a organisé l'assassinat de son mari
avant de se jeter dans un puits pour échapper à la police. Les relations extra-conjugales ont
donc existé, mais furent ignorées par la presse de la Libération qui voulait présenter une
image élogieuse de la femme au foyer.
En outre, lors du départ des Allemands, la plupart des maris étant toujours
absents, les soupçons se sont portés sur les nouveaux arrivés dans les villes : les Anglais et
les Américains. Ainsi, la population française va poursuivre la surveillance des épouses123.
Ces soupçons ne s'avèrent pas totalement incohérents, plusieurs femmes (majoritairement
des célibataires) vont tomber sous le charme des libérateurs. Ces relations sont à nouveau
retranscrites à travers un faits divers :
119 Le Figaro, 6 juillet 1945 « Les préjugé favorable » par George Duhamel.120 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p.280.121 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... , op. cit., p.222.122 L'Humanité, 9 et 10 septembre 1945 « Une femme tue son mari et se jette dans un puits ».123 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit., p.269.
170
« René Deros, 42 ans vivait séparé de sa femme Andrée Laval, 40 ans. L'ayant surprise, vers minuit, dans un restaurant de la rue Joubert, en compagnie d'un soldat américain, une violente discussion s'engagea entre les époux. Deros s'arma d'un poignard et frappa mortellement sa femme et le soldat américain qui avait voulu s'interposer. Le meurtrier est arrêté »124.
Ces relations, même pour des célibataires, vont susciter des débats dans l'opinion publique
qui va tenter de dissuader les jeunes Françaises de partir avec les soldats alliés. En effet,
ces couples franco-américains ou franco-britanniques représentent la perte d'un certain
nombre de futures mères pour la France, ce qui est un problème dans un pays qui doit se
reconstruire et donc se repeupler. Ainsi, plusieurs articles du Figaro soulignent les
difficultés qu'un départ aux Etats-Unis peuvent engendrer125, mais les rédacteurs du
quotidien sont conscients que ces mises en gardes sont vaines126. Les célibataires sont donc
elles aussi surveillées par la société et incitées à rester en France, même si épouser un
Américain ou un Anglais n'est pas condamnable officiellement.
D'un autre côté, les mœurs des hommes ne sont aucunement critiquées. Lors de
leur détention, certains furent charmés par des Allemandes sans subir de représailles après
la guerre127. Au contraire, ce sont les Allemandes elles-mêmes qui sont le plus critiquées.
Le Dauphiné Libéré publie un article très explicite à ce sujet128. En effet, à la Libération, le
village de Barraux abrite un camp d'Allemandes qui ont suivi des Français, mais dont les
fiançailles furent rompues. La photographie qui accompagne l'article présente les ex-
fiancées sous la même apparence que des bagnardes. Elles sont accusées d'avoir séduit
avec de mauvaises intentions des soldats. Considérées comme ennemies à la France, alors
que quelques semaines plus tôt elles avaient fait le choix de quitter leur patrie natale par
amour, ces jeunes femmes sont les laissé-pour-compte de la Libération. L'humiliation
qu'elles subirent est une empreinte de la société virile et masculine de cette période d'après-
guerre. Les hommes peuvent donc jouir de leur sexualité comme ils l'entendent,
engendrant même l'humiliation de certaines femmes déchues de leur honneur, alors que les
124 L'Humanité, 18 décembre 1945 « Un mari jaloux, poignarde sa femme et un soldat américain ».125 Le Figaro, 14 et 15 octobre 1945 « La Croix-Rouge américaine a organisé à l'intention des Françaises ayant épousé des soldats américains une série de conférences destinées à mettre les jeunes épouses en garde contre trop d'optimisme » in « A Paris, les épouses françaises des GI sont initiées à la vie américaine ».Le Dauphiné Libéré, 6 décembre 1945 « la priorité du transport étant réservée aux troupes regagnant leur pays » in « Les femmes de GI attendront des années ».126 Le Figaro, 14 et 15 octobre 1945, « mais les G.I. attendaient derrière la porte et la nouvelle Mrs Jackson pas plus que la nouvelle Mrs Smith pas plus qu'aucune ne gardèrent sans doute longtemps l'écho de ces paroles désabusées » in « A Paris, les épouses françaises des GI sont initiées à la vie américaine », 4 janvier 1946 « Les épouses et enfants étrangers des GI peuvent entrer aux Etats-Unis sans visas ».127 DURAND Yves, Histoire générale … op. cit., p.580.128 Le Dauphiné Libéré, 14 septembre 1945 « Barraux sans prisons « Ah ! Si au moins une bombe avait pu tomber sur ce fort ! » nous disent les habitants de Barraux », voir annexe D7.
171
Françaises, mariées ou non, furent étroitement surveillées tout au long de l'Occupation et
se devaient de respecter les bonnes mœurs.
On peut en conclure, que les femmes, les orphelines et les mères sont placées sur
le même plan. Toutes semblent subir avec difficultés l'absence prolongée de l'homme de la
maison ou du fils bien aimé. Au fil des mois, l'inquiétude des familles s'accroît malgré les
articles optimistes dans la presse. Parfois, cette solitude qui s'imposa aux femmes a pu
expliquer pourquoi certaines se sont tournées vers Pétain, elles espéraient trouver en lui du
réconfort et obtenir un rapatriement plus rapide de leur époux, de leur père ou de leur
fils129. La société paternaliste ne les a donc nullement laissées profiter de cette période pour
s'émanciper. La politique protectionniste de Vichy à leur égard permettait de contrôler leur
revenu tout en essayant de leur inculquer les valeurs traditionnelles de la famille. D'autant
plus que la société civile ne se faisait pas prier pour surveiller les bonnes mœurs de ces
jeunes filles. Par ailleurs, le problème qui s'imposa rapidement fut le ravitaillement et là
encore la carte d'alimentation instaurée le 23 septembre 1940130 est devenue un moyen de
contrôle du gouvernement sur la gestion des foyers. Les femmes, gestionnaires de
l'alimentation du foyer, se sont vues retirer cette prérogative.
II. Le ravitaillement, une angoisse quotidiennePar leurs responsabilités domestiques, les femmes furent les premières touchées par
les complications du ravitaillement. La carte d'alimentation, à laquelle va s'ajouter celles
des chaussures et des vêtements en 1941, sont des inquiétudes quotidiennes pour les mères.
De plus, les rations vont continuer à diminuer tout au long de la période d'Occupation. Des
conflits apparaissent alors entre les régions et particulièrement entre les citadins et les
ruraux. Par exemple, la Normandie est accusée de s'approvisionner au détriment de Paris,
pendant que dans la même période Marseille ou Toulouse manquent de tout131. La presse
de la Libération fait état de ces disparités et de ces jalousies : «- est-il également possible
de mettre fin à l'autarcie régionale qui crée de véritables barrières entre les départements ?
- c'est le vœu maintes fois exprimés »132, « l'abondance d'un côté et la privation de
l'autre »133, « le cas des Alsaciens. Oui, les Allemands ont bien nourri ces prétendus frères,
mais c'était pour rafler leurs garçons et les jeter classe après classe, en bon état, dans la
129 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.69.130 Ibid, p.112.131 Ibid, p.274.132 Le Figaro, 23 janvier 1945 « les « saisies » arbitraires ».133 Le Figaro, 19 juillet 1945 « Nous qui n'avions pas faim... ».
172
Reichwehr »134. Les rancœurs envers certaines régions et surtout envers les paysans se sont
ancrées pendant plusieurs années. Hormis ces quelques exemples de clivages régionaux, la
presse de la Libération consacre surtout ses articles aux fluctuations des restrictions.
Cependant ce qui nous intéresse ici n'est pas d'établir l'apport calorique des Françaises sous
l'Occupation mais de définir quelles traces ce quotidien difficile a pu laisser sur les
mentalités et les représentations françaises de la ménagère et de la mère au foyer.
A/ Se nourrir et nourrir ses enfants une inquiétude jusqu'en 1947 « Le bloc note de la ménagère » est une rubrique quasi-quotidienne du Dauphiné
Libéré où les femmes peuvent faire le point sur les distributions alimentaires et les
restrictions. La société française désigne donc automatiquement les femmes comme
responsables de l'alimentation du foyer, une responsabilité qui n'est plus totalement libre
comme en 1939, mais soumise aux cartes individuelles d'alimentation. Cette tâche est très
lourde pendant la guerre et à la Libération puisque les restrictions continuent. Ainsi,
parvenir à nourrir leurs enfants est l'obsession quotidienne des mères.
« Outre leurs obligations quotidiennes, elles ont eu à vaincre mille difficultés que nous n'avons pas connues.
Je les vois dans le matin glacé faisant la queue, interminablement. Je les vois dans leur cuisine avec six bouches affamées autour d'elles et tout juste de quoi nourrir deux personnes.
Je pense à ces tourments sans cesse renouvelés qu'elles subissaient seules : manque d'eau, de gaz, d'électricité, de charbon, de bois, de beurre, de viande, de pain, de légume et deux repas improviser.
Elles ont tenu tête. Elles ont gagné la partie. Elles ont sauvé leur foyer du désastre »135.
Les ravitaillements occupent une grande partie du temps et de l'imagination de ces
femmes, car elles doivent multiplier les recours à ce que l'on appelle le système D, afin de
trouver les ressources complémentaires dont elles ont besoin pour leurs enfants :
chapardages, troc, colis familiaux ou bien marché noir. Après la guerre, beaucoup de
femmes feront part de leur sentiment d'échec devant leur incapacité à nourrir
convenablement les leurs136. Elles ont donc dû apprendre à vivre avec ce sentiment, ainsi
que la fatigue et le sommeil que suscitent leur travail sans relâche pou que leur famille vive
le mieux possible. Cette forme de courage est explicitement présentée par l'Humanité :
« pensons aussi aux courageuses compagnes des prisonniers qui, seules depuis plus de cinquante-deux mois élèvent les petits malgré les pires difficultés morales et matérielles »137.
134 Le Figaro, 14 novembre 1945 « La blessure de l'Alsace » voir annexe C33.135 Le Figaro, 19 octobre 1944 « La journée politique Les femmes votent » voir annexe C6.136 COLLINS WEITZ Magaret, Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.277.137 L'Humanité, 29 et 30 octobre 1944 « Pensons aux prisonniers aidons leurs familles ».
173
De ce fait, c'est l'image des femmes faisant la queue qui domine les esprits des Français
libérés à l'évocation des restrictions alimentaires et des ravitaillements. Une photographie
publiée à la une du 16 septembre 1944 de l'Humanité l'illustre cela avec pertinence.
En effet, l'attente était parfois très longue pour obtenir le nécessaire auquel elles avaient
droit. Toutes les femmes attendaient des heures avec leur cabas, mais il arrivait
régulièrement que leur tour venant les stocks étaient vides et elles ne pouvaient pas être
servies138. Ce quotidien reste le même après le départ des Allemands. Tant que le
ravitaillement pose problème l'image des femmes faisant la queue continue à s'ancrer dans
les esprits : « Allons nous revoir les files d'attente devant les boulangerie »139. Ainsi,
l'image de la femme au foyer continue à dominer malgré les réticences des communistes :
« elles ne veulent plus de la fameuse formule réactionnaire de « femme au foyer » »140.
Toutefois, ces derniers, tout en dénonçant cette qualification, continuent dans leurs articles
de rattacher l'image de la femme aux responsabilités du ravitaillement de la famille.
L'Humanité souligne tout de même une forme d'émancipation que cette tâche a permis aux
femmes : elles ont pris part aux manifestations et en furent même les investigatrices. Cette
nouvelle mobilisations des femmes est donc visibles dans plusieurs articles : « elles
[Parisiennes] démontrent l'action néfaste du marché noir, organisent le ravitaillement au
grand jour et à des prix normaux »141, « Les ménagères réclament un meilleur
138 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p. 128 à 131.139 L'Humanité, 9 juin 1945.140 L'Humanité, 12 avril 1945 « On ne changera rien, sans faire confiance à la femme » a déclaré hier soir au vélodrome d'hiver sous la présidence de Jacques Duclos devant 25 000 Parisiennes enthousiastes Maurice Thorez » voir annexe B15.141 L'Humanité, 25 août 1944 « Aux armes, citoyennes ! Les femmes dans la bataille ».
Illustration 6: L'Humanité 16 septembre 1944
174
ravitaillement »142, « Manifestation des ménagères »143 ou encore « Union des femmes
françaises, des Comités de ménagères et du personnel des hôpitaux, de nombreuses
pancartes réclament à manger pour les enfants et lancent un appel poignant en faveur des
tout-petits : « nous voulons du lait pour nos bébés »»144. Déjà, pendant la guerre, de
grandes manifestations pour l'amélioration du quotidien furent organisées à la commande
du PCF, telles que les manifestations de la rue Buci au mois de mai 1942, celle de la rue
Daguerre en août de la même année145 ou bien celle de Lyon. Lors du débarquement, la
population croyait en une hausse du ravitaillement, lorsqu'ils ont pris conscience que les
améliorations ne viendraient pas, les revendications se sont accrues davantage encore.
Survivre et nourrir leur famille est donc la première ambition des femmes en tant que mère,
quotidiennement elles peuvent suivre dans la presse les rationnements en cours et organiser
l'alimentation de tout leur foyer.
En outre, les ravitaillements subissent de lourdes critiques dans la presse. En effet,
les femmes peuvent suivre les portions de nourriture auxquelles elles ont le droit au fil des
mois, mais ces portions ne suffisent pas à une alimentation normale. Ainsi, plusieurs
articles de l'Humanité lancent des attaques aux organisateurs du ravitaillement, les
dénonçant comme vichystes et responsables des difficultés quotidiennes des mères, comme
le montre ces quelques exemples : « 140 tonnes de fruits et légumes avariés en gare de
Vaires qui est responsable ? »146, « Chassez les vichyssois des services de
ravitaillement »147, «D'après les arrivages par voie ferrées 800 grammes de beurre, 3 kilos
de pommes de terre 10 litres de vin auraient dû être distribués à chaque Parisien en un
mois »148, « trop de vichyssois au ravitaillement »149. Leurs attaques sont donc adressées au
gouvernement mais également aux grandes entreprises150 et aux profiteurs du marché
noir151. Parallèlement le Figaro décrit les actions faites en faveur des Français et il ajoute
142 L'Humanité, 19 janvier 1945.143 L'Humanité, 18 et 19 février 1945.144 L'Humanité, 25 et 26 février 1945 « A l'appel du Comité Parisien de Libération Emplissant le Vél d'Hiv, inondant au loin les abords ils étaient 50 000 à exiger un meilleur ravitaillement ».145 ROUQUET François, VOLDMAN Danièle, « Identités féminines et violences politiques (1936-1946) », Les Cahiers de l'IHTP, n°31, octobre 1995, p.28 à 30.146 L'Humanité, 4 et 5 mars 1945.147 L'Humanité, 20 mars 1945.148 L'Humanité, 8 juin 1945.149 L'Humanité, 25 et 26 août 1946.150 L'Humanité, 18 novembre 1945 « Les trusts organisent la pénurie de farine ? » in « Rétablira-t-on la carte de pain ? Les trusts organisent la pénurie de farine ? ».151 L'Humanité,13 novembre 1945 « Pourrions-nous plus souvent manger un bifteck de cheval ? Oui affirment les bouchers détaillants, si l'on revenait au marché libre ! », 15 avril 1947 « ça recommence pas de viande à Paris cette semaine... Ou alors au marché noir ».
175
l'espoir d'une aide alliée très prochaine, tout en soulignant les problèmes qui peuvent
perdurer encore.
« La fin de la guerre en Europe va-t-elle permettre une rapide amélioration du ravitaillement ? Le ministère, où nous avons posé la question s'abstient d'émettre des vues trop optimistes. Les choses iront progressivement mieux, nous a t on déclaré en substance, mais on ne reviendra pas du jour au lendemain à la situation d'avant guerre »152.
Ainsi, on ne peut pas accuser le gouvernement d'avoir caché la dureté que serait 1945.
Cependant, ces restrictions vont se poursuivre encore et exacerber la population : « le
problème du ravitaillement est désormais et sans doute possible un problème politique et
l'un des plus urgents à résoudre »153.
