Post on 14-Sep-2018
José Lafleur-Tighe
"L'expression stylistique du thème de la nature dans
Paul et Virginie"
A thesis submi tted ta the Faculty of Grad:uate Studies and Research in partial fulfilment of the requirements for the Degree of Master of Arts.
Département de Français - M. A.
J1me 1969
@ José Laf1eur-Tighe 1970
José Lafleur-Tighe M.A. FRENCH DEP ARTMENT
ABSTRACT
Cette thèse se propose d'~tudier le thème de la nature en
rapport avec les personnages dans Paul et Virginie, à l'aide
des techniques de la stylistique.
Elle se compose de trois parties :
La première,divis~e en quatre chapitres, analyse les
principaux aspects du vocabulaire se rapportant à la nature et
aux personnages.
La seconde, comprenant trois chapitres, ~tudie la manière
dont l'auteur caract~rise la nature à l'aide du matériel grammatical.
~ ,Enfin, la troisième partie, en trois chapitres, s'attache
à ~r comment l'auteur a Il composé" sa nature et ses person
sages, sur le plan de la phrase.
Avertissement
Je vais tenter, à travers cette étude stylist.ique, de
cerner les mérites et les limites de Paul et Virginie.
-1-
Je n'ai voulu y voir ni un "plaidoyer en faveur de Dieu",
ni une 'ïmage, d'Epinal" ; simplement une histoire d'amour, mais
reliée à travers les saisons et le paysage aux forces élémentaires
de la nature. On a tour à tour surestimé et sous-estimé cette
oeuvre, mais depuis les commentaires éclairés de critiques comme
MM. Lanson, Trahard et Fabre, elle tend à retrouver sa véritable
place dans l'histoire littéraire. Ce modeste travail vise,lui
aussi,à rendre à Bernardin ce qui lui est dft.
Enfin, je tiens à remercier ici M. Fur 1 an , mon directeur
de thèse, dont l'aide m'a été si précieuse au cours de mon travail.
Londres, mai 1969
-2-
Bernardin de Saint-Pierre ••• Voilà un écrivain qui semble
se détacher tout à fait du passé. Que peut-il y avoir de commun
entre Paul et Virginie et les Liaisons dang~~~~~, sinon que ces
deux oeuvres reflètent en même temps qeux aspects de la sensibilité
de leurs contemporains. Oui, Bernardin s'oppose à Laclos, à Voltaire,
au marquis de Sade et se rapproche de Rousseau, mais en ce qui le
rattache aux Romantiques.
De même, jamais caractère d'écrivain n'a semblé plus en
contradiction avec son oeuvre : faux patriarche, philosophe naïf
et ridicule, romancier larmoyant, savant prétentieux, il nous semble
bien le Greuze du roman. Comme ce dernier, il est né en 1737.
Tout jeune, il verse déjà dans la sensiblerie et s'exalte en lisant
lA vie des Saints et ~obinson Crusoé. A douze ans, il s'embarque
pour la Martinique dont il reviendra déçu. Après s'être fait
)< attribut un diplÔme d'ingénieur à Versailles, en 1759, il s'engage
dans une série de voyages qui l'entraîneront touD à tour en
Allemagne, à Malte, en Hollande, en Russie et en Pologne. Pourtant,
c'est son voyage à l'Ile de France qui influencera le plus fortement
son oeuvre.
Il peindra cette colonie sous des couleurs aimables et
l'idéalisera dans son Voyage à l'Ile de France, pour les besoins
de sa cause. Car il a une cause, et une philosophie qui se définit
-3-
de plus en plus depuis sa rencontre capitale avec Jean-Jacques
Rousseau, en 1772. C'est ce dernier qui a allumé en Bernardin le
"feu sacré". Au cours de leurs promenades autour de PAnis, le
disciple se formera à la pensée du Maitre et la transposera dans
ses Etudes de la Nature. Là, Bernardin reprendra la célèbre parole
de Descartes pour s'écrier: "Je sens donc je suisn. La sensation
est physique, le sentiment, moral: c'est lui qui, non seulement
se confond avec la vertu, mais mène à la vérité. Le sentiment,
dit-il, est l'expression des lois naturelles et par lui seul,
l'homme découvre les harmonies qui gouvernent le monde. C'était
là une méthode où l'influence de Rousseau transparaissait, mais
qui n'en demeurait pas moins hasardeuse, puisqu'elle permettait
d<!introduire des éléments subjectifs dans la recherche scientifique.
Sa théorie des causes finales achèvera de la ridiculiser dans les
Harmonies de la Nature. Si le disciple défigure la pensée du
Maitre, il exprime à merveille le sentiment de la nature qu'avait
introduit Rousseau dans la littérature.
En effet, parait en 1788, Paul et Virginie. Ce petit livre
est le résultat d'un vieux rêve social de Bernardin. L'Ile de
France, c'est le paradis où vivent deux familles heureuses dans
l'innocence et la vertu.Le roman tient à la fois de la pastorale
et de l'idylle; Paul et Virginie sont des ignorants, ne connaissant
que les' lois de la nature jusqu'au jour où Virginie sera initiée
malgré elle à la culture européenne, et brisera l'enchantement de
l'Eden.
-4-
Paul et Virginie répond aussi à un rêve moral. Et c'est
dommage parce que cette préoccupation morale va obséder de plus
en plus l'auteur. L'êxotisme n'est plus celui du Voyage à l11le
de France, gratuit et abondant, mais se subordonne à un dessein.
Nous ne le croyons pas moins fort, moins insistant pour autant,
car l'histoire d'amour de ces deux enfants est reliée au grand
rythme de la nature.
Ce thème de la nature ne nous appara1t donc plus comme un
accessoire utile, mais comme un personnage du roman au même titre
que Paul et Virginie, et même plus intéressant qu'eux parce que
plus complexe et plus dynamique. En effet, le visage de la nature
est multiple : tantôt accueillant, tantOt fermé, il change selon
le temps, selon les personnages.
Une approche stylistique nous a semblé particulièrement
propre à saisir ce thème de la nature en relation avec les person
nages :dans la première partie, consacrée au vocabulaire, j'examinerai
dans quelle mesure ce roman relève de la pastorale; s'il est
vraiment aussi exotique qu'on nous l'a l~issé croire, ou si, au
contraire, ce n'est pas grâce aux artifices du style que nous avons
l'impression d'être dans un autre univers.
La deuxième essaiera de découvrir quelle est la tlpersonnalité"
de cette nature à travers l'étude du matériel grammatical: comment
-5-
l'article et les temps verbaux indiquent tour à tour son indivi
dualité et sa dépendance vis-à-vis de l'homme. L'analyse des
procédés picturaux tels que la phrase nominale, la métaphore et
la comparaison, découvrira ensuite la "physionomie" de la nature.
Enfin, la troisième partie s'attardera aux passages les plus
significatifs de l'oeuvre sur le plan de la composition et de la
phrase; comment l'auteur élabore son dessin, sa peinture, et sa
narration descriptive.
Certes, cette étude ne prétend pas épuiser toutes les
ressources de Paul et Virginie, mais vise à éveiller un nouvel
intérêt pour ce roman dont on a injustement exagéré les défauts
et les qualités.
-7-
Chapitre l Le vocabulaire de la pastorale
~,
Il serait ~aux de prétendre qu'avant la Nouvelle Hélo~se
on n'aimait pas la nature en France. Certes, on l'aime, mais
rustique. Le sentiment de la nature sauvage est considéré demme
de mauvais go~t et l'on pré~ère les bergers de Fontenelle à ceux
de Théocrite. Puis, on se lasse de ces gentilhommes déguisés en -
campagnards, et l'on s'engoue des Idylles et de la Mort d'Abel
de Gessner. Sa nature semble au public plus vraie et plus réelle,
bien qu'elle soit e~~ectivement une métaphore apprise par coeur,
et que sa réalité rustique soit celle d'un petit Trianon.
L'auteur suisse-allemand est bientÔt imité en France par
Bernardin, Florian, Chénier et Berquin dans son Ami des Enfants.
Florian, dans son Essai sur la pastorale qui précède Estelle,
établit les principes de la pastorale que nous retrouvons chez
Bernardin; d'une part, tout doit se toucher dans la pastorale,
nous dit Florian. Les bergers ne doivent guère quitter leurs
vallons et leurs bois. Le monde finit pour eux où doit ~inir leur
village. :~::Enfin, le style prosaïque doit être à la fois simple
parce que l'auteur raconte, naïf, parce qu'il décrit des person
nages, et noble pour inspirer la vertu. Mais la ressemblance entre
Estelle et Paul et Virginie s'arrête là ; cette dernière oeuvre
appartient sans doute à une tradition pastorale qui remonte à
l'Antiquité, mais il ~aut toujours se rappeler qu'elle fut d'abord
une oeuvre "sans emploi".
-8-
Elle appartint presque au Voyage à l'Ile de France, mais
l'insuccès de ce livre fit changer l'auteur d'idée. Puis, il
pensa l'insérer dans l'Arcadie; Paul et Virginie y ~ trouvé
sa place, mais travesti dans le goftt antique. De simple récit de
voyage, l'oeuvre se haussait donc au niveau de la pastor~le.
Il ne lui restait plus qüà s'élever d'un échelon pour accéder à
la dignité philosophique. C'est ce qui lui arrive lorsqu'elle est
publiée dans les Etudes de la Nature. Bernardin a cinquante ans.
Ainsi cette pastorale n'est qu'un cadre commode pour exprimer
un vieux rêve social qui consistait à fonder une république où
revivrait l'~ge d'or quand les hommes vivaient en harmonie avec
la nature. Paul et Virginie, ayant passé de récit de voyage à
une pastorale pour devenir enfin un roman philosophique, a été
marqué par ces trois genres: ce qui nous intéresse ici c'est de
savoir dans quelle mesure elle appartient à la pastorale sur le
plan du vocabulaire.
La mode de c:e genre convenait à Bernardin comme les conventions
de la tragédie à Racine. Paul et Virginie est bien autre chose
que l'expression de la sentimentalité de l'~ge néo-classique, un
composé de conte moral et pastoral, le tout situé dans un décor
exotique. La nature chez Bernardin est avant tout l'incarnation
du rêve, d'une autre vie et du monde de la facilité. Le rave est
si beau qu'on finit par ne plus croire à la réalité et qu'on ne
peut plus accepter le réel. C'est en quoi la nature ~
notre pastorale est bucolique. Tout exotique qu'elle est, elle
-9-
n'en est pas moins aussi accueillante et exubérante que celle
de Théocrite dans les Thalysies. ~'homme aime à se reposer au sein
de cette nature, à s'unir au chant heureux des cigales et des
grenouilles vertes sous le soleil. Si des poires et des pommes
roulent en abondance aux pieds des voyageurs de Théocrite, si les
rameaux chargés de prunes s'affai:sent jusqu'à terre, les plantes
de l'Ile de France n'ont rien à leur envier avec leurs "raquettes
chargées de fleurs", leurs "grappes de cocos" et leurs "longues
courtines de verdure".
Le cadre de Paul et Virginie est, comme celui de Daphnis et
Chloé, une 11e\ là, la poésie peut retrouver son climat de rêve
et de nostalgie d'un bonheur perdu.Jean Fabre a dit que l'Ile de
France est à la fois "lointaine et familière ( ••• ), secrète mais
non farouche et promise à la culture comme le jardin de l'Eden;
étrange mais peuplée IId'habitations" et divisées "en quartiers" ;
excessive et tragique, mystérieuse et hostile, mais parfois infi
niment douce" (1). Les familles habitent un bassin protégé par de
grands rochers, en milieu clos comme le voulait Florian. Leur
univers, à eux aussi, finit au-delà de ce bassin. Ce sera pour
avoir brisé son enchantement que Virginie périra. Les bergers et
bergères des pastorales vivent dans un univers privilégié qu'ils
ne doivent pas quitter s'ils veulent garder intact leur bonheur
idyllique.
-10-
les arbres, les fleurs et les. fruits, C'est une végétation amie
qui offre substance, refuge et plaisir. L'homme s'unit étroitement
à cette nature, et s'il cultive un jardin, il ne s'écarte jamais
de ses plans. L'art et la nature s'entremêlent si bien qu'on ne sait
plus distinguer l'un de l'autre. Cependant, le labyrinthe de Paul
est fort à la mode en cette fin de siècle et les parcs se paraient
alors de petits temples, de fausses ruines à l'antique. Aussi le
rocher de la Découverte de l'Amitié, le Cercle de la concorde, les
noms de Pleurs essuyés, Bretagne, Angola et Fouillepointe répondent
ils au go~t du jour. Les inscriptions latines sont aussi très
prisées; c'est la "voix humaine" qui "sort de la pierre" pour
édifier les générations futures. Le vieillard inscrit sur les
arbres de Paul des vers d'Horace et de Virgile, comme Rousseau des
vers de Pétrarque et du Tasse dans la Nouvelle Héloïse.
Parfois même, la nature se met dans le go~t des salons
Louis XVI. L'herbe est "fine", et les lianes du Repos sont semblables
à des draperies flottantes qui forment de~_;grandes courtines de
verdure Cp. 1;17). Les I/bosquets de palmistes élèvent ça et là
leurs colonnes nues C ••• ) surmontées à leurs sommets dlun bouquet
de palmesl/."Des odeurs aromatiques sortent de la plupart de ces
arbres" Cp. 171). La nature vraiment ne saurait être plus aimable
qui va jusqu'à se plier à la mode. Les animaux dans un tel décor ne
sauraient être sauvages. Nous avons quelques oiseaux habitués des
pastorales comme la frégate, l'alouette, le corbigeau, et, pour que
le tableau soit complet, l'inévitable troupeau de chèvres CP. 118-119)
-11-
Quant au climat, il est lui aussi bucolique, donc propice à l'union
de l'homme et de la nature. Le d~cor des pantomimes est celui de
la forêt au soleil couchant. "Le lieu de la scène était pour
l'ordinaire au carrefour d'une forêt dont les percées formaient
autour de nous plusieurs arcades de feuillage ••• mais quand le
soleil était descendu à l'horizon, ses rayons ••• " De plus, la nuit
est si douce qu'elle permet aux deux familles de dormir en plein
air: "la puret~ de l'air et la douceur du climat nous permettaient
de dormir sous un ajoupa au milieu des bois" Cp. 126-127). C'est
aussi dehors qu'elles prennent leur repas, sauf pendant la saison
des pluies: "combien de fois, à l'ombre de ces rochers ai-je
partagé avec elles vos repas champêtres" Cp. 119).
La vie de ces gens est donc réglée en tous points sur celle
de la nature : "Dès que le chant du COq annonçait le retour de
l'aurore, Virginie se levait C ••• ) bientÔt après, gugnd le soleil
dorait les pitons de cette enceinte, Marguerite et son fils se
rendaient chez madame de la Tourn Cp. 91). Il s'établit donc entre
l'a nature et ses habitants une sorte de connivence secrète, une
correspondance mystérieuse entre cette vie pure et la grande vie
de la nature. Le contact n'est pas gâté par la civilisation et les
connaissances inutiles, semble nous dire l'auteur. Les héros n'ont
ni "horloges, ni almanachs, ni livre de chronologie, d'histoire et
de philosophie". "Les périodes de leur vie se réglaient sur celles
de la nature. Ils connaissaient les heures du jour par l'ombre des
arbres, les saisons par le temps où elles donnaient leurs fleurs
ou leurs fruits" CP. 129).
-12-
Ils se rapprochent des autres personnages de pastorales
dans leur communion avec les animaux. Paul dialogue avec ses
chèvres comme les pasteurs de Théocrite avec les leurs. Après
le départ de Virginie, c'est à ses chèvres et à leurs petits
chevreaux qu'il se confie. "Il disait à ses chèvres et à leurs
petits chevreaux qui le suivaient en balant Que me demandez-vous ?
C ••• ) Il fut au Repos de Virginie et à la vue des oiseaux qui
voltigeaient autour, il s'écria: Pauvres oiseaux ••• " CP. 157). " Virginie appara1t elle aussi avec ses chèvres : Quelquefois elle
y menait pa1tre ses chèvres. Pendant qu'elle préparait des f~omages
avec leur lait, elle se plaisait à leur voir brouter les capillaires
sur les flancs escarpés.de la roche" (p. 119). Son "Repos" est
aussi un sanctuaire d'oiseaux: "Tous s'avançaient à ses pieds
comme des poules" Cp. 119).
De même, le travail et les plaisirs de ces enfants se rap
prochent de ceux des autres héros de pastorale. Pourtant, le
troupeau de Virginie ne semble pas l'absorber tellement. Sans
doüte, est-ce parce que l'auteur se sert de la pastorale pour
exprimer ses idées: l'accent est mis sur la simplicité de leurs
occupations plutôt que sur ces occupations elles-mames. Virginie
~ène boire son troupeau de chèvres, prépare les repas, ou lave le
linge des deux familles. En aucun cas on ne la voit étudier ou
s'adonner à quelque travail intellectuel. De même Paul nous
appara1t plutôt comme un jardinier que comme un berger. "Il allait
avec lui dans les bois v01sins déraciner de jeunes plants ••• et
-13-
plantait ces arbres ••• il y avait semé des graines ••• " (p. 108-109).
On est aussi surpris de ne pas trouver dans la liste des
plaisirs de ces familles plus de musique. En effet, il n'est pas
question que Paul joue de la flftte ou du pipeau, et il n'y a pas
trace d'aventures amoureuses dans les récits de madame de La Tour.
Au contraire, l'auteur se sert des dist~actions de ses personnages
pour nous inculquer en passant une leçon de morale. Les histoires
sont terrifiantes: "La nuit; venue, ils soupaient à la lueur d'une
lampe ; ensuite, madame de La Tour racontait quelques histoires de
voyageurs égarés la nuit dans les bois de l'Europe infestés de
voleurs, ou le naufrage de quelque vaisseau jeté par la tempête
sur les rochers d'une 11e déserte" (p. 120). On voit que ces
distractions correspondent au goftt du public contemporain qui deman
dait à un récit d'être d'abord émouvant. On aime pleurer au
XVIIIe siècle, et les lectures religieuses de madame de La four
relèvent de cette tendance à confondre plaisir et vertu "madame
de La Tour lisait publiquement quelque histoire touchante de
l'Ancien ou du Nouveau Testaments" (p. 121) "A cette scène .••
Marguerite ne pouvait s'empêcher de pleurer et ce souvenir confus
de nos maux et de biens nous faisait verser à tous des-_larmes de
douleur et de .ioie" (p. 126). Leur religion est une religion à la
Jean-Jacques Rousseau, qui rappelle celle de la Prefession de foi
du Vicaire Savoyard!!. Les pantomimes, les chants et les danses de
Paul et Virginie ne sont plus pa!ens, mais inspirés d'épisodes
bibliques. Ce n'est plus la gaieté insouciante des pasteups qui
inspire ces divertissements, mais la verve moralisatrice de l'auteur.
-14-
Les personnages perdent donc de leur authenticité, car nous
sentons trop là-dessous la leçon1: "Virginie chantait le bonheur
de la vie champêtre et le malhe~ des gens de mer que l'avarice
porte à naviguer" (p. 124).
Heureusement l'auteur oublie quelquefois sa "mission éduca-
trice" et nous décrit les plaisirs simples de ces gens. Parmi eux,
il y a leurs repas, la plupart du temps pris dehors, et qui cadrent
parfaitement avec le reste de leurs occupations. Ils font quelque
fois des repas "indiens" agrémentés de quelques "bouteilles de vin
vieux". "D'autres fois, nous nous rendions au bord de la mer ••• nous
y apportions de l'habitation des provisions végétales que nous
joignions à celles de la mer qui nous fournissait en abondance.
Nous pêchions sur ses rivages" (p. 123-124). Les enfants aiment
aussi se baigner; d'ailleurs, Paul nage comme un poisson et
Virginie aime à se plonger dans son bassin pour apaiser ses sens
Cp. 134).
Il est donc normal que dans un tel cadre et avec une telle
vie, nos héros en viennent à éprouver une forme d'amour particulier,
qui est la pure passion des pasteurs. Ensemble, dès le berceau, ils
s'aiment comme frère et soeur. Il n'y a rien de trouble ni de
sensuel dans leur amour, ils sont même trop angéliques, vieillis
dans leur attitude de marpres décoratifs. Leur langage amoureux,
si discret soit-il, est lui aussi inspiré de la pastorale. L'éveil
de l'amour chez Virginie est finement dépeint par Bernardin.