Par ailleurs, contrairement aux améliorations tant attendues de 1946 et 1947 les
restrictions vont s'étendre à nouveau, particulièrement pour le pain, dû au manque de farine
: « Dernier jour du pain en vente libre... »154, « La crise du pain Une enquête sur les
responsabilité et 350gr tout de suite ! »155 « A partir du 1er septembre la ration du pain est
réduite à 200 grammes »156, ainsi que la viande157. Finalement, une multitude de produits du
quotidien manque toujours dans les foyers au cours de ces années là. Au-delà des
répercussions morales de la flambée des prix et des rationnements, ces pénuries viennent
aggraver l'état de santé de nombreux Français déjà affaiblis par les années d'Occupation158.
L'Académie de médecine avait lancé des mises en garde sur ces problèmes physiques, mais
les Allemands les ont fait taire159. En mars 1945, le Figaro publie alors une enquête très
détaillée sur l'état de santé des Français160, le bilan est le suivant : « mortalité infantile
accroissement de 40% », « maladies infectieuses -cas de typhoïdes doublés cas de
dyphtérie (sic) triplés », « tuberculoses- augmentation moyenne de 11% », « restriction
alimentaire- 70% des hommes et 55% des femmes ont perdu 12% de leur poids ». Les
conséquences de ces restrictions sont donc réellement désastreuses pour l'organisme. Ainsi,
face à la poursuite des problèmes de ravitaillement, l'ONU décide en août 1947 d'ouvrir
une conférence sur l'alimentation161.
Les responsables du ravitaillement du foyer restent donc les femmes. Elles sont le
symbole de la fonction nourricière de la famille. Elles ont fait preuve de courage en allant 152 Le Figaro, 12 mai 1945 « Le ravitaillement va-t-il s'améliorer ? Guère avant six mois ».153 Le Figaro, 25 et 26 février 1945 « Ravitaillement et mécontentement populaire »154 Le Figaro, 1er janvier 1946.155 L'Humanité, 8 janvier 1946.156 Le Dauphiné Libéré, 26 août 1947.157 L'Humanité, 19 et 20 janvier 1947 « A l'étal des bouchers pas de biftecks, mais.. du poulet à 500fr le kg ».158 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.36.159 Le Figaro, 8 et 9 octobre 1944 « Quatre années de restrictions ont-elles retenti sur la santé des Français ».160 Le Figaro, 13 mars 1945 « A l'Assemblée consultative Le pénible état sanitaire de la France ».161 Le Figaro, 17 et 18 août 1947 « Une conférence de l'ONU pour l'alimentation va s'ouvrir à Genève ».
176
manifester et en développant des pratiques illégales tel que le marché noir (même s'il était
plus ou moins toléré étant donné que seules les catégories aisées pouvaient y avoir accès).
La Libération tant attendue n'a donc pas été synonyme de libération pour ces femmes qui
ne voient aucune évolution dans leurs contraintes familiales d'autant plus que le
ravitaillement est toujours aussi angoissant en 1947162.
B/ La pénurie de combustibles et de textiles : une lutte perpétuelle contre le froid« C'est le peuple surtout qui a faim et qui a froid, c'est le peuple qui porte à plus
lourde part ce fardeau des épreuves »163, au problème quotidien et obsédant du
ravitaillement alimentaire vient donc s'ajouter celui du froid. Cette addition de contraintes
se comprend d'ores et déjà par la raréfaction des transports. Ainsi, ni les vivres, ni le
charbon ne circulent convenablement. Le problème du carburant et de l'énergie bloque
toute l'économie française et oblige la métropole à vivre au ralenti dans des conditions
alimentaires et sanitaires parfois désastreuses. Le manque de chauffage devient très
problématique lors du rude hiver de 1944-1945, où la vague de froid atteint des -20° à
Paris164, ce qui contraint les familles les plus démunies à dormir collectivement dans une
pièce unique165. Cette entrave au bien-être des Français libérés est présentée à diverses
reprises par des articles qui font état des restrictions électriques et des approvisionnements
difficiles en gaz ou encharbon, durant de longues années encore166. Ces restrictions
engendrent alors de nouveaux tourments pour les mères de familles qui doivent trouver des
lieux plus accueillants pour leurs enfants. Cependant, beaucoup n'ont pas d'autre choix que
de les garder avec elles, ce qui signifie pour elles la conscience perpétuelle qu'elles ne
peuvent leur offrir une situation parfaitement viable. Le chauffage est donc au cœur de la
politique du ravitaillement d'après-guerre : « Chauffons les bébés et les vieillards
malades »167, le gouvernement a conscience que ces conditions ne sont pas envisageables
plus de quelques mois.
De plus, afin de supporter au mieux l'hiver, le ravitaillement en textile devient
primordial. Néanmoins, lui aussi pose encore de multiples problèmes. En effet, depuis le 3
mars 1941 les bons d'achats pour chaussures sont instaurés168, puis en juillet 1941 la carte
162 Et cela le restera jusqu'en 1949, VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.11.163 L'Humanité, 13 janvier 1945 « La guerre de la liberté ».164 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.38.165 Ibid, p.136.166 Le Figaro, 14 octobre 1944 « La consommation du courant électrique est libre pendant la nuit ».167 L'Humanité, 12 janvier 1945.168 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.156.
177
individuelle de vêtements169. Les mères, inquiètes pour leurs enfants, doivent user de divers
stratagèmes pour fabriquer ou trouver des vêtements. Ainsi, les friperies connaissent un
véritable essor. Puis, des matières de substitution vont apparaître car rien ne doit être
gaspillé. C'est ce que les Français ont appelé : « l'art d'utiliser les chiffons »170. Tous les
tissus furent alors raccommodés pour être transformés directement en vêtements ou en
pièces de raccords171. Les mères ont donc été très préoccupées par cette pénurie de textile,
particulièrement par la laine à l'approche de l'hiver. Les bébés sont donc privés de layettes
durant tout l'hiver 1944-1945172 et les enfants, comme les parents, privés de chaussures173.
Le Figaro fait tout de même mention de l'aide apportée par les Alliés : « La Croix rouge
américaine a distribué des vêtements aux enfants du XVIIIe »174, puis « La Croix Rouge
américaine enverra à la France, cet hiver, des tonnes de vêtements et de savon »175. Malgré
tout, ces aides paraissent bien maigres comparées à tous les articles mentionnant les
besoins en textile des familles françaises.
Enfin, au delà de l'aspect pratique des vêtements pour lutter contre le froid, ils
sont aussi un attribut esthétique qui fait le charme et la légende des Françaises. Ainsi, le
Figaro publie un article très éloquent à ce propos et défend l'élégance française inépuisable
même avec les restrictions de la guerre :
Cette jeune femme ayant reçu d'un Américain un compliment sur son élégance et plus généralement sur l'élégance des Parisiennes. [...]
On suit aisément une pensée dans le silence d'une femme, mieux que jamais peut être après ces années on l'on a appris à ne plus tout dire, et où les silences ont été si souvent une forme du courage [...]
Cette jeune femme pensait au prix payé pour cette élégance, le prix de tous les jours, celui des soirs sans lumière, des chambres glacées, de l'eau froide, celui des jupes rafistolées, des blouses repassées à minuit ( à l'heure de l'électricité) ».
169 Ibid, 159.170 Le Figaro 17 mars 1945.171 COLLINS WEITZ Les combattantes de l'ombre... op. cit., p.77.172 L'Humanité, 7 février 1945 « Pas de layette pour nos bébés », 7 juillet 1945 « Il n'y a pas de layette pour les bébés... mais la laine de luxe est en vente à volonté ».173 L'Humanité, 19 septembre 1945 « Des vêtements ! Des chaussures ! 3 000 000 de mètres de tissus sont bloqués dans les usines », 11 octobre 1945 « Nourrir, vêtir, chausser la nichée » in « L'enfance notre plus doux espoir... », 16 octobre 1945 « débloquer la toile, les lainages, le cuir, les chaussures » in « Femmes, unissez-vous pour assurer le triomphe d'une véritable démocratie s'écrie Jeannette Vermeersch », 16 novembre 1945 « Des chaussures pour les enfants de fusillés et déportés ».Le Figaro, 18 et 19 août 1946 « M. de Menthon annonce : vêtements, chaussures, articles de ménages... et confirme les 6 litres de vin par mois ».Le Dauphiné Libéré, 27 septembre 1945 « Des chaussures pour les enfants des déportés politiques, des fusillés et patriotes décédés ».Les Allobroges, 5 avril 1945 « les chaussures « Fantaisie » femme, les pantoufles et sabotines sont à nouveaux rationnés » in « Il faut que vous sachiez ».174 Le Figaro, 23 février 1945.175 Le Figaro, 15 novembre 1945.
178
La mère, qui doit subvenir aux besoins les plus divers pour la survie de sa famille, reste
avant tout une femme pour les lecteurs du Figaro.
L'accroissement de certaines responsabilités féminines dûes aux circonstances de
guerre, ne doivent pas signifier une masculinisation de leurs attitudes ou de leurs mœurs.
Les Françaises restent donc dans les mentalités de la Libération des femmes qui doivent
soigner leurs apparences, tout comme elles prennent soin de leur famille.
C/ Août 1944, la guerre n'est pas finie : les femmes contribuent au ravitaillement du frontParis est libéré en août 1944, mais la guerre n'est pas finie avant le 8 mai 1945.
Comme nous l'avons vu, les femmes prennent rapidement conscience que leur quotidien ne
va donc pas s'améliorer tout de suite. Toutefois, la peur d'un retour des Allemands continue
de les hanter176. De ce fait, un appel à la mobilisation générale pour l'effort de guerre va
être lancé, des femmes vont aider le front. En effet, outre les difficultés matérielles et
alimentaires auxquelles les Françaises doivent faire face quotidiennement, la presse de la
Libération met l'accent sur leur engagement pour le soutien aux soldats. Dès octobre 1944,
le Figaro lance un appel à la solidarité envers les soldats de la Résistance Intérieure :
« Aidons les FFI de Bretagne qui combattent sans chaussure et sans vêtements ». Cet
article ne mentionne par directement le rôle des femmes, ce qui est généralement le cas
pour tous les articles d'appel à la générosité dans le Figaro. A l'inverse, l'Humanité fait
l'éloge des nouvelles héroïnes françaises : « les Amies du Front », crée à l'appel de l'Union
des Femmes Française177. Rapidement les « Amies du Front » se dispersent partout en
France et mobilisent des femmes pour diverses actions telles que : « [préparer] le colis de
Noël pour les soldats et leurs enfants »178, « [collecter] vivres et médicaments »179, récolter
de l'argent et des bons de déblocage textile180, réunir des cigarettes, des jeux ou des
livres181. Par ailleurs, l'Union des Femmes Françaises, elle-même, ne reste pas passive
comme le montre cet exemple en Dordogne :
176 VIRGILI Fabrice, La France « virile ». Des femmes tondues...op. cit. p.190.177 Voir chapitre 9.178 L'Humanité, 3 et 4 décembre 1944 « Pas un régiment, pas une compagnie sans marraine », voir annexe B9.179 L'Humanité, 8 décembre 1944 « Attentive au bien être de leurs filleuls hospitalisés les « Amies du front » collectent vivres et médicaments ».180 L'Humanité, 23 décembre 1944 « Les « Amies du Front » de la région de Toulouse ont récolté 35 000 francs, obtenu les bons de déblocage nécessaires et confectionné 2000 colis, pour le front » in « Tout pour le front ».181 L'Humanité, 2 janvier 1945 « Pour vos filleuls ».
179
« l'UFF de la Dordogne a obtenu quelques bons de déblocage textile pour les FFI à la préfecture et à l'Intendance. [...] Jusqu'à 1500 pull-overs par mois pour l'armée avec de la laine fournie par l'Intendance »182.
Elle se présente ainsi comme l'initiatrice des soutiens féminins au front, ce qui est confirmé
en conclusion de leur congrès en juin 1945:
« depuis la libération, elles ont continué leur travail comme « Amies du Front », (..) et comme ouvrières consciencieuses en faisant des heures supplémentaires pour fabriquer des vêtements pour nos soldats »183.
Le PCF place donc les femmes au premier rang de la générosité envers les soldats. Elles
sont les premières mobilisées dans l'union nationale pour la guerre.
De plus, les communistes mettent en avant que l'engagement pour le front n'est
pas uniquement féminin mais que tout le parti est mobilisé. Ainsi, une sous-commission est
mise en œuvre pour coordonner les efforts de guerre :
« le but de cette sous-commission est de rassembler et de coordonner les efforts des différentes organisations afin que tous nos soldats que se battent vaillamment dans des conditions matérielles et morales difficiles, ressentent la sollicitude de la nation »184.
Quelques jours plus tard, les communistes proclament un accord de solidarité envers les
soldats :
« Au comité central du Parti Communiste. Jacques Duclos a traité hier des questions économiques et financières « Ardent accord sur le mot d'ordre TOUT POUR LE FRONT » constate Maurice Thorez »185.
Les quotidiens eux même organisent des collectes de vêtements, médicaments, tissus et
biens usuels (comme des cigarettes ou des livres). Le Figaro lance plusieurs appels dans sa
rubrique « Les Français doivent aider les Français »186 pour que les familles lui envoient
des gants ou du linge. L'Humanité récolte lui aussi des biens pour « ses filleuls », ainsi les
14 et 15 janvier 1945 un premier convoi du quotidien part au front, puis un second le 6
février187. La population française s'est mobilisée pour les soldats par peur d'un retour des
Allemands et par compassion pour tous les sacrifices que ces hommes font pour elle. Le
gouvernement va s'initier également dans cet élan de solidarité en distribuant des « bon du
182 L'Humanité, 13 décembre 1944 « Les femmes de la Dordogne en aide aux soldats ».183 L'Humanité, 19 juin 1945 « Au premier congrès de l'UFF Les trois devoirs de la Femme Française ont été définis par Claudine Michaut », voir annexe B24. 184 L'Humanité, 12 janvier 1945 « L'aide aux soldats ».185 L'Humanité, 24 janvier 1945.186 On peut remarquer qu'au mois de décembre 1944 cette rubrique apparaît sous l'étiquette « Des Français doivent aider les Français » le changement en « Les Français doivent aider les Français » sous-entend un appel à une mobilisation générale de la nation.187 L'Humanité, 14 et 15 janvier 1945 « premier envoi de l'Humanité à ses filleuls », 6 février 1945 « Hier est parti de « l'Humanité » un camion rempli de colis à destination de nos filleuls du front de l'Atlantique […] Ce beau résultat doit nous encourager à redoubler d'efforts afin qu'un nouveau envoi puisse suivre rapidement » in « Tout pour le front ».
180
retour » pour ceux qui ont tout perdu (famille, maisons, métier...), afin qu'ils puissent
rembourser une partie de ce que leur offre les familles ou les restaurateurs. L'image de la
solidarité française domine ainsi sur l'image de la charité chrétienne. Toutefois, les femmes
restent appelées les « marraines » et sont les premières sollicitées pour leur aide.
Par ailleurs, la stigmatisation des femmes comme protectrices des soldats sur le
modèle maternel se poursuit pendant de longs mois. En effet, lors des permissions ou des
retours de certains militaires, des articles lancent des appels aux femmes pour s'occuper de
ces jeunes hommes : « Qui veut héberger des prisonniers et déportés rapatriés ? »188, « pour
les soldats les personnes qui pourraient héberger à Paris, entre le 1er et le 10 avril les
combattants qui ont quitté clandestinement la France pour rejoindre l'armée de la
Libération sont priées de s'inscrire à l'Union des Evadés de France »189. Le Figaro va même
jusqu'à dénigrer les femmes qui ne se montrent pas assez hospitalières190. Il cherche donc à
attiser les élans de solidarité malgré les difficultés quotidiennes de chacun. Les femmes
doivent à la fois s'occuper seules des besoins de leur foyer, mais aussi venir en aide aux
soldats français.
Ainsi, l'image maternelle, nourricière et protectrice des femmes est étendue à
toute la France. Les hommes combattent au front, tandis que les Françaises luttent à
l'arrière pour leur bien-être et celui de toute leur famille. Nourrir, chauffer et habiller
prennent une ampleur considérable dans le quotidien191. Toutefois, les journaux insistent
sur la lutte contre les trafics et le marché noir afin que l'économie puisse se reconstruire
dans l'union sans inégalité régionales ou sociales192.
En conclusion, les femmes furent les gagnantes sur les restrictions et sur les
difficultés du quotidien, car elles ont su faire preuve d'indépendance et de ruses pour
nourrir et vêtir les leurs, même si à de nombreuse reprises tout cela n'a pas suffi193. Au fil
des mois, les restrictions sont de moins en moins supportées, en 1940 les Français ont été
plongés en quelques semaines dans les réalités de la guerre et de la défaite, et en 1944 la
Libération n'est pas accompagnée de l'enthousiasme tant attendu. Les problèmes de la vie
188 Les Allobroges, 1er mai 1945.189 Le Figaro, 28 mars 1945 « Les Français doivent aider les Français ».190 Le Figaro 7 et 8 janvier 1945 « Les jours se suivent Hospitalité... ».191 L'Humanité 11 octobre 1945 « L'enfance notre plus doux espoir... » voir annexe B34.192 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... op.cit., p.311.193 Le Figaro, 8 mai 1945 « Il y a toute notre jeunesse, sous alimentée, anémiée, » in « Les Français doivent aider les Français ».
181
de tous les jours se poursuivent194. Lors du retour des époux, les femmes ne connaissent
aucune évolution dans leur place au foyer. Au contraire, les hommes ont parfois du mal à
se réintégrer dans la société et les femmes peuvent être accusées de ne pas assez s'investir
pour le bien-être de leur rescapé. Il arrive aussi que certains mariages ne tiennent pas le
choc des retrouvailles et les séparations sont alors inévitables. Les femmes ayant commis
la faute de l'adultère peuvent difficilement le cacher, car soupçonnée pendant la guerre, les
rumeurs fusent, ce qui a pu conduire à de véritable drames conjugaux. Finalement, elles
continuent de gérer le budget et le ravitaillement, mais les femmes mariées subissent
toujours l'autorité de l'homme qui fixe la somme disponible et ne distribue les revenus
qu'au fur et à mesure des besoins, étant donné qu'il demeure celui qui gagne le revenu le
plus important (voire le seul)195. Toutefois, des évolutions dans les relations sociales en
France sont perceptibles. En effet, le ravitaillement a mis sur un plan d'égalité les
individus, ce n'est plus leur statut social qui offre des privilèges dans les courses
alimentaires du foyer mais le statut de travailleur, l'âge ou la maladie196. De plus, les
femmes ont appris à faire preuve d'habileté et d'astuce ce qui est tout de même non
négligeable pour leur vie d'après-guerre et a pu accroître la confiance qu'elles avaient en
elles.
194 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... , op. cit., p315.195 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.344.196 VEILLON Dominique, Vivre et survivre en France... , op. cit., p.319.
182
Chapitre 9 – La Libération, une révolution pour les femmes ?
« Je suis entièrement pour le vote des femmes, quelles qu'en soient les
conséquences politiques. Mais je suis bien tranquille : elles ne siégeront pas de sitôt avec
nous. Si les femmes n'ont pas eu les droits jusqu'ici, ce n'est pas la faute des hommes, c'est
la faute des femmes. Elles n'y tiennent pas. Il n'y a pas dix mille femmes en France qui
s'intéressent à la politique »197, ces propos qui pourraient être attribués à de nombreux
hommes politiques de l'entre deux-guerre sont ceux de Léon Blum, en 1932. Toutefois,
nombreux sont également les opposants au droit de vote des femmes, mais celui-ci paraît
de toute manière loin d'être institué d'après les propos du socialiste. Or, une dizaine
d'années plus tard, le 21 avril 1944, une ordonnance donne le droit d'élection et d'éligibilité
aux femmes. Que s'est-il passé entre temps ? La guerre est-elle un vecteur de l'évolution
des mentalités ? Après avoir répondu à ces question nous tenterons de comprendre si dans
le quotidien des femmes tout juste libérées, est-ce l'image féminine traditionnelle
(renforcée par Vichy) ou l'image moderne de l'électrice qui prend le dessus pour les
lecteurs de la presse française ?
I. L'image ancrée de la ménagère et de la mère au foyer« La femme appartient au mari avec ses enfants comme le pommier avec ses
pommes appartient au jardinier »198, cette citation de Napoléon souligne le peu d'évolution
en un siècle des relations matrimoniales. La femme célibataire reste un fruit improductif, et
la femme mariée ne peut disposer de ses droits comme elle l'entend. La Libération ne
change pas ces principes traditionnels, le statut protecteur du mari et la femme qui doit
obéissance et respect sont toujours de vigueur199. Ainsi, la représentation de la femme sur
le modèle de Vichy, repris des Allemands de la femme exaltée en tant que mère et femme
au foyer ne disparaît pas aux lendemains de la guerre, comme nous l'avons déjà avancé
avec l'exemple du ravitaillement. Les changements de mentalités ne peuvent pas surgir
d'un seul coup, mais quelle était donc, au delà des responsabilités du ravitaillement, l'image
des ménagères et des mères que les français avaient à la Libération?
A/ Des célébrations nationales au féminin Les femmes restent à l'honneur des célébrations. En effet, choyée par Vichy la fête
de Jeanne d'Arc continue d'être célébrée à la Libération. Morte sur le bûcher en 1431 à
197 KASPI André [dir], La libération de la France..., op. cit., p.337.198 Ibid. p.339.199 Ibid.339.
183
Rouen, elle devint une figure emblématique de la France à partir du XIXe siècle200.
Exécutée par des représentants de l'Eglise Catholique, elle est à la fois une expression
repoussante du fanatisme religieux et de la violence de l'Eglise. Toutefois, en 1841 Jules
Michelet modifie son statut et fait de sa vie un acte de la naissance de la nation française, il
la présente alors comme « une sorte de figure républicaine, fille du peuple, héroïne de la
patrie, oubliée par une monarchie ingrate et martyrisée par l'Eglise »201, image qui sera
reprise par Jean Jaurès. Ainsi Jeanne d'Arc, par son image de femme du peuple, incarne la
patrie de la France202. En détachant Jeanne d'Arc de sa symbolique religieuse (étant
canonisée en 1920), les politiques utilisent à leurs profits cette héroïne. Dès décembre
1914, Maurice Barrès, précurseur de l'extrême droite en France, fait adopter à l'Assemblée
Nationale une fête pour Jeanne d'Arc, le 13 mai, qui est, selon ses termes, « l'incarnation de
la résistance contre l'étranger »203. Après la Libération, ce fut donc l'opinion d'extrême
droite qui capta la mémoire de Jeanne d'Arc, mais durant les premières années, la figure
resta emblématique chez tous les partis. En effet, la droite française libérée va jusqu'à
comparer des résistantes à l'héroïsme de la Sainte « On m'a parlé avec émotion de Mll R..
surnommée la Jeanne d'Arc de Bretagne »204. La fête nationale de Jeanne d'Arc continua
donc a être célébrée avec tous les honneurs, comme on peut le voir en 1945 : « A
l'occasion de la fête nationale de Jeanne d'Arc le dimanche 13 mai 1945, se dérouleront à
Paris les cérémonies suivantes »205, « L'Union de la Jeunesse Républicaine de France
rendra hommage à Jeanne d'Arc demain 13 mai »206, ou encore « La France entière a
célébré Jeanne d'Arc »207. Cette célébration ordinairement symbole de la République prend
rapidement d'autres dimensions. En effet, les communistes, qui comme nous l'avons vu
célèbrent à la même période la figure héroïque de Danielle Casanova, vont privilégier cette
dernière et associer rapidement les deux célébrations. Ainsi, en 1947, un article de
l'Humanité compare les deux femmes, ce qui permet au journal de souligner que ce n'est
pas la foi de Jeanne d'Arc qui l'a rendu célèbre mais son ambition patriotique, elle est donc
un exemple à suivre208. D'ailleurs, c'est en 1945 que la Gauche prend conscience de
l'importance symbolique de Jeanne d'Arc pour la République, comme le souligne cet
200 CORBIERE Alexis « Pourquoi les politiques se disputent le mythe de Jeanne d'Arc depuis des siècles ? », Nouvel observateur, 7 janvier 2012.201 Ibid.202 BEAUNE Colette Jeanne d'Arc, vérités et légendes, Paris, Perrin, septembre 2008, p.18.203 CORBIERE Alexis « Pourquoi les politiques se disputent ... »op.cit.204 Le Figaro, 17 novembre 1944 « Avec ceux des Blockaus Bretons ».205 Le Figaro, 12 mai 1945 « Demain fête nationale de Jeanne d'Arc ».206 L'Humanité, 12 mai 1945 « Hommage des Jeunes à Jeanne d'Arc ».207 Le Figaro, 15 mai 1945.208L'Humanité, 10 mai 1947 « Celle qui croyait au Ciel et celle qui n'y croyait pas », voir annexe B44.
184
extrait d'un discours à l'encontre de l'extrême droite de Jean Perrin (responsable politique
de Gauche), en juillet 1945: « Ils nous ont pris Jeanne d'Arc, cette fille du peuple,
abandonnée par le roi que l'élan populaire venait de rendre victorieux et brûlée par les
prêtres qui depuis l'ont canonisée. Ils vont essayer de vous prendre le drapeau de 1789 […]
Ils vont enfin essayer de vous prendre cette héroïque marseillaise »209. Enfin, les
célébrations tombant en mai, le rapprochement avec la fête de la Victoire devient
inévitable ce qui se vérifie en 1946 : « Après avoir rendu hommage à Jeanne d'Arc, M.
Félix Gouin assiste, à Paris, à un défilé militaire »210. La représentation patriotique de la
France reste donc celle d'une femme (Marianne, Jeanne d'Arc), symbole à la fois de la
Résistance et de l'aspect populaire des français.
A l'inverse, une fête qui avait peu à peu disparu sous Vichy resurgit à la
Libération, associée par la même occasion à la reprise des bals et des festivités des jeunes
gens : les Catherinettes. En effet, dès 1944, les festivités pour cette journée des célibataires,
se déroulant le 25 novembre, sont de retour: « Sainte-Catherine a retrouvé hier ses
bonnets »211. Au départ, il s'agissait d'une fête religieuse de la virginité, puis son
développement à Paris l'associe directement aux ouvrières de la couture. L'élégance des
bonnets prend alors plus d'importance que l'éloge de la virginité212. Une femme ne semble
donc pas pouvoir chercher un prétendant sans être parfaitement présentable213. Ainsi, les
célibataires dénigrées par Vichy sont à l'honneur, ce jour là. Toutefois, le but de la journée
reste qu'elles trouvent un époux. Afin de faire l'éloge de ces jeunes filles à la recherche
d'un mari, des photos sont publiées dans la presse, soulignant par la même occasion toute
la jovialité de la journée. C'est donc toute l'élégance féminine, l'attitude, les bonnes mœurs
des jeunes filles qui sont soulignées. Cette journée doit être organisée à la perfection, et
aucun écart n'est toléré, comme le souligne tous les préparatifs décrits dans le Dauphiné
Libéré (quasiment quotidiennement au mois de novembre 1945).
Enfin, les femmes restent au cœur des cérémonies d'après-guerre avec l'image
toujours aussi joviale de la fête des mères. En effet, cette célébration, créée en 1926 mais
209 CORBIERE Alexis « Pourquoi les politiques se disputent ...op.cit.210 Le Figaro, 12 et 13 mai 1946 « La France entière célèbre aujourd'hui le premier anniversaire de la Victoire ». 211 Le Figaro, 26 et 27 novembre 1944.212 ZANCARINI-FOURNEL Michelle, Histoire des femmes en France, XIXe-XX siècle, Presse Universitaire de Rennes, novembre 2005, p.135.213 Le Figaro 26 et 27 novembre 1944 « Mon Dieu, ils ont paru très sages les bonnets. Le manque d'étoffe, de fil, de chauffage les avait réduits à leur plus simple expression. Quelques-uns s'inspiraient de l'actualité guerrière et l'on en vit un qui portait fièrement un minuscule parachutiste, avec son parachute » in « Sainte-Catherine a retrouvé hier ses bonnets » .
185
boycottée les premières années par les Français, prend toute son importance sous Vichy à
partir de 1941. Les articles de la Libération ne font aucune référence au rôle de Vichy dans
la diffusion de cette fête : « Cette manifestation créée depuis 1926 se déroule tous les ans
le dernier dimanche de mai. Exceptionnellement cette année elle a été fixé au 3 juin »214.
Au contraire, cette journée, durant laquelle les mères les plus méritantes sont
récompensées, est un véritable succès populaire. En 1945, ces récompenses sont d'abord
attribuées aux mères qui ont perdu un fils dans la guerre :
« Les mères héroïques, les mamans douloureuses de ceux qui sont morts pour la France, n'ont pas été oubliées. Elles ont reçu l'hommage d'admiration et de respectueuse sympathie auquel leur donne droit leur sacrifice, le plus lourd »215
mais également celles qui ont donné le plus d'enfants à la Patrie :
« En présence du Conseil Municipal, du Conseil général , du préfet de la Seine et sous la présidence de M. Billoux, ministre de la Santé Publique, vingt-cinq mères ayant eu au moins dix enfants ont reçu la médaille d'or de la Famille française : 74 médailles d'argents et 750 médailles de bronze ont été également accordées »216.
Ainsi, au delà de l'aspect familial et festif de cette journée, la fête des mères devient une
véritable cérémonie de récompenses nationales, encourageant la natalité.
Au final, les femmes sont mises à l'honneur des festivités dans cette période de
Libération. Toutefois, ces célébrations rappellent les impératifs pour une Française de cette
période : le sacrifice pour la patrie, être une mère de famille nombreuse et une bonne
épouse.
B/ Des procréatrices belles et élégantes pour l'image de la France« A quoi bon la victoire, si la France n'a pas d'enfant ! »217. En effet, au sortie de la
guerre, la situation démographique est alarmante218, ce qui explique pourquoi l'image des
bonnes mères est flattée. Le gouvernement craint que cette chute démographique ne nuise à
la croissance économique. Les femmes deviennent l'objet de toutes les attentions. Comme
sous Vichy, la France de la Libération va préserver le tissu social de la famille219. Ainsi,
tout en se basant sur les constats des démographes, l'Humanité et le Figaro vont lancer des
appels contre la dénatalité. Dès janvier 1945, le Figaro est le premier à rebondir sur ce
214 Le Figaro, 4 et 6 juin 1945 « Aujourd'hui : journée des Mères ».215 L'Humanité, 5 juin 1945 « Mères héroïques qui ont donné leurs fils humbles mamans aux sacrifices quotidiens ont été honorées dimanche par François Billoux ».216 Le Figaro, 4 et 6 juin 1945 « Aujourd'hui : journée des Mères ».217 Le Figaro, 4 mai 1945 « Sur l'avenir d'un grand peuple » voir annexe C26.218 « La population résidant en France au 31 août 1939 s'élève à 41 500 000, et les décès l'emportent sur les naissance. Au 8 mai 1945, le bilan indique que 39 700 00 personnes vivent en France » in KASPI André [dir], La libération de la France... op. cit. p.342219 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.342.
186
discours politique : « Dénatalité », « les familles punies »220. Ainsi, la défaite de
l'Allemagne approchant, la question de la reconstruction retentit de plus en plus dans la
presse et le Figaro souligne qu'elle est inimaginable dans une France sans descendance. Le
quotidien attaque alors les foyers qui font le choix de ne pas avoir d'enfant, il s'agit
clairement d'antipatriotisme selon le journaliste Georges Duhamel :
« Je connais des ménages qui ont ardemment souhaité l'enfant et qui n'ont pas été exaucés. Ils en souffrent et je les plains. Je connais des femmes intelligentes et courageuses qui sont demeurées « inépousées » comme dit une de mes amies. Je les regarde avec sympathie et regret. Mais ces jeunes ménages qui achetaient, naguère encore, dès le commencement, une auto à deux places et qui ne cachaient pas leur dessein de vivre ainsi en parasites de la société soucieuse, ceux -là, je les méprise courtoisement et je ne leur cache pas »221.
Face à cette vision très critique de la dénatalité, l'Humanité, sans démentir ce problème
pour la société française, focalise ses articles sur les moyens à mettre en place pour
protéger la santé des enfants et encourager les femmes à procréer. Le journal encourage
alors les récompenses pour les fêtes des mères (que nous avons déjà évoquées) et toutes les
décisions gouvernementales qui pourraient encourager les futures mères. Par exemple, un
article d'octobre 1945 précise que selon les communistes, obliger les femmes à rester au
foyer pour qu'elles repeuplent la France n'est pas la meilleure solution. Ils incitent plutôt
les responsables du gouvernement à développer des crèches sur les lieux de travail afin que
les mères puissent allier épanouissement professionnel et fonction maternelle222.