-15-
Le vocabulaire de la passion emprunte au vocabulaire précieux que
l'on trouve chez Racine.
La traduction physique des agitations du coeur a des réper
cussions sur toute la personnalité de Virginie qui, jusque là,
s'était contentée de "l'amitié la plus pure" ; "Une langueur
universelle abattait son corps".
Le mot de "mal inconnu" pour décrire l'amour n'a pas de
résonnance morale comme chez Racine, mais a le sens "d'affection"
puisque Virginie ne peut identifier cette passion, Bernardin nous
la décrit par ses symptÔmes. Virginie se sentait "troublée".
La "sérénité" n;~était plus sur son visage, elle fuyait ses jeux
innocents ••• Elle apporte à sa mère son coeur oppressé" (p. 132-134).
Comme dans la pastorale, les amants sont séparés par les
circonstances extérieures, ici par les désirs imprudents de madame
de La Tour. Contrairement aux lois du genre" cependant, notre
histoire finit par une tragédie épouvantable : tout le monde meurt
sauf le vieillard. Nous sommes donc loin de l'heureux mariage
habituel.
Certes, Paul et Virginie est une pastorale dans le sens que
l'on donnait à ce mot vers 1780 : "une églogue dramatique en forme
de nouvelle exemplaire rapprochée de la vie mais dictée par le rêve"
(2). Les dieux palens ont été remplacés par le Dieu chrétien et
ont fait place au panthéisme cher à Chateaubriand, qui dira à
-16-
propos du charme de notre conte qu'il consiste en une certaine
"morale m~lancolique qui brille dans l'ouvrage et qu'on pourrait
comparer à cet ~clat uniforme que la lune r~pand sur une solitude
par~e de fleurs (3)". Et il pourrait aussi conclure ce chapitre
par cette phrase : "enfin cette pastorale ne ressemble ni aux
idylles de Théocrite, ni aux églogues de Virgile, ni tout à fait
aux grandes scènes d'H~siode, d'Homère ou~ la Bible; mais elle
rappelle quelque chose d'ineffable, comme la Parabole du Bon Pasteur,
et l'on sent qu'il n'y a qu'un chr~tien qui ait pu soupirer les
~vangéliques amours de Paul et Virginie" (4).
-17-
Chapitre II Le vocabulaire exotigue
Bernardin s'est longuement interrogé sur l'endroit où il
pourrait installer sa "république" idéale: là où l'entralnaient
ses courses errantes, il cherchait à établir son vieux rêve social.
Il pensa d'abord à la.Martinique qu'il avait visité à douze ans,
puis à la Corse ; lors dé son séjour en Russie, il avait considéré
la possibiité d'établir son rêve sur les bords du lac Aral.
En somme, chaque pays d'Europe où il s'est trouvé fut un candidat
à l'établissement de son monde nouveau. Il en est là, quand, après
des temps difficiles à Paris, il obtient un brevet de "capitaine
ingénieur du roi" pour l'Ile de France. Le 3 mars 1768, il s'embar
que donc à Lorient et gagne l'lIe où il séjournera deux ans.
Il est profondément déçu: l'endroit est sauvage et aride,
le climat dur, l'isolement total et la population blanche corrompue.
C'est loin d'être l'Eden rêvé, mais qu'importe ••• Pour les besoins
de l'art, l'lIe deviendra un paradis terrestre.
Il la métamorphose dans le Voyage à l'Ile de France, et, à
cet égard, cette oeuvre est la source principale du vocabulaire ,
exotique de Paul et Virginie. En effet, c'est dans le Voyage que
nous trouvons tous les éléments exotiques de notre pastorale
la flore et lafuune s'y retrouvent, mais mUltipliées par dix.
Cette description détaillée est la toile de fond du décor de
Paul et Virginie. Il n'y a rien du point de vue exotique dans
-18-
cette dernière oeuvre qui n'ait été décrit auparavant, sauf
l'épisode où les marchands apportent chez les deux familles les
riches étoffes indiennes.
Cependant, cette flore et cette faune se trouvent être
considérablement réduites dans la pastorale ; car elle se veut
oeuvre d'art, ce qui implique un choix. Bernardin se débanasse
de tout ce qu'il peut et ne garde qu'une vingtaine d'arbres,
une dizaine d'oiseaux et quelques poissons. La description ne
s'attarde jamais, et c'est presque dommage, puisque c'est elle
qui donne du relief à ce conte souvent trop fade. Mentionnons
aussi comme sources second~ires les récits de voyages de l'abbé
de la Caille, surtout sa carte de l'Ile de France revue et corrigée
par Bernardin. Les annalistes du Nouveau Monde lui ont enseigné
à sentir la nature non pas en savant, mais en peintre. Parmi eux,
Hector Saint-John de Crèvecoeur et son idéal de vie saine et pure
ont influencé Bernardin. Enfin, l'Histoire Générale des Voyages de
l'abbé Prévost a fourni des renseignements utiles sur l'Ile Bourbon
et l'Ile de Erance.
Cette nature, Bernardin l'a d'abord vue sur place et ensuite
racontée dans son Voyage à l'Ile de France. Certes, les termes
exotiques abondent dans Paul et Virginie, mais après étude, il
nous appara1t qu'il y a autant de plantes européennes que tropicales.
Cette impression de dépaysement ne viendrait donc pas tant du
vocabulaire que des procédés de l'art. Le seul fait d'avoir nommé
ces plantes et ces animaux, de les avoir sortis de leur anonymat
-19-
consacre Bernardin comme le premier peintre de la nature tropicale.
Ses descriptions ont une pr~cision serrée du détail qui en
révèlent l'origine: elles s'appuient sur la sensation qui nous
est communiquée sans s'être affaiblie. Sans le savoir, Bernardin
a amené une révolution du langage de la nature par son vocabulaire
exotique.
Gustave Lanson a écrit : "Il n'hésitera pas à nommer les
convolvulus, les scolopendres, les champignons, les francolins,
les oies sauvages, les palétuviers, les cocotiers, les calebassiers,
les êtres les plus humbles et les plus vulgaires, les plus étranges
et les plus inconnus du monde végétal et du monde minéral. Aux
épithètes littéraires qui qualifient, il substituera l'~pithète
pittoresque qui montre: il nous fait voir l'ouara rouge et noir
au milieu du "feuillage glauque des palétuviers". (1)
Jusqulà quel point la géographie de l'Ile de France a ~té
inventoriée, c'est ce que nous aimerions examiner dans ce chapitre
quels sont ses montagnes, ses cours d'eau, son climat, le Port-Louis,
et surtout quelles sont sa flore et sa faune.
Bernardin utilise dans son paysage d'introduction (p. 77)
la carte de l'abbé de la Caille, de sorte que nous pouvons le suivre
dans sa description. Il ne se permet qu'une petite erreur; le
Cap Malheureux n'est pas "un peu sur la droite", mais à l'extrémité
nord de l'11e. A part cette faute, le lieu des montagnes et des
-20-
rivières est exact. Bernardin introduit une note pittoresque en
mentionnant le Cap Malheureux et la Baie du Tombeau car ils
évoquent le tragique dénouement ; en réalité, ces noms n'étaient
pas liés à l'histoire de Virginie.
Les montagnes de l'Ile de France apparaissent souvent au cours
du récit: c'est sur la Montagne Longue que nous trouvons les ruines
desœux cabanes et c'est de ce lieu que nous apercevons le Morne de
la Découverte. Les enfants lors de leur course épuisante aboutissent
au Morne de la Rivière Noire ; ils finissent par se retrouver en se
guidant sur la montagne des Trois Mamelles. C'est du sommet du Pouce
que Paul voit partir Virginie : "De ce lieu, on vo~t une grande
partie de l'11e avec ses mornes surmontés de leurs pitons, entre
autres Piterboth et les Trois Mamelles avec leurs vallons remplis
de forêts; puis la pleine mer et l'Ile Bourbon" CP. 155).
Les cours d'eau aussi sont-abondants; la rivière des
Lataniers passe devant l'habitation de madame de La Tour; les
enfants se rendent jusqu'à la rivière Noire et la rivière des
Trois Mamelles, le vieillard habite à la rivière des Caillebasses.
L'emploi de ces noms de montagnes et de rivières n'est pas pour
autant gratuit chez Bernardin; il ne les nomme que parce qu'il
en a besoin pour son récit, et leur pittoresque ajoute une note
exotique à la description. Il n'oubliera pas non plus les environs
de l'1le comme le Coin de Mire et l'1le d'Ambre. Il parle aussi du
port Louis et de ses quartiers le quartier des Pamplemousses,
de la Poudre d'Or, de la Flacque et de Williams.
-21-
Quand Bernardin décrit le climat de l'11e, il le fait en
peintre plutOt qu'en géographe. Ici, il donne même les signes
avant coureurs d'un ouragan: "Cependant ces chaleurs excessives
élevèrent de l'océan des vapeurs qui couvrirent l'1le comme un
vaste parasol ••• de longs sillons de feu sortaient de temps en
temps de leurs pitons embrumés ••• des tonnerres affreux firent
retentir de leurs éclats les bois, les plaines et les vallons •••
des pluies épouvantables, semblables à des cataractes ••• des
torrents écumeux se précipitaient ••• " (p. 135). Bernardin sait --
aussi raconter l'été étouffant: "Un de ces étés ••• C'était vers
la fin de décembre, lorsque le soleil au capricorne échauffe •••
de ses feux verticaux ••• Le vent du sud-est ••• n'y soufflait plus •••
de longs tourbillons fie poussière ••• l'herbe était br~lée ••• " (p.133)
Il n'oublie pas la géographie humaine de l'lIe dont il a
déjà parlé dans le Voyage à l'Ile de France. La population européen
ne del'11e est composée de blancs tarés, de libertins, de banque
routiers. Les deux familles de Paul et Virginie repoussent donc
avec dignité les offres d'amitiés des gens riches de l'11e, persuadés
que "les83ns puissants ne recherchent les faibles que pour avoir
complaisants C .•• ). D'un autre cOté, elles n'évitaient pas avec
moins de soin l'accointance des petits habitants pour l'ordinaire
jaloux, médisants et grossiers" (p. 122). On voit que la géographie
humaine n'est pas des plus scientifiques et des plus objectives •••
Toufefois Bernardin a plus de sympathie pour les noirs. Il
faut dire qu'il tient à embellir malgré tout ses personnages, comme
son décor. Ce sont donc les noirs qui relèvent l'humanité de l'lIe.
-22-
C'est aux femmes malabares que revient l'honneur de laver le
cadavre de Virginie, aux négresses de Madagascar et aux Cafres
du Mozambique de déposer autour de Virginie les paniers de fruits
mortuaires.
L'auteur n'a pas pu résister au plaisir de parer son héroine
d'étoffes exotiques. Les marchands déroulent "au milieu de ces
pauvres cabanes" de "superbes basins de Goudelour, des mouchoirs de
Paliacate et de Mazulipatan, des mousselines de Daca, unies, rayées,
brodées, transparentes comme le jour, des baftas de Surate ( ••• ),
des chittes de toutes couleurs ••• des lampas découpés à jour, des
damas •.• des taffetas roses, des satins à pleine main ••• et jusqu'à
des pagnes de Madagascar" (p. 146). Il laisse vagabonder son imagi
nation et sa verve dans cette description d'étoffe, comme dans ses
énumérations de fleurs exotiques.
Cependant, de tous les éléments qui composent le vocabulaire
exotique, la flore est sans doute celui qui contribue le plus à nous
donner une impression de dépaysement. Nous nous sentons transportés
dans lCunivers des 11es et des Mers du Sud. Ici aussi Bernardin se
réfère à son Voyage à l'Ile de France; de la vie ~rante de ~ cette oeuvre, il ne laisse passer que le nécessaire. 11ême s'il a
la précision du botaniste, il garde l'oeil du peintre.
Devant la flore, nous avons l'impression qu'il s'agit d'un
fouillis végétal. Et pourtant il y a autant de plantes européennes
qu'exotiques utilisées pour créer la végétation.
-23-
Y6yons d'abord la flore tropicale: nous avons le bambou,
le palmiste, le latanier, le badamier, le jague, le jamerose,
l'aloès, le calebassier, le veloutier, le tatamague, l'agathis ;
et cela est sans compter les arbres fruitiers ; les bananiers,
citronniers, orangers tamarins, dattiers, papayers, manguiers,
avocat, gouyavier, cocotiers en plus d'être exotiques, nous
mettent l'eau à la bouche. Bernardin parle aussi de plantes utiles
comme le cotonier, le pied de café, la canne à~cre, le bois
d'ébène, de nomme, de cannelle et d'olive. Du cOté des plantes
européennes, nous avons les capillaires, le scolopendre, les
plantes potagères, l'herbe de baume, le basilic; des pervenches,
du lilas de Perse, des giroflées rouges, des fraises ••• Bernardin
trouvait que la végétation des 1les était moins riante que celle
de l'Europe, ce qui ne laisse d'étonner chez un auteur qui a
introduit l'exotisme dans la littérature française. Mais la
nature ne représente-t-elle pas, comme nous l'avons dit dans le
chapitre sur la pastorale, une évasion et un rêve de liberté?
Au fond, le type de nature qu'il décrit importe peu, puisqu'il
se réfère toujours non pas à la réalité mais à sa vision intérieure.
Il n'est donc pas étonnant de trouver sur l'Ile ici un tapis de
fraisiers, un champ de blé et là une haie de rosiers.
Virginie réalise son rêve lorsqu'elle envoie d'Europe des
semences de violettes, de marguerites, de bassinets, de coquelicots,
de bleuets, de scabieuses, et même de pommiers et d'hêtres pour
que Paul recrée un coin d'Europe sous les Tropiques. Elle pense
qu'il y a "dans les prairies de ce pays de plus belles fleurs que
-24-
dans les nôtres". "Ce sera une grande joie pour moi si vous avez
un jour la satisfaction de voir les pommiers cro1tre auprès de
nos bananiers et des hêtres mêler leurs feuillages à celui de
nos cocotiers, Vous vous croirez dans la Normandie que vous aimez
tant" (p. 163).
Non seulement le décor, mais aussi la manière de vivre de
ces gens achèvent de créer chez le lecteur une impression de
dépaysement : Ainsi, les deux familles sont végétariennes, comme
pour s'accorder avec la douceur de cette nature. Il semble que
Bernardin veuille en quelque sorte les récompenser d'épargner la
vie animale, car nous assistons non pas à un repas frugal, mais
à un festin: "Combien de fois à l'ombre de ces rochers, ai-je
partagé avec elles, vos repas champêtres qui n'avaient coüté la
vie à aucun animal ! des calebasses pleine de lait, des oeufs frais,
des gâteaux de riz sur des feuilles de bananiers, des corbeilles
chargées de patates, de mangues, d'oranges, de grenades, de bananes, fi
d~,àttes, d'ananas ... (p. 119-120). Quelques équivalents européens
àont ajoutés à ces produits exotiques ; des fraises, des pois, des
courges, des concombres et des piments.
Pour ce qui est de la faune, il n'y a guère plus que le singe
qui soit animal des Tropiques. "Deux chèvres élevées près des
enfants et un gros chien qui veillait la nuit au dehors" formaient
"tout le revenu et tout le domestique de ces deux petites métairies"
(p. 87). Il Y a bien à l'autre bout de l'11e quelques "grands
troupeaux de boeufs et de chevaux", mais il n'apparaissent g,ue
fugitivement lors de l'expédition de Paul après la mort de Virginie.
-25-
Les oiseaux eux, sont plus abondants : des Tropiques, nous
avons: l'oiseau blanc des Tropiques, la frégate, les bengalis,
les cardinaux, les perruches, les paille-.en-cul et le coupeur d'eau ;
d'Europe viennent le corbigeau, l'alouette marine, les merles
siffleurs, les perdrix, les pigeons bleus et les éperviers.
La faune marine est, elle aussi, réduite: elle n'est mention
née que lors de la p~che de Paul avec le vieillard : "Nous pêchions
sur lesrivage des cabots, des polypes, des rougets, des langoustes,
des chevrettes, des crabes, des oursins, des hu1tres, et des
coguillages de toute espèce" Cp. 124).
Un vocabulaire technique approprié aux circonstances complète
le vocabulaire exotique. C'est un géographe qui parle au début du
roman, un ënassëur qui raconte comment Paul se débrouille pour
faire du feu, un navigateur qui voit la mauvaise posture du St-Géran.
Ainsi, il ressort de la narration un caractère d'authenticité.
Nous pouvons suivre sur la carte de l'abbé de la Caille la
description de l'Ile: "Sur le côté oriental de la montagne qui
s'élève derrière le Port-Louis ••• On aperçoit à gauche la montagne
appelée le Morne de la Découverte ••• à droite le chemin qui mène
de Port Louis au quartier des Pamplemousses, On distingue devant soi
sur les bords de la mer, la baie du Tombeau" ~p. 77).
Bernardin utilise un vocabulaire technique quand il narre
comment Paul se sort d'une situation épineuse: il doit mettre le
-26-
feu à un palmiste pour en atteindre le chou comestible. Or,
l'aubier de cet arbre est "si dur qu'il fait rebrousser les meil-
leures haches: et Paul n'a~ait même pas de couteau ••• Il n'avait
point de briguet, et d'ailleurs dans cette 11e couverte de rochers,
je ne crois pas qu'on puisse trouve'r une seule pierre à fusil •••
puis avec le~anchant de cette pierre, il fit une pointe à un autre
morceau de bra'nche également sèche" (p. 99).
Quant au vocabulaire technique du maufrage du Saint-Géran,
il vient d'une explication des termes de la marine que l'auteur
avait donnée dans le Voyage à l'Ile de France. "Le Saint-Géran
parut alors à découvert, avec son pont chargé de monde, ses vergues
et ses mâts de hune amenés sur le tillac, son pavillon en berne,
quatre câbles sur son avant, et un de retenue sur son arrière •••
sa poupe ••• disparaissait jusqu'au couronnement" (p. 199-200).
"Les câbles de son avant rompirent : et comme il n'était plus
retenu que par une seule aussière, il fut jeté sur les rochers à
une demi-encâblure du rivage" (p. 201).
Bernardin n'a donc rien épargné sur le plan du vocabulaire
pour créer une nature exotique,et pourtant nous avons vu en dénom
brant la flore qu'il y avait autant de plantes européennes que
tropicales; nous nous sommes sentis loin de l'Europe et c'est ce
que l'auteur voulait. Il a donc réussi à créer une nature exotique
grâce à son vocabulaire, mais nous allons voir dans le chapitre sui
vant qu'il a aussi employé des moyens artistiques~our arriver à ............ _--
son but.
1
-27-
Chapitre III Le vocabulaire pictural
Réduire le vocabulaire à sa dimension exotique, c'est en
avoir une image incomplète. La flore et la faune du Voyage à L'Ile
de France étaient sur ce plan, beaucoup plus élaborées. Paul et
Virginie est d'abord la première peinture de la nature, et celle-ci
aurait pu ~tre aussi bien européenne que tropicale : pour preuve,
Bernardin a longtemps hésité avant de choisir son décor. Il s'est
trouvé que son choix final s'est fixé sur l'Ile de France. Notre
but dans ce chapitre est de découvrir quels sont les moyens qu'il
emploie pour nous donner cette impression d'être devant une nature
vivante et tropicale.
L'auteur exprime peut-être mal ses idées sur "l'état le plus
heureux dans lequel les hommes puissent vivre", ~ais il a su nous
renvoyer les images d'un paradis propice à l'éclosion de ce bonheur.
Lanson a reconnu que : "Du sentiment de la nature introduit par
Rousseau, il nous fait passer à la sensation de la nature, à la
pure sensation sans mélange d'idées ni même de sentiment. De la
poésie, il nous mène à la peinture et il tente une hardie'transpo
sition d'art: il rend avec les moyens de la littérature, avec des
mots, des effets qui semblaient exiger de la couleur" (1).