L'inquiétude envers les mères est alors croissante pour les communistes. Ainsi en 1946,
plusieurs publications s’émeuvent des conditions dans lesquelles les mères doivent élever
leurs enfants, ce qui constitueraient un facteur incontestable de dénatalité223.
En outre, c'est aussi l'éducation des enfants élevés sous l'Occupation qu'il faut
surveiller. En effet, endoctrinés ou totalement laissés à leur propre sort, les enfants, qui
sont nés ou qui ont grandi pendant les années noires, connaissent une situation difficile à la
Libération. Au cours de ces années, des études soulignent alors que la criminalité et
l'incivisme s'accroissent considérablement chez la jeunesse224. Les quotidiens mettent en
garde les mères sur ces problèmes et les incitent à faire appel à des organismes pour les
220 Le Figaro, 3 janvier 1945 voir annexe C19 et 10 janvier 1945.221 Le Figaro, 4 mai 1945 « Sur l'avenir d'un grand peuple », voir annexe C26.222 L'Humanité, 12 octobre 1945 « L'enfance notre plus doux espoir », voir annexe B35.223 L'Humanité, 2 janvier 1946 « « Ces beaux poupons nés hier avec la nouvelle année connaîtront-ils des « lendemains qui chantent » ? Souhaitons-leur force et santé et travaillons ferme pour leur épargner les mauvais jours que nous avons vécus ! » in « Que leur apportera 1946? », 7 janvier 1946 « Ambroise Croizat décide d'augmenter la prime d'allaitement », 10 mai 1946 « Aidons les mamans à protéger les berceaux », 28 août 1947 « J'attends mon sixième enfant pour octobre... Je mets tous mes espoirs en notre grand Parti ».224 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.464.
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aider. Par exemple l'Humanité envisage l'extension de la capacité d'accueil des maisons
maternelles face à la dérive de certains adolescents :
« Juin 1940. [...] une mère de quatre enfants de cinq à douze ans. Pour tout bagage de maigres baluchons. Pas de provisions ; il faut vivre. L'aîné un gamin aux yeux malicieux, l'air ouvert, se débrouille et ravitaille la famille. Les épiceries des bourgs évacués, la basse-cour des fermes abandonnées pourvoient au menu de chaque jour. [...]L'enfant est maintenant un grand garçon de dix-sept ans dont la malice du regard a pris quelque chose d'inquiétant et de louche. J'ai revu la mère.- Mon mari a été tué, m'explique-t-elle. Je reste seule avec les quatre petits. Une mère dont la vaillance s'use peu à peu et dont l'autorité ne s'exerce que par sursaut. Au dehors, les « copains », les « combines », la « resquille » »225.
Dans la même mesure, le Figaro met en garde les familles dont les enfants n'ont pas connu
leur père ou se sont habitués à défier l'autorité de leur mère. Elles sont donc appelées à
faire appel à des aides extérieures, comme le fit cette femme en demandant des conseils
pour l'éducation de son fils au ministère des Prisonniers et Déportés :
« Quelle carrière lui choisir ? Fallait-il lui faire poursuivre ses études ou lui donner tout de suite une profession ? Comment le déterminer lui-même dans son choix? »226.
Le paternalisme de la société est donc encore visible dans ces choix d'éducation, mais les
femmes restent les responsables de leur enfant en l'absence du mari. Pendant l'Occupation
déjà, la délinquance juvénile était généralement associée à l'incapacité des mères à
s'occuper de l'éducation de leurs enfants227, mais l'assurance qu'elles ont acquis durant cette
période leur permet de contrecarrer ces accusations à la Libération. Les quotidiens sont
conscients de tous les sacrifices dont les femmes ont fait preuve pendant l'Occupation, ce
qui explique pourquoi ils préfèrent trouver des solutions à la dénatalité et à la délinquance
des adolescents plutôt que de dénigrer l'éducation que les femmes ont choisi pour leurs
progénitures. Enfin des publicités vont jusqu'à utiliser cette relation intergénérationnelle
pour promouvoir leur produit. Ainsi, la petite fille est incitée à suivre le modèle parfait de
sa maman.
225 L'Humanité, 13 octobre 1945 « L'enfance notre plus doux espoir », .226 Le Figaro, 14 décembre 1944 « Les hommes de demain » voir annexe C18.227 BARD Christine, Les femmes dans la société ...op.cit. p.135.
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En outre, les publicités sont également employées pour rappeler aux mères
l'importance de prendre soin de leur corps et de l'image qu'elles donnent d'elles. Ainsi, les
publicités pour les régimes ou contre la fatigue foisonnent228. Cependant, ce sont surtout les
articles sur la mode qui incitent le plus les femmes à l'élégance. Le Dauphiné Libéré
accorde une importance privilégiée à la mode parisienne qui doit être un modèle pour les
Dauphinoises229. Les quotidiens nationaux se consacrent tout autant à ce sujet. Le Figaro
publie deux articles très éloquents à ce propos : « La mode française fait sa rentrée aux
Etats-Unis » puis quelques jours plus tard « Enfin... Londres admire les dernières création
de Paris »230. Ces articles révèlent le lien entre la mode parisienne et la relance
économique. La mode reste pour les Français le seul secteur de leur économie qui n'a pas
été complètement détruit par la guerre, ce qui justifie l'intérêt qu'ils lui accordent. Les
Françaises, les Parisiennes tout particulièrement, doivent donc représenter cet idéal de
l'élégance française.
Ces femmes doivent donc donner une belle image de la France tout en étant des
procréatrices actives et efficaces. Elle sont donc mobilisées d'une manière spécifiquement
féminine pour la reconstruction du pays.
228 L'Humanité, 26 décembre 1944 « La femme trop grosse se fatigue vite », 13 février 1945 « Contre la fatigue physique chez les femmes ».229 Le Dauphiné Libéré, 10 septembre 1945 « La mode de demain », 10 novembre 1945 « La Haute Coiffure vient tenir ses Etats-Généraux » voir annexe D10, 11 janvier 1946 « Révolution de l'art capillaire la « permanente à froid » fait à Grenoble sa première apparition en Province », 19 août 1946 « Ambassadrices de la mode française ».230 Le Figaro, 29 août 1945 et 13 septembre 1945.
Illustration 7: L'Humanité 26 décembre 1944
189
C/ Témoins de la guerre et porteuses de valeursMénagères, mères ou sinistrées, les femmes ont dû faire face à tous les aspects du
quotidien de guerre. De ce fait, même si les mentalités de l'époque les associent encore à
une représentation traditionnelle, les Françaises de la Libération s'imposent comme les
témoins de la vie sous l'Occupation et sont porteuses de nouvelles valeurs. En effet,
comme nous l'avons vu, étant les premières tourmentées par le ravitaillement, l'étalement
sur le long terme de celui-ci va engendrer des manifestations de plus en plus massives de
la part des ménagères. Au delà de ces reproches, elles vont également prendre part à
diverses organisations d'après-guerre telles que « les veuves de guerre de 39-45 »,
« l'association des internés et déportés politiques »... Cependant, leurs voix s'entendent
surtout lors du comité international de novembre 1945, auxquels se greffe alors une
exposition :« Nous les femmes », dont l'Humanité vante la splendeur231. Ce « congrès
international des femmes »232 est d'obédience communiste, mais les principes défendus sont
des idéaux humanistes internationaux, comme le prouve l'intervention de l'Espagnole
Dolorès Ibarruri.
«-Jamais, dit-elle, les femmes, les mères n'oublieront le passé d'horreur, de douleurs, de larmes que nous venons de vivre [...]
-Nous voici réunies, déclare-t-elle, pour trouver un moyen de lutter contre le retour de la guerre et du fascisme »233.
Cette volonté internationale des femmes de consolider la paix est d'ailleurs également
mentionnée par le Dauphiné Libéré : « Les Femmes et la Paix dans le Monde »234. Le
Figaro, lui, ne fait pas mention de ce comité, mais ne dément pas le rôle des femmes dans
la paix comme le corrobore une publication en septembre 1945 qui fait l'éloge de six
jeunes résistantes françaises choisies pour témoigner de la Seconde Guerre mondiale aux
Etats-Unis235. Ainsi, le quotidien, tout en reconnaissant les souffrances endurées par les
Françaises, atteste de sa volonté que rien ne soit oublié de ces dernières années
d'Occupation : « faire sentir l'atmosphère de l'occupation, faire saisir à nos amis
d'Amérique comment il nous était amer d'avoir perdu la liberté ». D'après le Figaro, les
femmes sont donc l'exemple parfait des Français qui ont vécu la guerre sur leur propre sol.
Le million de prisonniers de guerre auxquels s'ajoutent les déportés (dont les statistiques
231 L'Humanité, 16 et 17 décembre 1945 « L'exposition « Nous, les femmes » Vous y ferez le tour du monde... ».232 L'Humanité, 28 novembre 1945.233 Ibid.234 Le Dauphiné Libéré, 6 décembre 1945.235 Le Figaro, 25 septembre 1945 « Six jeunes conférencières parlent de la France aux Américains », voir annexe C30.
190
montrent une supériorité masculine) ne peuvent pas décrire la peur quotidienne qui fut
celle de la vie sous l'Occupation. Ce sont donc des femmes sensibles, anglophones et
bonnes interlocutrices qui sont recrutées pour cette mission, dans le but de rendre encore
plus touchant les discours pour les Américains. Néanmoins, ces critères soulignent
l'exception que représentent ces jeunes conférencières, puisque les caractéristiques requises
sont loin d'être représentatives de toutes les Françaises : « concours dont le but était de
choisir, entre les femmes de la Résistance ayant des titres universitaires et sachant parler
l'anglais » . Par ailleurs, cet article permet intelligemment au Figaro de critiquer la
mauvaise réception en France des témoignages :
« -L'accueil que j'ai reçu, dit-elle m'a donné pleine confiance. Le public est extrêmement ouvert : s'il n'est pas bien informé, il ne demande qu' à l'être et il est très anxieux d'avoir un contact direct avec quelqu'un qui a vécu ce dont il parle. Il ne vous écoute jamais avec l'intention de vous critiquer ou de ne pas vous croire. Mais il est extrêmement sensible et il faut qu'il sente la sincérité du conférencier ».
Enfin, ces quelques femmes qui parviennent à se faire entendre et à militer pour la paix,
s'accompagnent d'autres qui triomphent dans le monde intellectuel et professionnel.
Même si juridiquement la France n'a pas connu de changement dans les années
d'après guerre, la proportion des femmes à travailler en dehors de leur foyer s'accroît236.
Quelques femmes s'imposent alors dans le monde littéraire et intellectuel, telle que
Gabriela Mistral237, Mme Colette238, ou encore Esla Triolet239, mais des femmes avaient
réussi cela déjà avant la guerre comme Anna de Noailles240. Parallèlement, les
revendications pour une égalité salariale241 et la diminution de l'exclusion professionnelle
des femmes progressent, tout particulièrement dans le milieu communiste :
« Si nous prenons quelques industries décisives, la métallurgie, le textile, par exemple, le nombre de femmes qui y sont employées est très élevé.[...] C'est aussi au nom de la famille que certains combattent la participation des femmes à la vie sociale et économique.
236 DURAND Yves, Histoire générale … op. cit., p.343.
237 L'Humanité, 13 et 14 janvier 1945 « Gabriela Mistral, prix Nobel de littérature dénonce les survivances de l'esprit fasciste ».238 Le Figaro, 3 mars 1945 « Mme Colette élue à l'Académie Goncourt ».239 L'Humanité, 3 juillet 1945 « Elsa Triolet prix Goncourt ».Le Figaro 3 juillet 1945 « Le prix Goncourt est décerné à Elsa Triolet ».240 BARD Christine « Les femmes et le pouvoir politique dans la France de l'entre-deux-guerre » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique, Paris, L'Harmattan, 1997, p.50.241 Le Figaro, 10 novembre 1944 « les femme sont satisfaites d'avoir enfin le droit de vote, elles s'élèvent unanimement contre une injustice qu'il faut réparer (...) l'égalité des traitements de salaires » in « La journée politique Le salaire féminin »L'Humanité, 5 juillet 1945 « Marie Couette s'élève contre l'inégalité des salaires au détriment des femmes » in « Hier à l'Assemblée consultative
191
Mais pourquoi donc la famille exigerait-elle qu'un de ses composants fut en quelques sortes exclu d'une partie de la vie collective et uniquement restreint au travaux domestiques peu propres à l'élévation de la pensée? Egalité des salaires. Des crèches. Des pouponnières »242.
De ce fait, les femmes, tout en restant avant tout des mères et des ménagères, parviennent
peu à peu à gagner leur émancipation dans le monde intellectuel et professionnel. Certaines
obtiennent même de hauts postes comme chefs d'entreprises. D'ailleurs, l'une d'entre elles,
Mme Foinant, va jusqu'à obtenir un siège à la Chambre de Commerce243.
Les femmes ont donc vu accroître la reconnaissance de leur statut social. Ayant
connu les contraintes et les tortures de la vie quotidienne sous l'Occupation, ce vécu leur
offre quelques privilèges à la Libération. Toutefois, les femmes citées dans cette partie ne
sont que des cas exceptionnels. Même si le travail à l'extérieur du foyer progresse, il reste
basique et moins payé que celui des hommes. Le mari reste le décisionnaire de la famille et
peut donc empêcher sa femme de travailler, c'est ce qu'on peut constater avec l'exemple du
démocrate-chrétien Georges Bidault qui met sa compagne, diplomate, en disponibilité en
décembre 1945244.
En conclusion, la représentation française des femmes à la Libération reste l'image
des mères, ménagères qui prennent soin de leur présentation et de leur bonne tenue. Les
publicités et les enquêtes accentuent ces caractéristiques féminines. Parallèlement,
certaines parviennent à trouver quelques portes d'émancipation, mais elles restent des
exceptions. Leur statut de témoin de l'Occupation leur confère une nouvelle assurance et
légitimité lors de leur prise de parole, mais hormis quelques exceptions, leurs
revendications ne sont entendues que lors de congrès ou de comités spécifiquement
féminin. Même si certaines ont continué à travailler en dehors de leur foyer, ce choix n'est
accepté avec conviction que par le milieu communiste. Les autres ne le condamnent pas
explicitement mais ne soutiennent en rien ces choix, ce qui explique par exemple pourquoi
les crèches revendiquées par les communistes ne sont toujours pas mise en œuvre à la fin
de 1945245.
242 L'Humanité, 8 septembre 1945 « Permettre aux Françaises l'accès à toutes les formes de l'activité nationale ».243 Le Figaro, 8 mai 1946 « Et elle réclame pour les 3 500 000 Françaises qui dirigent une entreprise une plus grande place dans la vie nationale » in « Maître de forges, Mme Foinant est la première femme siégeant à la Chambre de Commerce ».244 Le Dauphiné Libéré, 24 décembre 1945 « M Georges Bidault a mis sa fiancée en disponibilité ».245 L'Humanité, 12 octobre 1945 « L'enfance notre plus doux espoir », voir annexe B35.
192
II. La citoyenneté féminine en France : une conquête de la guerre? « En même temps que les Français seront libérés de l'oppression ennemie [...]
toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l'ennemi chassé du
territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale
qui décidera souverainement des destinées du pays »246. Ces propos sont ceux du général
de Gaulle en 1942, il officialisait alors sa volonté d'offrir le droit de vote à la gente
féminine. Après de longs débats à l'Assemblée consultative d'Alger, une ordonnance est
votée et adoptée par cinquante et une voix contre seize, le 21 avril 1944. Cette décision ne
fait pas l'unanimité de l'opinion française, même parmi les résistants. Nous allons donc
nous interroger sur l'évolution de la représentation des femmes qui suscitent ce droit. Les
journalistes de la presse quotidienne étaient-ils favorables au vote des femmes ? Avait-elles
des chances d'être élues ? Est-ce réellement une évolution pour leur place dans la société ?