Il a observé la nature avec ses cinq sens, mais surtout avec
ses yeux, des yeux de peintre impressionniste. Il a le sens de la
forme et de la perspective, mais surtout des couleurs. Sa palette
est en effet très riche: le rouge et le vert dominent, mais on y .
trouve aussi du violet, du mauve, toute une gamme de demi-teintes
-28-
dont personne n'avait parlé avant lui. Il décrit la lumière, la
position et le rapport des tons dans un coucher de sclail ; avec
la subtilité d'un Monet il analyse tantOt la lumière du couchant,
tantOt celle de la tempête.
En véritable amant de la nature, il a su l'écouter. On est
surpris à la lecture de découvrir tant d'images auditives. Tous les
bruits de la nature y sont: ceux des arbres, du vent, des animaux
et de la mer. Cependant les sensations du toucher, de l'odorat et
du go~t sont trop souvent vagues et ne réussissent pas encore à
s'individualiser.
E~fin, les termes collectifs et les verbes expressifs complè
tent c~jprocédés a~tistiques pour nous donner une meilleure impres
sion de la lùxuriance de cette nature.
Des cinq sens, sans doute, est-ce la vue qui domine l'observa
tion. Ce n'est peut~être pas par hasard que le peintre Vernet fut
l'un des ppemiers à apprécier Paul et Virginie. En effet, on peut
parler à propos du vocabulaire de notre pastorale de dessin, de
couleur et de lumière. Bernardin est même· en avance sur son temps
en ce sens que, chez lui, ce n'es~ pas tant la forme et les dimen
sions qui comptent, mais les plans, la lumière et la couleur.
Voyons d'abord la forme: elle est vite esquissée et elle
n'existe qu'en rapport avec l'ensemble du tableau. L'habitat des
nAllX f~mnJ.AR Aqr. R;.+."é ~'1 mn :i.e11 "<l '11T1 haf:lsin formé "Dar de grands
-29-
rochers" qui les protègent symbolit[Uement au monde extérieur ;
ces rochers sont escarpés comme des murailles, et des bouquets
d'arbres croissent à "leurs bases dans leurs fentes et jusque sur
leurs cimes ll comme pour mieux isoler Paul et Virginie Cp. 77-79). ,.
'" Le bassin de Paul ressemble à un amphithéâtre de verdure·. Les eaux
qui descendent des roches "disposées en pyramides forment au fond
du vallon ici des fontaines, là de larges miroirs" Cp. 111).
La verdure a aussi ses dessins. : les capillaires rayonnent "en
étoiles", l'herbe de baume est "en forme dé coeur", les lianes sont
des "draperies flottantes"et les fleurs "des courtines de verdure"
(p. 117). A la forme est liée la perspective: "les cabanes sont
situées au milieu d'un bassin; on aperçoit à gauche le Morne de la
Découverte, et au bas de cette montagne le Port Louis, à droite le
quartier des Pamplemousses, et pJJ.us loin une forêt" (p. 77). Dans
la description du bassin de Paul nous apercevons trois plans de
verdure: "Il avait planté au milieu de ce bassin des herbes, puis
des arbres moyens et enfin les grands arbres ••• " (p. 111). L'air
même a quelquefois une dimension verticale : "De long§, tourbillons
de poussière s'élevaient sur les chemins et restaient suspendus en
L' air" Cp. 133).
La palette de Bernardin est certainement l'élément le plus
riche de sa peinture. Il s'est plu à illustrer les couleurs de la
nature et de la lumière tropicales. Bernardin utilise les couleurs
vives pour peindre les fleurs, verdâtres pour les plantes, froides
pour les minéraux, nuancées pour la lumière.
-30-
Des fleurs, il y en a de toutes les couleurs : jaunes fouettées
de rouge, bleues, écarlates, blanches, ~IDmlet foncé; il Y a les
girandoles gris de lin, la giroflée rouge, la scabieuse d'un bleu
mourant à~nd ncir piqueté de blanc ; Bernardin note aussi les
gousses de piment couleur de sang, plus éclatantes que ,le corail et ~.
les melons verts. Les arbres ont des flancs verts et bruns que les
pluies colorent des "couleurs de l'arc en ciel". Des oiseaux opposent
l'éclat de leurs couleurs à la verdure des arbres rembrunie par le
soleil ; les capillaires rayonnent en étoiles vertes et noires, le
scolopendre est comme de longs rubans d'un vert pourpré. Les singes
"se jouent dans leurs sombres rameaux dont ils se détachent par leur
poil gris et verdâtre et leur face toute noire" (p. 172). L'eau même
a une couleur: l'écume est d'un blanc éblouissant et d'étincelles
de feu, les vagues sont noires et profondes.
La peinture de Bernardin s'affirme aussi dans sa description
de la lumière tropicale ; il aime en décrire les nuances, les
répandre sur son paysage, et découper les zones d'ombre. Pour
Bernardin comme pour Monet, la lumière change à chaque heure du
jour ; avec des mots il nous fait voir la différence entre la lumière
aurorale et celle du couchant. La lumière du bassin est paisi~le et
claire comme celle de l'aurore : "un iLC?:u:; doux éclaire le fond de
ce bassin ••• ses rayons en frappent le couronnement dont les pics
s'élevant au-dessus des montagnes paraissent d'or et de pourpre •••
(p. 79).
Le soleil couchant a une luminosité plus glorieuse ses rayons
-31-
"divergeaient dans les ombres de la forêt en longues gerbes lumineu
~ ••• son disque tout entier paraissait à l'extrémité d'une avenue
et la rendait toute étincelante de lumière ••• Le feuillage des
arbres éclairés en-dessous de ses rayons safranés, brillait des feux
de la topaze et de l'émeraude ••• Leurs troncs paraissaient des
colonnes de bronze antique"(p. 126). Le calme des nuits tropicales
devait lui aussi tenter le pinceau de Bernardin La lune paraissait
"entourée d'un rideau de nuages que ses rayons ..;;;.:;;==::;.::;.:~~--t;,="":::==..1::=";~
Sa lumière se répandait insensiblement ••• pitons d'un vert argenté •••
vaste et sombre horizon ••• " (p. 149-150)
Quant à l'éclairage du naufrage du Saint-Géran, il est
tragique: "de grands cercles noirs ••• obscurité affreuse ••• nuages
épais, sombres, peu élev0s ••• le jour ténébreux ••• lueur olivâtre et
bla.farde ••• " (p. 195)
Les notations auditives s'insèrent toujours au moment propmce
~. dans les descriptions, et cette dimension achève de nous faire croire
'I à la ~u décor oexotique. Bernardin, en observant les bruits
de la nature a commencé par être sensible à son silence ; celui
qu'il y a au pied des cabanes de Paul et Virginie s'oppose "au
.fracas des vagues et au bruit des vents". Ici est le havre de paix
de paix où fleurit le bonheur semble-t-il nous dire : "mais au pied
de ces cabanes, on n'entend plus aucun bruit et on ne voit plus
autour de soi que de grands rochers" (p. 78). C'est un silence
solennel que celui de la nature quand Paul et Virginie sont perdus
"Un pro.fond silence régnait dans ces solitudes et on n'y entendait
-32-
que le bramement des cerfs" (p. 103). Le choix même de bramement
suggère une atmosphère de mélancolie. On dirait que la nature est,
d'une part secrète et immuable et de l'autre maternelle. C~est cette
première part qu'évoque ce silence lorsque les enfants sont perdus.
En d'autr.es endroits ddns le roman, nous avons noté des bruits
de la nature qui correspondaient aussi aux états d'âme des héros.
Après la tempête, Il semblé qu'il n'y ait d'autres chants d'oiseaux
que ceux de quelques "bengalis déplorant la perte de leurs petits"
(p. 136) ; au coeur de l'été brfHant, on n'entend que les "tristes
mugissements des troupeaux" (p. 133). Pourtant les bruits d'une
nature heureuse sont plus nombreux : Bernardin mentionne le gazouil
lement des insectes, les échos de la montagne, le bruit des vents,
le murmure des palmistes et des fontaines ; les eaux de la rivière
assourdissent "comme les ..§.Ql!2 de cloche d'une cath~drale" (p. 173).
A ces bruits joyeux, l'auteur oppose les murmures menaçants de la
mer : "L'horrible fracas" (p. 174) des vagues écumantes et mugis
santes, annonce déjà les "tonneT'T'es affreux" du naufrage du Saint
Géran et préfigurent le sinistre mugissement de la mer : "Chaque
lame roulait les cailloux avec un bruit rauque et affreux"(p. 200).
La mer, chez E~rnardin est un thème qui s'oppose à l'1le paradisia
que: elle n'est jamais un élément paisible en harmonie avec le
reste du paysage, mais toujours hostile et menaçant.
Les images tactiles deviennent rares ; nous remarquons la
pureté de liair, la fra1cheur de l'air, ou encore l'air étouffant
-33-
Bernardin parle d'un sol et des eaux brftlantes, de flancs humides
et son vocabulaire "tactile" est déjà à bout. Il ébauche malgré
tout une image plus complexe quand il mentionne les feuilles
ligneuses et piquantes, des roches glissantes et des cierges
épineux. Il est encore plus avare en ce qui concerne l'odorat et
le goftt ; nous n'avons que de très vagues notations: le plus doux
des parfums, les herbes aromatiques, le parfum des fleurs, son
charmant.p.§rfum et, plus précis le parfum d'orange et l'odeur de
girofle.
Quant au goftt, nous n'avons trouvé que deux expressions s'y
rapportant: la "crème sucrée" et "les sucs les plus agréables".
Les moyens artistiques comme les verbes expressifs et les
termes collectifs constituent un excellent moyen technique pour
donner une impression de prolifération et de densité. Les verbes
expressifs, par exemple donnent l'image d'un fouillis végétal,
d'une nature plus exhubérante que celle de l'Europe: ainsi nous
avons "l'agathis ou pendent tout autour des longues grappes •••
le lilas de Perse ~li élève droit en l'air ses girandoles ••• les
cierges épineux semblaient vouloir atteindre aux longues lianes qui
pendaient ••• " (p. 109-110). Bernardin reprend le même vocabulaire
quand il décrit le décor du "Repos de Virginie" (p. 110) :"Les
cocotiers entrelaçaient leurs palmes et laissaient pendre leurs
jeunes grappes ••• rayonnaient en larges capillaires et flottaient
des touffes de scolopendres suspendues ••. " Et puis: "des lianes
s'enlaçant d'un arbre à l'autre" (p. 117-118).
-34-
Enfin, les termes collectifs achèvent de projeter l'image
d'une nature luxuriante. Ces termes sont nombreux dans le texte et,
malheureusement ils ne varient pas tellement. La même éxpression
peut être. employée à propos d'objets différents: Bosquet, par
exemple revient à propos d'arbres et de palmistes b<?uquet, à
propos d'arbres et de grappes; grappe, à propos de fleurs et de
cocos. Un peu plus originaux, le paquet de filaments, le labyrinthe
d'arbres de lianes, et de rochers, la raquette de fleurs, le
chapiteau de feuilles ; nous trouvons aussi un bocage de tatamaques,
des touffes de scolopendre, des arcades de fleurs, des courtines de
verdure.
On a vu dans ce chapitre jusqu'à quel point les moyens
artistiques de Bernardin complètent son vocabulaire exotique ; car
il ne s'agit pas tant d'aligner une série infinie de termes exoti
ques pour créer un paysage tropical, mais bien plutôt d'employer
les procédés techniques qu'offre le vocabulaire pour arriver à
une oeuvre d'art. Bernardin ajuste son vocabulaire aux circonstances i
du récit ; pour la peinture de la nature, il aura le vocabulaire
généreux et luxuriant; quand il parlera de sa lumière, il sera
subtil. Décrit-il ses caractères, il adaptera son vocabulaire, selon
qu'il la veut douce et -accueillante, recueillie au départ de
Virginie, tragique lors du naufrage du Saint-Géran.
-35-
Chapitre IV Le vocabulaire moral
Bernardin aurait eu besoin de génie pour donner à Paul et
Virginie la complexité de Roméo et Juliette. Le sujet de ce conte
moral, c'est aussi l'amour de deux enfants du berceau à latiombe,
:r.y.ais relié à travers le' paysage et les saisons aux forces élémen
taires de la nature. La faiblesse de Bernardin, c'est d'avoir
utilisé son sujet pour exprimer sa philosophie morale.
Eux aussi illustrent le thème des amants éternels réunis dans
la mort. Leur refus de vivre les préserve de la flétrissure inévita
ble du temps. A tout instant, la faiblesse de l'idéologie de
Bernardin menace d'étouffer Paul et Virginie. La poésie de leurs
personnages résiste malgré tout et les arrache à la médiocrité des
essais contemporains. Bernardin a réussi à esquisser quelques
"tableaux" de cet amour, dont le plus complet est sans doute la
découverte de ce "mal inconnu" chez Virginie ; à cette occasion
le psychologue dépasse presque le peintre.
De même qu'on ne peut imaginer Juliette sans Roméo, on ne
peut se représenter Virginie sans Paul. Dès leur berceau, leurs
individualités se confondent leurs mères prennent plaisir à
projeter leur amitié sur leurs enfants : "Elles les mettaient ensembl
dans le même bain", les couchaient dans "le même berceau". Souvent
elles les changeaient de lait". Bernardin compare les deux enfants
à deux "bourgeons, chacun détaché du tron'c maternel et greffé sur
le tronc voisin" ; déjà cet attachement qu'ils éprouvent l'un
-36-
pour l'autre revêt un caractère spécial. (Ces deux enfants) "se
remplissaient de sentiments plus tendres que ceux de frère et de
soeur, de fils et de fille". Déjà Bernardin esquisse l'avenir de
leurs relations affectives "leurs mères parlaient de leur mariage •.
de félicité conjugale" (p. 88). Bernardin utilise aussi de jolies
images pour nous donner une impression d'union. Il les compare à
la constellation des gémaux et aux enfants de Léda enclos dans la
même coquille. (p. 90)
Le portrait physique que l'auteur trace des enfants est le
miroir de leur ~me (p. 91-92). Il reflète leur noblesse de caractère,
mais en même temps les transforme en figures désincarnées : modelés
sur les marbres néo-classiques, ils ressemblent à des statues ;
Virginie ne nous donne pas l'impression d'être une enfant de la
nature, mais une demoiselle : "Déjà, à douze ans, sa taille était
plus qu'à demie formé~, de grands cheveux blonds ombrageaient sa t&te
ses yeux bleus et ses lèvres de corail brillaient du plus tendre
éclat sur la fraîcheur de son visage". L'angélisme et la préciosité
de Bernardin transparaissent lorsqu'il décrit l'expression des yeux
de Virginie : "leur Obliquité naturelle vers le ciel leur donnait
une expression d'une sensibilité extr~me et même celle d'une légère
mélancolie". Le personnage de Virginie semble trop précieux. Cette
héroine, symbole de pureté et de noblesse était peut~être la femme
idéale de cette fin de siècle, mais il semble qu'elle perde à nos
yeux en complexité humaine. Ce n'est pas de cette façon qu'aujourd'
hui, on imaginerait Virginie. Nous l'aimerions plus simple; une
héroine de roman qui préfère la mort plutôt que d'enlever ses
-37-
vêtements quand des circonstances extrêmes l'exigent nous fait
sourire un peu (p. 202). "l'lais elle, le repoussant avec dignité,
détourna de lui savvue ••• et voyant la mort inévitable, posa une
main sur ses habits, l'autre sur son coeur, et levant en haut des
yeux: sereins, parut un ange qui prend son Y2.! vers les cieux". Mais
il était écrit que Virginie devait mourir, car elle ne pouvait
retourner dans cette 11e paradiSiaque après avoir été souillée par
la civilisation. Bernardin la préfère morte, et au fond peu importent
iqescmoj{ens qu'il prend pour la faire dispara1tre. Même après qu'on
l'a découverte sur le rivage, Virginie conserve sa dernière attitude,
comme si le charroiement des vagues ne l'avait pas affectée. "Elle
était à moitié couverte de sable dans l'attitude où nous l'avions vue
périr" (p. 207). Et ici Bernardin a une expression très délicate:
"seulement les p~les violettes de la mort se confondaient sur ses
joues avec les roses de la pudeur".
Le portrait de Paul est peut-être plus réussi parce que moins
affecté~ A part la ressemblance avec le saint qui est décidément
artificielle, il nous appara1t tel qu'on imaginerait un enfant
élevé au sein de la nature. "On voyait se développer en lui le
caractère d'un homme au milieu des gr~ces de l'adolescence. Sa taille
était plus élevée que celle de Virginie, son teint plus rembruni,
son nez plus aquilin". L'auteur insère quelques touches morales
"ses yeux auraient eu un peu de fierté si les longs cils •••• ne leur
avaient donné la plus grande douceur" (p. 92). Paul ressemble plus
à Adam que Virginie à Eve. Pourtant le groupe que forment les deux
enfants est à nouveau tiré du marbre antique, mais revu et corrigé
-38-
par le christianisme : "à leur silence, à la naïveté de leurs
attitudes, on eut cru voir un groupe antique de marbre blanc
représentant quelques-uns des enfants de Niobé ; mais à leurs
regards qui cherchaient à se rencontrer, à leurs sourires rendus
par de plus doux sourires, on les eût pris pour ces enfan~du ciel,
pour ces esprits bienheureux". Lanson commentera ainsi ce passage
ilLe contraste entre ces deux comparaisons n'est pas simplement
du physique au moral, mais de la beauté matérielle à la forme sppri
tualisée par le rayonnement de l'~me, de l'art palen des grecs à
l'art chrétien des modernes. Ces huit ou dix lignes représentent
l'essence de la théorie esthétique du Génie du Christianisme" (1).
C'est la philosophie morale de Bernardin qui s'exprime dans ces
portraits plutôt que la psychologie des personnages: c'est sans
doute la raison pour laquelle ils manquent de vie à nos yeux.
Heureusement au cours du récit ils parviennent quelquefois à sortir
de leur gangue précieuse pour adopter des attitudes familières.
Ainsi, la naissance de l'amour donne lieu àuune peinture réussie
de ce sentiment et, ce qui est particulier au roman, des répercus
sions qu'il a sur la nature. L'analyse n'est peut-être pas profonde,
mais elle est finè~
Le sentiment qui unit les deux enfants au seuil de l'adolescen
ce est plus qu'amical,et, pourtant on ne peut le qualifier d'amoureux
au sens que nous donnons à ce mot. Paul et Virginie sont comme
Adam et Eve: "Au matin de la vie, ils en avaient la fra1cheur ; tels
dans le jardin d'Eden parurent nos premiers parents, lorsque sortant
des mains de Dieu ils se virent, s'approchèrent et conversèrent
d'abord comme frère et soeur" CP. 130). Ils sont trop simples pour
identifier ce senti~ent. Leur amour leur ressemble, innocent et pur.
Faul dit à ïTirginie : "Lorsque je suis fatigué, ta vue me délasse •••
quelque chose que je ne puis dire reste pour moi dans l'air où tu
passes ••• tu ravis tous mes ~ ••• si je te touche du bout des
doigts, tout mon corps !~émit de plaisir". Et Virginie lui répond en
lui donnant "plusieurs baisers" Cp. 131).
Un amour d'une telle force ne pouvait qu'évoluer dans un sens
plus complet et plus profond. Cela ne tarde pas d'arriver chez
Virginie qui se croit bientÔt atteinte IId'un mal inconnu". La
naissance de ce "nouvel" amour donne lieu à une peinture de ce
sentiment (p. 132 à 134). Bernardin n'utilise pas le mot lIamour"
dans sa description pour que nous puissions découvrir progressive~
ment la nature de ce limaI" avec Virginie. Car, en enfant de la
nature, elle ne peut identifier cette nouvelle maladie ; ce mot
de "mal" revient donc avec insistance au cours de la description
"mal inconnu, un mal n'arrive jamais seul ••• symptÔmes de son mal;
l'évolution de son sentiment appara1t aussi brutale" un embarras
subit la saisissait ••• elle était tout à coup gaie sans joie •••
elle a des caprices nouveaux ••• Puis elle se sentait agitée •••
elle se sentait troublée, elle était effrayée ••• la sérénité
n'était plus sur son visage ••• ni le sourire sur ses lèvres".