A/ Le droit de vote au féminin vu par la presse« La femme conquiert enfin l'égalité »247, cette phrase soutenue par l'Humanité alors
que la bataille fait encore rage dans Paris, souligne l'enthousiasme que les communistes
portent à ce nouveau droit. A la Libération le PCF est conscient de l'aide que peut lui offrir
ce nouvel électorat. En effet, les réticences que suscitaient cette acquisition du droit de vote
pour les femmes furent finalement battues en brèche par l'argumentaire, à Alger, du
communiste Fernand Grenier248. Le PCF se trouve donc en position de premier protecteur
pour les droits des femmes ce qui est un avantage pour son image auprès des nouvelles
électrices. Les communistes espèrent alors attirer les 12 millions de nouvelles électrices249
au sein de leur organisation250. Toutefois, le MRP, parti démocrate-chrétien fondé par des
résistants, obtient après la guerre le soutien majoritaire des femmes251. Le Figaro décrit
alors sa joie face à ce nouvel électorat, ce qui n'était pas réellement le cas avant qu'elles
acquièrent ce droit:
« Je ne puis m'empêcher de songer aux sourires sceptiques qui ont accueilli dans certains milieux cette réforme capitale pour pour la vie du pays. […] Un pays qui s'honore de posséder des
246 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.338.247 L'Humanité, 22 août 1944 « Les femmes dans les Mairies ».248 L'Humanité, 28 août 1946 « Il ne faut pas oublier le rôle joué par les femme pendant la guerre et depuis la Libération. C'est grâce à une intervention de Fernand Grenier à l'Assemblée consultative d'Alger que le droit de vote fut accordé à la femme ainsi que l'éligibilité » in « Hier à la Constituante ».249 Estimation de femmes de plus de 21ans à la Libération donnée par MARTIN Virginie « Les premiers votes des femmes Vécus et schémes de représentations 1944-1946 » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique...op.cit. p.57.250 L'Humanité, 24 août 1944 « Héroïques femmes de Paris ! Le parti communiste français vous ouvre ses rangs », 14 octobre 1944 « femmes de Paris, entrez au Parti ! » in « Après le magnifique hommage aux victimes du nazisme ».251 COLLINS WEITZ Les combattantes de l'ombre... op.cit. p.359.
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institutions démocratiques n'a pas le droit d'écarter de la chose publique plus de la moitié de sa population. Jusqu'ici un ivrogne avait son mot à dire. Une mère de famille devait se taire. »252
Le monde Catholique comprend l'enjeu de cette nouvelle citoyenneté et entend diriger ses
fidèles féminines, qui sont très nombreuses253. Par ailleurs, le milieu de la Résistance joue
également un grand rôle dans les choix politiques des femmes à la Libération. En effet,
leur acquisition du droit de vote est présentée comme une récompense pour la participation
des femmes à la Résistance. Même de Gaulle a laissé croire à un lien direct entre
Résistance et droit de vote des femmes, afin d'accroître dans les esprits l'idée d'union de la
nation dans la Résistance. Les quotidiens présentent cette acquisition comme héroïque, afin
de s'attirer les faveurs aux urnes des femmes. La presse communiste est la première a
valoriser ce lien : « Aux armes citoyennes ! La France dans la bataille »254, « ce droit elles
l'ont bien gagné par les souffrances qu'elles ont subies pendant cinq années de guerre et par
le rôle actif qu'elles ont joué dans la lutte contre l'Allemagne et Vichy »255, « Odette
Duguet, déportée rapatriée de Ravensbrück, du bureau de l'UFF s'est félicitée de l'attitude
des femmes françaises qui par leur courage ont conquis les droits politiques » 256, « un
million d'hommes et de femmes dans les rangs de notre Parti, c'est le résultat de nos efforts
pour organiser la bataille de la Résistance »257. Le Figaro reste plus discret sur ce lien entre
Résistance et droit de vote, une seule allusion explicite cette pensée :
« je devrais pourtant dire qu'il y a eu des femmes combattantes, des femmes héroïques, des femmes martyres. Je ne veux faire ici allusion qu'à la masse. Si le travail des hommes a été dur, je demeure convaincu que la tâche des femmes l'a été plus encore. Outre leurs obligations quotidiennes, elles ont eu à vaincre mille difficultés que nous n'avons pas connues »258.
Le Figaro privilégie donc l'héroïsme au quotidien des mères au foyer et des ménagères
plutôt que celui des résistantes, beaucoup moins nombreuses. Ainsi, l'injustice devant le
droit de vote a été abrogée, et malgré les réticences, chaque Français est conscient que ce
nouvel électorat a un poids considérable. En effet, les premières élections municipales sont
décidées en avril et mai 1945, leur vocation provisoire restant tout de même une évaluation
du climat politique de la France libérée. Les prisonniers de guerre et les déportés ne sont
pas rentrés, et la presse est chagrinée de voir le premier vote des femmes s'exercer en
252 Le Figaro, 19 octobre 1944 « La journée politique Les femmes votent », voir annexe C6.253 MARTIN Virginie « Les premiers votes des femmes Vécus et schémes de représentations 1944-1946 » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique...op.cit. p.68 à 70. 254 L'Humanité, 24 août 1944.255 Les Allobroges, 27 avril 1945 « Aux urnes citoyennes ! » voir annexe D5.256 L'Humanité, 27 novembre 1945 « Faire triompher dans le monde les droits de la femme Mère travailleuse citoyenne ».257 L'Humanité, 4 septembre 1945 « Le discours de Maurice Thorez ».258 Le Figaro, 19 octobre 1944 « La journée politique Les femmes votent », voir annexe C6.
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l'absence d'une forte proportion d'hommes : « Première consultation populaire, malgré
l'absence combien regrettable des meilleurs fils de France ! Prisonniers et déportés »259,
« Les élections d'aujourd'hui représentent la première manifestation de cet ordre. On peut
regretter qu'elles se produisent au moment où l'Allemagne est enfin contrainte de nous
rendre les deux millions de Français recelés. [...] Ces élections ont d'ailleurs un caractère
provisoire »260. L'absence des hommes est une explication de l'enthousiasme dont ont fait
part les journaux à la Libération envers le droit de vote des femmes, d'autant plus qu'après
les retours, elles restent majoritaires261. Cette majorité ne suffit pas aux partis de droite
pour s'imposer, les communistes et la SFIO gagnent des voix sur l'échiquier politique262, au
désespoir du Figaro263 et à la joie de l'Humanité264.
En outre, le droit de vote des femmes reste présenté comme un supplément à leur
devoir premier : le foyer et la famille. En effet, les propositions faites en faveur de leur
idéaux restent liées aux principes traditionnels des femmes, comme le défend le Figaro :
« elle votera pour le candidat qui lui donnera - ou qui lui promettra au moins - du beurre,
du gaz, de l'électricité, des cigarettes, de l'étoffe pour habiller ses enfants »265, « Des
questions essentielles comme celles du logement, du travail de la mère en dehors de son
foyer, de la défense de la famille nombreuse, de l'apprentissage ; celles qui ont trait à
l'hygiène, à la lutte contre l'alcoolisme, la tuberculose, la maladie ; les problèmes
d'urbanisme, de l'éducation, de la formation morale et religieuse de la jeunesse, que sais-
je... »266. Le Parti communiste français ne peut pas échapper à ce cadre et la défense de la
famille dans ses propositions devient primordiale : « nous traiteront les questions qui vous
préoccupent : Comment terminer la guerre- Hâter le retour des prisonniers et déportés-
Combattre le sabotage du ravitaillement- Protection de l'enfance, de la femme et de ses
259 Les Allobroges, 28 avril 1945 « Première élections ».260 Le Figaro, 29 avril 1945 « La France vote aujourd'hui ».261 Le Figaro 18 avril 1946 « Par l'effet d'une loi générale qui veut que dans presque tous les pays du monde le nombre des femmes soient légèrement plus grand que celui des hommes et par l'effet des circonstances de la guerre plus meurtrières à l'égard des hommes qu'à l'égard des femmes, elles constituent la majorité absolue du corps électoral » in « Le rôle des femmes » voir annexe C35.262 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.534.263 Le Figaro, 5 mai 1945 « cette première consultation électorale depuis que la France est redevenue française a donné plusieurs indications très nettes. La première, c'est que les communistes ont gagné des sièges et des voix […] . Le « Mouvement populaire » - élargissement des « démocrates chrétiens »- enregistre de son côté un succès marqué » in « Le sens des élections », 2 octobre 1945 « le jeu des désistements a favorisé les socialistes, les radicaux-socialistes et les communistes » in « Le 2ème tour des élections cantonales. L'évolution du corps électoral vers la gauche se confirme ».264 L'Humanité, 29 septembre 1945 « 3 830 646 voix au Parti Communiste premier Parti par le chiffre des suffrages ».265 Le Figaro, 7 octobre 1944 « Comment elles voteront ».266 Le Figaro, 26 avril 1945 « Le vote des femmes », voir annexe C24.
195
droits »267 , « Les femmes françaises désirent confier la garde de leur foyer et de leurs
enfants aux vrais patriotes, qui ont lutté pour la Liberté de la République »268. Malgré cette
persistance du stéréotype féminin dans les revendications des partis, les femmes sont
considérées comme l'espoir d'un renouveau civique269. Leur vote est présenté comme
détaché des clivages politiques et doit permettre d'empêcher les manœuvres frauduleuses,
même le Figaro, ordinairement proche du gouvernement, soutient cette politique : « Ce
que nous leur demandons c'est de ne pas suivre notre exemple. C'est de substituer, une fois
pour toutes, le civisme à la politique »270. De plus, c'est dans l'objectif de la paix et de
l'union nationale que leur droit de vote est le mieux accepté. Comme nous l'avons vu par
exemple avec le Comité international des femmes, la volonté de paix et la sensibilité
qu'elles dégagent sont présentées comme des arguments pour écouter leur voix dans la lutte
contre le fascisme et le nazisme. Il y a donc un paradoxe entre l'image conservée et prônée
des mères et ménagères qui veulent uniquement la fin des conflits pour voir rentrer leur
époux, et l'espoir placé en elles par les organes de presse pour voir renaître une France
nouvelle, unie, sans clivages politiques, ni mesquinerie frauduleuse271. Leur vote considéré
comme sensible et instinctif devient alors une preuve de rationalité et de bon jugement.
Cependant, ces qualités ne sont qu'utopiques, l'univers masculin contribuant fortement à
l'influence de leur vote.
B/ L'inexpérience féminine nécessite-t-elle une éducation politique?Le vote des femmes ne peut pas être considéré comme indépendant d'une influence
masculine, qu'elle émane du père, du mari ou du prêtre. De ce fait, même lorsqu'elles
choisissent elles-même de s'informer sur les prochaines élections, les journaux disponibles
chez elles sont ceux achetés par le père ou l'époux ce qui donne une orientation directe à
leur vote272. Les organes de presse diffusent très explicitement une éducation civique et
politique aux nouvelles électrices, même si les quotidien essaie de le nier, comme dans cet
exemple du Figaro : « Elles sont armées aujourd'hui pour collaborer avec les hommes au
redressement de la nation. Elles ont trop peiné pour ne pas savoir où est la voie du salut.
Leur éducation est faite »273. L'apprentissage électoral des femmes ne s'impose pas dans
267 L'Humanité, 8 et 9 avril 1945 « Parisiennes ! Vous viendrez en foule au Vel d'Hiv Mercredi 11 avril, à 19 heures ».268 Les Allobroges, 27 avril 1945 « Aux urnes citoyennes !», voir annexe.269 MARTIN Virginie « Les premiers votes des femmes Vécus et schémes de représentations 1944-1946 » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique...op.cit. p p.77270 Le Figaro 19 octobre 1944 « La journée politique Les femmes votent » voir annexe C6.271 MARTIN Virginie « Les premiers votes des femmes Vécus et schémes de représentations 1944-1946 » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique...op.cit. p.76.272 Ibid, p.70.273 Le Figaro, 19 octobre 1944 « La journée politique Les femmes votent », voir annexe C6.
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tous les périodiques, mais il trouve une place importante au sein du Figaro, de l'Humanité
tout comme dans les Allobroges274. Outre la mise en garde sur l'importance nationale que
ce droit implique, les deux journaux donnent des leçons purement techniques sur le
déroulement du vote tel que où se trouve le bureau de vote, comment utiliser le bulletin
dans l'isoloir, présenter sa carte d'électrice275... Ainsi, tout est fait pour rassurer les femmes
qui ont peur d' « être ridicule »276 en ne sachant pas quoi faire devant les responsables des
sections de vote. En effet, la timidité et l'inexpérience risquent d'être les causes d'une forte
abstention chez les femmes, et la presse joue alors un grand rôle dans cette lutte. Tous
s'unissent dans ce que le Figaro nomme la « grande campagne contre
l'abstentionnisme »277, dont diverses causes sont encore ajoutées, principalement les enfants
ou l'éloignement des bureaux des votes278. De plus, comme nous l'avons vu, des
explications très didactiques vont être données aux nouvelles électrices, mais des rubriques
pédagogiques vont également être publiées telles que « Ginette comment voteras-tu ? » au
sein de l'Humanité. La fonction prioritaire de ces articles est d'inciter les Françaises à aller
voter à et encourager leur entourage à faire de même : « Ce droit-là, puisqu'on me le
donne, je ne vais pas le laisser aux autres ! »279, « Les femmes doivent donc voter. Mais là
ne s'arrête pas leur rôle. Elles doivent aussi « faire voter »280. Toutefois, ces publications
soulignent également l'attitude naïve que l'on attribue aux femmes dans ces années là :
« J'ai vu dans l'Huma (sic) que le « trust blanc » nous prive de lait. Mais qu'est-ce que ça
veut dire au juste ? Je t'expliquerai cela une autre fois »281, « elle prend son rôle très au
sérieux [demande conseil à son mari] le fâcheux c'est que j'ai dû avouer qu'il y avait encore
quelque obscurités là-dedans même pour un cerveau masculin »282. Ainsi, même les articles
écrits par des femmes, comme c'est le cas pour l'Humanité, sous-entendent que les femmes
ont du mal à comprendre la politique. Il semble alors que ce soit plus des valeurs que de
réelles idéologies politiques que les femmes tendent à défendre par leur vote.
En outre, les instructions civiques données par les quotidiens laissent rapidement
apparaître des clivages d'opinions entre eux. En effet, le Figaro, conscient de l'influence
274 MARTIN Virginie « Les premiers votes des femmes Vécus et schémes de représentations 1944-1946 » in LE BRAS-CHOPARD Armelle, MOSSUZ-LAVAU Janine [dir.], Les femmes et la politique...op.cit. p.61.275 Les Allobroges, 26 avril 1945 « Chronique féminine Je ne sais pas voter » voir annexe D4.Le Figaro, 26 avril 1945 « Le vote des femmes » voir annexe C24.276 Les Allobroges, 26 avril 1945 « Chronique féminine Je ne sais pas voter » voir annexe C24.277 Le Figaro, 18 avril 1946 « Le rôle des femmes » voir annexe C35.278 Le Figaro, 18 octobre 1945 « Pour ceux qui se sont abstenus ».279 L'Humanité, 29 novembre 1944 « Ginette comment voteras-tu ? » voir annexe B8. 280 Le Figaro, 18 avril 1946 « Le rôle des femmes », voir annexe C35.281 L'Humanité, 5 décembre 1944 « Ginette comment voteras-tu ? » voir annexe B10.282 Le Figaro, 7 octobre 1944 « Comment elles voteront ».
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que les hommes ont sur les femmes, tend avant tout d'instruire la gente masculine de
l'importance politique de ce nouveau droit féminin283. L'Humanité, lui, organise
directement ses articles vers des éloges au PCF284. Respectivement, les deux quotidiens
veulent donc attirer le nouvel électorat féminin vers leurs propres choix politiques.