Elle n'est pas malheureuse pour autant: "elle reste gaie, mais
sans joie ; elle est triste, mais sans chagrin"
-40-
les rapports de Virginie avec son monde familier changent. "Elle
fuyait ses doux travaux ••• ses jeux innocents". Et surtout elle
cherche à cacher son sentiment à ses proches et particulièrement à
Paul, qui lui ne semble pas évoluer au même rythme :. IIElle fuyait
la société ••• elle errait dans les lieux les pilius solitaires, elle
cherchait le repos". Virginie cherche un appui contre elle-même et
c'est vers sa mère que naturellement elle se tourne. Elle lui apporte
"son coeur oppressé, pose sa tête sur le sein maternel, l'inonde de
ses larmes et voudrait confier ses peines".
Ce mal de l'âme a aussi ses manifestations physiques; "une
langueur universelle abattait son corps. Ses beaux yeux se marbraient
de noir,son teint ,jaunissait, ses joues étaient pâles" ... "La pudeur
colore d'un rouge vif ses joues pâles". Bernardin esquisse plus
loin d'autres manifestations physiques de l'amour d~ns le portrait
de Virginie avec les étoffes indiennes: "ses beaux yeux étaient
remplis de mélancolie ; et son coeur agité paruune passion combattue
donnait à son teint une couleur animée, et à sa voix desIDns pleins
d' émotions" Cp. 148).
Autre symptôme de son mal, ses actions sont désordonnées.
"Elle ne trouve ni sommeil ni repos, elle se levait, se rasseyait,
se recouchait •.• Elle allait vers Faul en folâtrant ••• puis tout à
coup ses yeux n'osaient plus se poser sur les siens ••• elle détour
nait la tête •.• elle fuyait tremblante. Elle pense à l'amitié de
Paul et elle soupire" Cp. 134).
1
-41-
Bernardin voit l'amour en peintre, comme il a vu la nature.
Il n'est peut-être pas un analyste profond des passions humaines,
mais il sait en observer les effets physiques,et surtout les
réfléchir dans la nature. A ce point de vue, il est o~iginal.
La nature, comme une mère, voit d'un oeil favorable la naissance
de cet amour : les oiseaux chantent quand ils voient Virginie.
Paul peut lui dire: "tout est gai autour de toi". L'héro!ne entre
voit dans l'eau, sur ses bras nus et sur son sein le reflet des
palmiers, epboles des deux enfants : "et ceux-ci entrelaçaient
au-dessus de la tête de Virginie leurs palmes". Elle projette aussi
dans la nature son inquiétude amoureuse: "La nuit même n'apportait
aucun rafraîchissement à l'atmosphère embrasée" ; le sol devient
brftlant, l'air étouffant, les nuits ardentes, les ombrages dangereux,
les eaux plus brftlantes que les soleils d'une zone torride". Aussi
les thèmes qui sy.mbo~la pureté et la blancheur sont-ils entre
mêlés aux visions de Virginie: "clarté de la lune ••• fontaine •••
source. •• filet d'argent... fraîcheur... couler... baigner" Cp. 134-
135) •
On trouve cette même projection des seRtiments des héros dans
la nature lors de la scène où Paul désespéré regarde disparaître le
vaisseau qui emmène Virginie. Il la voit d'une esplanade "élevée et
escarpée ••• environnée de précipices effroyables; c'est un lieu
sauvage, tcujours battu des vents qui y agitent sans cesse les
sommets des pal.mistes et des tatamaques ••• leur murmure sourd et
mugissant ressemble au bruit lointain des orgues" (p. 155-156).
-42-
A la fin, la nature qui a perdu s~ raison d'~tre souriante
et humaine reprend ses droits "Nul depuis n'a osé cultiver cette
terre désolée, ni relever ces humbles cabanes. Vos chèvres sont
redevenues sauvages ; vos vergers sont détruits ; vos oiseaux enfuis
et on n'entend plus que les cris des éperviers ll Cp. 229).
Trop aisément, on qualifie de fade l'oeuvre de Bernardin.
Il est vrai que son "angélismel/ a failli étouffer les personnages de
Paul et Virginie. L'auteur apporte tout de m~me quelque chose de
nouveau à l'exploration de l'âme humaine quand il décrit les mani
festations physiques de l'amour et la projection des sentiments sur
la nature. Avant lui, on s'était peu intéressé à ces problèmes,
sauf les Alexandrins que le néo-classicisme était en train de redé
couvrir. Toutefois, l'analyse morale n'est jamais ap~rofondie chez
Bernardin, et nous le regrettons d'autant plus qu'il a entràvu
l'importance du songe quand les deux femmes racontent au vieillard
leur rêve; lorsque le fantôme de Virginie s'adresse à Paul, elle
lui entrouve les portes de l'au-delà: "Je suis pure et inaltérable
comme une particule de lmmière et vous me rappelez dans la nuit de
la vie! " Cp. 221-222).
-44-
Chapitre I. La personnalisation de la napure
A l'idylle éternelle et idéale de Paul et Virginie s'entrelace
une autre forme d'idylle reliée à une époqu~, c'est que nos héros
sont deux "enfants de la nature" au sens que Jean-Jacques Rousseau
avait donné à ce mot. L'idée des harmonies de la nature, de la
symbiose de l'homme et du monde, domine le roman. Entre l'homme et
le monde l'accord est si parfait que leurs oeuvres se confondent.
Paul a construit son jardin comme un amphithéâtre de verdure, mais
il ne s'est pas écarté du plan de la nature. Celle-ci appara1t
donc dans le roman comme une présence aussi forte que celle de Dieu.
Elle n'est plus un décor commode pour situer une aventure,
mais un thème du roman, mère et reflet d'un amour. Bernardin a fait
des progres dans l'expression stylistique de la nature, comparé à
ses contemporains. Dire qu'il a réussi à la personnaliser ne serait
pas exagéré ; pour lui, elle est une ·entité vivante : Paul et
Virginie vivent dans un monde où tout leur fait signe, où Dieu et
la nature, chaque fois qu'ils sont en péril, interviennent pour
les sauver. La nature appara1t comme un refuge, une mère et une
complice du trouble amoureux de Virginie. C'est par le:<pecours aux
divers procé§és grammaticaux comme l'article, les temps verbaux et ,/ - ~-'~a métaphore que la personnalité de cette nature est le mieux
exprimée.
-45-
Ainsi son autonomie face à l'homme est bien mise en lumière
par l'emploi de ~'indéfini : il né désigne pas l'espèce, mais un
nombre indéterminé de cette espèce, et actualise un objet pris
dans un ensemble du même ordre. Ainsi "d€S)bouquets d'arbres fl , ne
désigne pas les arbres, ce qui serait abstrait, mais des arbres
que l'on pourrait compter. L'indéfini est aussi utilisé dans les
énumératmmns, et concrétise davantage les composantes de la nature
"Il avait planté encore ~ pépins, ~ noyaux de badamiers" (p. 109)
L'enclos de Paul renferme des plantes potagères, des lisières de
prairies, des champs de riz et de blé" (p. 111). Dans le bassin de
Virginie'''rayonnaient "~ larges capillaires, flottaient des touffes
de scolopendre, croissaient des lisières, pendaient des lianes"
(p. 117). Le défini aurait mis l'accent sur l'espèce dite flcapillaire'
alors que l'indéfini nous montre un nombre indéterminé de représen-..
tants de cette espece.
Les indéfinis au piliuriel et le partitif, en plus d'actualiser,
ont une valeur emphatique. "Des exhalaisons chaudes sortaient du
flanc des montagnes, des vapeurs rousses s'élevaient" (p. 133) •••
illustrent ~vec plus de force la chaleur accablante de l'été et
laissent présager l'ouragan. Ils peuvent aussi nous donner l'impres
sion que nous avons ài'faire à un fouillis végétal : "des lianes, des
arcades de fleurs, de longues courtines de verdure, de longs rubans •• ''
(p. 117). Paradoxalement le défini au pluriel peut être lui aussi
employé comme moyen de personnification, en entourant les éléments
d'un halo impressif. Ainsi "les eaux qui descendaient" ne désigne
-46-
pas l'eau en tant qu'élément, mais l'eau comme présence au sein
de la nature. "Les soleils de la zone torride", "les reflets des
palmiers, "les parfums" invitent le lecteur à une rêverie concrète.
C'est cependant le possessif qui contribue le plus à person
naliser la nature ; non seulement celui-ci renforce le caractère
actualisateur de l'indéfini, mais il agit comme déterminant, car
il suggère une appartenance, une figuration réelle ou imaginaire.
En fait, Bernardin l'utilise systématiquement dans ses descriptions.
Nomme-t-il un arbre, aussitÔt il rattache à celui-ci ses composantes
comme les feuilles, les branches et le tronc. Ainsi, dès le début,
les rochers apparaissent avec leur indiridualité. L'auteur parle
de "leurs bases, de leurs fentes, de leurs cimes, de leurs pitons,
de leurs flancs verts et bruns,etc ••• " Cp. 78). Les montagnes et
la ville sommairement décrites auparavant ne composaient qu'une
toile de fond, mais d.es rochers ont une Signification dans l' histoire
de Virginie et de Paul. Ils forment l'enceinte protectrice de ces
familles, le rempart qui les protège du monde extérieur. Ils
constituent le lieu de leur refuge, mais ils sont aussi une clÔture
contre le monde. Bernardin rejoint ici la pensée de Rousseau, en
croyant que le bonheur consiste à ne pas dépasser la zone étroite
d'un bonheur individuel.
Le Saint-Géran s'individualise lui aussi par le possessif;
on se réfère à "~ fanaux allumés, ~ signal, .§.Q.B. pont, ~ vergues
ses mâts de hune, §Qg pavillon, son avant, §Qg arrière, ~ proue,
ses câbles" CP. 199-200).
Cv '..J-
-47-
Le démonstratif réunit, comme le possessif, en même temps
qu'une valeur d'actualisation, une valeur de détermination. C'est
pourquoi nous avons noté quelques uns desses effets dans ce chapitre.
Il complète le possessif en ce sens qu'il détermine lui aussi plus
fortement que l'indéfini, mais il n'en reste pas moins un mode
différent de détermination, donc de pensée; dans lIun de ~ étés ••. "
(p. 133) désigne un été particulièrement ardu et accablant. "~
dangereux ombrages" et "~ eaux plus br1Uantes que les soleils"
1 renforment le caractère personnel de ces éléments.
Si la nature européenne ne nous semble pas aussi providentielle
que celle de Paul et Virginie, c'est que la civilisation a masqué
son vrai visage, pense l'auteur; dans le paradis terrestre, elle
s'accordait parfaitement à l'homme. Elle s'ingéniait alors à répon
dre à ses désirs et, mieux que cela, elle reflétait ses amours.
Mais hélas, cette nature maternelle est contingente. Elle veut
bien être une mère compréhensive, mais à condition que les hommes
sachent l'écouter: et, pour en être capables il faut qu'ils rede
viennent purs, délivrés de la corruption européenne. Bernardin
marque bien,~ des temps verbaux la démarcation qui existe
entre cette nature contingente exprimée à l'imparfait et la nature
éternelle suggérée par le présent. L'imparfait, qui a valeur d'éloi
gnement dans le temps, tend à personnifier en quelque sorte la
nature en rendant ce paradis vraisemblable. Au temps de Virginie,
ces paysages aimables avaient raison de l'être. L'imparfait est
donc employé pour s'attarder sur la description; il s'oppose au
-48-
passé fugitif, comme le défini, pour se rapprocher imperceptiblement
du pr~sent, et transformer le récit en tableau, procédé que repren
dra Chate~ubriand. La forme pronominale est un autre moyen stylisti
que par lequel la nature s'inscrit dans un courant animiste qui
permet à la conscience d'intégrer le monde extérieur à sa vie et
à sa durée.
L'imparfait de contingence, qui.. se rattache directement au
présent, semble le temps approprié pour exprimer que ce que l'on
mentionne avait dans le passé un sens, une existence et une raison
d'être. Il est en opposition directe avec le présent atemporel, et
nous renvoie au temps où les familles vivaient heureuses dans leur
paradis. La nature, semble nous dire Bernardin, avait une conscience,
elle était comme la prolongation de l'hoïame. C'est pourquoi l'impar
fait est le temps adéquat pour exprimer l'harmonie entre l'Homme et
les éléments, parce qu'alors cette correspondance entre les désirs
de l'homme et la nature avait un sens. Aussi le bassin de Paul est
il l'image de cette harmonie; si le héros a construit son jardin
comme un amphithéâtre de verdure, il n'a pas fait pour autant
violence à la nature. D'ailleurs elle-même s'organise pour protéger
et réjouir ceux qu'elle aime. liCe vaste enclos paraissait de son
centre comme un amphithé~tre de. verdure. Les eaux formaient ici des
fontaines, les ravins formaient des souterrains vo~tés inaccessibles
à la chaleur" (p. 111).
-49-
Le bassin appelé "le Repos de Virginie" est lui aussi évoqué
à l'imparfait parce qu'il n'avait une existence et une continuité
que dans le passé. "Rien n' était plus agréable que ce qu~on appelai~1
(p. 116)~ Nous avons ensuite une série de passés définis événemen
tiels, suivis d'imparfaits descriptifs qui~riment la conséquence
de faits relatés au passé. Ils peignent une végétation exhubérante,
épanouie et heureuse comme les habitants qu'elle reflete. Les
cocotiers, par exemple ne sont-ils pas symboles des deux enfants
"Ils entrelaçaient leurs palmes" ~p. 116). L'imparfait semble donc
le temps le plus propre à saisir cette vie dans sa durée: " ••. rayon
naient de larges capillaires, croissaient des lisières de pervenches.
exhalaient les plus doux parfums ••• "
L'imparfait des flDeux palmiers qui entrelaçaient leurs rameaux
verts au-dessus de la tête de Virginie" s'oppose aux présents de la
description pour ajouter une autre dimension à la rêverie'de l'héro
ne. Cet imparfait duratif suggère que l'amour des deux enfants,
symbolisés par les palmiers, est plus fort que le moment présent
et qu'il déborde en quelque sorte dans le passé et l'avenir.
L'imparfait descriptif est largement employé en référence à
la nature paradisiaque de l'île. Elle appartient certes au passé,
mais un passé qui ne serait pas classable dans une chronologie.
La nature peut être ainsi fixée enmbleaux qui sortent de la
narration pour nous inviter à la contemplation. "L'ombre des
montagnes couvrait déjà les forêts ••• le vent se calmait ••• un
profond silence régnait ••• ses rayons divergeaient ••• son disque
-50-
tout entier paraissait à l'extr:émité d'une avenue ••• " (p. 103).
L'emploi des imparfaits dans la description de l'été ajoute une
dimension nouvelle : celle de la durée implacable de la violence
de l'été qui s'éternise avec toutes ses conséquences: "Des tourbil
lons de poussière s'élevaient ••• la terre se fendait ••• " (p. 133).
La forme pronominale concourt à personnaliser la nature en
lui donnant une note d'infériorité. En effet, elle semble douée
parfois d'une volonté et d'une conscience à cause de l'emploi de
cette forme. Nous avons à plusieurs endroits le pronominal "s'élever
"Les pics s'élevaient au-dessus des ombres" (p. 78), "les cierges
épineux s'élevaient sur les têtes noires des roches" (p. 110). Nous
trouvons aussi: "Le vent se calmait" (p. 103), "1a terre se fendait
(p. 133), "des torrents écumeux se nrécipitaient" (p. 134) qui
suggèrent que les êtres et les choses subissent les évènements en
même temps qu'ils les accueillent: la nature nous appara1t alanguie,
disponible et réceptive.
Bernardin se rapproche de la personnification proprement dite
dans son emploi de la métaphore, mais il ne parvient pas à insuffler
à la nature une vie complètement détachée de l'homme, parce qu'il
ne quitte jamais le plan du réel. A l'époque, pourtant, c'était
une révolution stylistique que de transformer ainsi son visage.
Il faut donc replacer l'auteur dans son contexte pour saisir l'im
portance de ses innovations. Rousseau avait introduit un vocabulaire
qui traduisait l'amour et le go~t de la nature, mais c'est avant
tout lui-même qu'il peignait dans ses descriptions du paysage,
-51-
alors que Bernardin dépasse son maître en communiquant à son décor
une individualité: la nature est une amie de l'homme qui reflète
ses états d'âme. Sur le plan grammatical, nous ressentons ce progrès
par la métaphore, et les verbes expressifs dont les sujets ne sont
pas humains.
Notons parmi cas verbes expressifs : "Les cierges épineux
semblaient vouloir atteindre aux longues lianes ••• Les cocotiers
laissaient pendre leurs jeunes grappes " CP. 110 et 117). "Un de
ces étés vint étendre ici ses ravages" Cp. 133), comme si l'été
était un être doué de volonté et capable de faire écho à l'âme
inquiète de Virginie.
La tempête qui devait engloutir le Saint-Géran est peut.être
la personnification la mieux réussie de Paul et Virginie. Ici la
nature a ce~sé d'être amicale. L'ouragan qui succédait aux chaleurs
de l'été était malgré tout inoffensif et même bienfaisant puisqu'il
rafra1chissait la végétation. La tempête de la fin, c'est la nature
qui retourne à l'état sauvage. "Un tourbillon affreux enleva la
brume ••• Chaque lame qui venait briser sur la côte s'avançait en
mugissant, jusqu'au fond des anses, et y jetait des galets ••• puis
venant à se retirer, elle découvrait une grande partie du rivage dont
elle roulait les cailloux avec un bruit rauque ••• La mer, revenant
sur ses pas, elle le couvrait d'énormes vo-o.tes d'eau ll CP. 199-200).
-52-
Pourtant la nature est avant tout aimable et a quelquefois
des sentiments presqu·humains. "Des arbrisseaux qui se plaisent
dans les roches ••• ". L'impression est encore faible, mais les
animaux dans cette pastorale sont certainement des amis de l'homme.
"Dès qu'elle paraissait, les merles siffleurs, les bengalis ( ••. )
quittaient leurs buissons, des perruches vertes descendaient des
lataniers voisins ••• des perdrix accouraient" (p. 119).
La vision de Bernardin, si elle n'est pas toujours vraie
(par exemple sa théorie des causes finales concernant la nature),
n'en est pas moins utile. Ainsi, sur le plan poétique ses idées
lui ont permis de personnaliser la nature ; sans doute, ses
descriptions sont elles na!ves, mais c'est ce qui fait le charme
de Paul et Virginie; (Quand l'auteur n'adopte pas le ton moralisa
teur qui va de pair avec sa philosophie). Ce qui compte, c'est que,
grâce à son idéologie, il a su donner vie à ses descriptions de la
nature.
-53-
Chapitre II. Nature contingente et nature éternelle
Il Y a deux types de natures qui coexistent chez Bernardin
d'abord celle qui a gardé son intégrité première, mais tout de
même contingente. Et puis, il y a l'éternelle nature, immuable à
travers le temps. Les lieux des amours de Paul et Virginie n'ont
pas changé, mais ils ont perdu leurs noms avec la disparition de
ceux qui les occupaient. Ils sont retournés à l'état sauvage, tels
en somme, qu'ils ont toujours été, sont et seront. Cette dualité
s'explique par le fait que la nature ne doit son individualité
qu'à la présence de l'homme: Paul et Virginie disparus, son rÔle
maternel n'a plus de sens et elle se retrouve bientÔt telle qu'en
elle-même.
Sur le plan stylistique, nous ressentons d'une part cette
dépendance vis-à-vis de l'homme par l'emploi du pronom indéfini "on",
des comparaisons, et des noms donnés aux endroits de l'habitation
par Paul et Virginie. D'autre part, l'emploi de l'article et du
présent atemporel traduisent ill.'éternité de cette nature, qui,
paradoxalement, n'a plus besoin du regard de l'homme potœ exister.
La fréquence de l'indéfini "on" au cours du récit dénote que
la nature attend l'oeil humain pour commencer d'exister. Certes,
l'auteur s'est dégagé de l'influence de cet indéfini dans sa person
nalisation, mais nous pouvons imaginer, au dénombrement de ces
pronoms, jusqu'à quel point la description de la nature est encore
-54-
timide. Ainsi le lecteur a l'impression que le Morne de la Découverte
la Baie du Tombeau, la rivière des Lataniers existeraient difficile
ment s'il n'y avait l'homme pour constater cette présence: "Sur le
cOté oriental, Qg voit dans un jardin ••• On aperçoit ••• Qg distingue
devant soi ••• l'Qg découvre ••• On n'entend plus et Qg ne voit plus •••
Qg voit •• ~ Nous avons dénombré tous ces pronoms dans les seules
pages 77 et 78. La liste serait trop longue si nous les mentionnons
tous. Retenons au passage: "Ces plateaux verts sont autant d'étages
par lesquels .QB parvient •.•• de ce lieu cin voit une grande partie de
l'11e"Cp. 155). Oertains ve~bes ont la même valeur stylistique que c
indléfini "on" : "La rivière passe en ligne droite C •.. ) de sorte
qu'elle me présente C •.. ) des bosquets de palmistes paraissent au
dp.ssus des autres arbres comme une forêt C •.• ) Il s'y joint des
lianes qui C •.. ) forment des arcades ••• vous les diriez à demi-cou
verts" CP. 170-172).
Les c'omparaisons, parce qu'elles ne quittent pas le plan du
réel, n'ont pas la même puissance d'évocation que la métaphore qui,
elle, s'ouvre sur l'imaginaire. Elle présupposent qu'il y a toujours
l'homme pour établir le rapport entre l'objet comparé et l'objet
auquel on réfère. Ain.si dans "le coin de J.Vlire ressemble à~un bastion
au milieu des flots" Cp. 77) et les "rochers escarpés comme des
murailles" Cp. 78), nous ressentons bien cette référence à l'homme.
L'auteur use volontiers de comparaisons qui tiennent compte de son
public raffiné de fin de siècle quand il parle de "longues courtines
de verdures~' et de lianes Il semblables à des draperies flottantes"
(p. 117).
-55-
Même les arbres et les pierres se prêtent à des inscriptions
latines pour l'édification de l'homme. Ce rÔle, pourtant ne leur
était d~volu que du temps où les habitants de ces lieux vivaient.
C'est pourquoi le vieillard seD3ppelle toujours ces noms et inscrip
tions au passé: "Rien n'était plus agréable ••• J'évrivis donc sur
le petit mât de pavillon ••. " (p. 113-11lJ.).
L'homme s'exprime à travers son entourage, et Bernardin a
sans doute raison de dire : "ces familles heureuses étendaient leurs
âmes sensibles à tout ce qui les environnait" (p. 115). On voit donc
à quel point la présence de l'homme marque la nature; cela semble
CO:rltr'P,r:ï:i.J:'P. le thème de la personnalisation, mais nous croyons que
cela le complète, puisque les amours de Paul et Virginie ne sont
imaginables qu'enlacées à l'idylle entre l'homme, la nature et Dieu.
L'homme se pro~ dans la nature, et celle-ci le reflète, parce
qu'elle est une entité vivante.
A cette nature contingente qui n'existe que dans la mesure où
les hommes sont là pour la nommer, s'oppose la nature éternelle qui
se profile derrière le paysage familier de l'Ile de France. Il
existe dans l'esprit de Bernardin une nature lIobjective" et "indé
pendante", qui est évoquée au cours du récit par les différentes
valeurs stylistiques du présent atemporel, et de l'article.
Le défini abstrait en quelque,sorte ce qui ne fait pas partie
de l'univers quotidien des enfants; par exemple les oiseaux dans
-56-
la description du Renos de Virginie sont symboles du lointain ;
aussi sont-ils désignés par le défini. Ils sont trop peu cohnus
pour être partaitement classés, ils restent donc dans le domaine
du gé~éral. Ils ne sont pas perçus en~nt qu'espèces, et c'est
pourquoi le défini singulier suffit à les nommer : "le corbigeau,
l'alouette marine, la noire frégate, l'oiseau blanc des Tropiques"
(p. 118). Par contre, les animaux qui s'approchent de Virginie et
font partie de son entourage immédiat, sont désignés par l'indéfini
"des perruches vertes ••• des perdrix accouraient" (p.119).
Le défini peut aussi avoir valeur de collectif. Il substitue
alors une synthèse à une analyse,~ groupe en·une unité construite
par l'esprit ce que la réalité présente d'apparences diverses.
Ce collectif apporte la désignation la plus large possible au niveiju
de l'espèce; ainsi Bernardin abstrait les végétaux pour mieux nous
lep faire voir. "il allait déraciner de jeunes plants C .•• ) dont
la tête est d'un si beau vert C .•. ) et g'attiers dont le fruit a
le parfum· de la fleur d'orange. Il y avait semé l'agathis, le lilas
de Ferse •.• " CP. 109).
Le démonstratif à valeur d'éloignement a fonction de donner
une vue d'ensemble sur le paysage: "de sorte que ~ vaste enclos
paraissait de son centre" Cp. 111) ; quelquefois ce démonstratif se
double d'une valeur d'hostilité. Le paysage de l'observatoire de
Paul semble se retirer en lui-même après le départ de Virginie :
"Quoique cette enceinte de rochers paraisse ••• ~ plateaux élevés •••
-57-
ce cÔne de rochers ••• ce rocher ••• cette hauteur ••• ce lieu ••• "
(p. 155).
Le présent atemporel insiste à son tour sur les caractères
éternels de cette nature qui débordent de l'action dramatique de
Paul et Virginie. L'histoire commence par une description faite
au présent, parce que le lieu nous est présenté tel qu'il est, d'une
manière objective "la montagne qui s'élève derrière le Port-Louis ••.
un bassin ( ••• ) qui n{a qu'une seule ouverture sur le nord ••• le
chemin qui mène ••• l'église qui s'élève" (p. 77). Les présents qui
suivent ont presque une charge dramatique, quand on les compare aux
imparfaits descriptifs du reste du récit. I«i , nous avons affaire
au bassin redevenu sauvage, vidé de sa signification: "les échos
de la montagne répètent ••• les plumes peignent ••• un grand silence
règne ••• " (p. 78) ; malgré son indifférence, la nature, dirait-on,
se recueille en souvenir des êtres qui ne sont plus, avant que le
vieillard ne commence son récit.
Les présents traduisent en plus les fonctions indépendantes
ou indifférentes de la nature, en opposition avec ses actions du
temps jadis. Nous avons par exemple ; "les eaux qui descélldènt du
sommet de ces roches formaient au fond des vallons ici des fontaines."
"De cette énorme quantité de pierres qui embarrasse maintenant le ch
min, ( ... ) il avait formé ça et là des pyramides" (p. 111-112).
"Un de ces étés qui désolent ••• vint étendre ici ses ravages. C'était
vers la fin de décembre lorsque le soleil échauffe ••• " (p. 133).
Ces présents, en plus d'avoir une charge dramatique, introduisent
une nouvelle dimension à la description: celle de l'éternité de
-58-
la nature, qui apparaît hostile, comparée à sa complicité du
temps passé.
Après le départ de Virginie, non seulement les présents
s'opposent aux imparfaits, mais ils accaparent complètement la
description. Il semble que la nature se refasse à son image
"Quoique cette eI;l.ceinte paraisse ( ••• ), ces plateaux divisent les
nuages que le sommet du Pouce attire ••• " (p. 155).
Le présent atemporel peut aussi avoir une valeur explicative
qui donne une sorte d'objectivité, de reportage au récit. Cet aspect
s'insère toujours dans le rythme général de la description et ne
retarde jamais l'auteur; "Il allait déraciner de jeunes plants de
tamarins dont la tête est d'un si beau vert ••• L'agathis où pendent
tout autour". (p. 108-109).
Si Bernardin a dépassé ses contemporains et ses prédécesseurs,
comme Diderot, dans sa personnalisation de la nature, en revanche,
il se rapproche de son maître Rousseau quand il utilise la nature
pour s'exprimer. La nature pour Bernardin est, hélàs, trop souvent
une école d'édification, alors que pour Rousseau elle apporte un
refuge contre les hommes. C'est sans doute ce qui éloigne l'un de
notre sensibilité moderne et en rapproche l'autre. Quant à l'ambi
valence de la nature (personnelle et éternelle) ; nous croyons
qu'elle enrichit la vision de l'auteur, et lui permet une exploita
tion plus intéressante de ce thème.
-59-
Chapitre III. L'illustration picturale
Le rÔle de Bernardin dans l'illustration picturale de la
nature a été celui d'un novateur et d'un précurseur. Certes, Rousseau
a aimé la nature paSSionnément lui aussi, mais ce qui nous reste
de la nuit d'été près de Lyon des Confessions ou du Lac de Bienne
dans les Rêveries, ce sont beaucoup plus des sensations de bonheur
au sein de la nature que des images. Le paysage chez Rousseau est
beaucoup plus suggéré que décrit. C'est justement parce que Bernardin
est un écrivain inférieur à son ma1tre qu'il faut lui ~endre justice,
et reconna1tre son originalité dans l'emploi des moyens stylistiques
dont il disposait.
Chez lui, les épithètes sont encore abstraites, mais il sait
tirer profit de la valeur qualificative des participes, ainsi que
de la phrase nominale. De plus, il concrétise son tableau à l'aide
de circonstanciels, de prépositions, de propositions relatives et
participiales à valeur d'épithète. Certes, l'exploitation stylisti
que de l'article, des temps ~erbaux et de la métaphore est encore
limitée, mais celle de la comparaison est déjà plus riche. Nous
sommes encore bien loin de la ma1trise d'un Flaubert, mais, de
Bernardin à Pierre Loti, le chemin parcouru dans la littérature
descriptive est immense, et rappelons-nous que notre auteur n'avait
pas de précurseurs dans la description de la nature. (Le Voyage à
l'Ile de France a été publié en 1773, les Confessions en 1782 et 1789,
et les Rêveries du Promeneur solitaire en 1782).
-60-
L'utilisation de l'article du point de vue pictural est
encore très faible: s'il était utile comme moyen de personnifica
tion ou d'abstraction, en revanche, sur le plan de la concrétisation
il n'y a que l'indéfini qui parvienne à donner une note qualitative
à un substantif. Ainsi dans "];!!! profond silence" CP. 78), "];!!! de
ces étés" Cp. 133), Il:ga feu dévorant", "~ verdure et .l!!!.ê. fraîcheur
qu'on trouve rarement" Cp. 173). Les articles insistent sur l'aspect
qualitatif du silence, de la chaleur de l'été ou de la fraîcheur
de l'air, en les enveloppant d'un voile d'indétermination qui
laisse libre cours à l'imagination du lecteur.
C'est par leur valeur expressive que les temps verbaux ont
une place dans ce chapitre sur l'illu~tration picturale. En effet,
l'alternance des prétérits et des présents dans certains passages
introduit un climat dramatique. Chacun de ces temps a sa significa
tion propre : le prétérit est le "temps-point" qui marque une pause
dans le temps, l'imparfait est descriptif, et le présent peut,
ou indiquer l'éternité de la nature, ou, dans une série d'imparfaits,
avoir une charge dramatique. C'est leur voisinage et leur opposition
qui "tendent" en quelque sorte le récit.
Nous avons cette opposition bien mise en valeur dans la
narration de la page 99. L'imparfait duratif introduit un moment
"en suspens", comme pour exprimer l'inquiétude de ces enfants:
"Comme ils regardaient de côté et d'autre s'ils ne trouveraient pas
quelque chose de plus solide, Virginie aperçut ••• " Après cette série
-61-
d'imparfaits, le prétérit marque la surprise et l'étonnement de
Virginie qui aperçoit soudain un palmiste dont le chou est comestible
(p. 99).
Il Y a encore affrontement de plans dans la description du
mal de Virginie (p. 134). Les présents ont là aussi une valeur
dramatique dans un récit à l'imparfait. Ainsi nous avons: "Elle
s'asseyait ••• se recouchait" suivis de "elle s'achemine" qui nous
rend directement l'action de Virginie sous les yeux, et fait apparaî
tre son désarroi plus saisissant. Le récit continue ensuite au pré
sent: "elle se plonge dans son bassin ••• elle entrevoit dans l'eau
les reflets des palmiers qui entrelaçaient ••• ". Cette discordance
temporelle s'explique peut7 être par un souci de vérité psychologique
de la part de l'auteur, à savoir que les palmiers symboliques sont
plus forts que le temps.
Les qualificatifs de Bernardin sont semblables à ceux de ses
contemporains en ce sens qu'ils sont pauvres, ternes et abstraits.
Les tonnerres sont "affreux", les pluies "épouvantables" (p. 135),
les chaleurs "étouffantes". Echappent cependant à cette banalité,
les pyramides "sombres et brutes" (p. 112), la pompe "magnifigue et
sauvagellde la végétation" (p. 118) et les nuages "cuivrés" (p. 198).
Ce n'est donc pas dans les qualificatifs proprement dit que
nous trouvons les notes descriptives du récit, mais dans les partic
à valeur d'épithète employés de façon systématique. Ils accompagnent
les substantifs, qu'ils étoffent et concrétisent: "Les longues
-62-
flèches (des palmistes) toujours balancées par les vents" (p. 78),
des fleurs "jaunes fouettées de rouge C ••. ) Des lianes chargées de
fleurs bleues" (p. 110). On trouve aussi de longs 'rubans d'un vert
pourpré", "des touffes suspendues" (p. 117), "l'horizon embrum~"
Cp. 133), etc ••• Ces participes passés, en plus de remplacer les
épithètes traduisent la passivité de la nature tropicale abandonnée
à la Providence et à l'homme.
La phrase nominale entre, elle aussi, dans la littérature
descriptive. Du fait qu'elle donne au substantif l'importance habi
tuellement accordée au verbe et à l'adjectif, elle nous rend plus
sensibles les caractères du sujet étude. Evidemment, elle n~atteint
pas la perfection qu'elle aura chez les Naturalistes. Mais reconnais
sons que Bernardin savait déjà l'utiliser.
Elle semble particulièrement appropriée pour faire le portrait
de Virginie. Le verbe est alors au degré zéro, qui a pour fonction
d'attirer notre attention sur le caractère angélique du sujet:
"Leur Obliquité naturelle vers le ciel leur donnait une expression
d'une sensibilité extrême et même celle d'une légère mélancolie,
Quant à Paul, sa taille était plus élevée que celle de Virginie,
son teint plus rembruni, son nez plus ~quilin et ses yeux qui étaient
noirs auraient eu un peu de fierté" ... (p. 9ç); les verbes ne sont
guère que des instruments commodes qui permettent d'opposer en
quelques traits vigoureux la virilité de Paul à la délicatesse de
Virginie.
-63-
L'auteur procède de la même façon pour ses personnages. Il
tend plutôt à les dépeindre qu'à les analyser. Nous percevons leur
~e comme un paysage. L'intensité des termes employés nous rend
immédiatement sensibles les troubles qu'éprouve Virginie au seuil
de l'adolescence. Dans "la sérénité n'était plus sur son visage",
lion la voyait gaie sans joie" (p. 133), les verbes ne sont que des
outils syntaxiques. O'est le sujet seul, "sérénité", qui porte
l'essentiel du sens. De même dans l'expression "On la voyait sans
joie", liOn la voyait" n'est qu'une formule introductive pour attirer
notre attention sur "sans joie" ; les termes ne sont pas analysés,
mais j~aposés, sans analyse logique.
Il Y a d'autres types de phrases nominales telles que les
propositions absolues "à la vue de Paul ••• Près de l'aborder •••
malgré la sécheresse ••• à la clarté de la lune ... " (p. 133 à 135).
La présence d'un verbe aurait alourdi sans raison ces phrases.
De même dans "Elle entrevoit les reflets des palmiers", "chercher
un appui contre elle-même", les expressions brutes n'en ont que plus
de force, et ainsi nous pouvons mieux comprendre l'état d'âme de
Virginie.
L'emploi du substantif apparemment abstrait produit le même
effet que celui de la phrase nominale, tout en donnant à ce substan
tif une valeur concrète : "une langueur universelle abattait son
corps", 1tune verdure couvre", "un embarras subit la saisissait",
"la fraîcheur ranime ses sens 1t (p. 135). Ces substantifs permettent
un vigoureux raccourci d'expression, et en même temps donnent aux
-64-
verbes leur pleine expression IIUne langueur ( ••. ) abattait •••
un embarras la saisissait ll• Ces verbes, de plus, se haussent au
niveau de la métaphore.
La comparaison est, elle aussi, un des éléments du matériel
grammatical assez bien exploité. Non seulement elle concrétise les
éléments de la nature, mais elle nous les rend familiers: dans
II quo ique sa tige ne ftl.t pas plus grosse que la jambe" 0p. 99),
la comparaison très concrète nous donne une idée précise du volume
de ce tronc d'arbre! Il Y en a cependant de plus poétiques dans
le texte ; par exemple, 1I1es eaux plus claires que le cristal" est
simple mais d'une belle expressivité ; IIde longues grappes de
fleurs blanches qui pendent comme les cristaux d'un lustre" (p. 99),
et des "lianes semblables à des draperies flottantes ll (p. 119) se
réfèrent toutes deux à un monde familier aux lecteurs.
~e champ de la métaphore est lui aussi très vaste. Nous en
trouvons quelques-unes de nouvelles chez Bernardin, parfois classi
ques, parfois très neuves. Parmi celles qui sont déjà consacrées
par l'usage, nous avons: lIinonder de ses larmes ll ••• IIcoulait en
filets d'argents ll (p. 134, "la lune paraissait entourée d'un rideau
de nuages" (p. 149) •• ; "les eau..."'C plus brhlantes que les soleils"
(p. 134) est peut-être banal, mais les pluriels augmentatifs des
eaux et du soleil poétisent l'expression.
Nous en trouvons aussi de jolies et d'assez neuves pour
l'époque, qui projettent une image vigoureuse: 1I1es arcades de
fleurs, les courtines de verdure" (p. 119) et "ses beaux yeux se
-65-
marbraient de noir" CP. 129).
D'autres moyens grammaticaux viennent se greffer à la
description comme pour mieux l'étoffer. S'ils n'ont pas la valeur
dramatique des temps verbaux, s'ils ne sont pas aussi spectaculai
res que la comparaison et la métaphore, ils n'en sont pas moins effi
caces ; par exemple, nous trouvons disséminés un peu partout dans
le texte, des circonstanciels descriptifs. Ce sont eux qui main
tiennent une image colorée de la nature, parce qu'ils sont souples
et enrichissent discrètement le substantif. Ainsi, gr~ce à eux,
la lumière de la lune s'étale subtilement sur le paysage "La lune
paraissait au milieu du firmament, entourée d'un rideau de nuages
que ses rayons dissipaient par degrés, Sa lumière C ••. ) se répandait
sur les montagnes, C .•. ) et sur leurs pitons qui brillaient d'un
vert argenté" Cp. 149). L'auteur n'analyse pas à l'aide de qualifi
catifs abstraits mais peint sa lumière nocturne ; les circonstan
ciels sont en somme l'équivalent littéraire du coup de pinceau, qui
aurait distribué la clarté de la lune dans l'atmosphère et sur les
montagnes. Le même procédé est utilisé pour préciser le dessin des
végétaux: "L'agathis ou pendent tout autour des grappes ••• Des
cierges épineux s'élevant sur les têtes noires des roches ••• des
fleurs qui pendaient ça et là le long des escarpements" Cp. 110).
Quant à l'emploi des compléments déterminatifs, il n'est pas
encore aussi systématisé que chez Flaubert, mais nous en avons de
beaux exemples dans le texte. Ils apportent eux aussi un surcro1t
de détermination aux substantifs. Ils sont le plus souvent efficaces
-66-
dans la description des végétaux. La plupart du temps ils indiquent
simplement la matière : Nous aVOD.S ainsi "grappes de coco, touffes
~e scolopendres, lisières de pervendhe, herbe de baume, ccurtine de
verdure" (p. 117). Ils peuvent aussi indiquer l'espèce: "L'oiseau
blanc du Tropique" Cp. 118), "L'oiseau de marine" (p. 181)~. L'auteur
se rapproche de l'art flaubertien qu~nd il décrit les étoffes indi
nes qu'on apporte à Virginie: "des buftas de Surate d'un si beau
blanc, des chittes de toutes lesanuleurs C ••. ) à fond sablé et!
rameaux verts ••• de magnifiques étoffes de soie de la Chine, des
lampas découpés à jour, des damas d'un blanc satiné, d'autres
d'un vert de prairie ... des satins à pleine main"(p. 146).