D'ailleurs, des articles vont jusqu'à s'attaquer directement au parti adverse à l'approche
d'élection avec des propos tels que : « Le MRP ou la Machin à Ramasser les
Pétainistes »285, « Contre le RPF instrument du pouvoir personnel se dressent les
républicains groupés dans les Comités de vigilance »286 et inversement « le fait
communiste »287, mais également avec des caricature288. Néanmoins,, là où le clivage
oppose définitivement les politiques éducatives des quotidiens est le débat autour de la
notion de « référendum ». En effet, le référendum d'octobre 1945 monopolise l'attention de
tous les quotidiens, mais chacun a une opinion précise et souvent radicale. Les
communistes n'hésitent pas à associer la proposition de de Gaulle à un plébiscite sur le
modèle romain : « rejet unanime du referendum (sic) à tendance plébiscitaire »289, « Il y a
75 ans s'effondrait le régime plébiscitaire qui avait conduit la France à Sedan »290,
«Référendum ? Non, plébiscite ! »291. Ainsi, lors de la formulation officielle du référendum
voici leur choix de vote :
« 1° Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit Constituante ? OUI
2° Approuvez-vous que les pouvoirs publics soient jusqu'à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution organisés conformément aux dispositions du projet de loi ci-contre ? NON »292.
Les communistes développent donc très explicitement leur lutte contre le référendum et
espèrent que les Français et les Françaises suivront leur choix pour une assemblée
souveraine. En effet, conscient du nombre de sièges qu'ils peuvent gagner, cette assemblée
serait bien plus bénéfique pour eux. Parallèlement, le Figaro, nuancé tout d'abord sur la
première question, soutient directement de Gaulle sur la deuxième. Puis, comprenant que
283 Ibid.284 L'Humanité, 5 décembre 1944 « Ginette comment voteras-tu » voir annexe B10, 23 décembre 1944 « Ginette comment voteras-tu ? » voir annexe B11.285 L'Humanité, 7 et 8 octobre 1945.286 L'Humanité, 16 avril 1946.287 Le Figaro, 22 novembre.288 L'Humanité 22 octobre 1945 voir annexe B36.289 L'Humanité, 19 juillet 1945 « A la consultative, rejet unanime du referendum à tendance plébiscitaire et du système d'irresponsabilité gouvernementale par la Commission de réforme de l'Etat qui adopte la question préalable contre les projets officiels ».290 L'Humanité, 4 septembre 1945.291 L'Humanité, 19 octobre 1945.292 L'Humanité, 18 août 1945 « Comment vous répondrez au référendum », 26 et 27 août 1945 « Les Français et les Françaises voteront le 21 octobre pour la République et la Démocratie » voir annexe B31.
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son intérêt est dans un « oui » au deux questions, le Figaro explique sa décision malgré
l'ambiguïté que continue à poser la première question :
« limiter le dégât, c'est à dire à faire en sorte que le premier « oui » (« oui » acceptation à la Constituante Unique et à la Constituante seulement) ne puisse pas être interprété, par les partisans de la Chambre unique comme une indication de la volonté populaire en ce qui concerne la Constitution définitive »293.
Finalement, le référendum est un échec communiste ( avec 92% de oui à la première
question et 66% à la deuxième294), mais en même temps, ils gagnent les élections des
députés295, le conflit entre communistes et de Gaulle est donc véritablement ouvert296. Lors
du nouveau référendum en 1946, le PCF ne fait pas de grands discours pour induire le vote
des femmes, à l'inverse du Figaro297.
Les femmes subissent donc une instruction civique et politique par la lecture de la
presse. L'abstentionnisme étant vu comme un problème grave, tout est mis en œuvre pour
que le vote des femmes s'impose comme un rempart et une nouvelle sollicitation envers les
hommes, même si en réalité le taux d'abstention des femmes reste élevé298. Leur manque
d'expérience tente donc à être pallié par un apprentissage des modalités du système
électoral et de la symbolique de celui-ci. La presse prend son rôle d'éducation avec
importance, toutefois cela est assez périodique, et l'on peut remarquer que ces articles se
situe majoritairement à l'approche d'élections. Les quotidiens usent donc de pédagogie
pour récolter de nouvelles voix pour les partis qu'ils défendent.
C/ D'un rôle actif dans les Associations civiques à leurs élections« Danielle Casanova, secrétaire de l'Union des Jeunes filles de France, membre du
bureau de la Fédération des Jeunesses communistes »299, et héroïne du PCF souligne
l'importance des femmes dans le militantisme du parti d'ores et déjà avant la guerre. En
effet, la loi qui met fin à l'incapacité civile des femmes mariées fut promulguée le 18
février 1938. Ainsi, les communistes n'ont pas attendu l'égalité civique des femmes pour
faire appel à leur soutien, comme nous l'avons vu dans les articles de l'Humanité qui
293 Le Figaro, 31 septembre et 1er octobre 1945 « Mise au point ».294 Le Figaro, 22 octobre 1945 « A trois heures du matin Pour le référendum on comptait 92% de OUI à la première question 66% de OUI à la deuxième question ».295 Le Figaro, « sur 545 sièges parmi lesquels ceux d'Algérie et du Maroc, la répartition officielle est la suivante :Communiste et MURF 152, SFIO et UDSR 142, MRP 141, Radicaux socialistes 25, Modérés 67Indéterminés 18 » in « La France a répondu OUI aux deux questions du référendum ».296 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.181.297 Le Figaro, 18 avril 1946 « Le rôle des femmes », voir annexe C35.298 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.439.299 L'Humanité, 15 décembre 1944 « A la commémoration du Vel d'Hiv exaltant, après Jacques Duclos, devant une assemblée frémissante l'effort de guerre dans l'unité et la renaissance du pays aidé par le pacte franco-soviétique Maurice Thorez s'écrie « Achevons le triomphe de la cause de Péri ».
199
mettent en avant la bravoure et le martyre des militantes communistes dans la Résistance et
la Déportation. L'Union des Jeunes filles de France, puis l'Union des Femmes Françaises,
nées sous l'impulsion de la Résistance, sont très représentatives de ce militantisme. Dès
août 1944, les manifestations et les actions de l'UFF sont nombreuses, ce que souligne tout
particulièrement l'Humanité. Par exemple, leurs membres lancent des appels aux
Parisiennes pour finir la bataille de Paris300, participent à toutes les commémorations
envers les martyrs du nazisme301, accueillent les rescapés des camps302... Ainsi, leur premier
congrès a un grand retentissement dans les journaux303 :
« Lundi 18 juin s'ouvrira au Palais de la Mutualité le premier congrès de l'Union des Femmes Françaises. Ce congrès durera 3 jours.Trois mille déléguées venues de tous les départements français […] jamais encore dans notre pays, on n'a assisté à une réunion de femmes françaises d'une telle ampleur. Nous pouvons dire que c'est vraiment un signe des temps. Les femmes entrent dans la vie publique avec ardeur, avec passion. C'est à nos yeux un progrès considérable de la civilisation »304.
L'apothéose de la réussite de cette organisation est le Congrès international des femmes,
ouvert le 26 novembre 1945 à Paris. Regroupant les délégués de 100 millions de femmes
de vingt cinq pays, les objectifs défendus au cours de ce Congrès recoupent exactement les
principes politiques que se doivent de défendre les femmes : « destruction définitive du
fascisme », « Démocratie et consolidation de la Paix ! », « la situation économique,
juridique et sociale des femmes », «les questions de l'enfance et de l'éducation »305. Ce
rassemblement de femmes qui ne devait être lié à aucun parti politique est en réalité
marqué par la dominance des communistes, et défend très explicitement l'image de la
mère, travailleuse et citoyenne306. Ce statut de mouvement né de la Résistance permet à
l'Union des Femmes Françaises, qui compte 187 269 adhérentes en novembre 1944, puis
628 912 en septembre 1945307, de faire élire deux déléguées à l'Assemblée Consultative :
Mme Péri et Mme Ramart308. En outre, les communistes parviennent également à faire
entendre la voix de leur membres au sein de syndicats, avec des personnalités telles que
300 L'Humanité, 22 août 1944 « Un appel de l'Union des Femmes Françaises ».301 Notamment L'Humanité, 10 octobre 1944 « les sections de l'Union des Femmes Françaises qui vont défiler pendant plus d'une demi-heure derrière un grand portrait de Danielle Casanova » in « L'imposante manifestation du Père-Lachaise [en l'honneur des martyrs de Paris] ».302 L'Humanité, 13 avril 1945 « Les déportés de Ravensbrück arriveront samedi à Paris », 19 avril 1945 « L'Union des Femmes Françaises reçoit les rapatriés de Ravensbrück », voir annexe B16.303 Le Figaro, 18 juin 1945 « Le Congrès de l'Union des Femmes Françaises ».304 L'Humanité, 15 juin 1945 « L'Union des Femmes Françaises », voir annexe B23.305 L'Humanité, 11 septembre 1945 « La parole aux femmes ». 306 L'Humanité, 27 novembre 1945 « Faire triompher dans le monde les droits de la femme Mère travailleuse citoyenne »307 KASPI André [dir], La libération de la France … op.cit. p.178.308 L'Humanité, 9 novembre 1944 « L’Assemblée Consultative a élu hier au premier tour André Mercier vice président et Mathilde Péri secrétaire ».Le Figaro 8 décembre 1944 « Les Associations féminines Leur programme-Leur action » voir annexe C17.
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Marie Couette de la CGT309. Puis, d'autres grands noms poncuent les articles de l'Humanité
au cours de cette période : Jeanette Vermeersch, Lucie Aubrac du MLN, Maria Rabate,
Claudine Michaut, François Leclerq (comité directeur de l'UFF) et tant d'autres encore, que
nous ne pouvons pas toutes citer ici310.
Parallèlement, le Figaro publie une série d'articles sous la rubrique « Les Femmes
votent Les Associations féminines Leurs programmes-Leur action » prouve alors que
l'UFF, ou les associations communistes telles que l'Union des Jeunes Filles de France, ne
sont pas les seules a avoir pris en considération la cause des femmes et leur éducation
politique avant leur acquisition du droit de vote. En effet, l'association la plus ancienne,
mentionnée dans ces articles, date de 1870 : « La Ligue française pour le droit de vote »311.
Dès sa création, une revue « Le Droit des femmes » est publiée, ayant pour but de parvenir
à l'égalité des deux sexes au niveau politique, civique et économique. Encore en activité en
1944, les réformes pour lesquelles elle milite ont trait à la famille et au travail des femmes.
Le Figaro insiste sur l'aspect « a-politique » censé diriger ces associations. Elles ont des
convictions idéologiques d'ordre politique mais ne sont liées à aucun parti. Même lorsqu'il
mentionne l'Union des Femmes Françaises, le journal n'évoque pas son affiliation au
PCF312. Toutes les associations présentées : l'Union féminine civique et sociale313, l'Union
Nationale des femmes314, l'Union Française pour le suffrage des femmes315, Le Conseil des
309 L'Humanité, 8 décembre 1944 « Les débats à l'Assemblée Consultative », 23 mars 1945 « Marie Couette, de la CGT, s'inquiète du sort de nos prisonniers et déportés encore en Allemagne. [...] Marie Couette dénonce les erreurs commises dans la construction et l'organisation des centres d'accueil » in « Raymond Guyot propose des mesures pour un rapatriement rapide et un meilleur accueil des prisonniers et déportés », 27 mars 1945 « A la consultative Budget des Anciens Combattants des Missions aux EU et en GB, des PTT, Marie Couette de la CGT plaide la cause du personnel féminin et des auxiliaires des PTT ».310 L'Humanité, 20 décembre 1944 « De tous les horizons », 8 et 9 avril 1944 « Parisiennes ! Vous viendrez en foule au Vel d'Hiv Mercredi 11 avril, à 19 heures », 12 avril 1945 « « On ne changera rien, sans faire confiance à la femme » a déclaré hier soir au vélodrome d'hiver sous la présidence de Jacques Duclos devant 25 000 Parisiennes enthousiastes Maurice Thorez », voir annexe B15, 15 et 16 avril 1945 « A la gare de Lyon pathétique accueil des premières déportées politiques sauvées de Ravensbrück » voir annexe B17, 2 et 3 septembre 1945 « Une importante intervention d'André Marty », 16 octobre 1945 « Femmes, unissez-vous pour assurer le triomphe d'une véritable démocratie s'écrie Jeannette Vermeersch », 28 novembre 1945 «Au congrès international des femmes ».311 Le Figaro, 25 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe 13.312 Le Figaro, 8 décembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C17.313 Le Figaro, 3 octobre 1944 « L'union féminine civique et sociale rappelle que sa permanence est ouverte tous les jeudis (…) L'Union féminine civique et sociale, qui n'a cessé d'être à l'avant-garde, dans la recherche du progrès social, travaille en dehors de tous les partis politiques », 4 novembre 1944 « Les Femmes votent Les Associations féminines Leurs programmes-Leur action », voir annexe C8.314 Le Figaro 9 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C10.315 Le Figaro, 12 et 13 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C11.
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femmes françaises316, la Section féminine de la fédération républicaine317, la fédération
nationale du vote des femmes, la Fédération nationale des femmes, la femme nouvelle318,
orientent leur campagne pour le droit de vote, la lutte contre l'abstention et la protection de
la famille, qui sont des valeurs chères au Figaro. Toutefois, elles défendent également le
travail des femmes à l'extérieur du foyer, le Figaro semblant peu à peu prendre conscience
de la modernisation inévitable de la société et ne cachant pas ces revendications. Ainsi,
l'éducation politique des femmes passe tout autant par ces organismes, et c'est même la
priorité de certaines d'entre elles : « Dès 1931, la duchesse de la Rochefoucauld organise
des congrès qui constituèrent une véritable école de sciences politiques à l'usage des
femmes »319, « un comité d'entente pour l'éducation civique de la femme »320. Les femmes
ont donc eu accès au monde politique avant l'acquisition de leur droit électoral. D'ailleurs,
sous Vichy, un grand nombre de ces membres ont pris siège au sein des conseils
municipaux, comme ce fut par exemple le cas pour des membres de l'Union Féminine
Civique et Sociale « En 1942, 150 de ses adhérentes sont conseillères municipales.
D'autres participèrent à des Commissions préfectorales et nationales »321.
A la Libération, outre leur devoir d'électrices, les femmes prennent également leur
place en tant qu'éligibles. Dès les élections municipales d'avril, les listes contiennent des
noms de femmes comme Mme Odette Rey, Mme Tavel ou Mme Michallon pour
Grenoble322, mais également à Paris323. Toutefois, ces élections ne sont pas une nouveauté,
étant donné que les femmes avaient déjà accès à ce statut sous Vichy. Il faut donc attendre
les élections cantonales pour voir monter en grade le statut politique des femmes. Ainsi,
dès les premiers résultats, on peut noter dans la presse deux femmes élues : Raymonde
Nedelac dans le sixième arrondissement de Marseille et Camille Santucci pour Toulouse-
316 Le Figaro, 17 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C12.317 Le Figaro, 3 et 4 décembre 1945 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C15. 318 Le Figaro, 8 décembre 1945 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C17.319 Le Figaro, 9 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C10.320 Le Figaro, 17 novembre 1944 « Les associations féminines Leur programmes-Leur action », voir annexe C12.321 Le Figaro, 4 novembre 1944 « Les Femmes votent Les Associations féminines Leurs programmes-Leur action », voir annexe C8.322 Les Allobroges, 28 avril 1945 « Les élections municipales à Grenoble Le programme de la liste de Rassemblement démocratique ».Le Dauphiné Libéré 20 décembre 1945 « Réunion générale de l'Association des Conseillère municipales de l'Isère ».323 Le Figaro, 28 avril 1945 « chaque liste comprend au moins une et souvent deux candidates » in « Guide abrégé à l'usage des électrices parisiennes » voir annexe C25.