Enfin, les relatives à valeur d'épithète ont une fonction qui
se rapproche de ces déterminatifs. Elles aussi précisent et concré
tisent à leur façon, et peignent na!vement l'exubérance heureuse
de ce paradis: Le lilas de Perse "qui-él!ève-droit-en l'air" •.•
les papayers "dont-le tronc-sans-branches~ •• les lianes "qui-pendent
tout-autour" (p. 110). Les participiales opèrent sur un autre plan
qui est celui de l'action des forces de la nature. Cet aspect est
la plupart du temps ignoré de Bernardin, pour qui la nature cesse
d'être intéressante s'il ne peut pas la peindre "La rivière qui
coule en bouillonnant ••• une nappe d'eau qui se brise en tombant •••
chaque lame s'avançait en mugissant, puis venant à se retirer ••• "
(p. 172 et 199).
Enfin les relatives peuvent avoir une valeur explicative
d'abstraction pour que le lecteur se représente mieux les herbes
-67-
"qui s'élèvent peu", les végétaux "dont les semences sont volatiles",
ceux "dont les graines sont faites pour flotter" Cp. 111), l'herbe
de baume "dont les fleurs sont en forme de coeur" CP. 117).
Tous les moyens sont bons pour exprimer l'exubérance de la
nature, et il faut dire que Bernardin sait admirablement les
emplo~er, compte tenu de l'époque. Son problème, c'est d'avoir eu
des disciples trop prestigieux comme Chateaubriand et Lamartine •••
qui éclipsent le maître, si bien que l'on passe volontiers dans
l'histoire de la littérature descriptive de Rousseau à Chateaubriand.
Il fa.ut rendre à ce dernier ce qui lui est dÜ ; à savoir, le mérite
d'avoir commencé le long travail d'enrichissement de la langue que
poursuivront les Romantiques.
Bernardin a utilisé de façon systématique les valeurs descrip
tives de la phrase nominale, du verbe, de l'article et de la compa
raison. Rappelons-nous qu'il n'avait pas de modèle à qui se référer,
et c'est peut-être tant mieux. Virgile et les Anciens, de même que
les contemporains de Bernardin, n'éprouvaient pas le besoin du
détail précis et pittoresque qui rend si colorées les descriptions
de Paul et Virginie. Ce sont ces détails qui caractérisent le visage
de la nature, comme celui des humains, et notre auteur est le
premier à avoir donné une "physionomie" à la nature.
1
-68-
Troisième partie :
La composition, ~hrase et l'ord~~~es mots
"Après Rousseau, la prose poétique développée en
thèmes, variations et reprises, marquant la mesure
par les symétries et les parallélismes par l'emploi
des bases mathématiques sur lesquelles la versifi
cation est fondée, prit un grand développement.
C'est que cette forme ne faisait que continuer,
enrichir la phrase oratoire, avec laquelle elle se
combina souvent à la fin du XVIIIe siècle.
Plus rare encore sera la phrase pittoresque : elle
s'organisera pourtant aussi, grâce à Bernardin de
Saint-Pierre. Ce quinteux personnage, idéaliste
doucereux dans sa doctrine et philosophe niais,
sera le vrai créateur de la phrase pittoresque, de
celle qui n'est que sensation pure, sensation des
yeux, ou émotion de peintre traduite en formes et
en couleurs ll•
Gustave Lanson (1)
-69-
Chapitre I. Le dessin et le portrait
La composition du petit tableau d'ouverture de la .page 77
a donné beaucoup de mal à son auteur. En effet, nous pouvons retracer
au moins quatre versions de ces deux paragraphes de présentation
Au premier, un souci de clarté et de logique guide Bernardin qui
doit déployer tous ses talents de dessinateur et d'ingénieur pour
"organiser" son tableau ; Au second, le peintre nous donne une
description plus imagée de l'habitat de ses personnages, qui sera
d'ailleurs complétée à mesure que le roman se développera.
Dès la première phrase, l'auteur introduit le thème des
cabanes autour desquelles s'ordonne la description. C'est de l'entrée
de leur bassin que nous découvrons le paysage environnant ; ainsi,
nous ne conna1trons pas l'11e au complet, mais une portion seulement,
celle que les pasteurs peuvent apercevoir quotidiennement.
Contrairement au deuxième paragraphe qui sera exécuté dans la
manière impressionniste, le premier est articulé sur une syntaxe
logique, comme un dessin académique sur la loi des proportions.
L'auteur commence donc par nous donner la situation géographique
précise des deux cabanes à l'aide de circonstanciels: "Sur le côté
oriental de la montagne qui s'élève derrière le Port-Loul~ •.. "
"Elles sont situées au milieu d'un bassin qui n'a qu'une seule
ouverture tournée au Nord". Une fois ces relations géographiques bien
établies, le spedtateur porte sa vue sur le paysage. Ce dernier lui
1
-70-
est présenté dans un ordre logique : "On aperçoit à gauch~ la
montagne appelée le Morne de la Découverte C ••• ) et au bas de cette
montagne la ville C ••• ) à droite le chemin C ••• ) ensuite l'église
C ••• ) et plus loin une forêt qui s'étend jusqu'aux extrémités de
l'11e". Notons le sens des perspectives de l'auteur qui nous fait
voir les différents plans se succédant du plus près au plus loin.
Enfin le paysage s'ouvre et le spectateur peut diriger ses
regards sur la mer : "On distingue devant soi, sur les bords de la
mer, la baie du Tombeau".Déjà le thème de la mort est introduit
discrètement.
Au second paragraphe, l'éclairage ~st concentré sur le bassin
qui, lui, est directement relié à l'univers des personnages. Les
images auditives suggèrent une atmosphère de paix qui s'oppose au
fracas des vagues associé au monde e~térieur. Ce t~e de phrase
picturale que nous trouvons dans cette deuxième partie -deux indé
pendantes coordonnées, chacune accompagnée d'une relative explicati
ve- sera employé tout au long du roman : "Les pluies que leurs pi tons
attirent peignent souvent les couleurs de l'arc-en-ciel sur leurs
flancs verts et bruns et entretiennent à leurs"'pieds les sources
dont se forme la petite rivière des Lataniers".
On remarque aussi que les épithètes et les circonstanciels
de lieux sont nombreux dans ce style descriptif. Nous avons à faire
à une prose de peintre, lourde de relatives à valeur adjectivale,
qui sont comme les coups de pinceau sur la toile.
-71-
Ces deux paragraphes, même s'ils relèvent de deux types de
visions différentes, voire opposées ne se complètent pas moins ;
la précision du dessinateur est nécessaire pour nous introduire de
façon objective à l'univers de Paul et Virginie, mais la richesse
de la couleux suggère déjà l'atmosphère paradisiaque des descrip
tions subséquentes.
Une autre page du roman où nous pouvons déceler un dessin
assez élaboré est celle de la description du jardin de Paul CP. 111-
112-113) ; il semble qu'elle ait été construite en vue de nous
donner l'impression d'être en face d'un jardin très architecturé.
Encore une fois ·le dessin, comme dans le paragraphe d'ouverture,
s'appuie sur un sens aigu des perspectives; à celui-ci s'ajoute
celui des proportions, de la forme et de la lumière.
Ce passage pourrait se diviser en deux parties : ls)première
ayant pour sujet le jardin vu du milieu du bassin, la seconde le
jardin proprement dit.
Bernardin semble influencé par sa formatioh d'ingénieur en ce
qu'il aime les dessins rationnels. Ainsi, il organise par l'intermé
diaire de Paul~s arbres du jardin de telle sorte qu'on puisse les
embrasser d'un coup d'oeil. "Il avait disposé ces végétaux de
manière qu'on pouvait jouir de leur vue d'un seul coup d'oeil".
Faul ~~ ses plantes autour du bassin des plus petites aux plus
élevées ; nous avons au premier plan "les herbes gui s'élèvent peu'~
au second "les arbrisseaux", au troisième "les arbres moyens",
-72-
au quatrième "les grands arbres qui en bordaient la circonférence",
de sorte que ce vaste enclos paraissait de son centre comme un
amphithéâtre de verdure".
Certes, l'auteur aime la nature, mais organisée: "Les eaux
formaient C .•. ) ici des fontaines, là de larges miroirs ••• il avait
pratiqué un sentier qui tournait e,utour de ce bassin et dont plusie
rameaux venaient se rendre de la circonférence au centre".
La description du jardin est d'une facture plus romantique,
mais ce labyrinthe de verdure est, lui aussi, un,')peut trop construit
en vue de susciter la rêverie "Il avait tiré parti des lieux les
plus raboteux •.. " Les phrases à l'intérieur de ce paragraphe semblent
sans liaison apparente à première vue. Pourtant, elles sont ratta
chées thématiquement. Les "pyramides" suggèrent d'elles-mêmes les
"ravins", qui deviennent aisément des "souterrains inaccessibles à
la chaleur". Ici encore, c'est sur une étude de la lumière que se
ferme le dessin: "On ne distinguait en plein midi aucun objet",
"ces familles jouissaient en silence des dernières harmonies de la
lumière et des ombfes".
Pour ce qui est du portrait, les exemples que nous en avons
dans Paul et Virginie nous semblent aujourd'hui bien fanés. Le
style Lou.is XVI n'a pas de meilleur représentant que Bernardin.
Les références mythologiques nombreuses, llangélisme et l'affectation
gâtent souvent ce que l'image e~t pu avoir de charmant, Les enfants
sont tantôt comparés à la "Constellation des gémeaux" (p. 189),
-73.!
tantôt aux "enfants de Léda enclos da~'ls la même coquille" (p. 90),
tantôt aux "enfants de Niobé" (p. 92). Leur portrait idéalisé,
lorsqu'ils ont douze ans, nous semble affecté; le dessin est très
statique, construit par petites touches: celles-ci·se traduisent
sur le plan stylistique par des séries d'indépendantes à l'intérieur
d'une longue phrase. "Virginie n'avait que douze ans; déjà sa
taille était plus qu'à demi formée; de grands cheveux blonds
ombrageaient sa tête; ses yeux bleus ••• " (p. 91-92). Le portrait
de Paul est d'un dessin plus dyn~ique ; pour lui aussi la phrase
nominale est employée, mais la variété d~attaque rompt la monotonie.
La répétition des "plus" dans "son teint plus rembruni, son nez plus
aquilin" le définit et l'oppose à Virginie.
Remarquons aussi un usage heureux de la position des épithètes
dans la phrase ; dans la postposition, ils ont une valeur concrète
descriptive: "yeux bleus, sensibilité extrême, teint rembruni"
alors que dans l'antéposition l'affectivité domine: "légère mélanco
lie, tendre éclat, grande douceur, doux sourires".
Dans la description du groupe, nous avons une construction
parallèle qui met bien en lumière la beauté physique et morale de
ces enfants. L'anaphore contribue elle aussi à bien opposer ces
deux types de beauté, la païenne et la chrétienne. "A leur silence,
à la naiveté de leurs attitudes, à la beauté ( ... ) mais à leurs
regards, à leurs sourires ••• " A cette anaphore correspond la
symétrie des "pour" : "pour ces enfants du ciel, pour ces esprits
pienheure.ux •.. " Ces diverses insistances démontrent assez clairement
-74-
à quel point la beauté morale des héros est plus importante que leur
beauté physique.
Cependant, il est un portrait de Virginie qui dépasse de
beaucoup celui-ci en valeur stylistique: c'est celui de son désarroi
lorsqu'elle connait les premières manifestations de l'amour. La
composition de cette page est particulièrement réussie parce qu'on
y voit l'inquiétude de Virginie intégrée au paysage (p. 132-134).
Entre le paragraphe qui décrit l'éveil de l'amour chez Virginie et
ceux de la désolation de la nature, il y a correspondance. Les deux
paragraphes consacrés à la peinture de l'été servent en quelque
sorte de contre-point à la description des maux de Virginie.
~I~uteur se sert d'une construction parallèle pour les deux
paragraphes qui ont le même th~me. La premièré. phrase de chacun
introduit le sujet et le synthétise en un titre qui pourrait bien
être "l'énoncé de ce mal". Le reste du paragraphe consiste ensuite
à analyser ce mal. On découvre ce parallélisme en particulier par
l'étude de l'ordre des mots qui est rigoureusement le même dans
les deux cas :
"Cependant depuis quelque temps/Virginie/se sentait agitée/
d'un mal inconnu ll• IIDans une de ces nuits ardentes/Virginie sentit/
redoubler tous les symptômes de son mal".
Puis, nous avons un portrait détaillé des symptômes de ce mal,
d'abord sur le plan physique. L'auteur nous décrit les effets physi-
-75-
ques de l'amour et les actions désordonnées qu'il entraine chez un
jeune être innocent comme Virginie. Nous avons : "Elle errait ça et
là dans les lieux les plus solitaires de l'habitation, cherchant le
repos partout et ne le trouvant p.ulle part" et "Elle se levait,
elle s'asseyait, elle se recouchait, et ne trouvait dans aucune
attitude ni le sommeil ni lerrepos".
La présence de Paul est réelle dans le premier paragraphe,
mais dans la pensée de Virginie au second : "Quelquefois à la vue
de Paul" et "mille souvenirs agréables" ••. Cette présence, l'héroine
le sent confusément, est liée à son trouble ; aussi le thème de Paul
entra1ne-t-il celui de la mère·: "Elle fuyait tremblante vers sa
mère~ "elle court auprès de sa mère pour chercher un appui contre
elle-même".
La présence de lq nature est, elle aussi, très forte dans
ce portrait; dans le premier paragraphe, elle est un thème gai, ~
sans doute parce que présentée par Paul. Dans le second, elle se fait
plus insistante, plus suggestive parce qu'elle reflète cette fois
son trouble à Virginie. En effet, cette présentation de la fournaise,
de l'été et de la passion est symbolique: la couleur rouge est trop
fréquente dans le passage consacré à la chaleur deI 'été pour~n'être
pas significative : "feux verticaux, vapeurs rousses, flammes d'un
incendie, l'orbe rouge ll ont une double importance, à la fois visuelle
et affective.
Au jour étouffant s'accorde la nuit brÜlante qui n'aide certes
-76-
pas Virginie à prendre le dessus sur sa passion.La violence du
climat tropical devient transposition métaphorique de l'état d'âme
de la jeune fille. Et pourtant, n'est-e~ pas toujours aussi
innocente, telle qu'en elle-même dans ce bain où, désarmée, sa
candeur s'offre, transparente.
A l'intérieur du parallélisme de construction dont nous avons
n::n-'lé plus haut, nous trouvons un emploi assez élaboré de l' anti
thèse, qui devient parfois abusif. Ce procédé dessine vigoureusement
plus qu'il n'explique les contrastes. Mais n'est-ce pas là la force
du style de Bernardin qui nous fait voir l'âme humaine comme un
paysage ?
A travers l'expression d'un visage, nous devinons le désarroi
qui se caache derrière :
"Ses beaux yeux bleus/se marbraient de noir"
"Un rouge vif colorait/ses joues pâles"
Enfin, la présence de Paul qui, autrefois était si agréable, la
trouble maintenant
"Elle allait vers lui en folâtrant/elle fu;gait tremblante".
L'antithèse et le parallélisme sont volontiers liés:
"La sérénité n'était plus sur son visage ••• ni le sourire ••• ?
cherchant partout le repos et ~ le trouvant nulle part ••. /
ni le sommeil, ni le repos".
Notons aussi les vertus de l'anaphore, qui traduit si bien .... ... les hésitations de Virginie qui n'ose pas se confler a sa mere :
-77-
"Plusieurs fois, veulant lui raconter ses peines ••• plusieurs
fois ••• elle fut près de prononcer le nom de Paul".
Peut-être devine-t-elle qu:tune fois cet amour découvert par sa mère,
il en sera fini à jamais de son existence paradisiaque.
Enfin,il y a un schéma de phrase qui lui aussi suggère un
no~trait plutôt qu'une analyse. Nous avons :
"elle se levait./elle s'asseyait,/elle se recouchait et ne
trouvait 'dans aucune attitude/ni le sommeil/ni le repos".
"Elle songe à la nuit/à la solitude/ et un feu dévorant la
saisit".
Nous avons dans ces phrases une accumulation de verbes d'action
suivis de leur conséquence, exprimée en une seule proposition intro-, '
duite par "et", c est-à-dire juxtaposée. Cette construction est
appropriée dans une description où tous les éléments sont sur un
même plan.
Remarquons aussi dans l'exemple "elle se levait ••• " le rythme
haletant de la phrase qui s'accorde si bien à l'inquiétude de
Virginie. Du fait que les sommets accentuels de ce passage sont ~
très rapprochés, un lien s'établit entre ce rythme respiratoire et
le lyrisme tendre et inquiet des scènes descriptives de l'été.
Les tons varient, accordés qu'ils sont, soit au sentiment (dans les
pe.ragraphes consacrés à la peinture de Virginie), scit à la descrip
tion du réel.
-78-
Ces procédés de style sont assez voyants sans doute, mais ils
servent les desseins de l'a~teur, qui sont de toucher le coeur
plutôt que d'intéresser l'esprit. Ce passage, comme tous ceux d'une
certaine importance dans le roman, a été très travaillé; l'effet
en est que ce parallélisme et ces antithèses nous semblent parfois
artificiels. L'auteur n'a pas l'écriture facile, et ce n'est qu'alt
prix d'un long labeur qu'il peut exprimer ce qui lui tient à coeur
donner une peinture concrète de l'~me, ~tre un peintre plutôt qu'un
psychologue. En orientant son observation vers d'autres buts que
ceux proposés par les classiques, il allait influencer les Romanti
ques dans leur vision des êtres et des choses.
-79-
Chapitre II. La peinture de la nature
A l'intérieur de cette composition décrivant les inquiétudes
de Virginie s'inscrit un petit tableau qui pourrait bien s'intituler
l'Eté et qui, nous l'avons vu, reflète l'état d'âme de notre héro!ne.
Parlera-t-on assez, après les Romantiques, du paysàge-état-d'âme !
Pourtant c'est à Bernardin que revient le mérite d'avoir, le premier,
traduit les affinités qui existent entre les personnages et le
paysage d'un roman. Si celui-ci a vu dans la nature une compagne de
l'homme, c'est parce qu'il a d'abord pris le temps de la regarder,
en peintre avant de la transposer sur le plan littéraire. La phrase
chez lui est avant tout une sensation visuelle traduite en mots
évocateurs qui se juxtaposent et se fondent comme des couleurs sur
la palette du peintre.
Be~nardin aussi intitule toujours ses tableaux. Il nous présen
te ensuite son sujet en précisant sous quel angle il va l'étudier.
Ici c'est l'été vu sous son aspect négatif et destructeur: "Un de
ces étés qui désolent de temps à autre les terres situées entre les
Trop~ques vint étendre ici ses ravages" Cp. 133).
Puis, nous avons la peinture proprement d.ite : "De longs
tourbillons de poussière s'élevaient sur les chemins et restaient
suspendus en l'air" ... nous fait voir une colonne de poussière
mollement étendue sur le uaysage. Les verbes dans cette phrase
dessinent le mouvement de l'air et suggèrent l'atmosphère oppressante
de l'été.
1
-8Q-
Cette image est sans doute renforcée par le thème du feu :
"des vapeurs rousses ••• les flammes d'un incendie ••• l'atmosphère
embrasée ••• le sol br'O.lant" complètent dramatiquement le thème de
la sécheresse. Malgré tout, le lecteur reste frappé par l'économie
du regard "Il ~ s'élevait de dessus l'Océan gue des vapeurs •••
Il ~ s'élevait pendant le jour de dessus ces vertes plaines gue ••. "
L'ordre impràssif de la phrase est lui aussi facteur d'art
dans la peinture de la nature. Un des exemples les plus réussis est
sans doute celui de la phrase: "L'orbe de la lune, tout rouge,/se
levait, dans un horizon embrumé,/d'une grandeur démesurée". L'attente
différée des membres nécessaires à la pleine clarté de l'énoncé
produit une image. Nous n'avo+J,s qu'à la fin la-qualification "démesu
rée" qui, par son volume et sa place dans la phrase, produit l'image
cinétique du lever de la lune.
Le volume et la liaison des phrases dans cette peinture sont
variés et les mots de coordination restent exceptionnels, parce que
la technique de composition de l'auteur se rapproche de celle du
peintre. La phrase a aussi pour fonction de développer, de diversi
fier et d'accompagner même musicalement l'atmosphère de l'été.
L'euphonie et l'harmonie nous semblent particulièrement s'O.res dans
les '~oup~ abattus sur les fl~cs des collines, le c~ t~du vers
le ciel, respir~t l'air, faisaient retentir les vallQBs de tristes
mugissemen.ts ll• Les accords profonds de ces Q9;, .§ill, iœ, .QB, traduisent
concrètement le mugissement accablé des bêtes dans la chaleur de
midi.
-81-
La dernière phrase du paragraphe bourdonne, elle aussi, de
vibrantes et de nasales qui témoignent d'une recherche sonore
, du b.Q:l:!rdonnem~t des insectes ll
• Il ne s agit pour le moment que
d'harmonies suggestives de l'accablement des troupeaux. On n'a pas
,encore atteint à une harmonie musicale qui suggérait, par exemple,
une correspondance entre la lumière et une sonorité comme le "é".
Il faudra attendre Ohateaubriand pour cela.
Enfin, il ne serait peut-être pas vain de parler à propos
de ce tableau de rythme. La vérité picturale ne saurait ordinaire
~~~+, se soucier de cette notion étrangère, et il serait artificiel
de vouloir dépister dans la prose de Paul et Virginie des groupes
rythmiques.
Dans ce passage, b. Le Hir (1) semble avoir décelé "quelques
crêtes accentuelles" ; il spécifie d'abord que "l'apostrophe signale 1
une syllabe atone, non élidée, qui ne passe pas dans le groupe
rythmique suivant, à cause d'une ponctuation".
"Aucun nuage ne venait du côté de la mer ••• et paraissaient
4 4 4
au coucher du soleil comme les flammes d'un incendie.
3 3 4 5
La nuit même n'apportait aucun rafra1chissement à l'atmosphère
3 4 2 5 4
embrasée.
3
-82-
L'orbe de la lune, tout rouge, se levait, dans un horizon embrumé,
1 4 2 3 5 3
d'une grandeur démesurée".
4 4
Enfin il conclut, "Frappé dynamique initial, rythme tonique descen
dant (1-4') : quelle convergence! Ailleurs égalités, proportions,
symétries sont assez apparentes. Mais dans nos deux derniers exemples
le choix des mots longs autant que l'assonance en position finale
surtout, sont significatifs d'une tension insupportable".
Si Bernardin s'attarde un moment pour décrire l'été, ce n'est
jamais au détriment de la narration des maux de Virginie, mais bien
pour intégrer et faire correspondre la peinture à l'état d'~me de
son héroïne. il ne se complaît jamais dans l'exploitation purement
esthétique de son paysage mais a le souci constant de rattacher --la forme au fond. -Un autre aspect de la nature nous apparaît dans la peinture
du soleilGcouchant (p. 126-127). Il s ' agit là d'un sp"ectacle céleste,
mais l'auteur traite son sujet comme s'il était décor d'un jeu
sacré. En effet cette description du coucher da soleil s'inscrit
à la fin d'une narration de danses et de mimes bibliques interprétés
par Paul et Virginie. Encore une fois la nature s'adapte aux circons
tances : le climat religieux qui imprègne ces jeux innocents appelle
une nature recueillie ••• "On se croyait transportés dans les champs
de la Syrie ou de la Palestine". La nature est métamorphosée en
temple dans lequel les enfants accomplissent les rites d'une reli-
fri.on retournée à son exnressi.on la nl118 simnle et la nlus naturelle.
-83-
Les limites du décor sont d'abord brièvement indiquées en
une phrase descriptive. "Le lieu de la scène était pour l'ordinaire
au carrefour d'une forêt dont les percés formaient autour de nous
plusieurs arcades de feuillage". La nature sépare donc ses enfants
du monde extérieur pour les enfermer dans un temple naturel.
L'atmosphère religieuse nous est ensuite communiquée par la
peinture de la lumière exécutée dans la manière impressionniste :
les phénomènes lumineuX sont décrits tels que l'oeil les perçoit,
et non pas tels que l'esprit les explique après coup. Ainsi dans
la phrase: "Ses rayons/grisés par les troncs d'arbre/divergeaient
dans les ombres de la forêt/ en longues gerbes lumineuses" ; l'objet
de la contemplation n'apparaît qu'à la fin, lorsque l'esprit peut
établir une relation entre les rayons et les ombres pour les
associer à une gerbe.
Notons aussi quelques procédés picturaux qui donnent une
dimension à la lumière, tel l'adjectif dans "longues gerbes lumineu
ses" ; le participe à valeur adjectivale et la métaphore expriment
bien les jeux de lumière dans la forêt : Ille feuillage des arbres
éclairés en-dessous de ses rayons safranés brillait des feux de la
topaze et de l'émeraude". Enfin la comparaison se charge, elle aussi,
de transformer la nature en temple : "Leurs troncs mousseux et bruns
paraissaient changés en colonnes de marbre antigue".
La religion de Bernardin est celle de Noé ; elle se plaît
à évoquer une ~erre lavée de la corruption et vierge. Elle est
-84-
naturelle parce qu'elle établit un rapport entre l'homme et la
nature en préconisant leur union intime. Pour Bernardin, cette
transformation de la forêt n'a rien de choquant: l'11e merveilleuse
est cet Eden où les ,enfants se font les prêtres d'une religion
dégagée de toute contingence sociale. Ici tout s'unit, la nature,
les hommes et les animaux pour rendre grâce à leur' Créateur.
N'est-ce pas sur une note animiste que se conclut le paragraphe
"Les oiseaux ( ••. ) saluaient tous à la fois l'astre du jour par
mille et mille chansons".
La nuit tropicale est..,elle aussi un thème qui devait tenter
notre auteur. Ici encore, la description s'inspire de l'expérience
personnelle (p. 149-150). Le titre et l'atmosphère du tableau nous
sont donnés à l'imparfait, ce qui situe l'évènement dans une époque
indéterminée et en prépare plus aisément la résurrection "Il
faisait une de ces nuits délicieuses si communes entre les tropiques,
et dont le plus habile pinceau ne rendrait pas la beauté". C'est
sur le fond de toile que l'étude de la lumière est sans doute la
plus réussie "La lune paraissait entourée d'un rideau de nuages
(dessin) que ses rayons dissipaient par degrés (lumière) •.. leurs
pitons brillaient d'un vert argenté (couleur) ••• Virginie parcourait
son vaste et sombre horizon (couleur) distingué du rivage de l'11e
par les feux rouges (couleur) des pêcheurs".
La construction des phrases est parallèle dans plusieurs cas
et adaptée à un style descriptif. Nous avons à~--trois reprise~ une
principale "il faisait ••. La lune paraissait ••• la lumière se
-85-
répandait ••• 11 suivies à chaque fois de relatives descriptives.
Leur liaison dans cette composition très libre n'est pas apparente.
Nous avons l'impression que l'auteur promène son regard du ciel
aux montagnes, qu'il écoute les bruits heureux de la nuit pour
enfin s'attarder sur l'horizon, mais cette fois à travers les
yeux de son ~éroine, ce qui lui permet de passer insensiblement
de la description à la narration, et d'intégrer ainsi son tableau
au roman.
Ce passage, par ses thèmes comme la nuit, la lumière lunaire,
la mer et la séparation des amants apDelle les compositions des
Romantiques. De telles descriptions abondent déjà chez les voyageurs
du XVIIIe siècle mais celle de Bernardin peut soutenir la comparai
son avec Ohateaubriand, qui se rappellera lui aussi les nuits dans
les désàrts du Nouveau Nonde.
Enfin, le caractère paradisiqque de l'île est particulièrement
bien dépeint dans un petit tableau que nous en donne Bernardin au
début du roman et qu'il intitule le Renos de Virginie ou la Décou
verte de l'Amitié. Un tel titre n'avait à l'époque rien d'affecté,
puisqu'on aimait alors les sujets pathétiques desquels on pourrait
tirer une leçon de morale. Fragonard n'intitule-t-il pas un de ses
tableaux~p leçon de labcurage, et Greuze ~e Mauvais fils puni
celui qu'analyse Diderot dans son Salon de 1765 •••
Notre attention est ensuite attirée sur ce qui va ~tre le
thème principal du tableau : les deill{i~cocotiers qui représentent
symboliquement Paul et Virginie. IIJe lui fis présent d'un coco
-86-
des Indes". Ces deux cocotiers occupent le centreddu tableau et
à leurs pieds se trouve le bassin de la fontaine. La phrase
suivante exprime symboliquement la relation de Paul et Virginie.
L.es cocotiers "crtLrent tous deux dans la même proportion que leurs
maîtres d'une hauteur un peu inégale. Déjà, ils entrelacaient leurs
palmes et laissaient pendre leurs jeunes grappes de cocos au-dessus
de l'eau de la fontaine Il • Ces ceux enfants, comme les cocotiers,
grandissent dans la même terre ; Paul protège Virginie, et les
palmes qui s'entrelacent sont la figuration de leur amour qui
n'est pas moins pur que l'eau de la fontaine.
L'allusion aux "cabanes" qui évoquent des habitations bucoli
qu~s, les seules vraiment possibles dans cette pastorale, est
aypropriéee; "Maison ll en.t été trop civilisé pour ce tableau de
la vie paradisiaque.
L'auteur~it, comme le peintre, l'art d'organiser les plans.
Dans cette page, nous en avons de très définis qui témoignent d'une
recherche poussée dans l'expression du paysage. Ainsi, nous pouvons
en retracer quatre à partir du fond de toile, qui est en même temps
l'arrière-plan sur lequel la verve descriptive de l'auteur va se
développer. C'est sur cet enfoncement de rocher que nous trouvons
le plus de détails picturaux.
Il Sur ses::-'flancs bruns et humides (couleur) rayonnaient en
étoiles (deSSin) vertes et noires (cculeur) de larges capillaires
(dessin), et flottaient au gré des vents (dessin) des touffes de
~8?-
scolopendre, suspendues comme de longs rubans (dessin) d'un vert
pourpré (couleur). Près de là, croissaient des lisières de perven
che (dessin), dont les fleurs sont presque semblables à celles de
la giroflée rouge (couleur) et des piments dont les gousses (dessin)
couleur de sang (couleur) sont plus éclatantes que le corail"(coul
Puis, nous avons au premier plan un "pré d'une herbe fine"
qui descend doucement vers le rivage ; au second, les cocotiers et
derrière, les cabanes de Paul et Virginie ; au troisième, le
rivage où volent les oiseaux et enfin, au quatrième la mer et le
ciel qui sont comm6 les symboles du lointain et de l'infini.
L'atmosphère est celle d'un coucher de soleil au moment où
les oiseaux comme "L'astre du jour abandonnent les solitudes de
l'océan indien". Le rythme aussi va aider à traduire la douceur du
soir qui descend.
"Au coucher du soleil/on voyait voler/le long des rivages
de la mer/le corbigeau et l'alouette marine/et au haut des airs
la noire frégate/avec l'oiseau blanc du tropique/ qui abandonnaient,
ainsi que l'astre du jour/, les solitlides de l'océan indien"/.
Ces deux mouvements de quatre temps, aux cadences lentes
et harmonieuses, traduisent la douceur bucolique et la paix qui
s'emparent de la nature; ils expriment aussi le vol des oiseaux
et le mouvement régulier des vagues.
·1.
-88-
On a vu dans ce chapitre que dans les descriptions de
Bernardin, c'est l'oeil ~e~l qui est actif et cherche à rendre
par des mots, à l'intérieur de la phrase les phénomènes de la
perception : il rend la couleur, étudie le rapport des tons dans
un coucher de soleil, le jeu de la lumière et des ombres entre
les arbres, la coloration des nuages, avec un art et une précision
que lui envierait un peintre.
-89-
Chapitre III. Le dialogue et la narration descriRtive
Les dialogues de Paul et Virginie sont la piliupart du temps
faux et artificiels, quand ils ne sont pas platement moralisateurs.
Il en est de même pour les narrations. En effet, ce qui sauve ce
roman d'un juste oubli, ce n'est pas le récit mais les descriptions
de la nature qui y sont inclu.ses. Aussi la narration ne sera-t-elle
étudiée que dans la mesure où elle se rapproche de la description
et la complète. Il en est deux qui nous ont semblé particulièrement
intéressantes; la première se rapporte à l'épisode de lSlzégresse
marronne, la seconde au naufrage du Saint-Géran.
Le dialogue amoureux de Paul et Virginie est le seul (et
encore !) qui échappe à la mièvrerie des discours directs du roman.
Il s'inscrit juste après le portrait des enfants comparés à Adam
et Eve : hélàs, leurs paroles ne sont pas en accord avec la simpli
cité et la nalveté de cette image.
En effet, le style dans lequel est rédigé ce passage (p. 99-100
était bien fait pour plaire au public raffiné de la fin du XVIIIe
siècle. Aujourd'hài, nous trouvons que ce langage précieux et ces
sentiments affectés ne reflètent guère les âmes simples des pastou
reaux ; et pourtant ce dialogue ne manque pas de charme. Peut-~tre
est-ce parce que l'auteur parvient momentanément à exprimer
l'ineffable de l'amour ? ••
-90-
La construction semble assez conventionnelle. Paul commence
par énumérer les qualités innombrables de sa bien-aimée en des
compliments un peu trop élaborés pour un pasteur de son âge. Il
se demande ensuite les raisons de son amour sans parvenir, bien
entendu, à les exprimer ; il Y renonce donc pour essayer simplement
de prouver son affection par des gestes tendres. Virginie répond
en rendant à Paul ses compliments, mais sur un ton plus sobre
elle passe ensuite aux raisons de leur attachement qui, selon elle,
provient de ce qu'ils ont été élevés ensemble, et surtout des
qualités morales de son compagnon.
Sur le plan de la construction, nous trouvons un usage
constant, sinon abusif de l'antithèse,surtout dans le paragraphe
consacré aux paroles de Paul. Il semble qu'en effet, sa tirade
ne soit composée que de ces oppositions
"i~uand je suis fatigué/ta vue me délasse".
"Je .B'ai ~ besoin de te VOir/pour te retrouver".
"Si je te toucbe seulement du bout des doigts/tout mon corps
frémit de plaisir".
Pourtant nous aimons qu'il lui dise "Quelque chose de toi que
je ne puis dire/reste pour moi dans l'air où tu passes,sur l'herbe
où tu t'assieds".
Notons que ces antithèses sont volontiers liées à un paral
lélisme d'expression. Paul dit-il rr~uand du haut de la montagne je
t'aperçois au fond de ce vallon, tu me parais comme un bouton de
-91-
rose", Virginie lui répond: "Les airs que tu joues sur ta flÜ.te
au haut de la montagne, j'en répète les paroles au fond de ce valloH
La phrase de ce dialogue sera naturellement affective, donc
modelée sur les émotions des personnages. Peut-être est-ce à cause
de sa souplesse que ce dialogue, malgré ses éléments précieux et
ses constructions artificiiles, nous apparaît assez vrai. En général
les périodes sont courtes, ou alors la ponctuation se charge diindi
quer un mouvement de progression qui s'accorde au rythme respira
toire des personnages.
"Je prie Dieu tous les jours pour ma mère/pour la tienne/
pour tOi/pour nos pauvres serviteurs/ mais quand je prononce
ton nom/ il me semble que ma dévotion augmente".
Les attaques sont variées, comme dans la conversation.
Paul interpelle Virginie et vice-versa :"Dis-moi, par quel charme .. ,,~
"Tiens ma bien-aimée, prends cette branche ••• II , "0 mon frère! les
rayons du soleil ••• ".
Nous avons des exclamatives et des interrogatives adaptées
à ce dialogue amoureux. l/.4;h ! mon frère a un bon coeur ll• "Comme
te voilà fatigué! ". Les interrogatives, bien qu'elles tentent
d'explorer les raisons de leur amour, sont plutôt révélatrices
d'une émotion. "Est-ce par ton esprit? Est-ce par tes caresses ?"
"Pourquoi vas-tu si loin et si haut me chercher des fruits et des
fleurs ?".
-92-
L'épisode de la course épuisante de Paul et Virginie rappelle
le Voyage dans L'Ile (dans le Voyage à i'Ile de France) que
entrëprit pendant son séjour à l'Ile de France. On sent qu'il utili
se ici des souvenirs personneis et certains détails pittoresques,
qu'il a vu ce qu'il raconte. Sans doute est-ce pour cette raison
que cette narration nous semble encore vivante.
Ce passage (p. 98-99) est divisé en trois mouvements distincts
qui rappelleraient les actes d'une pièce de théâtre, le premier
mouvement correspondant à l'exposition, le deuxième au noeud, le
troisième au dénouement.
La ~ de récit étudiée ici commence au
enfants/~~dans la forêt prient Dieu de leur
moment où les
accorder quelque
nourriture, et, "A peine avait-elle dit ces mots qu'ils entendirent
le bruit d'une source".. Ils apaisent donc leur soit mais cherchent
toujours de quoi assouvir leur faim. Soudain, Virginie aperçoit le
chou comestible d'un jeune palmiste. L'auteur intervient à ce moment
pour nous expliquer dans un st le clair et concis la situation ;
il commence par nous expliquer, en deux concessives, les difficultés
que les enfants auront pour obtenir ce chou : "mais quoique sa tiBe
ne f~t pas plus grosse que la jambe, elle avait plus de soixante
pieds •.• 11 limais son aubier est si dur qu'il fait rebrousser les
meilleures haches" ; le "et" derelance du dernier membre de phrase
introduit brusquement dans une indépendante, une conclusion à cette
exposition du prOblème : liât Paul n ' avait même pas un couteau •.. Il
-93-
Le deuxième mouvement narre les efforts de Paul pour ohtenir
ce chou en mettant le feu au palmiste. Autre diffièulté, Paul
n'a pas de briquet. L'auteur intervient à nouveau pour nous donner
des explications et introduire discrètement dans sa narration une
leçon de morale. "La nécessité donne de l'industrie". Enfin arrive
l'action proprement dite qui se trouve être comprimée dans une
seule phrase, parce qu'elle est rapide et que les gestes de Paul
sont intimement reliés les uns aux autres. Nous avons d'abord une
indépendante: "Paul résolut d'allumer du feu à la manière des
noirs". Notons la valeur dramatique du prétérit "résolut" (après
les présents et les imparfaits) qui marque un changement de rythme
dans le récit. Le circonstanciel "avec l'angle d'une pierre" en
tête de la principale indique bien l'importance de cet outil dans
la réussite de l'entreprise de Paul: de cette proposition dépend
une relative explicative à laquelle se coordonne une indépend~nte
qui a pour fonction de marquer un nouveau développement de l'action.
Le troisième membre de phrase est aussi assez complexe. Nous
avons d'abord une principale: "il posa ensuite ce morceau de bois",
suivie d'une relative, d'une participiale, d'une comparative;
enfin, nous avons ajouté à tout cela une indépendante qui, heureu
sement, conclut : "an peu de moments, il vit sortir du point de
contact de la fumée et des étincelles".
A la fin de cette lecture, nous sommes aussi épuisés que Paul
Une telle construction témoigne de la difficulté qu'éprouve
-94-
l'auteur lorsqu'il veut raconter un évènement. Il n'est sans
doute pas aussi heureux et à'l'aise que dans la description vers
laquelle ses talents et sa vision de peintre le portent naturelle
ment. Pourtant, admirons dans ce deuxième mouvement quelques-unes
des qualités de peintre qu'il a fait servir dans la narration.
"
Il utilise avec un certain succes certaines conjonctions qui
divisent l'action en "moments", comme les paysages en plans:
"puis, avec le tranchant ••• u , "il posa ensuite", Ilet la locution
conjonctive "en peu de moments fl qui introduit le troisième mouvement.