202
Centre324, puis quelques jours après apparaissent les noms de Lucie Guerin dans le premier
arrondissement de la Seine et Denises Bastide pour la Loire325. Au total d'après l'Humanité,
les femmes communistes ont massivement réussi à s'imposer aux élections : « Sur 32
femmes élues 17 sont communistes »326 , ce qui semble se poursuivre les années suivantes
puisqu 'en 1946 « sur 28 femmes députés 17 sont communistes »327. Les engagements et les
luttes actives de ces nouvelles élues sont visibles dans la presse : « Au conseil général de la
Seine Maria Rabaté et Pierre Delon réclament une meilleure répartition du lait et de la
viande »328, « Pour la Femme, droits égaux à ceux de l'homme réclame Gilberte Rocca »329,
« Les femmes dans la vie publique, nos élues, prennent leur tâche au sérieux à l'Hôtel de
Ville comme à l'Assemblée Nationale »330. Le respect de leur engagement et l'intégrité de
leur élection est donc flattée. Cependant, on peut aisément relever une spécificité féminine
dans leur élection. Les missions qui leur sont confiées restent en effet attachées aux droits
des femmes, au foyer et à la paix. Jamais un article n'exalte l'élection d'une femme à une
responsabilité de politique économique ou militaire. D'ailleurs, un article du Figaro, en
1947, a directement pour vocation de rassurer les lecteurs sur l'attitude féminine que
conservent les nouvelles élues « Les femmes dans la vie publique la politique ne tue pas
forcément la gentillesse»331. Leurs spécificités féminines sont des arguments qui justifient à
l'époque leur place dans la politique, elles occupent des postes où les hommes seraient bien
moins efficaces :
« C'est devant des problèmes aussi saugrenus, mais tellement humains que la femme peut faire merveille. Elle a plus d'indulgence plus de tendresse, plus de goût pour la minutie que l'homme. Et c'est l'électeur qui est venu souvent la trouver, presque à son corps défendant , la quitte ému et reconnaissant de l'accueil qu'il a reçu. Ce n'est pas à lui qu'il faudra dire que la femme n'a pas de rôle à jouer dans la politique »332.
Elles semblent d'ailleurs conscientes de la spécificité de leur élection comme le montre les
propos de cette candidate aux élections municipales de Grenoble en avril 1945 :
« De quoi vous occuperez vous spécialement dans le futur conseil municipal ?
- Bien entendu, des questions sociales, de l'enfance et du ravitaillement »333.
324 L'Humanité, 2 octobre 1945 « Au 2ème tour des élections cantonales, victoire accentuée de la majorité républicaine ».325 L'Humanité 22 octobre 1945 « Résultats des élections » voir annexe B36.326 L'Humanité, 24 octobre 1945.327 L'Humanité, 5 juin 1946.328 L'Humanité, 27 décembre 1945.329 L'Humanité, 28 août 1946 « Hier à la Constituante ».330 L'Humanité, 21 août 1947.331 Le Figaro, 28 août 1947.332 Le Figaro, 22 août 1947 voir annexe C36 et C37.333 Les Allobroges, 28 avril 1945 « Les élections municipales à Grenoble Le programme de la liste de Rassemblement démocratique ».
203
Ces femmes sont donc élues plus pour leurs aptitudes maternelles, et leur lutte quotidienne
pour un meilleur ravitaillement ou la paix, que pour leur idéologie politique.
On peut donc dire que le droit de vote est présenté par les quotidiens comme une
récompense à la fois pour la participation des femmes à la lutte armée, mais aussi pour leur
engagement quotidien auprès de leurs familles ou pour les soldats du front. D'ailleurs, tous
les journaux font mention de la participation civique des femmes avant l'attribution de leur
droit de vote, ce qui sous-entend que le droit de vote n'est qu'une continuité logique et non
pas une révolution de la guerre. La presse souligne donc une évolution des mentalités, étant
donné qu'un droit de vote revendiqué en France depuis si longtemps semble presque
naturel à la Libération, certains vont jusqu'à parler d'ancienne « injustice sociale »334.
L'élection de femmes ne posent alors aucun problème aux organes de presse à condition
tout de même que leur intérêt reste porté sur des problèmes ayant trait aux causes
féminines.
Dire que la guerre a bouleversé la civilité des femmes est un mensonge. Les
femmes restent les procréatrices d'une nation française en pleine reconstruction, où la
politique nataliste a une place prépondérante, diffusée par les cérémonies pour les fêtes des
mères et les articles dénigrant la dénatalité. Comme sous Vichy, les femmes restent misent
à l'honneur mais elles ont tout de même pris conscience du poids qu'elles représentent dans
la nation d'après-guerre. Elles n'hésitent pas à manifester pour un meilleur ravitaillement
ou à témoigner aux Etats-Unis de leur vécu, mais celles qui ont les capacités de parler en
publique ou de s'émanciper professionnellement restent des exceptions. Toutefois, le droit
à la citoyenneté, promulgué le 21 avril 1944, marque une évolution dans les mentalités. En
effet, depuis plusieurs années déjà, la population française s'est accoutumée du fait que des
femmes prennent part à des associations civiques, en particulier avec l'Union des Femmes
Françaises. De plus, sous Vichy, les femmes participent déjà aux conseils municipaux.
Néanmoins, leur participation décisive aux élections et leur éligibilité sont des nouveautés
très bien accueillies par la presse. Leur éligibilité semble donc naturelle pour occuper des
fonctions dites féminines et où les hommes ont plus de difficultés à faire face. Cependant,
les quotidiens s'inquiètent tout de même de la participation aux élections des femmes, et 334 Les Allobroges 27 avril 1945 « la France de la libération, la France de la Résistance a réparé une vieille injustice sociale : les femmes sont appelées à se prononcer aux élections, elles sont appelées à participer au Gouvernement » in « Aux urnes citoyennes » D5.
204
veulent alors leur conférer une éducation politique. L'environnement familial conserve
malgré tout une forte influence, ce que le Figaro n'omet pas de souligner : « Alors que,
novices encore dans la vie politique, accoutumées par une longue habitude à laisser aux
hommes la responsabilité des décisions qui intéressent l'avenir commun »335. D'ailleurs, la
presse n'est que le reflet de ce que certaines femmes peuvent lire après le choix de leur
époux, car rares sont les femmes qui ont pu avoir accès à la fois au Figaro et à l'Humanité
pour se faire leurs propres idées politiques.
335 Le Figaro, 18 avril 1946 « Le rôle des femmes », voir annexe C35.
205
Conclusion
Suite aux questionnements que nous avons développé tout au long de cette
recherche, on peut en conclure que l'image des femmes dans la guerre, à la Libération, n'est
pas identique d'un organe de presse à l'autre, d'autant plus que des évolutions
chronologiques sont décelables. Le premier constat évident est l'image duale des
Françaises dans la Seconde Guerre mondiale. Dans ces années d'après-guerre, l'épuration
est directement un sujet d'actualité qui vient contrebalancer les éloges faits aux résistantes.
Si l'on compare le nombre d'articles de l'un et l'autre aspect des femmes dans la presse
nationale on peut souligner des différences très nette.
Ainsi, les articles traitant des collaboratrices sont globalement tout aussi nombreux dans
les deux quotidiens, la différence se fait alors sur les articles concernant les résistantes. On
peut dire que l'Humanité accorde beaucoup plus d'intérêt à cet engagement au féminin que
le Figaro, qui pourtant se veut plus conciliant sur les jugements envers les collaborateurs,
et reste le seul quotidien qui publie des articles sur l'engagement militaire des femmes.
Même si ce sujet des résistantes est moins important dans les pages du Figaro, il n'en reste
pas moins que ces articles sont très élogieux envers ces femmes qu'il présente comme des
exceptions. A l'inverse, l'Humanité est encore plus laudatif envers celles-ci, car outre des
femmes d'exceptions, il mentionne de nombreuses anonymes qui ont renforcé les rangs de
la Résistance communiste. La presse régionale n'omet pas de flatter la participation
féminine à la Résistance iséroise et savoyarde, et tout comme dans la presse nationale, ces
éloges sont opposés aux procès de collaboratrices, ou à la mention de tontes.
Figure 7: Comparaison du nombre d'articles traitant de collaboratrices et de Résistantes dans l'Humanité
02468
101214161820
Collaboratrices
Résistantes
Figure 8: Comparaison du nombre d'article traitant des collaboratrices et des Résistantes dans le Figaro
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Collaboratrices
Résistantes
206
Parallèlement, cette double participation des femmes à la guerre a engendré une
mise à égalité dans les risques et les représailles. En effet, au début du XXe siècle, les
différences sexuelles avaient tendance à protéger les femmes et les enfants. Toutefois, la
Seconde Guerre mondiale a dépassé ces frontières, ce que l'engagement des femmes dans
la Résistance n'a fait que confirmer. Ainsi, les Allemands n'ont pas hésité à massacrer des
civils, (femmes, enfants et vieillards compris) que ce soit lors de leur retraite ou en
représaille à des sabotages.
Les résistantes risquaient donc, autant que leurs homologues masculins, d'être
torturées ou envoyées dans des camps de concentration. Leur image de mère et le
stéréotype de leur innocence faisaient alors d'elles des actrices importantes de la Résistance
car elles étaient moins soupçonnées et évitaient un grand nombre de contrôles. Leur
spécificité féminine fut également prise en compte dans les tâches que leur confiaient les
mouvements ou réseaux. Généralement, elles devaient ravitailler le maquis, sauver des
enfants ou bien transmettre des messages en tant qu'agents de liaison. Les tâches qu'on leur
attribuait usuellement avant la guerre restaient donc celles qu'elles prenaient au sein de la
Résistance. Lorsque de rares articles évoquent des prises d'armes par les femmes, il est
toujours fait référence aux soins de l'apparence esthétique et à leur féminité. La presse
présente ces points comme essentiels si les femmes veulent outre passer les frontières
sexuelles sans être trop fortement critiquées. Dans la même idée, la presse souligne que les
tortures infligées lors des interrogatoires de la Gestapo ont pu être orienté spécifiquement
pour les femmes afin de leur imposer des douleurs supplémentaires, tel que la torture de
leur enfants devant elles. Outre les résistantes torturées, la presse fait également état des
résistantes déportées. Elles sont citées à de nombreuses reprises contrairement aux femmes
juives. A la Libération, les Français ne peuvent plus fermer les yeux sur ce fait de la
déportation des femmes, même si la réalité des faits est encore peu connue. En effet, les
témoignages foisonnent après le retour des camps au printemps 1945, mais très vite les
Français rejettent toutes les horreurs de cette période et se plongent dans une longue phase
d'oubli. La presse des années d'après-guerre retranscrit plusieurs de ces témoignages dont
ceux de femmes, mais les Français habitués à quatre années de guerre et de propagande
voient ces récits comme une nouvelle propagande, américaine cette fois-ci. Pourtant, la
déportation aurait pu être l'objet d'une réelle mise à égalité des hommes et des femmes
dans cette guerre. En effet, les camps en tant que lieux de souffrance totalement asexué, les
nazis y ont exterminé les Juifs des deux sexes, tout comme les résistantes n'ont pas
échappé aux camps.
207
A la Libération, les collaboratrices ont également dû faire face aux représailles
que leurs choix ont engendré. En effet, comme pour les hommes, des procès officiels
furent organisés pour juger leurs actions durant la guerre, ce que souligne plusieurs
articles. Parallèlement, elles subirent également les tontes. Les collaboratrices furent donc
des doubles condamnées. Dans un premier temps par la population française, elle-même,
puis par la Justice. Cette humiliation publique des tontes fut donc réservée aux femmes
(outre quelques exceptions masculines telles que des policiers), en étant avant tout une
punition de la « collaboration horizontale ». Cet acte de démonstration publique a été une
exaltation de la vengeance refoulée depuis des années par la population, les Allemands
ayant fui, et les Françaises, s'étant offertes à l'ennemi ou les ayant aidé sont alors les seules
coupables encore présentes sur le territoire français, et subissent donc seules ces
représailles. Ces tontes, n'étant pas des actes de condamnation officielle, mais seulement
des vengeances de la société envers la sexualité décadente de ces femmes ou leur
complicité avec l'ennemi, ne sont que peu mentionnées par la presse de la Libération.
La presse de la Libération souligne donc clairement la dualité de l'engagement des
Françaises et les conséquences que cela a pu avoir pour elles. Néanmoins, comme le
démontrent les articles, les difficultés quotidiennes de l'après-guerre sont similaires à celles
de l'Occupation. En effet, les femmes libérées voient poursuivre leurs angoisses
quotidiennes de trouver des vivres pour le ravitaillement de leur foyer, tout en veillant
particulièrement à la survie de leurs enfants. Ces luttes contre les restrictions vont donc
être un point essentiel de leur image dans la guerre. Les articles mentionnant les problèmes
de ravitaillement comparent toujours avec la représentation ancrée dans les mémoires des
femmes faisant la queue des heures entières devant les magasins pendant l'Occupation. Ces
missions de mères et ménagères consacrent l'image traditionnelle de la Française, mais
permettent en même tant aux femmes de faire preuve de débrouillardise, et d'accroître leur
confiance en elles, d'autant plus que les prisonniers et les déportés qu'elles attendent depuis
des années ne vont pas revenir dès la Libération (il faudra qu'elles attendent le printemps
1945, sans oublier que beaucoup ne reviendront jamais). Ainsi, le nombre considérable de
ces absents et l'étalement dans le temps de leur retour font des femmes les meilleurs
témoins du quotidien sous l'Occupation, comme vient également le confirmer l'image des
sinistrées attendant les travaux de reconstruction.
Ces premiers constats nous donnent une vision globale de ce que la presse reflétait
des femmes dans la guerre, Toutefois, en étudiant plus en détails les exemples et les
structures d'articles des quotidiens, on a pu voir des différences très nettes dans les
208
représentations données de ces femmes. L'Humanité privilégie une image beaucoup plus
moderne de la femme en particulier avec l'image des soldates soviétiques, qui reste malgré
tout la seule représentation des femmes en armes (aucune photographie de Françaises n'est
présentée), mais également avec la mise en avant de la participation des femmes avant la
guerre aux questions civiques et politiques. A l'inverse, le Figaro reste sur une
représentation beaucoup plus conservatrice des femmes, privilégiant l'image de la
responsable du ravitaillement que celle de la grande résistante. Un point en commun est
toutefois visible chez les deux quotidiens (tout comme dans la presse régionale): tous deux
se mobilisent pour une politique nataliste. En effet, les cérémonies pour la fête des mères et
les articles contre la dénatalisation sont repris par tous les quotidiens, car cela est considéré
comme un point essentiel pour la réussite de la reconstruction de la France. La maternité
est donc présentée comme le rôle primordial des femmes. Ce point est d'ailleurs défini
comme un devoir qui vient supplanter le nouveau droit que la guerre a permis d'acquérir
aux femmes : le droit de vote. Ce droit est au cœur de nombreux articles de la Libération
mais reste encore un point de clivage entre l'Humanité et le Figaro. En effet, le premier
présente l'héroïsme des femmes, surtout communistes, dans la Résistance comme la
justification de l'acquisition de ce nouveau droit, alors que le Figaro explique ce nouveau
droit par le courage quotidien dont ont fait preuve les mères tout au long de l'Occupation,
ce qui confirme à nouveau la vision respective des Françaises chez les deux quotidiens
nationaux.
Le droit de vote des femmes est donc, malgré des différences d'un quotidien à
l'autre, présenté à la Libération comme l'approbation du courage des femmes dans la
guerre. Cependant, hormis quelques revendications qu'elles vont parvenir à faire retentir
jusque dans la presse, telles que leur ambition de voir leur statut dans le monde du travail
reconnu, leur mission politique reste présentée comme proche des valeurs qui leur sont
usuellement destinées. Ainsi, ce qui est, à chaque fois, mis en avant est le fait que les
femmes cherchent un candidat qui leur apportera de quoi nourrir et chauffer leur famille,
un candidat qui s'occupera directement de leur quotidien de femmes. L'Humanité, malgré
toute la modernité du Parti communiste jouent également sur ce tableau. Dans tous les
quotidiens, des articles entiers présentent donc la majorité des femmes comme vierges de
connaissances politiques et tentent de les influencer pour l'un ou l'autre bord de l'échiquier
politique, selon leur propre opinion. Par exemple, l'Humanité incorpore sa critique des
trusts au sein de ses articles afin de présenter le PCF comme le meilleur parti pour les
femmes qui veulent un ravitaillement sans contraintes, alors que le Figaro insiste sur la
209
persistance de la domination masculine qui suppose que les femmes devraient suivre l'avis
de leur époux et voter pour les propositions de de Gaulle ou du moins pour les partis de
droite. Les résistantes entrent également dans l'argumentaire politique, comme le confirme
l'Humanité en publiant de grands éloges à l'héroïsme des résistantes et déportées militantes
communistes. Le Figaro, lui-même, reconnaît la participation des femmes à la Résistance
alors qu'il est ordinairement très conservateur sur leur image.
La Seconde Guerre mondiale n'a donc pas modifié les rapports hommes/femmes,
mais l'image donnée par la presse accentue plutôt un renforcement dans le sens
conservateur. L'Humanité souligne tout de même une représentation plus avant-gardiste de
la Française, mais cela était déjà le cas avant la guerre. Ainsi, le conflit a conduit à des
bouleversements pendant quatre ans, offrant des responsabilités de plus en plus accrues
aux femmes, jusqu'à leur obtention du droit de vote. Néanmoins, à la Libération, les
Françaises ont renoué avec leur vie passée. Il est donc plus facile de changer la loi que les
mentalités.
Cependant, les hommes restent les premiers lecteurs de la presse quotidienne, il
serait donc intéressant de comparer l'image que les femmes se sont faites elles-même de
leur participation à la guerre et de leur acquisition du droit de vote. Les résistantes y ont-
elles vu une récompense ? Toutes les femmes ont-elles pris conscience de l'ampleur que
représentait ce nouveau droit ? Pourquoi l'absentéisme des femmes est-il resté si élevé lors
des premières élections et aux référendums ? Est-ce que, comme le sous-entend la presse,
leur manque d'éducation politique et les difficultés que pouvaient représenter pour elles le
déplacement au bureau de vote, sont les justifications qu'elles avançaient de leur
absentéisme, ou bien d'autres facteurs tels que l'influence du père, du mari ou du prêtre ont-
ils eu un rôle prédominent?
210
Sources
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au 7 juin 1946 ; 18 au 28 août 1946 ; 19 et 20 janvier 1947 ; 14 au 19 avril 1947 ; 8 au 11
mai 1947 ; 5 au 7 juin 1947 ; 18 au 28 août 1947.
Le Figaro- 23 août 1944 au 21 janvier 1946 ; 14 au 19 avril 1946 ; 8 au 11 mai 1946 ; 5 au
7 juin 1946 ; 18 au 26 août 1946 ; 19 et 20 janvier 1947 ; 14 au 19 avril 1947 ; 8 au 11 mai
1947 ; 5 au 7 juin 1947 ; 18 au 28 août 1947.
Les Allobroges- 24 août 1944 ; 5 septembre 1944 ; 6 septembre 1944 ; 13 septembre
1944 ; 16 septembre 1944 ; 21 septembre 1944 ; 22 septembre 1944 ; 1er avril 1945 au 11
mai 1945.
Le Dauphiné Libéré – 7 septembre 1945 au 21 janvier 1946 ; 14 au 19 avril 1946 ; 8 au 11
mai 1946 ; 18 au 26 août 1946 ; 20 janvier 1947 ; 14 au 19 avril 1947 ; 8 au 11 mai 1947 ;
5 au 7 juin 1947 ; 18 au 28 août 194
211
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« La vie après la Shoah » de Francis Gillery, produit par Antoine Casubolo Ferro
en 2009.
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« http://clio.revues.org/ »
« histoire-politique.fr/ »
Articles et ouvrages non scientifiques:
• CORBIERE Alexis « Pourquoi les politiques se disputent le mythe de Jeanne d'Arc
depuis des siècles ? », Nouvel observateur, 7 janvier 2012.
DESOURTEAUX André, HEBRAS André Oradour sur Glanes Notre village
assassiné, la Rivière Saint-Sauver, édition Les Chemins de la Mémoire, mars 2001.
PICHON Anne[dir], « Grenoble sous l'Occupation », L'Express, dossier spécial du
n°3149 ( 9 au 15 novembre 2011).
216
Sigles et abréviations utilisés
CFLN : Comité Français de Libération Nationale
CNR : Conseil Nationale de la Résistance
FN : Front National
GPRF : Gouvernement Provisoire de la République Française
MLN : Mouvement de Libération Nationale
PCF : Parti Communiste Français
217
Table de figures
Figure 1: Nombre d'articles sur les collaboratrices selon les quotidiens..............................33
Figure 2: Les collaboratrices dans la presse.........................................................................34
Figure 3: Les Résistantes dans la presse nationale (Le Figaro et l'Humanité).....................45
Figure 4: La "guerre franco-française" dans le Dauphiné Libéré........................................47
Figure 5: Nombres d'articles se référents au patriotisme des femmes déportées...............107
Figure 6: Nombres d'articles sur les femmes torturées et emprisonnées dans la presse....130
Figure 7: Comparaison du nombre d'articles traitant de collaboratrices et de Résistantes
dans l'Humanité..................................................................................................................206
Figure 8: Comparaison du nombre d'article traitant des collaboratrices et des Résistantes
dans le Figaro.....................................................................................................................206
218
Table des illustrations
Illustration 1: L'Humanité 22 octobre 1944.......................................................................141
Illustration 2: L'Humanité 29 novembre 1944...................................................................159
Illustration 3: L'Humanité 25 novembre 1944...................................................................159
Illustration 4: L'Humanité Publicité du mois de décembre 1945.......................................163
Illustration 5: L'Humanité 13 décembre 1944 ..................................................................165
Illustration 6: L'Humanité 16 septembre 1944...................................................................174
Illustration 7: L'Humanité 26 décembre 1944....................................................................189
219
Table des matières
Remerciements .................................................................................................................................................... 3
Sommaire ............................................................................................................................................................. 4
INTRODUCTION ............................................................................................................................................... 5
PREMIÈRE PARTIE : L'ENGAGEMENT DES FEMMES DANS LA GUERRE FRANCO-FRANÇAISE SOUS L'OCCUPATION ALLEMANDE ...................... 16
CHAPITRE 1- LENDEMAIN DE LA GUERRE : LES FEMMES N'ÉCHAPPENT PAS À L'ÉPURATION ....................................... 17
I. Les différentes visions de l'épuration dans la presse ....................................................................... 18
A/ L'Humanité prône la vengeance ................................................................................................ 18 B/ La modération du Figaro ........................................................................................................... 22 C/ Le point de vue du Dauphiné Libéré ......................................................................................... 25
II. La dédramatisation de l'épuration sommaire par la presse ............................................................. 27
A/ Des articles extrêmement rares ................................................................................................. 28 B/ Des accusations de collaboratrices démenties ........................................................................... 29 C/ Les tondues : une réalité beaucoup plus rude ............................................................................ 30
III. Les arrestations et les jugements de femmes ................................................................................ 32
A/ Les femmes les premières compromises dans les dénonciations .............................................. 34 B/ Condamnation des relations intimes avec les Allemands .......................................................... 37 C/ Quelques grands procès de femmes .......................................................................................... 39
CHAPITRE 2- LES RÉSISTANTES FRANÇAISES ENTRE OUBLI ET HÉROÏSME ................................................................ 43
I. Oubli des résistantes dans la presse de la Libération ? .................................................................... 44
A) Un sujet discret dans le Figaro .................................................................................................. 44 B) Le PCF : le représentant de la Résistance massive ................................................................... 45 C) La place des résistantes dans le Dauphiné Libéré ..................................................................... 46
II. Des héroïnes récompensées mais sous-estimées ............................................................................ 48
A) Eloge et prestige au féminin ...................................................................................................... 49 B) Des résistantes récompensées .................................................................................................... 51 C) La cérémonie du 11 novembre 1945 : la reconnaissance nationale de leurs actions ................ 53
III. Une image féminine de la Résistance ........................................................................................... 55
A) Les agents de liaison : une mission féminine connue de tous les Français .............................. 56 B) Au service du bien être des autres ............................................................................................ 57 C) L' engagement armé au féminin ................................................................................................ 60
CHAPITRE 3- L'ENGAGEMENT MILITAIRE DE FEMMES POUR LA LIBÉRATION DE LA FRANCE ....................................... 63
I. Les Forces Françaises Libres et les armées alliées recrutent des femmes ....................................... 63
A/ Des femmes au côté des soldats français ? ................................................................................ 64 B/ Les armées alliées féminines ..................................................................................................... 66
II. L'insurrection nationale : une réussite strictement parisienne ? ..................................................... 68
A/ Peut-on parler d'insurrection nationale ? ................................................................................... 68 B/ La Libération de Paris dans les discours de de Gaulle .............................................................. 71 C/ Les communistes initiateurs de l'insurrection nationale ............................................................ 73
III. Les usages politiques de la notion « d'insurrection nationale » ou de « soulèvement du peuple » entre 1945 et 1947 ............................................................................................................................... 74
A/ Août 1945 : les premières commémorations nationales ont-elles déjà oublié la participation des femmes ? .................................................................................................................................. 75 B/ Les commémorations de la Libération de Paris dans la presse non communiste après 1945 . . . 77 C/ L'insurrection nationale au service du militantisme communiste ............................................. 79
DEUXIÈME PARTIE : PRISONNIÈRES ET DÉPORTÉES : UN FLOU LEXICAL AUTOUR DE LA VICTIMISATION DES FEMMES .................................. 84
CHAPITRE 4- L'IMAGE DE LA DÉPORTATION ET DE LA TORTURE DANS LA PRESSE DE LA LIBÉRATION ......................... 85
I. Le flou lexical à la Libération .......................................................................................................... 85
220
A/ Un vocabulaire confus autour de la notion de « camp» ................................................................. 86
B/ La politique d'union du Ministère des Prisonnières et Déportés brouille le vocabulaire .......... 88
II. De la Libération de Paris à la libération des camps : la découverte de la barbarie nazie. .............. 90
A/ Les premières informations sur la déportation .......................................................................... 90 B/ L’infamie de la torture ............................................................................................................... 91 C/ L'ouverture des camps de l'horreur ............................................................................................ 92
III. La presse et les débats sur le rapatriement .................................................................................... 95
A/ L'organisation des rapatriements : entre choix gouvernementaux et contraintes des Alliés ..... 95 B/ Le conflit entre l'Humanité et Frenay ........................................................................................ 98
CHAPITRE 5- LES FRANÇAISES FACE À LA DÉPORTATION .................................................................................. 102
I. Héroïsme des communistes déportées ........................................................................................... 102
A/ La grande héroïne Danielle Casanova ..................................................................................... 103 B/ Les femmes dans le parti des fusillés et des martyrs .............................................................. 105
C/ L'héroïsme des communistes dans les camps de concentration ................................................... 108
II. La vision de la déportation des femmes par leurs propres témoignages ...................................... 110
A/ La déportation des femmes avant l'ouverture des camps dans la presse nationale ................. 110 B/ L'amplification des horreurs vécues par les rescapés : un phénomène courant ....................... 114 C/ Le silence sur la déportation des Juives françaises .................................................................. 117
III. Le rapatriement des femmes ....................................................................................................... 121
A/ Des premières rescapées de Ravensbrück à l'évacuation complète du camp .......................... 122 B/ La prolifération des modalités de rapatriement de Françaises ................................................ 124 C/ Les femmes doivent se refaire une santé : lieux et conditions ................................................ 126
CHAPITRE 6 – PRÉÉMINENCE DE LA BARBARIE NAZIE : DES INTERROGATOIRES DE FEMMES AUX MASSACRES DE CIVILS ................................................................................................................................................................ 130
I. L'usage de la torture pour faire parler les résistantes ..................................................................... 131
A/ Les interrogatoires de la Gestapo française ............................................................................ 131 B/ Le supplice absolu : assister aux tortures de proches .............................................................. 133 C/ Les bonnes patriotes françaises n'ont pas parlé ....................................................................... 134
II. Des destructions de villages aux massacres de civils ................................................................... 136
A/ La torture de femmes : un scandale dans l'affaire Bonny Laffont ........................................... 136 B/ Des massacres de représailles aux exactions de la déroute allemande : un modèle unique .... 138 C/ Le symbole de la cruauté nazie dans les mémoires : Oradour-sur-Glane ............................... 140
TROISIÈME PARTIE : LA VIE QUOTIDIENNE POUR LES CIVILS SOUS L'OCCUPATION ............................................................................... 145
CHAPITRE 7 : LA POPULATION SINISTRÉE À LA LIBÉRATION .............................................................................. 146
I. Les bombardements de Normandie ............................................................................................... 146
A/ La vie dans le désastre normand .............................................................................................. 147 B/ Le malheur des Normands : un argument dans la politique communiste ................................ 149 C/ Des ruines indestructibles dans la mémoire française ............................................................. 151
II. La spécificité de l'Alsace et de la Lorraine ................................................................................... 152
A/ L'annexion : un quotidien d'oppression ................................................................................... 153 B/ Les dégâts causés par les troupes de la Libération .................................................................. 156 C/ L'image des Alsaciennes et des Lorraines comme symbole de l'enthousiasme de la Libération ...................................................................................................................................................... 157
CHAPITRE 8 – LES PROBLÈMES DU QUOTIDIEN DÛ À L'OCCUPATION ................................................................... 161
I. La solitude des femmes .................................................................................................................. 161
A/ Les femmes, les enfants et les mères dans le même effroi en l'absence des hommes ............. 162 B/ Le paternalisme de la société française à l'égard des épouses, des mères ou des filles ........... 166 C/ Une vie de célibataire contrôlée et soupçonnée ....................................................................... 169
II. Le ravitaillement, une angoisse quotidienne ................................................................................ 172
A/ Se nourrir et nourrir ses enfants une inquiétude jusqu'en 1947 ............................................. 173 B/ La pénurie de combustibles et de textiles : une lutte perpétuelle contre le froid .................... 177 C/ Août 1944, la guerre n'est pas finie : les femmes contribuent au ravitaillement du front ....... 179
221
CHAPITRE 9 – LA LIBÉRATION, UNE RÉVOLUTION POUR LES FEMMES ? ............................................................... 183
I. L'image ancrée de la ménagère et de la mère au foyer .................................................................. 183
A/ Des célébrations nationales au féminin .................................................................................. 183 B/ Des procréatrices belles et élégantes pour l'image de la France .............................................. 186 C/ Témoins de la guerre et porteuses de valeurs .......................................................................... 190
II.La citoyenneté féminine en France : une conquête de la guerre? .................................................. 193
A/ Le droit de vote au féminin vu par la presse ........................................................................... 193 B/ L'inexpérience féminine nécessite-t-elle une éducation politique? ......................................... 196 C/ D'un rôle actif dans les Associations civiques à leurs élections .............................................. 199
CONCLUSION .............................................................................................................................................. 206
Sources ............................................................................................................................................................. 211
Bibliographie ................................................................................................................................................... 212
Sigles et abréviations utilisés ........................................................................................................................... 217
Table de figures ............................................................................................................................................... 218
Table des illustrations ...................................................................................................................................... 219
Table des matières ........................................................................................................................................... 220
222
RÉSUMÉ
La Libération de Paris en août 1944, puis du reste de la France laisse place à la reconstruction d'après guerre. Ce contexte engendre la nécessité d'un renouveau politique, opposant rapidement les gaullistes aux communistes, mais est-ce que cela est synonyme d'un restructuration de la société française? C'est par l'image des femmes que ce mémoire va s'intéresser à cette question. En effet, pendant la Guerre, l'apparition de la Résistance face à son extrême inverse qu'est la collaboration, ou encore les difficultés quotidiennes que l'Occupation a imposé, supposent une évolution dans les choix de vie des Français. La presse prend alors une importance considérable pour étudier la représentation que ces derniers avaient de leur société au lendemain de leur libération. Cette recherche s'attache donc à trouver la place que les femmes ont pris après la Guerre en France. Toutefois l'enjeu est plus précisément d'établir la représentation que la presse de la Libération donne des femmes, au cours de la Seconde Guerre Mondiale, à travers quatre quotidiens : le Figaro, l'Humanité, le Dauphiné Libéré et les Allobroges.
SUMMARY
The Liberation of Paris in august 1944, and then of the rest of France let place at the post-war reconstruction. This context creats the necessity of polictical renewal, which quickly genrates the opposition between Gaullists and Communists. But is this a synonym of a reconstruction of the French society? It is with this image that this thesis is going to treat this question. Indeed, during the War, the apparition of the Resistance against her extrem opposit which was the collaboration, or the daily difficulties imposed by the Occupation assume an evolution of the life choices of the French. The writting press then, takes an major importance to study the French people's representation of their society after the Liberation. This research's aim is to find the place taking by women in France after the War. Moreover the issue of this work is more precisely to establish the representation of women given by the Liberation writting press, during the Second World War through four daily newspapers: Le Figaro, L'Humanité, Le Dauphiné Libéré and Les Allobroges.
MOTS CLÉS : résistante, collaboration, déportation, libération, ménagère, mère, presse, population sinistrée, torture. resistant, collaboration, liberation, housewife, mother, press, affected population, torment
Illustration de couverture : « Paris insurgé », l'Humanité, 19 et 20 août 1945.