La comparaison est un moyen particulièrement efficace d'appro
che du réel. Encore une fois elle ne sera pas arbitraire, mais
aura pour objet de faire imaginer à l'Européen ce qu'il n'a jamais
vu. La tige du palmiste "B'est l2!!.ê. Elus grosse que la jambe", et
Paul fait rouler un morceau de branche entre ses mains "comme on
roule un moulinet dont. on veut faire mqE§sep. d~_ c4.o.Q.21at" •
Nous sentons au dénouement une détente, tant sur le plan de
la forme que du fond. En effet, la structure phra,séologique nous , ..
apparaît plus aérée. Les phrases sont simplement constituées de
principales suivies de relatives, ou d'indépendantes coordonnées.
A la fin, Bernardin ne peut s'emp~cher de s'att~ndrir sur son tableau
ce qui date bien èelui-çi' à nos yeux : "Ils firent ce repas frugal
remElis de joie par le souvenir de la bonne action qu'ils avaiànt
faite le matin".
:'t ïO
-95-
Le naufrage du Saint-Géran demeure une des pièces ma1tresses
du roman, tant sur le plan de la narration que de la description.
Nous avons extrait de ce long récit l'épisode de l'ouragan, à
partir des présages jusqu'au naufrage du bateau, pour notre ét,l1ne.
(p. 198 à ·201).
Les présages de la tempête (p. 198) sont d'abord annoncés
par un dialogue et une description qui décrivent les phénomènes
tels qu'ils sont perçus: "Monsieur, on a entendu C ••• ) des bruits/
. sourds" ; "dans les bois'les feuilles remuent/sans qu'il fasse de
vent ; les oiseaux de marine/se réfugient à terre'~ Ici encore, , ' .
] auteur utilise l'antithèse et l'opposition pour mieux nous faire
voir les anomalies de la nature. La description qui suit complète
l'image de ces premiers présages.
Le drame commence au moment où les habitants entendent des
bruits épouvantables "comme si des torrents d'el:iu, mêlé à des
to:m.nerres eussent roulé du haut des montagnes" ... "et dans l'instant
un tourbillon affreux ••• le Saint-Géran parut alors .•. " ces
c~ions marquent une pause dans le temps qui permet de mieux
introduire la catastro.phe dans toute son ampleur.
L'auteur se détache ensuite de son sujet, comme pour mieux
nous en raconter les péripéties. La personnalisation du Saint-Géran
qui se développe dans les phrases suivantes transforme impercepti
blement la description des efforts du bateau en narration puisque
-96-
celui-ci nous appara1t alors comme quelqu'un qui essaie, c'est le
cas de le dire, de se sortir d'une mauvaise passe : "Il pr~sentait
son avant C ... ), sa proue se soulevait •• ~ Pourtant la phrase n'en
est pas moins bien articul~e parce que l'auteur veut expliquer
comment les ~vènements arrivent ; à cause de cela, la phrase sera.
longue, d~coup~e en plusieurs membres,et riche en relatives consé
cutives, comparatives, participiales et explicatives.
La même personnalisation a cours dans le passage consacr~
à la furie de la mer, mais cette fois le style est plus impression
niste. Les faits ne sont plus expliqu~s, mais décrits. Il y a un
schéma de phrase qui revient assez souvent dans des tableaux de ce
genre : deux propositions sont coordonnées par un "et" qui prolonge
l'action tout en Tjmarquant les diff~rentes phases d'une progression
"Ces ~cumes s'amassaient dans le fond des anses C ••• ), et le vent
C ... ) les portait par dessus l'escarpement du rivage".
L'ordre des mots a aussi une valeur descriptive: ainsi le
circonstanciel plac~ en tête de proposition attire notre attention
sur ce qui a une valeur visuelle dans la phrase: " ..• et à cha gue
lame d'eau qui s'engageait dans le canal ••• " ; " ••. A leurs flocons
blancs et innombrables ... "
Enfin la narration se concentre à nouveau sur le Saint-Géran
dont ce sont les derniers moments. Un prétérit m~rque le commence
ment de la fin: li ••• ce qu·~on craignait arriva". Le naufrage est
ensuite relié à l'émotion de la foule qui a::;sssisté à toute la
-97-
.. scene "Ce ne fut qu'un cri de douleur parmi nous •.. "
"Le vent de la tempête", a écrit admirablement Albert Chinard,
"qui engloutit le Saint-Géran emporte toutes les théories philoso
phiques du bon vieillard et toutes les fadeurs du roman". (1)
Même si le naufrage et la mort de Virginie tiennent parfois du
~élodrame, il n'en reste pas moins que cette catastrophe commande
tout le sens du roman; c'est pourquoi l'auteur a décrit à l'aide
des moyens stylistiques dont il disposait la tragédie finale avec
une telle force d'expression.
-98-
~a vraie découverte de Bernardin. c'est d'avoir introduit
dans la littérature la "sensation de lannature" : son "je sens,
donc je suis" était peut-être dangereux en tant que méthode
scientifique de découverte, mais avait une valeur incalculable
sur le plan poétique, en particulier dans la perception de la
nature telle que projetée dans Paul et Virginie. C'est elle qui
sauve cette oeuvre et pour laquelle la littérature lui est
redevable.
La nature de notre pastorale n'est plus un cadre commode,
mais une figure centrale du roman. Elle apparaît même comme une
"extension" de Paul et Virginie, et vice-versa; le jardin de Paul,
c'est la nature organisée pour plaire à l'homme, et c'est par les
choses de la nature que les sentiments viennent à l'âme des person
nages. Au début, elle nous est présentée à son état sauvage ; à la
naissance des enfants, leurs mères plantent les cocotiers 'symboliques
qui éveilleront dans la nature un rÔle maternel. En effet, tout
l'univers fait signe aux enfants et s'associe aux principaux
moments de leur existence: lorsqu'ils sont perdus dans la forêt,
ils ne manquent pas de nourriture. La nature s'associe à l'inquiétu
de amoureuse de Virginie et au désespoir de Paul après son départ.
e' est elle'::qui termine l'idylle paradisiaque. A la fin, l' herbe et
la forêt ont repris leurs droits et cette dernière vision est déjà
romantique.
-99-
Ce qui sauve aussi Paul et Virginie, c'est le ton poétique
qui anime certaines pages. Ainsi le dialogue amoureux de Paul et
Virginie nous semble encore vrai et peut se comparer à ceux de
Roméo et Juliette. -Si la description du naufrage du Saint-Géran
relève parfois du mélodrame, la "marine" n'en reste pas moins une
scène nue, rendue avec la précision d'un procès-verbal. Ici, il n'y
a plus de philosophe, ou de moraliste, ni même de peintre, mais
un marin qui a navigué. Parfois, Bernardin frÔle le génie dans
des pages comme celles de la description du mallde Virginie, où
la finesse du psychologue rejoint celle du peintre.
Ces rapprochements entre l'âme des personnages et la nature
ne seront pas perdus pour Chateaubriand.
Le ton est donné: quand René s'écrie au milieu des sifflements
du vent: "Levez-vous vite, orages désirés ll, on ne sait pas s'fuI
parle des vérita~bes orages ou de ceux du coeur. Ils s'entremêlent
dans son esprit, et cette confusion même donnera aux Romantiques le
plus belles. impressions poétiques.
De même, l'analogie entre certaines fleurs, comme les violettes
et le caractère de Virginie aura son écho dans le bouquet composé
pour madame de Mortsauf dans Le lys sur la Vallée. ~8~udelaire et
Rimbaud souscriraient sans doute aux correspondances qu'avait vues
Bernardin entre "le lieu sauvage, toujours battu des vents" et le
désespoir de Paul après le départ de Virginie.
-100-
Chateaubriand a reconnu sa dette envers Bernardin et, si son
admiration n'est pas sans réserve, il n'en demeure pas moins qu'il
déclare savoir à peu près par coeur Paul et Virginie. Lamartine,
comme George Sand et Sainte-Beuve, fera lui-aussi l'éloge de
Bernardin. Au vingtième siècle, ce qui reste de ce roman c'est
l'exotisme. L'esthétique et la morale de cette oeuvre sont depuis
longtemps périmées, mais la na!veté de cette vision du monde
n'a pas encore perdu de sa fra1cheur.
Enfin, le jugement de Pierre Trahard nous semble juste, s'il
n'est pas aussi enthousiaste que celui d'un Jainte-Beuve
"Chaque oeuvre vaut d'abord par elle-même, et elle a le
destin qu'elle mérite. Le destin de Paul et Virginie est
enviable, puisque son succès, qui dépassa l'oeuvre même,
n'a pas été éphémère. Il ne faut donc pas dé~igrer systé
matiquement ce petit livre, qui fut un heureux coup de dé,
ni l'exalter à outrance. Sa place est et doit demeurer ,
modeste; c est déjà beaucoup d'avoir une place dans la
tradition des Lettres françaises" (1).
-101-
INDEX DES CITATIONS
Note L'édition de Paul et Virginie à laquelle je me réfère est
celle de Garnier - Paris 1964 - Introduction de Pierre Trahard
PREJ:IIERE PARTIE
Chapitre l (1) Jean Fabre : Lumières et Romantisme; Energie
et nostalgie de Rousseau à Mickiewicz - Paris
1963 - Librairie C. Klincksieck ~ p. 198.
(2) id. - p. 197.
(3) Chateaubriand : Génie du Christianisme. T. 5
2e partie, livre 3, chap. 7 Paul et Virginie,
Dufcur, Boulanger et Legrand éditeurs - Paris
1862 - p. 200.
(4) id. - p. 201
Chapitre II . (1) Gustave Lanson: Histoire de la littérature
française - Hachette, Paris 1912 - p. 831.
Chapitre III (1) id. - p. 831.
Chapitre IV (1) Gustave Lanson: Etudes d'histoire littéraire -
Paris 1929, Librairie ancienne Honoré Champion.
Un manuscrit de Paul et Virginie - p. 234.
TRGISIErŒ PARTIE
Chapitre II
Chanitre III
CONCLUSION
-102-
(1) Gustave Lanson: L'art et la prose - Arthème
Fayard, Paris 1908 _.p. 204.
(1) Yves le Hir : Analyses stylistigues, Collec
tion U - Armand Colin - Paris 1965 - p. 155.
(1) Albert Chinard : L'Amérigue et le rêve exoti
que dans la littérature française au XVIIe et
XVIIIe siècles ~ Librairie E. Droz, Paris
1934 - p. 430.
(1) Pierre Trahard : Introduction de Paul et
Virginie - Garnier 1964 - p. XLVIII.
-103-
BIBLIOGRATHIE
OUVRAGES DE ET SUR BEm~ARDIN DE SAINT-PIERRE
Bernardin de Saint-Pierre
Lucien Maury
Jean Fabre
Gustave Lanson
Paul et Virginie. Ed. Garnier - Paris
1964. Introduction de Pierre Trahard.
Paul et Virgini~ - Garnier-Flammarion
Paris 1966. Préface de R. Mauzi.
Oeuvpes complètes (12 vol.) Nouvelle
édition corrigée et augmentée par L.Aimé
Martin - chez P. Dupont. 1826.
Etudes sur la vie et les oeuvres de
Bernardin de Saint-Pierre - Paris 1895.
Lumières et Romantisme. Enérgie et
nostalgie de Rousseau à Mickiewicz. Pari
1963. Librairie C. Klincksieck.
Histoire de la littérature francaise.
Paris 1902 - Hachette.
Etudes d'Histoire littéraire - Paris 1929
Librairie ancienne Honoré Champion.
L'Art et la pros~ - Arthème Fayard
Faris 1908.
1
Arvède Barine
OUVRAGES GRAMMATICAUX
-104-
Bernardin de Saint-Pierre - Hachette
Paris 1914.
F. Brunot et Ch. Bruneau: Grammaire hi de la 1
F. Brunot
M. Grévisse
P. Guiraud
Ch. Ba1ly
J. Marouzeau
11. Cressot
Paris, Masson 1937.
La pensée et la langue. Masso~Paris 1936.
Le bon usage. Hatier, Paris 1964.
La grammaire. P.U.F., collection Que sais
je ? 1961.
La stylistigue. P.U.F., collection Que
sais-je ? 1963.
Traité de stylistigue française. Heidelber
Paris, Librairie C. Klincksieck (2 vol.)
Précis de stylistigue française. l''Iasson,
Paris 1965.
Le style et ses technig~~. P.U.F. Paris
1963.
L. Spitzer
Yves le Hir
w. Von Wartburg
-105-
Stylistics and literary History. Princeton
Un. FR 1948.
Analyses stylistiques. Librairie Armand
Colin, Collection U. Paris 1965.
Problèmes et méthode de la linguistigue.
P.U.F. 1946.
W. Von Wartburg et Zunthor : Précis de syntaxe du Français contempo
rain.
Grammont
DIVERS
Rousseau
Chateaubriand
Le vers français. ]elagrave. Paris 1937.
Oeuvres complètes. N.R.E'. Collection
Bibliothèque de la Pléiade. Paris 1959.
Ed. publiée sous la directioll. de B.Blanc
et Marcel Raymond.
Oeuvres complètes (12 vol.). Paris, Furne,
Jouvet (1865-1872).
Mémoires d'Outre-Tombe. Ed. du Centenaire.
Flammarion - Paris 1964.
Génie du Christianisme. Paris 1862. Dufour
Boulanger et Legrand.
Bucoliques grecs. T.1
Longus
A. Chérel
A. Bossent
Anatole France
Gilbert Chinard
Pierre Trahard
Florian
-106-
Théocrite. Paris. Les Belles LettEes 1925.
Ass. G. Budé.
Pastorales (Daphnis et Chloé) Paris 19~3.
Ass. G. Budé.
Histoire de la littérature française, VI,
De Télémaque à Candide, Ed, J. de Gigord,
Paris ,1933.
Histoire de la littérature allemande.
Hacbette 1901.
Le génie latin. Calmann Levy, Paris 1917.
L'Amérique et le rêve exotique dans la
littérature francaise au XVIIe siècle et
XVIIIe siècle. E. Droz, Paris 1934.
Les l1aitres de la sensibilité française
au XVIIIe siècle 1715-1789 (4 T.) Boivin
et Cie 1931.
Oeuvres complètes (T.5) Leipsic 1796 chez
Gérard Fleischer.
-107-
Dictionnaire des Lettres françaises XVIIIe siècle T. 2. NATURE
Edmond Estève
Daniel l"iornet
.. )
Etudes de Littérature pré-romantique.
Librairie ancienne H~noré Champion. Paris
1923.
Le Romantisme en France au XVIIIe siècle.
Hachette. Paris 1912 •
-108-
TABLE DES r~TIERES
Avertissement
Introduction
Première Partie Le vocabulaire
Chapitre l Le vocabulaire de la pas·torale
Introduction Les sources pastorales
de Paul et Virginie: Gessner, Florian, p. 7 ... La place
de Paul et Virginie dans L'oeuvre de Bernardin, p. 7-8 ••.
p. 1
p. 2
p. 6
p. 7
La nature pastorale de l'11e, p. 8 ••• En quoi la végétation,
les animaux et le climat sont bucoliques, p. 8-9 •.. La vie
pastorale, p. 9T11 Le dialogue des enfants avec les animaux
p. 18 ••• Leurs travaux, p. ~12 ••• Leurs jeux, p. 13 •.• Le
vocabulaire amoureux de la pastorale, p. 14 ••• conclusion,
p. 15-16.
Chapitre II Le vocabulaire exotique p. 17
Introduction : Les origines de Paul et
Virginie, p. 17 .•. La source primaire du vocabulaire exotique
de Paul et Virginie, p. 17 ••• Sources secondaires, p. 18 •••
Le vocabulaire exotique, p. 19 •..• La géographie. de l'11e,
les montagnes, les cours d'eau, le climat, p. 19-21 •••
La géographie humaine, les richesses exotiques, p. 21-22 •.•
La flore tropicale et européenne de l'11e p. 22-2~~ •• La
faune, p. 24-25 ••• le vocabulaire technique, p. 25-26 •••
Conclusion, p. 26.
-109-
Chapitre III Le vocabulaire pictural
Introduction : comment le vocabulaire
pictural nous donne une image de la nature, p. 27-28 •••
Vocabulaire visuel: le dessin, p. 28-29 ••• la couleur,
p. 29-30 ••• La lumière, p. 30 ••• le vocabulaire auditif,
p. 31- ••• le vocabulaire tactile et olfactif, p. 32-33 •••
Les verbes expressifs et les termes collectifs, p. 33-34.
Le vocabulaire pictural : conclusion, p. 34.
p. 27
Chapitre IV Le vocabulaire moral p. 35
Introduction: le vocabulaire affectif,
'n. ~S ••• vocabulaire affecté dans le portrait des enfants,
p. 36-37-38 •.• vocabulaire précieux pour décrire l'éveil
de l'amour, p. 39 ••• La projection des sentiments sur la
nature, p. 41-42 ••• ccnclusion, p. 42.
Deuxième pa;r:-tie Le matériel grammatical
Chapitre l La personnalisation de la nature
Introduction : la nature devient thème
p. 43
p. 44
du roman, p. 44 ••• comment son autonomie est mise en lurnière
par l'emploi de l'article, p. 45-47 ••• les temps verbaux,
p. 47-50 ••• la forme pronominale, p. 50 ••• faiblesse de la
métaphore et des verbes expressifs, p. 50-5"2 ••• conclusion,
p. 5'2.
-110-
Chapitre II Nature contingente et nature éternelle p. 53
Introduction: dualité de la nature, p.53
sa dépendance vis-à-vis de l'homme traduite par 1/ le pronom
"on", p. 53-54, 2/ la comparaison, p. 54, 3/ les inscriptions
latines, p. 55 ••• son indépendance vis-à-vis de l'homme
traduite par 1/ le défini et l'indéfini, p. 55-56 ••• 2/ par
le présent atemporel, p. 57-58 ••• conclusion, p. 58.
Chapitre III L'illustration picturale
Introduction : progrès de Bernardin
p. 59
comparé à Rousseau, p. 59 ••• Valeur qualitative de l'indéfini,
p. 60 ••• l'alternance des temps verbaux: leur effet dramati
que, p.60-61 ••• faiblesse des qualificatifs et importance des
participes à valeur adjectivale, p. 61-62 ••• valeur picturale
de la phrase nominale et du substantif abstrait, p. 62-64 •••
la comparaison, p. 64 ••• la métaphore, p. 64 ••• autres moyens
grammaticaux: les circonstanciels descriptifs, p. 65 ••• les
compléments déterminatifs, p. 65-66 ••• les relatives, p. 66-67
conclusion, p. 67.
Il'roisième partie La composition, la phrase et l'ordre des mots p.68
Chapitre l Le dessin et le l2,ortrait p. 69
Le dessi.n : le tableau d'ouverture, p. 69-71.
le jardin de Paul, p. 71-72 ••• le portrait d.es enfants, p. 72-
73 ••• le portrait moral de Virginie, p. 74-76-77 ••• conclusion,
p. 78.
-111-
Chapitre II La peinture de la nature
Introduction, p. 79 ••• l'été: le verbe
qui des~ine le mouvement, le t~ème du feu, p. 79-80 •••
l'ordre impressif de la phrase, p. 80 ••• le volume et la
liaison des phrases, p. 80 ••• euphonie,eharmonie et rythme,
p. 79
po 81-82 ••• le soleil couchant, p. 82 ••. Description
impressionniste de la lumière, p. 83-84 ••• la nuit' tropicale
dessin et couleur, p. 84 ••• construction parallèle, p. 84-85 ••
le Repos de Virginie, p. 85 ••. Expressivité de la peinture,
p. 85-87 ••• le rythme, p. 87 ••• conclusion, p. 88.
Chapitre III Le dialogue et la narration descriptive p. 89
Introduction : faiblesse du dialogue et de
la narration, p. 89 ••• le dialogue amoureux, p. 89 ••• sa
co'nstruction conventionnelle, p. 90 ••• la phrase affective,
p. 91 ••• la course épuisante de Paul et Virginie: une narration
classique, p. 92-94 ••. sa structure phraséologique, p. 94 •..
le naufrage du Saint-Géran, p. 95-96 ••• la personnalisation
et l'intervention de l'auteur, p. 96 ••• l'ordre des mots, p. 96.
conclusion, p. 9~.
Conclusion
Index des citations
Bibliographie
Table des matières
p.98-100
p.101-102
p.103-107
p.108-111